2. Les enjeux de la politique agricole commune
D'aucuns ont qualifié la réforme de 1992 de " réforme de circonstance ". Face à un environnement international incertain, la politique agricole commune se trouve conduite, aujourd'hui et demain, à des choix très importants pour l'avenir de l'agriculture et du monde rural.
a) De fortes priorités...
Apporter des réponses aux nouveaux défis
Les nouvelles exigences de la société ont tendance parfois
à inquiéter le monde paysan, car elles remettent en cause
certaines pratiques et ont un coût certain.
Elles n'en constituent pas moins, de la part du secteur agricole et forestier,
une nécessité d'adaptation. En effet, s'il est reconnu que
l'agriculteur protège l'environnement rural par sa seule présence
sur le terrain et la poursuite de son activité professionnelle, il n'en
demeure pas moins vrai qu'un effort est impératif pour poursuivre
l'amélioration de la situation actuelle.
- L'importance de la qualité et de la salubrité des
produits alimentaires
Deux événements ont montré l'urgence d'une prise en compte
au niveau européen des questions de qualité et de
sécurité des produits destinés à l'alimentation
humaine et animale.
Il s'agit, en premier lieu, des organismes génétiquement
modifiés.
Le terme d'organisme génétiquement modifié (OGM)
s'applique aux organismes vivants dont le patrimoine génétique a
été modifié par la technique de la
transgénèse. La transgénèse est une technique
relativement récente, puisqu'elle est apparue il y a moins de vingt-cinq
ans. Elle permet de transférer un ou plusieurs gènes, aux
fonctions bien définies, depuis n'importe quelle espèce du
règne animal ou végétal, vers n'importe quelle autre
espèce.
Par rapport à la sélection variétale classique, la
transgénèse a donc ouvert un champ d'application
extrêmement intéressant, puisqu'elle permet de créer, de
façon très ciblée et dans un laps de temps
incomparablement plus rapide, des variétés présentant
directement des caractéristiques entièrement nouvelles.
Etat des lieux en Europe et aux Etats-Unis
Les applications de la transgénèse dans le domaine purement
végétal n'ont commencé à se développer
qu'à partir de 1983. Les premiers essais aux champs de colzas
transgéniques datent de 1984 (France, Belgique, Canada). Sur le plan de
la maîtrise de ces techniques, le savoir-faire acquis depuis lors en
Europe -et notamment en France- n'a rien à envier à celui qui a
parallèlement été développé aux Etats-Unis.
Pour la France, c'est la commission du génie biomoléculaire
(CGB), mise en place en 1986 qui autorise les essais de plein champ et examine
les demandes d'autorisation de mise sur le marché
. Depuis 1987, les
tests réalisés ont concerné près de
3.000 sites dans notre pays. Certaines plantes, après avoir
été testées depuis plusieurs années et
évaluées sur le plan de leur impact vis-à-vis de
l'environnement et de leur innocuité pour la santé humaine et
animale, sont désormais au stade de la mise sur le marché.
Dans l'Union européenne, deux plantes ont fait l'objet
d'autorisations communautaires
qui comprennent un usage pour la
consommation humaine : un soja tolérant à un herbicide
(décision de la Commission européenne du 3 avril 1996,
parue au Journal Officiel de la Communauté européenne du
30 avril 1996) et un maïs résistant à un insecte
(décision du 23 janvier 1997, parue au Journal Officiel de la
Communauté européenne du 1er février 1997). Dix
dossiers sont en cours d'examen auprès des instances européennes.
Aux Etats-Unis, une vingtaine de plantes transgéniques sont sur le
marché
(maïs, coton, pomme de terre, courge, soja et papaye),
une dizaine au Canada (colza, soja, pomme de terre, maïs) et au Japon
(soja, colza, maïs, pomme de terre).
