B. LA FRANCOPHONIE DU QUOTIDIEN
Quelques jours après le Sommet de Hanoi, il importe de rappeler que la francophonie n'est pas seulement un domaine réservé des chefs d'Etat et de gouvernement et des grandes réunions internationales. Il y a, en effet, à côté de la francophonie institutionnelle, une francophonie du quotidien, celle des multiples associations qui militent pour la langue française, celle des collectivités territoriales, de plus en plus présentes dans les projets de coopération francophone, celle enfin des étudiants étrangers qui apprennent notre langue. Cette francophonie de terrain, votre rapporteur voudrait lui rendre hommage, montrer à quel point elle est nécessaire et mérite le soutien des pouvoirs publics.
1. Un réseau associatif actif
De façon discrète mais avec
opiniâtreté et dévouement, de nombreuses associations
agissent inlassablement pour la promotion de la francophonie.
Ces
associations sont souvent plus anciennes que les structures institutionnelles
de la francophonie
. Avant d'être une préoccupation des
pouvoirs publics, la promotion de la francophonie a, en effet, souvent
été l'oeuvre d'organismes privés conduits, par des hommes
et des femmes soucieux de diffuser la langue et la culture françaises.
Certaines de ces associations ont ainsi été créées
avant la seconde guerre mondiale, en particulier : :l'Alliance
française fondée en 1883 qui depuis est restée au premier
rang pour l'enseignement du français aux étrangers ; la
Mission laïque française créée en 1902 ; le
Comité catholique des amitiés françaises à
l'étranger fondé en 1915 ; la Fédération des
professeurs français résidant à l'étranger (FPFRE)
créée en 1932.
D'autres, aujourd'hui très actives ont été
créées dans les années cinquante et soixante
notamment : l'Association internationale des journalistes de langue
française, fondée à Paris en 1953 ; l'association
Défense de la langue française, créée en
1959 ; l'Association des écrivains de langue française
(ADELF), créée en 1965.
La mobilisation des associations en faveur de la francophonie n'est donc pas
nouvelle. Elle a pris cependant de l'ampleur à partir des années
quatre-vingt avec le développement par les pouvoirs publics d'une
véritable politique francophone et d'une plus grande prise de conscience
des enjeux linguistiques qui a abouti en particulier à l'adoption de la
loi Toubon.
Le mouvement associatif francophone représente aujourd'hui plus de
350 associations de défense de la langue française et de
promotion de la francophonie qui interviennent dans des
secteurs
d'activités très variés.
On recense naturellement un grand nombre d'associations dans le domaine
culturel et éducatif telles que les associations d'étudiants,
d'enseignants, de professeurs de lettres, d'écrivains, de journalistes,
d'éditeurs, d'amateurs de littérature, de théâtre et
autres expressions artistiques francophones. Il existe également de
nombreuses associations dans des secteurs a priori plus éloignés
des enjeux linguistiques tels que l'informatique, l'électricité,
l'ingénierie, la médecine, et la comptabilité.
Parmi ces associations, seules la moitié sont françaises, les
autres proviennent d'Afrique, d'Amérique du nord, et d'Europe. On compte
en particulier une cinquantaine d'associations pour le seul Canada. Les
associations sont ainsi implantées dans la totalité des
49 pays membres de la communauté francophone.
·
Ces associations jouent un rôle incontournable en
matière de coopération francophone.
Grâce à la
mobilisation de personnes essentiellement bénévoles, elles
mettent en place des projets de coopération dans des secteurs
très variés.
Ainsi, l'Association générale des intervenants retraités
pour l'action de bénévoles pour la coopération et le
développement (AGIR-abcd) qui rassemble des anciens instituteurs et
professeurs met en place des structures d'enseignement et de loisirs culturels
francophones dans une trentaine de pays dans le monde. De 1994 à 1996,
les adhérents d'AGIR ont ainsi assuré 336 missions
d'enseignement en français représentant
33.750 journées de présence sur le terrain.
