III. UN ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL ET COMMUNAUTAIRE EN PLEINE MUTATION

A. LA PAC AU MILIEU DU GUÉ

1. La réforme de 1992 : une réforme inachevée

Votre rapporteur pour avis pour avis ne souhaite pas reprendre le bilan de la réforme de 1992, cette analyse ayant été effectuée l'année passée lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1997.

Néanmoins, il lui semble important d'évoquer un certain nombre de dossiers qui s'avèrent préoccupants.

a) Un constat en apparence paradoxal : une reconquête indéniable mais fragile du marché de l'alimentation animale et un déficit en protéines

Les matières riches en protéines (MRP) sont utilisées pour compléter une alimentation de base (céréales et fourrages dans le cas des bovins) qui satisfait les besoins en énergie, mais qui est souvent déséquilibrée en protéines. Elles peuvent être d'origine animale (farines de poisson et de viandes) ou végétale (tourteaux de soja, de colza, de tournesol, " corn gluten " feed, protéagineux).

Une reconquête quantitative réussie

EVOLUTION DES IMPORTATIONS DE PRODUITS DE SUBSTITUTION DES CEREALES PAR L'UNION EUROPEENNE
(Maroc, Corn Gluten Feed et Tourteaux de maïs)



En volume, l'alimentation animale est devenue le premier débouché des céréales.

Le taux d'incorporation pour l'ensemble de l'Union européenne est de 37 %, alors qu'il était à 15 % au tout début des années 1990. La France fait figure de bon élève, puisque son taux est de 44 %

Trois campagnes après l'application de la réforme de la PAC, la reconquête du marché intérieur de l'alimentation animale de l'Union par les céréales est indéniable. Les consommations d'oléagineux et de produits de substitution pour l'alimentation animale reculent et celles des céréales ont augmenté de 10  millions de tonnes.

Une reconquête fragile : un déficit croissant en protéines

Cette reconquête est, en effet, confrontée à des évolutions préoccupantes :

- le déficit en protéines a tendance à augmenter. Ce retournement tient à deux facteurs : tout d'abord, à l'augmentation régulière de 3 % par an de la demande européenne, puis à la quasi-stagnation, voire à la diminution progressive de la production européenne de protéines végétales ;

- le déséquilibre du marché mondial s'accroît . En effet, le marché des protéines connaît, depuis 20 ans, un rythme de croissance de l'ordre de 3 % par an. Ainsi, le spectre d'une pénurie mondiale en protéines végétales n'est pas écarté et ce d'autant plus que les cours des différentes matières premières sont à la hausse. Les aliments sont, en effet, plus chers qu'avant la réforme, alors qu'il était prévu de réduire de 20 % le prix des matières premières et de 15 % le prix des aliments.

Ainsi les prix, du fait du tourteau de soja et de la hausse du dollar, ont augmenté de plus de 10 % entre 1995 et 1996.

PROVENANCE DES MATIÈRES RICHES EN PROTÉINES
CONSOMMÉES EN EUROPE

(Chiffres en noir = en provenance du reste du monde)

(Chiffres en blanc = en provenance de l'Union européenne)


Dans un tel contexte, l'Union européenne se doit de répondre aux attentes des consommateurs européens en matière de sécurité alimentaire, en préservant un taux de couverture minimum en protéines végétales de l'Union européenne, en amortissant les conséquences de la crise bovine, en renforçant l'équilibre des grandes cultures et en contribuant à l'aménagement du territoire et au maintien du tissu rural.

b) La poursuite de la réforme des OCM

La politique agricole commune, au travers des organisations communes de marché, reste un des leviers majeurs de l'évolution de l'agriculture française.

Plusieurs raisons sont invoquées par les instances européennes pour justifier la réforme des OCM, telles que l'adaptation aux nouveaux enjeux du marché, l'importance des fraudes et des abus, notamment dans le secteur des fruits et légumes et de l'huile d'olive. Ainsi pour 1996, les fraudes ont été estimées à 1,6 % du budget européen, soit 1,3 milliards d'écus. Une autre cause, plus rarement évoquée, est la volonté de maîtriser véritablement les dépenses communautaires.

Les OCM en cours de réforme

- La réforme des OCM du tabac, de l'huile d'olive et du lin textile ne sont pas achevées.

Les OCM ont déjà donné lieu à de nombreux échanges au sein des instances communautaires. Certains professionnels restent très méfiants sur ces réformes, notamment sur les propositions relatives à l'OCM " Huile d'olive ".

En ce qui concerne la réforme de l'OCM tabac , il semblerait que le nouveau projet de réforme maintienne les principes de l'OCM actuelle, lui attribue la même enveloppe budgétaire et des quotas de production identiques, mais avec un niveau des primes allouées non à la surface mais au kilogramme produit.

Le projet de réforme de l'OCM " Huile d'olive " suscite plus de polémiques dans l'état actuel du dossier. Outre la volonté d'instaurer une réelle transparence, deux possibilités sont envisagées : soit le maintien du régime actuel et l'instauration de limites nationales de production, soit la mise en oeuvre d'une aide boisée sur le nombre d'oliviers.