Pour l'instant, l'Union européenne, à la différence des
Etats-Unis et du Canada, n'a pas lancé la production de plantes
transgéniques à grande échelle
. Le diagnostic
concernant l'intérêt de ces innovations pour l'agriculture est
évidemment le même, mais on a tendance, en Europe, à
s'entourer d'un maximum de précautions. C'est donc par l'importation et
dans un contexte psychologique particulièrement défavorable
(crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine, qui est pourtant un
sujet d'une toute autre nature) que l'opinion publique européenne a
découvert les plantes transgéniques. L'arrivée des
premiers bateaux transportant ces produits à la fin de 1996 a
suscité une inquiétude qui a rendu les autorités
nationales prudentes au moment d'autoriser les premières mises en
production. C'est ainsi que le dossier du maïs, qui était à
cet égard le plus avancé, a été bloqué au
début de 1997 en France, en Italie et en Espagne.
Sur le plan économique, l'agriculture européenne se trouve
donc temporairement dans la pire des situations
: les importations sont
autorisées, la production ne l'est pas. A l'évidence, il y aura
des évolutions nécessaires. Elles devront concilier les attentes
spécifiques du consommateur européen et les impératifs
stratégiques de filières agro-alimentaires évoluant dans
un contexte mondial.
Aspects réglementaires
Les trois principaux aspects à distinguer sont les autorisations de mise
en marché, l'étiquetage et les autorisations de production.
Les autorisations de mise en marché
La demande peut être effectuée auprès des autorités
compétentes de n'importe quel Etat membre (exemple : demande
présentée au Royaume-Uni par MONSANTO EUROPE pour le soja
résistant au glyphosate) et l'autorisation est accordée sur
décision de la Commission pour l'ensemble de l'Union européenne.
Il convient toutefois de noter que l'Autriche et le Luxembourg ont
annoncé leur intention de ne pas se conformer à la
réglementation communautaire sur ce point.
L'étiquetage
Le règlement " Novel Food " concernant l'alimentation
humaine
(règlement relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux
ingrédients, publié au Journal Officiel de la Communauté
européenne du 14 février 1997) introduit l'obligation
d'étiquetage dès lors qu'il est établi que l'introduction
d'OGM confère au nouvel aliment des caractéristiques
différentes des aliments de la même catégorie. Cette
législation, entrée en vigueur le 31 juillet dernier
était nécessaire car absente de la directive 90/220/CEE relative
à la dissémination volontaire des OGM dans l'environnement.
De plus, la Commission européenne a adopté le 19 septembre
un règlement qui rend obligatoire l'étiquetage des aliments ou
ingrédients alimentaires fabriqués à partir de soja ou de
maïs transgéniques. La commercialisation de ces deux produits avait
été autorisée avant l'adoption du règlement
n° 258/97 sur les nouveaux aliments. La mise sur le marché de
fèves de soja génétiquement modifiées a, en effet,
été accordée le 3 avril 1996 et celle du
maïs trangénique le 23 janvier 1997. Le règlement
n° 258/97 sur les nouveaux aliments qui prévoit des exigences
spécifiques supplémentaires en matière d'étiquetage
pour informer le consommateur date, lui, du 27 janvier 1997. Les
dispositions de ce texte ne pouvant être rétroactives, un nouveau
règlement était nécessaire afin d'imposer les mêmes
exigences d'étiquetage pour le soja et le maïs.
La Commission s'est toutefois contentée de reprendre les termes de
l'article 8 du règlement n° 258/97, qui prévoit
d'étiqueter les produits dès lors qu'ils ne sont pas
équivalents à un aliment ou à un ingrédient
alimentaire classique. Le nouveau texte n'apporte donc pas d'avancée sur
le détail des règles qui font l'objet d'importants débats
et qui devaient être précisées au plus tard le
1er novembre. Le règlement du 19 septembre indique simplement
que "
les règles communautaires uniformes relatives à
l'étiquetage des denrées alimentaires seront adoptées
dès que possible
".
L'application en France du règlement européen " Nouveaux
Aliments " a conduit les Pouvoirs publics à rechercher une
législation sur l'étiquetage des aliments et ingrédients
constitués d'OGM ou issus d'OGM.
Le Conseil National de
l'Alimentation (CNA) a été chargé de remettre un avis sur
ce point.
