N° 86
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 20 novembre 1997.
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur le projet de loi de finances pour 1998 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
TOME II
CINÉMA - THÉÂTRE DRAMATIQUE
Par M. Marcel VIDAL,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM. Adrien
Gouteyron,
président
; Pierre Laffitte, Albert Vecten, James
Bordas, Jean-Louis Carrère, Jean-Paul Hugot, Ivan Renar,
vice-présidents
; André Egu, Alain Dufaut, André
Maman, Mme Danièle Pourtaud,
secrétaires
;
MM. Philippe Arnaud, Honoré Bailet, Jean Bernadaux, Jean Bernard,
Jean-Pierre Camoin, Jean-Claude Carle, Robert Castaing, Marcel Daunay, Jean
Delaneau, André Diligent, Ambroise Dupont, Daniel Eckenspieller,
Gérard Fayolle, Alain Gérard, Roger Hesling, Pierre Jeambrun,
Alain Joyandet, Philippe Labeyrie, Serge Lagauche, Henri Le Breton,
Jacques Legendre, Guy Lemaire, François Lesein,
Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin
,
Philippe
Nachbar, Michel Pelchat, Louis Philibert, Jean-Marie Poirier, Guy
Poirieux, Roger Quilliot, Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert,
Claude Saunier, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé,
Jacques Valade, Marcel Vidal.
Voir les numéros
:
Assemblée nationale
(
11
ème législ.) :
230
,
305
à
310
et T.A.
24
.
Sénat
:
84
et
85
(annexe n°
8
)
(1997-1998).
Lois de finances
.
Mesdames, Messieurs
Quand André Malraux affirmait, dans les années soixante, que la
République devait faire pour la culture ce qu'elle avait entrepris
depuis un siècle pour l'instruction, il situait l'ambition de la
politique culturelle à un niveau qui n'a rien perdu aujourd'hui de sa
pertinence.
Dans un monde concentré sur les problèmes économiques,
dans une société désorientée par le rythme de ses
transformations, le cinéma et le théâtre trouvent plus que
jamais leur légitimité dans cette part d'imaginaire qui est pour
chacun un refuge et un exutoire.
Permettre au plus grand nombre d'accéder à cette part
d'imaginaire, donner à chacun le goût et le plaisir des oeuvres de
l'esprit, créer les conditions pour que les multiples talents que
recèle notre pays puissent se déployer et être
diffusés, assurer le renouvellement et le rayonnement de la culture
française, tels sont les objectifs à poursuivre.
Or, on ne saurait s'en remettre au seul mécanisme du marché et de
la compétition économique pour assurer cette ambition. Pensons
à ce qu'il serait advenu du théâtre sans soutien public,
comparons la situation de notre cinéma à celle des cinémas
nationaux des autres pays européens qui, en l'absence de politique du
cinéma, importent 80 % des films diffusés en salle.
Si chaque année des millions de spectateurs se rendent au
théâtre et au cinéma, c'est essentiellement grâce au
talent des auteurs et des artistes, mais c'est également parce que des
politiques publiques, dont nous retrouvons ici la traduction budgétaire,
se sont attachées à créer des conditions favorables
à la création et à la diffusion des oeuvres.
Les crédits consacrés à la politique du cinéma et
du théâtre ne sont pour autant justifiés que s'ils
concourent pleinement aux objectifs de la politique culturelle. Le budget de la
culture ne saurait, en effet, échapper, dans la présente
période de rigueur financière, à une évaluation
approfondie. Le soutien public implique des obligations. Il suppose des
engagements précis concernant la création et la diffusion en
faveur du plus grand nombre. C'est dans cet état d'esprit que votre
rapporteur a souhaité aborder l'examen du présent budget.
PREMIÈRE PARTIE :
CINÉMA
I. LA SITUATION DU CINÉMA FRANÇAIS EN 1996 : UN SECTEUR EN MUTATION
A. UNE NOUVELLE DONNE POUR L'EXPLOITATION
1. Une croissance lente mais continue de la fréquentation
Dans les années quatre-vingt, l'industrie
cinématographique française a été confrontée
à une crise importante de la fréquentation. Le grand écran
a, en effet, perdu près de 40% de ses spectateurs entre 1982 et 1992. Le
nombre d'entrées est ainsi passé de près de 200 millions
à près de 115 millions d'entrées.
Ce recul de la fréquentation des cinémas s'était, de plus,
doublée d'une désaffection pour les films français et
européens au profit des films américains. Pendant cette
période, la part de marché des films français est
passée de plus de 50 % à près de 28% des entrées,
tandis que les films américains confirmaient leur
hégémonie avec 60% des entrées.