L'entrée en vigueur de ces nouveaux régimes devraient s'effectuer à partir de la campagne 1998/1999.

- La réforme de l'OCM vitivinicole est toujours en attente.

C'est en juillet 1993 que la Commission a présenté au Conseil un document de réflexion sur " l'évolution et l'avenir de la politique vitivinicole " qui devait servir de base à la proposition de règlement portant réforme de l'OCM, soumise au Conseil en juin 1994 et que le Gouvernement n'a transmis au Parlement qu'en avril 1995.

La France est résolue à ce que cette réforme aboutisse.

C'est pourquoi en juin 1995, afin de dessiner le cadre dans lequel la réforme doit s'inscrire et dans le fil de la résolution adoptée le 29 juin 1995, par le Sénat, sur le rapport de votre commission, le ministre de l'agriculture avait présenté lors du Conseil des ministres à Bruxelles, les grandes orientations qui devraient présider à la réforme de l'OCM :

- la responsabilisation des pays producteurs vis-à-vis de leurs excédents (c'est-à-dire la non mutualisation des excédents) ;

- l'adaptation régionale des mesures structurelles afin d'offre à chaque vignoble, selon ses spécificités, les outils nécessaires à l'ajustement de sa production au marché ;

- le renforcement des moyens communautaires de contrôle pour parvenir à une application homogène de la réglementation dans tous les États membres.

Parallèlement, sans pour autant renoncer à une réforme complète, le ministre de l'agriculture et de la pêche avait insisté sur la nécessité de remettre en place très rapidement, au plan communautaire, une politique structurelle cohérente -notamment d'aide au réencépagement- abandonnée depuis deux ans dans l'attente de la réforme de l'OCM.

Les discussions sous présidence italienne avaient montré que le projet de la Commission, axé sur la diminution du potentiel de production communautaire pour éliminer des excédents structurels importants, devait être reconsidéré à la lumière de l'évolution du marché vitivinicole. Il était nécessaire de tenir compte des besoins spécifiques des différentes aires de production dans la Communauté afin de sauvegarder et promouvoir la qualité et la compétitivité de la production communautaire face à une concurrence de plus en plus vive des pays tiers producteurs et une demande de plus en plus exigeante des consommateurs.

Ces réflexions ont abouti à modifier positivement, dans le cadre du paquet-prix 1996/1997, les règles communautaires relatives aux plantations et à l'arrachage de vignes dans le sens d'une plus grande souplesse et d'une meilleure prise en compte des contraintes et des exigences économiques des différents bassins de production.

La nécessité d'une réforme de l'actuelle OCM demeure, ne serait-ce que pour remettre en place au plan communautaire une politique structurelle cohérente -notamment d'aide au réencépagement- abandonnée depuis trois ans. Rappelons, pour mémoire, que les dépenses communautaires pour le vin de table devraient représenter 2,2 % du Feoga en 1997 .

Des OCM " à refondre "

A côté de ces secteurs restant à réformer, des décisions nouvelles s'imposent pour certaines productions. Le premier d'entre eux est, bien sûr, celui de la viande bovine où la crise de l'ESB a complètement bouleversé les données du marché et nécessite l'adaptation des mécanismes de soutien, d'intervention et de commercialisation.

Par ailleurs, un large débat doit avoir lieu autour du devenir du système des quotas laitiers . Si celui-ci a globalement bien fonctionné jusqu'à présent, il paraît aujourd'hui confronté à des limites tenant à la stagnation de la demande, à la progression continue des rendements et aux contraintes du GATT.

Lors de la campagne 1995/1996, le quota global de l'Union européenne à 15 s'établissait à 117,4  millions de tonnes de lait, pour une production mondiale d'environ 525  millions de tonnes soit 22 % de la production mondiale. Malgré le prélèvement d'une pénalité importante auprès des producteurs en dépassement de leur référence, le volume total de dépassement atteint pour l'Union 1,12 million de tonnes en 1996.

Cette forte progression de la collecte intervient dans un contexte devenu difficile, les débouchés intérieurs se trouvant limités. D'où les actuelles tensions ressenties sur les marchés et une pression accrue à la baisse des prix.

Enfin, un grand nombre d'intervenants, tant parmi les pouvoirs publics européens et nationaux que chez les professionnels, reconnaissent qu'un examen des modalités actuelles et des évolutions souhaitables du régime de soutien aux cultures arables est devenu indispensable .

La Commission européenne a, sur cet " exercice de mise à jour et d'amélioration des mécanismes de la PAC " présenté un document sur les perspectives à long terme des marchés de la viande, des céréales et du lait. Le message délivré par la Commission est que des excédents de céréales, de blé surtout, et de viande bovine viendront encombrer les stocks de la Communauté d'ici 2005 si les mécanismes de la PAC ne sont pas refermés prochainement pour freiner la production.