Il recommande que l'étiquetage, ne se suffisant pas
à lui-même, s'inscrive "
dans le cadre de mesures
d'accompagnement de la mise en marché
", notamment par le
développement de procédures de traçabilité sur la
filière, et de surveillance de l'impact des OGM sur l'environnement, la
santé animale et humaine. Il propose, en particulier, la mise en place
d'un Observatoire national et européen pour assurer un suivi des
produits autorisés.
En matière d'étiquetage, il préconise les mentions du type
"
génétiquement modifié ...
" ou
"
issu d'OGM
" dans le cas où l'aliment n'est pas
équivalent à un aliment traditionnel. Par ailleurs, l'objet de la
modification génétique ou la caractéristique
modifiée sera mentionné. Enfin, il fait remarquer que la mention
"
susceptible de contenir ...
" proposée par le
règlement " Nouveaux Aliments " n'apporte pas d'information
pertinente et ne devra être employée qu'à titre
" transitoire et exceptionnel ".
En ce qui concerne les aliments équivalents aux aliments traditionnels,
le CNA propose de ne pas faire figurer d'étiquetage, en "
raison
de l'impossibilité de garantir la loyauté de toute
allégation ou identification
". Il reconnaît toutefois la
possibilité de revoir ce point, en fonction de l'évolution des
connaissances.
Le CNA recommande, en outre, l'apposition d'un numéro de dossier
permettant l'accès à une information large auprès d'un
organisme européen ou national, neutre et indépendant.
Il propose également que la mention "
sans recours aux
techniques de modification génétique
" puisse être
vérifiée selon "
des procédures de certification
s'inscrivant dans des dispositions déjà existantes ou des
démarches de contractualisation s'appuyant sur une
traçabilité sans faille
".
Avantages et inconvénients des OGM : un bref
résumé
Sans méconnaître les risques tant en matière alimentaire
qu'environnementale, votre rapporteur pour avis souhaite préciser les
avantages attendus en agriculture des OGM.
On peut ainsi envisager :
- une réduction des coûts de production ;
- des itinéraires techniques plus favorables à
l'environnement ;
- une amélioration des rendements ;
- la création de nouveaux produits.
Il ne faut toutefois pas se cacher que les OGM pourraient conduire à une
intégration totale du producteur dans une filière.
C'est dans un tel contexte que votre commission a souhaité
procéder à une mission d'information sur les conséquences
économiques des OGM.
Le rapport de notre collègue Alain Pluchet
8(
*
)
comporte une analyse
détaillée de la crise de la filière bovine. Ce
" véritable séisme ", comme l'a qualifié
M. Joseph Daul, Président de la Fédération nationale
bovine et de l'interprofession bétail et viande, n'a pas
été une crise classique de surproduction, mais plutôt une
crise d'un nouveau type, de la consommation de la demande
9(
*
)
.
Les différentes analyses menées notamment par l'Office national
interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture ont
permis de mesurer plus particulièrement l'impact de la crise sur la
consommation des ménages au cours de l'année 1996.
Si la mise en place par l'interprofession bovine, avec l'appui du
ministère de l'agriculture et de la pêche du signe
" VBF " (Viande Bovine Française), dès le 25 mars,
a permis de freiner le mouvement à la baisse de la consommation, la
gravité exceptionnelle de la crise agricole induite par l'effondrement
de la consommation de viande bovine apparaît pour le moins surprenante au
regard du petit nombre de cas d'ESB constatés en France.
On peut
ainsi en déduire que cette crise de la consommation est, en grande
partie, une crise de confiance, due, pour une part, à l'ampleur des
incertitudes sur cette affection.
Ainsi, les effets provoqués par cette crise non seulement au sein de la
filière agricole et de la chaîne alimentaire, mais aussi dans le
comportement du consommateur témoignent de l'urgence à garantir
un maximum d'hygiène et la qualité de toutes les denrées
alimentaires, quelle que soit leur origine.
Votre rapporteur pour avis rappelle, à cet égard, que le
Règlement (CE) n° 820/97 du Conseil en date du 21
avril 1997 prescrit l'étiquetage de la viande bovine et des
produits à base de viande bovine à compter du
1er janvier 2000 ainsi qu'un système d'identification et
d'enregistrement des bovins.
