2. Des choix contestés
a) Un " pré carré " remis en cause
La présence française en Afrique a subi le
contrecoup de deux évolutions dont la maîtrise échappait
complètement à notre pays : la crise économique et
financière de la fin des années 80 et du début de la
décennie suivante dans le continent africain, la fin de la guerre froide
et la remise en cause des positions diplomatiques figées par
l'antagonisme Est-Ouest.
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L'influence croissante
des institutions financières
internationales
Lorsque les pays africains se sont trouvés tour à tour, en
particulier dans la zone franc, confrontés à une grave crise
financière, la France a pris conscience qu'elle ne pouvait assumer,
seule, la responsabilité d'un assainissement économique de ses
partenaires africains. Le recours au Fonds monétaire international (FMI)
et à la Banque mondiale s'est révélé indispensable.
La logique économique défendue par ces institutions fondée
sur les axiomes du libéralisme a trouvé droit de cité dans
des pays marqués encore par l'étatisation des structures de
production et des réglementations très lourdes (sinon toujours
respectées).
A bien des égards, les préoccupations des institutions de
Bretton-woods s'accordaient avec les changements souhaités par la
France. Elles leur ont permis parfois de se concrétiser. La
dévaluation du franc CFA en 1994 apparaît à cet
égard exemplaire.
Avec les années, la France a pu faire valoir auprès des
représentants du FMI et de la Banque mondiale une sensibilité
plus respectueuse des réalités locales et corriger ainsi ce que
pouvait avoir d'excessif un libéralisme par trop dogmatique.
A titre d'exemple la Banque mondiale a retenu pour thème dans son
dernier rapport consacré au développement " l'Etat dans un
monde en mutation ". Longtemps partisan de la réduction du
rôle de l'Etat, la Banque reconnaît la nécessité d'un
Etat efficace pour favoriser la mise en place d'une économie de
marché efficace.
Il n'en reste pas moins que la France ne peut plus apparaître, même
pour les pays qui nous sont les plus liés, comme un interlocuteur
exclusif.
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Les Etats-Unis, un nouvel acteur sur le continent
Dans la logique d'opposition entre deux blocs antagonistes, les Etats-Unis
s'accommodaient fort bien de l'influence française sur le continent
africain, influence inspirée à la fois par un souci de
stabilité et de solidarité avec les intérêts des
démocraties occidentales. Ce partage des rôles, héritage de
la guerre froide, s'est trouvé remis en cause à la suite de
l'effondrement de l'empire soviétique. Désormais essentiellement
guidés par des intérêts nationaux, les Etats-Unis pouvaient
souhaiter jouer leur propre partie en Afrique.
D'autres facteurs ont contribué à aiguiser l'intérêt
de Washington pour le continent africain : l'émergence d'une nouvelle
puissance régionale, l'Afrique du Sud, affranchie des liens de
l'apartheid mais aussi l'exploitation des richesses minières, en
particulier dans le golfe de Guinée où les perspectives de
prospection pétrolière apparaissent très prometteuses.
La politique américaine en Afrique s'est toutefois montré
hésitante. Les derniers événements dans l'ancien
Zaïre en ont apporté le témoignage.
Tandis que le 15 novembre 1996, ils soutenaient une résolution appelant
au respect de l'intégrité territoriale du Zaïre, les
Etats-Unis apportaient un appui politique, financier voire militaire à
l'offensive de Laurent-Désiré Kabila. Double jeu ou confusion ?
Il est difficile de le dire. Cependant, les manoeuvres du chef de l'Alliance
ont bientôt échappé au contrôle des Etats-Unis dont
il faut tout de même rappeler qu'ils ont été les principaux
soutiens du régime de Mobutu Sese Seko pendant de nombreuses
années. Les difficultés liées à l'envoi d'une
commission d'enquête des Nations unies sur les massacres commis contre
les réfugiés dans le Kivu illustrent encore les
ambiguïtés de la diplomatie de Washington qui, à cette
occasion, a montré les limites de son influence sur le nouvel homme fort
installé à Kinshasa.
Si la diplomatie américaine apparaît hésitante, la
politique économique des Etats-Unis répond à une
stratégie plus déterminée.