Cette diminution de la fréquentation a conduit à la fermeture de
près de 700 salles de cinéma en dix ans.
Le cinéma français n'a aujourd'hui pas tout à fait
surmonté cette crise, mais il semble avoir retrouvé les chemins
de la croissance.
Source : CNC
Depuis 1992, la fréquentation s'est accrue
d'année en année pour atteindre en 1996, 136,3 millions
d'entrées soit une progression de 4,9 % par rapport à 1995.
Ce redressement de la fréquentation, qui semble s'expliquer en grande
partie par le développement des multiplexes, s'observe dans l'ensemble
des pays de l'Union européenne. Il est toutefois plus accentué en
France que dans les autres pays d'Europe. Ainsi, le nombre d'entrées
pour 1000 habitants s'élève en France à 241 en 1996
contre moins de 200 dans les principaux pays de l'Union européenne. Les
efforts consentis par les professionnels et soutenus par les pouvoirs
publicsengagés en France par les pouvoirs publics et les professionnels
pour renouveler et moderniser leurs salles semblent donc avoir porté
leurs fruits.
Cette amélioration de la fréquentation globale profite, en outre,
particulièrement aux films français. Avec plus de
51 millions d'entrées et 37,5 % des entrées, les films
français ont rassemblé en 1996 le plus fort nombre de spectateurs
depuis 10 ans.
La situation des films français reste cependant fragile. En dépit
de la progression de leur part de marché depuis 1994, les entrées
des films français demeurent très en-deçà de celles
des films américains qui totalisent à eux seuls 54 % des
entrées.
2. Les premiers effets du développement des multiplexes
a) Le mouvement de création de salles de cinéma se poursuit à un rythme rapide
Le redressement de la fréquentation s'accompagne d'une
vitalité sans précédent des investissements des
exploitants de salles de cinéma. Le parc de salles s'est ainsi accru de
plus de 250 salles en quatrecinq ans. En 1996, 233 salles nouvelles
réparties dans 87 établissements ont été
créées, soit deux fois plus qu'en 1995. Parallèlement, 57
salles ont fermé au cours de l'année 1996, ce qui porte le solde
net de créations de salles à 176. Après avoir connu une
régression constante entre 1985 et 1993, le parc de salles
français renoue donc avec un mouvement d'expansion.
Parmi les 233 nouvelles salles, l'ouverture d'établissements classiques
de moins de 10 salles a permiscontribué à la création
de 99 écrans implantés pour l'essentiel dans des communes de
moins de 30 000 habitants. Ce mouvement dynamique de création
de salles dans les villes petites et moyennes a notamment été
favorisé par l'action de l'Agence pour le développement
régional du cinéma (ADRC) ainsi que par les collectivités
locales.
Il reste que la majeure partie des ouvertures de salles est liée, en
1996, au développement des multiplexes.
b) Le développement des multiplexes
Pour plus de la moitié, 134 sur 233, les ouvertures de
sallessalles créées en 1996 sont dues à l'ouverture de
multiplexes ou à la restructuration de complexes
" classiques " en multiplexes. La mise en place en 1996 d'un
observatoire de la diffusion et de la fréquentation permet d'avoir une
première vision d'ensemble sur les conséquences du
développement des multiplexes sur l'économie du secteur.
Fin 1996, l'observatoire a recensé 21 multiplexes en activité
répondant à quatre critères : avoir au moins dix
écrans, bénéficier d'une qualité de son et d'image
haut de gamme, offrir un confort optimal et un grand espace d'accueil.d'un
confort optimal en terme de gradinage et d'écartement des fauteuils,
offrir un grand espace d'accueil avec services.