- Le respect de l'environnement
Depuis 1972
, la politique de l'environnement est l'une des priorités
de l'Union européenne que
l'Acte unique européen
(1987) a
renforcée. Le
Traité de Maastricht
(1993) affirme
que : "
l'intégration des exigences en matière de
protection de l'environnement dans la définition et la mise en oeuvre
des autres politiques de la Communauté
" est une condition
essentielle.
Progressivement, les pays se sont efforcés d'harmoniser leurs
législations nationales en matière d'environnement : les
règles et les normes de protection sont donc, pour la plupart, d'origine
communautaire. Elles concernent tous les milieux naturels, industriels et
urbains.
Le cinquième programme d'action sur l'environnement 1993-2000
" vers un développement durable ", adopté par le
Conseil des Ministres, s'appuie sur une
situation pessimiste de
l'état de l'environnement de l'Union européenne
; il estime
nécessaire un changement radical de mesures et de moyens.
Cinq
secteurs
économiques ont été identifiés
en
priorité
: industrie, énergie, transports, tourisme et
agriculture.
En ce qui concerne l'
agriculture
, la Commission européenne
dresse, dans son rapport "
Vers un développement
durable
" (mars 1992), le constat suivant :
les
mécanismes de la PAC
ont permis d'atteindre plusieurs objectifs
économiques, mais exercent
des effets moins positifs
en
matière d'environnement : hyper-intensification, dégradation
des ressources naturelles, érosion des sols, uniformité
génétique en élevage, conséquences des effluents
d'élevage, rôle néfaste du drainage vis-à-vis des
zones humides et du phénomène d'eutrophisation lié
à l'usage exclusif et excessif des engrais dotés et
phosphatés.
Ces orientations générales de l'Union européenne en faveur
de l'environnement ont donné naissance à plusieurs directives ou
règlements communautaires concernant l'agriculture, parmi lesquels :
Le règlement agri-environnemental
, qui a accompagné
la réforme de la PAC (1992) : encouragement à
l'extensification, reconversion à l'agriculture biologique, protection
des races menacées...
Près de 150.000 agricultures français ont souscrit un
contrat agri-environnemental pour cinq ans. Cette
politique de
contractualisation est appelée à se développer
dans
les prochaines années dans la mesure où elle constitue une
manière efficace de concilier au niveau local les impératifs
économiques avec les nécessités environnementales.
La lutte contre la pollution par les nitrates
. La directive
" Nitrates " élaborée en 1991 par l'Union
européenne s'est traduite dans la législation française
par divers textes réglementaires notamment :
Le décret du 27 août 1993 qui prescrit
l'établissement d'un inventaire des zones vulnérables à la
pollution par les nitrates d'origine agricole.
Sont désignées comme " vulnérables " les zones
dans lesquelles les eaux souterraines ou superficielles dépassent ou
risquent de dépasser une teneur en nitrate de 50 mg/l. La
procédure de délimitation des zones vulnérables est
achevée (cf carte) et le dossier a été notifié
à la commission européenne.
Le décret du 4 mars 1996 et son arrêté
d'application définissent le cadre des programmes d'action à
mettre en oeuvre dans les zones vulnérables en vue de la protection des
eaux par les nitrates d'origine agricole. Ces programmes sont définis
par chaque préfet de département, en concertation avec l'ensemble
des partenaires concernés, sur la base d'un diagnostic
établissant pour chaque secteur les principales pratiques
générant des risques de pollution.
Grâce au programme d'action, les plus graves erreurs dans les pratiques
de fertilisation pourront être corrigées en
généralisant les " bonnes pratiques agricoles ". Ce
dispositif s'articule, pour les effluents d'élevage, sur le programme de
maîtrise des pollutions d'origine agricole et sur les financements qui y
sont liés.
A la date du 15 août 1997, 27 programmes d'action ont
été arrêtés par les préfets ;
23 programmes sont dans la phase de concertation ; 22 programmes
sont en cours de rédaction.