De même, les animateurs du Conseil francophone de la chanson (CFC) et les
pédagogues de l'Association francophone internationale des directeurs
d'établissements scolaires (AFIDES) ont-ils, avec l'aide de l'Agence de
la francophonie, réalisé et diffusé en milieu scolaire des
chansons francophones. Dans le secteur de l'édition, il faut citer
également l'action de l'Association pour la diffusion internationale
francophone de livres, ouvrages et revues (ADIFLOR) qui, grâce aux dons
de nombreux éditeurs, envoie chaque année plus d'une centaine de
tonnes de livres français dans plus de 40 pays.
La majorité des projets soutenus par les associations de promotion de la
francophonie concerne des projets culturels, ils ne se limitent cependant pas
à ce secteur. Les associations jouent un rôle actif en
matière de développement en particulier dans le domaine de la
scolarisation des enfants. Certaines associations se sont également
engagées dans des actions en faveur de la promotion des droits de
l'homme et de la démocratie : ainsi le Comité syndical
francophone de l'éducation et de la formation (CSFEF) a organisé
en juin 1997 au Burkina-Faso, une session de formation sur " la
didactique
des droits de l'homme " destinée à des enseignants de
13 pays de la zone subsaharienne et en juillet 1997, au Vietnam, un
séminaire destiné aux enseignants vietnamiens sur la
nécessaire adaptation de l'éducation dans un pays qui s'ouvre
à l'économie de marché.
·
Les associations de promotion de la francophonie et de la langue
française constituent également des interlocuteurs
incontournables dans la mise en oeuvre d'une politique pour la langue
française.
Par leur mobilisation et leur vigilance et grâce
à l'information recueillie par leurs adhérents,
les
associations constituent des relais précieux pour l'application de la
législation relative à l'emploi de la langue française.
C'est pourquoi la loi du 4 août 1994 a prévu que des
associations bénéficiant d'un agrément puissent exercer
les droits reconnus à la partie civile dans certains litiges concernant
l'information du consommateur (articles 2, 3 et 4), les colloques
internationaux organisés en France (article 6), les publications,
revues et communications diffusées en France par les services publics
(article 7), les offres d'emploi (article 10).
Par un arrêté du 3 mai 1995, signé conjointement
par le ministre de la justice et le ministre de la culture et de la
francophonie, cet agrément a été donné, pour trois
ans, à cinq associations choisies en raison de leur vocation
générale à défendre la langue française ou
du rôle qu'elle jouent dans des secteurs particulièrement
sensibles : l'Association francophone d'amitié et de liaison
(AFAL) ; Avenir de la langue française (ALF) ; l'Association
des informaticiens de langue française (AILF) ; le Conseil
international de la langue française (CILF), association reconnue
d'utilité publique en 1972 ; Défense de la langue
française (DLF). Quatre des cinq associations agréées se
sont regroupées dans l'association Droit de comprendre, afin de
fédérer et coordonner les efforts du secteur associatif dans le
domaine de l'application des dispositions législatives relatives
à l'emploi de la langue française.
Ces associations interviennent de façon graduelle en fonction de la
gravité des manquements à la loi, soit par des rappels oraux et
écrits aux professionnels concernés, soit par des recours
contentieux. Ainsi, l'association Défense de la langue française
a procédé en 1996 à plusieurs milliers de rappels oraux et
écrits. Quant à l'association Droit de comprendre, elle a
enregistré 380 signalements d'infractions, envoyé
162 courriers ainsi que 89 relances. Les associations
agréées ont également utilisé le droit de se porter
partie civile dans les litiges relatifs à certains articles de la loi du
4 août 1994. Ainsi, l'association Défense de la langue
française a signalé plusieurs affaires aux directions
départementales de la concurrence, de la consommation et de la
répression des fraudes dont une a abouti à une action conjointe
avec le ministère public et à une condamnation par le tribunal de
police de Paris d'une entreprise commerciale pour manquement à
l'obligation de traduction en français des informations relatives
à un produit.
·
Les associations de promotion de la francophonie
participent également à des actions de sensibilisation et
d'information sur les enjeux linguistiques
aussi bien au niveau
international qu'au niveau national.