Date d'ouverture |
Multiplexe |
Ecrans |
Capacité |
Ville |
Juin 1993 |
Pathé Grand Ciel |
12 |
2 643 |
La Garde (périphérie Toulon) |
Octobre 1993 |
Pathé Belle Epine |
12 |
2 617 |
Thiais (rénovation et extension banlieue parisienne) |
Novembre 1994 |
UGC |
14 |
2 725 |
Lille (rénovation et extension) |
Novembre 1994 |
Pathé Wepler |
12 |
2 173 |
Paris (rénovation et extension) |
Février 1995 |
Pathé Cap Sud |
10 |
2 047 |
Avignon |
Mars 1995 |
Kinépolis (groupe Bert) |
14 |
4 085 |
St Julien Les Metz (périphérie de Metz) |
Mars 1995 |
Gaumont Cité Europe |
12 |
2 369 |
Coquelles (périphérie de Calais) |
Avril 1995 |
Gaumont |
12 |
1 986 |
Nantes (rénovation et extension) |
Juin 1995 |
UGC Ciné Cité |
15 |
2 866 |
Paris |
Décembre 1995 |
Méga CGR (G. Raymond) |
12 |
2 421 |
La Rochelle |
Décembre 1995 |
Gaumont Parnasse |
12 |
2 820 |
Paris (rénovation et extension) |
Mars 1996 |
Pathé |
10 |
2 054 |
Lyon centre-ville |
Avril 1996 |
Mégarama |
17 |
2 806 |
Villeneuve La Garenne (banlieue parisienne) |
Mai 1996 |
Méga CGR |
11 |
1 884 |
Angoulême |
Juin 1996 |
Gaumont |
15 |
3 598 |
Valenciennes (périphérie de Nantes) |
Juillet 1996 |
Pathé Atlantis |
12 |
2.534 |
Saint-Herblain (périphérie de Nantes) |
Août 1996 |
UGC Ciné Cité Atlantis |
10 |
2.047 |
Saint-Herblain (périphérie de Nantes) |
Septembre 1996 |
ChâteauChateau du Cinéma |
23 |
7 403 |
Lomme (périphérie de Lille) |
Octobre 1996 |
Mega CGR |
11 |
2 251 |
Pau centre-ville |
Décembre 1996 |
Gaumont |
15 |
3 690 |
Labège (périphérie de Toulouse) |
Décembre 1996 |
Horizon Grands Ecrans |
11 |
1 825 |
Limoges centre-ville |
Avec 6% des écrans en activité, les multiplexes
ont enregistré en 1996 près de 15 millions d'entrées,
soit 10,8 % de la fréquentation nationale. La moitié de ces
établissements ayant ouvert en cours d'année, on peut
estimerestime à 19 millions le nombre d'entrées
réalisées dans le cadre d'un fonctionnement en année
pleine, soit 14 % du total de la fréquentation.
L'impact de l'ouverture de ces multiplexes sur la fréquentation du
cinéma en général, et celle des cinémas avoisinants
en particulier, apparaît contrasté.
L'étude de l'observatoire montre que les effets sur la
fréquentation des zones étudiées ont tous
été positifs en matière de
fréquentation globale. L'implantation d'un multiplexe accroît
la fréquentation des zones considérées de 26 %
à 58 % selon les cas. Cette analyse rejoint les constats
effectués dans les autres Etats membres de l'Uniona communauté
européenne. : là où se développent les multiplexes,
la fréquentation globale augmente. En offrant un spectacle dans des
conditions qui rompent complètement avec l'univers ordinaire du petit
écran, les multiplexes attirent un public qui avait progressivement
déserté les salles de cinéma.délaissé les
grands écrans.
En revanche, les conséquences sur la fréquentation des
cinémas situés dans les zones d'implantation des multiplexes
sont, elles, plutôt défavorables. Les études ponctuelles
effectuées hors région parisienne démontrent, en effet,
qu'un multiplexe a un impact négatif sur la fréquentation des
salles qui sont à moins de quinze minutes de transport. L'impact est
significatif jusqu'à trente minutes de transport, ce qui signifie que
d'ici 3 ans, une fois que les multiplexes en projet seront construit, 40 %
du parc français pourrait être dans la zone d'influence d'un
multiplexe.
Les effets de la concurrence que livrent les multiplexes aux autres salles de
cinéma sont cependant assez variables d'un cas à l'autre. Selon
l'observatoire, les salles concurrentes ont perdu, en effet, selon les cas de
25 à 50 % de leur clientèle. Ces différences sont
dues à des facteurs géographiques mais également à
des programmations différentes.
Dans certains cas, une forme de complémentarité s'instaure entre
un multiplexe à la programmation grand public et un exploitant
indépendant projetant des films plus exigeants destinés à
une clientèle fidélisée. Ainsi, le rapport de
l'observatoire montre que les établissements " art et
essai ",
du fait de la segmentation du marché et de leur créneau de
programmation, ont, dans la majorité des cassites,
démontré une résistance supérieure à celles
des autres types de salles. Dans d'autres cas, ldes cinémas concurrents
d'un multiplexe qui projettent le même type de films, à des
horaires proches, pour des prix équivalents, perdent une partie
très importante de leur clientèle, qui accède avec les
multiplexes à une meilleure qualité de service et de confort et
à un choix de films plus étendus.