L'interdiction de mise en décharge des boues
. Les
directives communautaires visant l'épuration des eaux usées, tout
en interdisant parallèlement la mise en décharge des boues de
stations d'épuration, vont conduire les collectivités locales
à chercher à utiliser la voie de l'épandage des boues sur
les terres agricoles. Devant l'insuffisante harmonisation des
législations nationales, comme du manque d'organisation de la
filière,
la profession agricole
a fait des propositions pour
durcir la réglementation française
, pour améliorer
les relations entre les acteurs et la transparence des échanges.
La tendance de l'Union européenne à renforcer la protection de
l'environnement pourrait être poursuivie.
Toutefois, l'agriculture européenne est face à un
paradoxe :
- l'Union européenne développe, d'une part des
contraintes environnementales
(milieu naturel, bien-être des
animaux)
qui renchérissent les coûts de production
. Or,
cette tendance est bien moins développée dans d'autres pays
caractérisés par des espaces agricoles vastes et par une moindre
densité démographique (États-Unis, Australie,
Argentine) ;
- d'autre part, les pays tiers exportateurs et
l'Organisation mondiale
du Commerce
exercent une pression en faveur d'une libéralisation des
échanges agricoles qui exige
la recherche du moindre coût
en agriculture.
L'Union européenne doit donc :
-
valoriser les fonctions positives
de l'agriculture concernant
l'environnement (gestion de l'espace, paysage, biodiversité....) et
éviter de reporter les problèmes d'un secteur sur un autre (cas
des boues urbaines par exemple) ;
- faire prendre en compte la réalité environnementale
communautaire dans les
négociations internationales
;
- prévoir, dans le cadre de la discussion sur l'évolution de
la PAC,
des soutiens environnementaux spécifiques
et distincts
des aides économiques accordées aux productions
végétales et animales.
De son côté,
l'agriculture doit pouvoir répondre aux
nouvelles attentes de la société
: celle-ci
s'inquiète de la dégradation des ressources naturelles devenues
rares, de la disparition de paysages ruraux et d'une certaine culture paysanne.
Par ailleurs, un modèle de développement économique non
maîtrisé conduit à une mauvaise gestion des ressources
naturelles.
L'
agriculture
ne peut pas échapper à cette logique. En
tant qu'activité productive, elle entraîne des effets dommageables
pour l'environnement qu'il lui faut corriger et minimiser. Toutefois, elle n'a
pas qu'une action de prélèvement et d'exploitation du milieu
rural ; elle
génère un ensemble d'effets positifs
sur
l'environnement par la reconstitution du potentiel du sol, et
par une action
d'occupation et de mise en valeur du territoire.
- La protection des paysages
Les exigences de l'agriculture moderne ont contribué à la
dégradation des paysages ruraux par l'agrandissement des parcelles, la
disparition des haies, ou la construction de bâtiments agricoles
fonctionnels. Il serait évidemment ridicule d'imaginer reconstituer le
paysage d'il y a cinquante ans. Mais un travail patient
d'aménagement du paysage actuel est possible et, d'ailleurs,
déjà engagé, qui ne remette pas en cause la recherche de
la productivité.
Cette prise en compte de la protection des paysages est intégrée
plus largement dans le code de la politique régionale de l'Union
européenne, mise en place afin de renforcer sa cohésion
économique et sociale en réduisant les écarts de
développement au profit des régions les moins favorisées,
dont les zones rurales fragiles.
Cette politique s'appuie, pour l'essentiel, sur la mobilisation des
" fonds structurels " : FEDER (Fonds européen de
développement régional), FEOGA-section Orientation et FSE (Fonds
social européen).
Cette politique a été mise en oeuvre sur l'ensemble du territoire
communautaire à partir de 1989 avec une première programmation de
cinq ans -1989-1993- et se poursuit au cours de la seconde programmation
(1994-1999). Elle constitue une part grandissante dans le budget communautaire
et représentera environ
1/3 du budget
à la fin de
l'année 1999, tandis que la PAC passera à moins de 50 %.