Certes, pour l'heure, l'Afrique demeure pour les Etats-Unis un partenaire
économique marginal. Elle représente 1 % de ses exportations (5,8
milliards de francs) et 2 % de ses importations (15 milliards de dollars). Les
échanges se concentrent sur un petit nombre de pays (l'Afrique du Sud,
le Nigeria, l'Angola et le Gabon représentent 80 % des importations
américaines) et sur un nombre limité de produits avec au premier
rang, les hydrocarbures.
En outre, les conditions d'accès au marché américain
demeurent restrictives : 67 % des ventes africaines supportent des droits de
douane. Moins de 4 % d'entre elles bénéficient du système
de préférences généralisé dont le
dispositif, du reste, est aujourd'hui suspendu à une prorogation du
Congrès.
Par ailleurs, les mécanismes d'incitation destinés aux
entreprises américaines ont subi les effets de la contrainte
budgétaire. Les engagements de l'agence américaine de garantie
des investissements privés à l'étranger (l'OPIC) se sont
réduits de 237 millions de dollars en 1994 à 174 millions de
dollars en 1995.
Quant à l'aide bilatérale destinée à l'Afrique,
elle a connu une contraction sévère entre 1993 et 1996 passant de
850 millions de dollars à 550 millions de dollars (0,1 % du produit
intérieur brut américain).
Par ailleurs, le fonds de développement pour l'Afrique a
été démantelé en 1996 et l'aide à l'Afrique
relève désormais du fonds général d'intervention de
l'agence américaine.
Cependant, les Etats-Unis paraissent aujourd'hui résolus à
imprimer un nouvel élan à leur présence économique
en Afrique. En juin 1997, avant le sommet du groupe des huit pays les plus
industrialisés à Denver, le Président Bill Clinton a
présenté une initiative économique pour le continent dont
il n'est pas inutile d'évoquer ici les grandes lignes. D'après
Washington, la faiblesse des performances africaines s'explique par la
conjonction de trois facteurs : l'instabilité politique marquée
par de nombreuses guerres civiles, les déséquilibres
macro-économiques, les distorsions des mécanismes d'allocations
de ressources et, en particulier, un niveau de protection douanière trop
élevé (soit un coût additionnel de 11 milliards de dollars
presque équivalent au montant de l'aide publique reçue).
Cependant, le redressement des économies africaines, sensible depuis
1995 (avec un taux de croissance du PIB de l'ordre de 4 % en moyenne), ouvre la
perspective de débouchés intéressants pour les
exportations américaines.
Le renforcement de la présence américaine ne passe toutefois pas
par l'aide au développement mais par une utilisation efficace des
mécanismes de marché et de l'initiative privée. Ces
orientations se sont traduites par un projet de loi (" African growth
and
opportunity Act ") en cours d'examen devant le congrès. Ce texte
comporte deux volets principaux :
- une extension du système de préférences
généralisées à des produits sensibles (textile et
habillement) jusque là exclus du dispositif ;
- la mise en place de nouveaux programmes d'appui à l'investissement
privé sous les auspices de l'OPIC à travers un fonds de prise de
participation de 150 millions de dollars et un fonds de 500 millions
destinés aux investissements privés dans les infrastructures.
Ces objectifs rencontrent toutefois un faisceau d'oppositions. Le
système de préférences généralisées
n'est plus en vigueur depuis plusieurs mois et son extension au
textile-habillement ne s'accorde pas aux intérêts de l'industrie
textile américaine bien défendue au sein du congrès
-déjà des contingents ont été imposés aux
productions du Kenya et de l'île Maurice. En outre, les programmes de
l'OPIC demeurent une cible privilégiée pour les adversaires de
" l'assistance sociale aux entreprises " et pourraient
subir de
nouvelles réductions au nom de la rigueur budgétaire.
Cependant, les entreprises américaines n'ont pas attendu les choix
définitifs des autorités publiques pour passer à
l'offensive sur les marchés africains : les investissements industriels
directs des Etats-Unis progressent rapidement. D'un montant de
173 millions
de dollars en 1994 ils s'élevaient à 1,2 milliard de dollars en
1996 dont 30 % en Afrique du Sud.