Si votre rapporteur pour avis considère l'adaptation de la PAC comme nécessaire, il souhaite que celle-ci ne s'effectue pas dans la précipitation et que, notamment, soient réaffirmées à la fois la vocation exportatrice de la Communauté et la notion de préférence communautaire, souvent négligée ces derniers temps.

c) Une vocation exportatrice à renforcer

Jusqu'en 1995, la reconquête du marché intérieur couplée à la maîtrise de la production a entraîné de la part des instances communautaires une restriction des importations : ainsi la campagne 1994/1995 a-t-elle été gérée au détriment des exportations. Si l'année 1996 a permis quelques opportunités, la Commission réduit à nouveau les restitutions à l'exportation invoquant les risques de surproduction.

La pratique systématique des baisses homogènes, linéaires et non négociées des restitutions par la Commission ne doit pas être l'unique instrument d'ajustement et de gestion des demandes de certificats .

Par ailleurs, ces baisses systématiques et souvent mal calculées des taux de restitution vont à l'encontre du maintien de courants d'exportations réguliers et durables avec nos partenaires commerciaux traditionnels et sont contraires à une politique d'exportation dynamique et construite sur des bases solides.

A force de contrarier cette vocation exportatrice de l'agriculture française et européenne ne risque-t-on pas de perdre des marchés mondiaux ? La relance de l'exportation hors Union européenne est pourtant une nécessité.

En raison du contexte international, l'agriculture européenne se trouve face à des opportunités importantes de débouchés supplémentaires. Cependant, ses concurrents sont nombreux dans le monde et travaillent souvent à des coûts de production inférieurs. Si l'agriculture européenne veut capter une fraction de ces nouveaux débouchés, elle doit tenir compte, dans l'orientation de ses productions, de ces objectifs à l'exportation.

Ainsi, l'élaboration de stratégies " agro-exportatrices " ne doit pas être freinée en permanence par une gestion contestable des restitutions qui conduit, à certaines périodes, à ne pas remplir le " quota " d'exportations autorisées dans le cadre du GATT.

C'est pourquoi, votre rapporteur pour avis soutient le Gouvernement français qui a, dès 1996, demandé la mise en place d'une véritable politique de gestion des restitutions, basée :

- sur un meilleur ciblage des restitutions selon les destinations et les produits (jugés prioritaires ou non) ;

- sur le principe du partage équitable des efforts entre les différents pays exportateurs concernés ;

- sur une gestion plus stricte des certificats, afin de dissuader les spéculateurs (augmentation des cautions liées aux certificats, limitation de la cessibilité des certificats, réduction d'une durée de validité des certificats), ceci ne devant pas aboutir à des lourdeurs administratives dissuasives de toute exportation ;

- sur une plus grande transparence de la Commission concernant les quantités de certificats délivrés et les montants de restitutions préfixées par produit.

d) La réaffirmation de la préférence communautaire

La notion de " préférence communautaire " a été dénaturée

- Par le mécanisme des droits fixes instauré par l'OMC

Il est certain que, depuis les accords du GATT sur le plan agricole, la préférence communautaire a été quelque peu malmenée, tout simplement parce qu'on en a supprimé les mécanismes de protection. Il existait un système très simple : celui des droits variables. Un produit valait 100 francs sur le marché intérieur ; s'il était proposé à 60 francs, lorsqu'il rentrait sur notre marché, on le taxait à hauteur de 40 francs ; s'il arrivait à 80 francs, on le taxait à hauteur de 20 francs et ainsi de suite. Par ce système, le marché était protégé. Or, la suppression des droits variables en faveur d'un système de droits fixes a fortement affaibli le niveau de la préférence communautaire.

- Par la multiplication des projets d'accords préférentiels et de zones de libre échange

Que ce soit dans le cadre de révision des mécanismes existants (par exemple, la réforme du système de préférences généralisées en matière agricole), de la conclusion de nouveaux accords de commerce et de coopération (avec, notamment, la République sud africaine) ou de projets d'accord de libre échange (avec les pays d'Amérique latine ou avec les États-Unis), on assiste à une multiplication de projets d'accords préférentiels qui concernent, directement ou non, l'avenir de l'agriculture communautaire .

La Commission européenne a ainsi adopté tout un ensemble de propositions visant à développer les relations de l'Union avec les pays tiers (le Mexique, l'Afrique du Sud) ou des entités régionales -comme le Mercor-sur-Argentin, Brésil, Uruguay, Paraguay- ou les pays du Bassin méditerranéen).

L'excellent rapport de notre collègue Jean Huchon 7( * ) a montré les dangers de la multiplication de tels accords. Ceux-ci font peser une menace sur l'avenir de la politique agricole de la Communauté : les " produits sensibles ", que sont notamment les produits agricoles, ne pourraient durablement déroger au principe de l'élimination des droits de douane. Les accords d'Uruguay ont, en effet, précisé que les " délais raisonnables " pendant lesquels certains produits pouvaient être exclus du libre échange ne peuvent excéder dix ans. De son côté, l'OMC interdit qu'un " secteur majeur " du commerce puisse être exclu de la négociation.

Il apparaît, en conséquence, qu'une vigilance extrême de la part des autorités communautaires et française s'impose à l'égard de tels projets, envisagés sans vision d'ensemble.

Votre rapporteur pour avis estime urgent que la Commission fasse une " pause active " dans la négociation de zones de libre-échange avec les pays tiers.

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