Une double perspective : l'élargissement de l'Union
européenne aux pays associés d'Europe centrale et orientale et le
renforcement de la coopération économique avec les pays
méditerranéens du Sud
Une Union européenne élargie des Balkans à la
façade atlantique, de la mer Baltique au bassin
méditerranéen sera forcément différente de l'Union
européenne à quinze.
L'élargissement aux PECO, un enjeu pour la PAC
L'élargissement de l'Union européenne à des pays d'Europe
centrale et orientale et baltes (Pologne, Hongrie, République
Tchèque, Slovaque, Slovénie, Roumanie, Bulgarie, Lituanie,
Lettonie et Estonie) est, autant au regard du passé qu'à la
lumière des perspectives qu'il ouvre, un véritable défi
que l'Union européenne doit aborder dans les prochaines années.
La première nécessité consiste à bien
connaître les données naturelles de ces pays et notamment
l'importance que revêt l'agriculture tant en matière d'emploi que
de surfaces agricoles.
Surface agricole
|
Part de l'emploi agricole dans la population active |
Part de l'agriculture dans le PIB (%) |
|
Pologne |
18,6 |
25,6 |
6,3 |
Hongrie |
6,1 |
10,1 |
6,4 |
R. Tchèque |
4,3 |
5,6 |
3,3 |
R. Slovaque |
2,4 |
8,4 |
5,8 |
Slovénie |
0,9 |
10,7 |
4,9 |
Roumanie |
14,7 |
35,2 |
20,2 |
Lituanie |
3,5 |
22,4 |
11,0 |
Lettonie |
2,5 |
18,4 |
10,6 |
Estonie |
1,4 |
8,2 |
10,4 |
Total PECO 10 |
60,3 |
26,7 |
7,8 |
Union européenne à 15 |
138,1 |
5,7 |
2,5 |
Chiffres de 1993, source Commission européenne
Malgré l'importance de ce secteur agricole, ces pays traversent depuis
quelques années une grâce crise d'ajustement de l'économie.
En agriculture, cette crise s'est traduite par un effondrement de la
production, plus marqué pour les productions animales que
végétales.
A partir de 1993, et plus encore en 1994 et 1995, on a pu commencer
à entrevoir une inversion de la tendance. Les productions
céréalières repartent, après deux années
très affectées par la sécheresse. Les productions animales
continuent à diminuer, mais à un taux plus faible.
La production devrait croître dans les années qui viennent,
à un rythme qui dépendra de l'ajustement structurel.
Si ces nouveaux pays présentent des situations très
différentes par rapport à celle de l'Union européenne, de
nombreux handicaps continuent de freiner le développement de
l'agriculture.
Compte tenu de ces différents facteurs, la valorisation du potentiel
agricole reste difficilement prévisible.
La deuxième précaution consiste à adopter une
démarche progressive.
C'est en effet dès les début de 1998 que la commission doit
rendre ses avis sur les candidatures et présenter une document
d'ensemble. Si les négociations d'adhésion doivent débuter
quelques mois après la conclusion de la Conférence
intergouvernementale (CIG), elles seront conduites individuellement en fonction
de la situation particulière des pays candidats à progresser vers
l'Union européenne par les accords d'association.
Cette démarche permettra,
d'une part
, à ces pays de se
familiariser avec les priorités et les contraintes de l'Union
européenne et,
d'autre part
, à ces pays de
vérifier si l'application des mécanismes de la PAC doit
être revue. Le défi pour l'Europe est donc de préserver une
véritable politique qui, tout en étant commune, prenne en compte
les spécificités très hétérogènes des
agricultures nationales.
Il est enfin important de bien mesurer le coût de cet
élargissement.
Les estimations de la commission prévoient qu'en cas de reprise totale
de la PAC actuelle par les dix PECO, le coût annuel supplémentaire
de l'extension de la PAC actuelle à partir de 2010 serait de
12 milliards d'Ecus par an. Ce coût est théorique car
l'intégration de ces pays sera progressive et la PAC évoluera.
Il apparaît plutôt que l'impact budgétaire des
adhésions se situera dans le domaine des fonds structurels pour lesquels
les PECO seront fortement demandeurs.