Désormais, la France doit compter avec ces concurrents, même sur
les terres traditionnelles de la francophonie.
b) Les erreurs françaises
L'analyse des erreurs de notre diplomatie ne doit pas
s'arrêter aux positions arrêtées par le gouvernement
français au moment de la crise zaïroise. Il lui faut
également tenter d'expliquer l'origine de ces choix malheureux mais
aussi s'interroger sur certaines orientations qui, à l'épreuve
des réalités africaines, ont montré leurs limites.
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Les déconvenues diplomatiques dans la région des grands
lacs
Le soutien accordé jusqu'au dernier moment au maréchal Mobutu
exposait la France à de sérieuses déconvenues dans la
crise zaïroise. La capacité d'arbitrage et la liberté de
manoeuvre diplomatique française dans la région apparaissaient,
il est vrai, sérieusement limitées par les positions
prêtées à la France dans la région des grands lacs
et, en particulier, l'appui -apprécié avec une certaine
injustice- accordé au président Habyarimana du Rwanda avant son
assassinat par des Hutus extrémistes.
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La multiplicité des centres de décision
La multiplicité des centres de décision dans la politique
africaine constitue un handicap sérieux pour la mise en oeuvre d'une
diplomatie cohérente et déterminée. Comme le soulignait M.
Michel Roussin
6(
*
)
" la
gestion de [la crise zaïroise], qu'il s'agisse des quatre responsables
Afrique de l'Elysée, des services du Quai d'Orsay, du ministère
de la défense, sans oublier les pseudo-réseaux, ne pouvait
qu'engendrer télescopages, appréciations approximatives et
absence d'anticipation ".
La " diplomatie " des réseaux -plus ou moins occultes-
paraît aujourd'hui particulièrement préjudiciable à
la politique française en Afrique. Elle double souvent -lorsqu'elle ne
la contredit pas- l'action de nos ambassadeurs sur place, elle sert souvent
plus utilement les intérêts de certains de nos interlocuteurs
africains -qui savent habilement jouer des concurrences entre plusieurs
réseaux- que l'intérêt national, elle repose sur un
système de relations fondé sur d'anciennes connaissances et
ignore les jeunes élites qui représentent pourtant l'espoir de
l'Afrique et l'Afrique de demain.
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Une politique des visas trop restrictive vis-à-vis de nos
partenaires africains
Un nombre croissant d'étudiants et de chercheurs africains
préfèrent ainsi se former au sein des universités
américaines plus accessibles. A terme, cette orientation trop rigoureuse
de la France risque de peser durablement sur son rayonnement et sur son
influence. La politique des visas et des bourses doit être
organisée de façon plus généreuse.
La relève des générations en Afrique constitue un
défi pour la France qui doit s'assurer, auprès des prochains
responsables, du capital de confiance dont la créditaient les
élites africaines de l'époque postcoloniale.
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Une application excessivement formelle des critères
démocratiques
Les valeurs affirmées au sommet franco-africain de La Baule en 1990, si
louables soient-elles dans leur principe, ont montré leurs limites
à l'épreuve des réalités africaines. Le
conditionnement de l'aide française aux progrès de la
démocratie a entraîné des dérives.
Pour satisfaire les bailleurs de fonds, certains chefs d'Etats ont
adopté tous les attributs de la démocratie sans suivre en rien
l'esprit des institutions démocratiques. Comme le soulignait
récemment l'ambassadeur de France, M. Stéphane Hessel, " ce
n'est pas parce qu'un président a été
démocratiquement élu qu'il est un bon porteur de la
démocratie. Et ce n'est pas parce qu'un président a pris le
pouvoir par un coup d'Etat qu'il n'est nécessairement pas porteur d'une
évolution démocratique ".
Ainsi, la forme des institutions importe parfois moins que le fonctionnement
effectif du pouvoir. Paradoxalement
certains
régimes
présidentiels forts paraissent mieux à même que des
démocraties fragiles et d'ailleurs souvent factices d'assurer une
véritable transition vers l'Etat de droit. L'erreur est parfois de
vouloir aller trop vite en réagissant avec notre propre mentalité
sans tenir compte des différences et de la nécessité d'une
évolution progressive. Sans doute, dès lors, faut-il encourager
les avancées concrètes de l'Etat de droit -mise en place de
règles juridiques transparentes, bon fonctionnement de la justice ...-
et ne pas se satisfaire seulement d'un respect de façade des
procédures démocratiques.