L'observatoire de la diffusion et de la fréquentation note
également que dans certaines villes des implantations
désordonnées ont entraîné une surcapacité de
fauteuils qui a conduit les multiplexes à se livrer entre eux à
une concurrence sur les prix dont les exploitants indépendants ont
été les premières victimes. Les cas de concurrence sur les
prix sont toutefois assez rares. En moyenne le prix d'une place de
cinéma dans un multiplexe est, en effet, de 37,6 francs, soit
8 % de plus que le tarif moyen pratiqué en France qui est de
34,8 francs.
En termes de programmation, les multiplexes ne se distinguent pas sensiblement
des autres salles. Le taux de séances consacrées aux films
européens s'est élevé à 47,2 % en 1996 pour
l'ensemble des salles contre 42,6 % pour les multiplexes, soit une
différence de 4,8 points. Les résultats enregistrés par
les multiplexes montrent que ces établissements, en affichant la
quasi-totalité des films " porteurs ", quelle que soit leur
nationalité, accentuent les tendances du marché, sans
opérer de discrimination particulière à l'égard des
films européens et français.
Dans ce contexte, les premières applications des articles 36-1 à
36-6 nouveau de la loi Royer, qui soumettent la création de
complexes cinématographiques de plus de 1 500 places à
l'autorisation de commissions départementales d'équipement
cinématographique, montrent que ce dispositif est susceptible de jouer
un rôle régulateur. Après avoir été fortement
critiqué par une large partie des professions du secteur, ilce
dispositif semble aujourd'hui mieux accepté dans la mesure où son
objet n'est pas d'interdire la création de nouvelles salles mais
d'éviter des implantations désordonnées en prenant en
compteassurant une régulation en fonction de chaque situation locale.
Comme les commissions d'équipement commercial, les commissions
départementales d'équipement cinématographique associent
élus, représentants des chambres consulaires et associations de
consommateurs, auxquels. Il y est adjoint un membre du comité
consultatif de la diffusion cinématographique. EllesCes commissions sont
présidées par le pPréfet et le rapport d'instruction du
projet est assuré par la direction régionale des affaires
culturelles avec le concours des services du Centre national de la
cinématographie.
Elles statuent en prenantCinq critères sont pris en considération
cinq critères :pour permettre à ces commissions de
statuer :
- l'offre et la demande globales de spectacles cinématographiques dans
la zone d'attraction concernée ;
- la densité d'équipement (nature et composition du parc) ;
- l'effet potentiel du projet ;
- la préservation d'une animation culturelle et économique de la
vie urbaine et l'équilibre des agglomérations ;
- les efforts d'équipement et de modernisation effectués dans la
zone d'attraction.
Les décisions prises peuvent faire l'objet d'un recours auprès de
la Commission nationale d'équipement cinématographique (CNEC).
Au 20 juin 1997, les commissions départementales d'équipement
cinématographique avaient été convoquées à
dix reprises. Il est encore trop tôt pour établir un
véritable bilan de leurs actions.des commissions départementales
d'équipements cinématographiques.
Leurs premières décisions semblent cependant dans l'ensemble
équilibrées,. Mmais certaines décisions illustrent des
défauts prévisibles du dispositif. L'approbation de trois projets
dans la périphérie d'une ville de taille moyenne taille montre
combien les intérêts locaux peuvent dominer sur les
préoccupations d'ordre culturel. Mais il est vrai que ces commissions
départementales d'équipement cinématographique ne comptent
qu'un représentant du secteur cinématographique sur huit membres.
On observe en outre, comme c'est le cas également dans les commissions
d'équipement commercial, que les décisions sont prises avant tout
au regard de leurs conséquences sur l'économie de la commune
d'implantation, alors que l'impact des multiplexes dépasse largement le
cadre communal.
Aussi, à défaut de modifier un dispositif encore très
récent, une plus large information des membres des commissions sur les
enjeux propres aux exploitations de salles de cinéma pourrait- elle
mieux éclairer les décisions prises par ces commissions. Il faut,
en effet, avoir conscience que les implantations actuelles des multiplexes
déterminent l'équilibre et la géographie du secteur de
l'exploitation des salles de cinéma pour les vingt prochaines
années. C'est dire l'enjeu des transformations en cours, c'est dire
combien il importe, parallèlement au développement des
multiplexes, de veiller au maintien des salles de cinéma
indépendantes