Votre
rapporteur pour avis souligne
cependant que tout
élargissement doit cependant, de la part des PECO, nécessiter un
effort d'adaptation de leur vision de l'Europe et de la PAC afin
d'éviter l'orientation de l'Union européenne vers une simple zone
de libre échange.
La poursuite des négociations avec les pays
méditerranéens
L'Union européenne, ayant pris conscience de la nécessité
de donner une perspective stratégique à sa politique
méditerranéenne, a clairement manifesté cette intention
dès le Conseil européen de Corfou, en juin 1994.
C'est au Conseil d'Essen, en décembre 1994, qu'a été
lancé le projet d'établir un véritable partenariat
euro-méditerranéen avec douze partenaires
méditerranéens
10(
*
)
pour la
période 1995-1998.
Cette orientation a été confirmée par le Conseil
européen de Cannes, en juin 1999, qui assuré la
crédibilité du projet de partenariat en quadruplant l'avis
budgétaire consacrée aux pays tiers méditerranéens
(PTM), manifestant ainsi concrètement un souci de
rééquilibrage par rapport à l'action entreprise en
direction des PECO.
Le règlement " MEDA ", définissant les modalités
de gestion de cette aide financière d'un montant de 4,685 milliards
d'écus, est entré en vigueur le 2 août 1996.
Dans la perspective des orientations décidées par les
différents Conseils européens, un intense travail de
négociation a été conduit entre les partenaires des deux
rives de la Méditerranée. Il a porté en particulier sur le
renouvellement des accords de coopération, entre l'Union et ses
partenaires méditerranéens, dans la perspective de la
création d'une zone de libre-échange
euro-méditerranéenne à l'horizon 2010.
En 1995, trois accords d'association euro-méditerranéen avaient
été conclus avec la Tunisie, le Maroc et Israël.
En 1996, les négociations ont progressé avec l'Égypte, le
Liban, la Jordanie, la Turquie, les Palestiniens et l'Algérie.
AIDE COMMUNAUTAIRE (EN MILLIONS D'ÉCUS)
PECO |
Pays tiers méditerranéens (PTM) |
PTM/PECO
|
|
1995 |
1.154 |
550 |
47,66 |
1996 |
1.235 |
900 |
72,87 |
1997 |
1.273 |
1.000 |
78,55 |
1998 |
1.397 |
1.092 |
78,16 |
1999 |
1.634 |
1.143 |
69,95 |
Total |
6.693 |
4.685 |
70 |
Source : d'après Commission européenne, 1995.
b) ... Dans un cadre contraignant
Un contexte budgétaire rigoureux
Si la réduction de la part des dépenses agricoles dans l'ensemble
du budget européen est une réalité, cette tendance
pourrait s'accélérer dans les années à venir. En
effet, la préparation du " Paquet Santer ", qui doit tracer
les grandes lignes du développement de l'Union européenne,
proposera un cadre financier extrêmement rigoureux.
D'après les informations obtenues par votre rapporteur pour avis,
l'engagement des Quinze à ne pas faire progresser les
prélèvements au-delà de 1,27 % du PNB pourrait
être atteint en 1999.
Au delà de cette date, la commission semble aujourd'hui proposer la
reconduction de ce plafond.
Avec l'élargissement aux PECO, la politique structurelle pourrait ainsi
devenir la nouvelle grande priorité de l'Europe. Les actions
structurelles mobilisent aujourd'hui environ le tiers du budget des Quinze avec
29 milliards d'écus.
En raison de ces priorités, il avait été
décidé dès 1988 de limiter l'augmentation du poste
agricole à 74 % de la croissance du PNB.
Compte tenu de ces perspectives, votre rapporteur pour avis s'interroge sur
deux points
:
- le chiffre de 74 % ne sera-t-il pas revu à la baisse si le
coût de l'élargissement s'avère plus élevé
que prévu ?
- ne risque-t-on pas d'assister à des coupes dans le poste agricole
en faveur des autres postes ?
Ces interrogations sont d'autant plus justifiées que le financement de
la PAC des PECO ne sera que très faiblement pris en compte par ces
nouveaux États en raison de leur faible part contributive.