Au niveau international, l'AFAL joue notamment un rôle de trait d'union
entre toutes ses associations membres, fournissant un support logistique aux
moins pourvues et assurant la représentation dans les organisations
internationales des associations qui ne peuvent y participer. Son bulletin
trimestriel,
Liaisons, revue des associations ayant le français en
partage
, édité à 800 exemplaires, diffuse des
informations sur la situation de notre langue et la politique menée par
la France et la communauté francophone.
Pour sa part, Avenir de la langue française a envoyé à
plus de deux cents personnalités un dossier sur les problèmes
linguistiques et culturels posés au sein de l'Union européenne,
dossier dont ont été saisis les négociateurs de la
Conférence intergouvernementale (CIG) et dont a été
tiré le texte d'un appel paru dans la presse en mars 1997.
Avenir de la langue française est également intervenue à
de nombreuses reprises auprès du gouvernement français et
d'organisations internationales afin que soit pleinement respecté le
statut du français, langue officielle et de travail, notamment dans les
institutions de l'Union européenne et à l'OCDE.
Sur le territoire national, les associations s'emploient à faire mieux
connaître au grand public les enjeux linguistiques. Grâce à
ses sections de province, Défense de la langue française dispose
d'un réseau permettant d'animer partout en France des manifestations de
promotion de la langue française. Tout au long de l'année, la
revue trimestrielle
Défense de la langue française
,
diffusée à 3.600 exemplaires, s'est
régulièrement fait l'écho auprès des
adhérents des travaux des commissions de terminologie, des
manifestations organisées autour de la langue et du bilan de
l'application de la loi du 4 août 1994.
Avenir de la langue française et Défense de la langue
française contribuent enfin à l'amélioration de l'emploi
du français dans les médias. Avenir de la langue française
intervient auprès du Conseil supérieur de l'audiovisuel sur des
émissions précises (titres, contenu) et les adhérents de
la section parisienne de Défense de la langue française
accomplissent bénévolement pour le CSA une observation
linguistique des chaînes télévisées.
Les associations oeuvrant pour la défense de la langue française
et la promotion de la francophonie exercent l'essentiel de leurs
activités grâce au concours bénévole de leurs
membres. Seule une petite minorité reçoit des subventions de la
part de la Délégation générale à la langue
française, du service des affaires francophones du ministère des
affaires étrangères, ou du secrétariat d'Etat à la
coopération qui permettent de financer des opérations
coûteuses telles que, par exemple, l'envoi de livres dans les pays en
voie de développement, le recours contentieux pour l'application de la
loi Toubon, ou la publication de revues d'information.
Or, force est de constater que le montant de ces subventions, au demeurant
modeste, ne cesse de diminuer suite à la baisse régulière
des budgets consacrés à la promotion de la francophonie. Ainsi le
budget consacré par le service des affaires francophones aux
associations a diminué depuis 1994 de plus de 60 %.
En outre, les budgets affectés aux subventions de ces associations sont
chaque année victimes des mesures de régulation
budgétaire. Ainsi, l'annulation en juillet dernier de 2,7 millions
de francs sur les crédits du service des affaires francophones a-t-il
entraîné la suppression des subventions de plus de
25 associations. Ces mesures de régulation qui frappent le budget
des associations sans qu'elles puissent à l'avance s'y préparer,
conduisent dans de nombreux cas à la cessation de leurs
activités.
Votre rapporteur pourrait admettre que dans certains cas, ces mesures soient
une occasion pour les services de l'Etat de supprimer ou diminuer la subvention
d'associations qui n'ont pas rempli les objectifs sur lesquels elles
s'étaient engagées. La suppression des subventions d'associations
aussi anciennes et actives que les Amitiés acadiennes ou
France-Louisiane montre cependant que ces mesures sont le plus souvent aveugles
et touchent parfois des associations parmi les plus dynamiques. Certes, ces
associations doivent en cette période participer à l'effort de
rigueur qui s'impose à l'ensemble des organismes subventionnés
comme aux services de l'Etat. Mais on peut toutefois douter que la suppression
de dotations qui s'élèvent en moyenne à 50.000 francs
par an permette de réduire les déficits publics. En outre, dans
le domaine de la francophonie, comme dans d'autres, les associations, avec peu
de moyens, prolongent et démultiplient l'action de l'Etat.