A la suite de la présentation par la Commission européenne du
volet agricole d'Agenda 2000, votre commission a souhaité mettre en
place une mission sur l'évolution de la PAC.
Une politique agricole sous contraintes extérieures
L'environnement international de la PAC (application de l'OMC, nouvelle
politique agricole américaine...) la soumet à un certain nombre
de pressions entraînant l'obligation pour l'Union européenne
d'examiner les questions liées au découplage et au plafonnement
des aides.
Le problème du découplage des aides
La réforme de la politique agricole commune a introduit une rupture
entre la politique de gestion des marchés et la politique des revenus
des agriculteurs, puisque le revenu est désormais moins assuré
par les prix payés par le consommateur, mais davantage par des aides
directes payées par le contribuable.
Ces " paiements " compensatoires, introduits pour compenser
la baisse
des prix s'ils sont découplés, restent proportionnels aux
facteurs de production et liés aux produits. Ainsi, le découplage
des aides vis-à-vis de la production signifie qu'il y a
déconnexion par rapport aux produits réels, mais non par rapport
à l'activité productive.
Ce problème du découplage a suscité de nombreuses
réflexions lors de l'élaboration du Fair Act. Si les
États-Unis ont accentué avec cette réforme le
découplage de leurs aides transférant ainsi le maximum d'aides
directes de la " boite jaune " vers la " boite
verte du
GATT " afin de les mettre à l'abri de toute contestation future par
rapport à la production,
le soutien à l'agriculture en Europe,
malgré la réforme de la PAC de 1992, reste encore
réalisé pour près des 2/3 par les prix.
L'Union européenne se doit, pendant la période où
s'applique " la clause de paix " négociée à
l'OMC d'engager une réflexion sur ce thème sous peine d'avoir des
difficultés pour maintenir les aides actuelles.
L'épineux débat sur le plafonnement du montant des aides
Le système actuel de primes compensatoires met en lumière le
montant individuel des aides dont bénéficient les agriculteurs.
En grandes cultures, il est approximativement proportionnel à la surface
de l'exploitation et peut donc conduire à des montant
élevés. Les responsables européens pourraient être
amenés à imposer un plafonnement des aides directes. Cependant un
tel plafonnement ne doit pas conduire à justifier à lui seul la
réduction des crédits consacrés à la PAC. Si cette
hypothèse devait se confirmer, sa mise en oeuvre supposera que soit au
préalable répondu aux questions suivantes :
- Le plafonnement éventuel sera-t-il global ou s'appliquera-t-il
production par production ?
- A quel niveau le fixer ? Doit-il être dégressif ?
- Doit-il concerner toutes les aides ou seulement les primes
jachère ?
- Comment éviter qu'il soit tourné, comme c'est le cas aux
USA, par la création ou par le maintien d'exploitations fictives ? ...
- Un système trop strict ne risque-t-il pas de mettre en cause
l'amélioration de l'efficacité de l'outil de production ?
Toutes ces questions doivent faire l'objet d'un examen minutieux avant de
s'engager de manière précipitée vers un plafonnement
généralisé et systématique des aides qui pourrait
s'avérer dangereux.
c) Une échéance proche : l'euro
Sur la base du Traité de Maastricht, le Conseil
européen de Madrid (15 décembre 1995) a
décidé du scénario de 1998 à 2002 conduisant
à la monnaie unique, l'Euro.
La réalisation de l'Union économique et monétaire et
l'instauration de la monnaie unique représentent plusieurs avantages
pour l'agriculture : un cadre monétaire stable, un concurrent effectif
du dollar, un gain pour les entreprises et un facteur de cohésion
politique.
Cependant certains problèmes resteront à résoudre
:
ainsi les dévaluations compétitives seront possibles pour les
pays qui refuseront d'adhérer à l'UEM. En outre, du fait de sa
stabilité qui la prédispose à devenir une monnaie
relativement forte, l'Euro pourrait conditionner les prix à
l'exportation plutôt à la hausse. Enfin la perspective de
l'adhésion future des PAECO constitue un défi
supplémentaire en matière monétaire.