II. ASPECTS DE LA POLITIQUE CULTURELLE
Cette partie est consacrée à des développements techniques venant, soit illustrer et compléter l'information sur des points évoqués dans les observations du rapporteur, soit évoquer des rapports d'actualité, soit en fin passer en revue l'activité des directions ou organismes relevant du ministère de la culture avec l'ambition d'exposer en deux ou trois ans de façon très concrète tous les aspects de la politique culturelle, en particulier lorsque cette politique est fortement décentralisée.
A. LE RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES SUR LES MUSEES NATIONAUX ET LES COLLECTIONS NATIONALES D'OEUVRES D'ART
Constatant le développement sans
précédent des musées et ses conséquences en termes
d'engagements financiers, la Cour des comptes a estimé nécessaire
de procéder à une " évaluation sur ce secteur
d'intervention " à partir d'une enquête centrée sur
les musées nationaux.
A partir de 1980, dans le même temps où il créait ou
réaménageait quatre nouveaux musées ( Orangerie, Picasso,
Orsay, Louvre) et où il entreprenait la rénovation de deux autres
établissements importants ( Versailles et Compiègne) - pour
un montant global de 8 milliards de francs dont 5,5 milliards de francs en
faveur du seul Grand Louvre - , l'Etat apportait son soutien technique et son
concours financier à environ 250 chantiers relevant des
collectivités territoriales. En quelques années, on est
passé d'un peu moins de 20 millions par an pour atteindre au
début des années 80 environ 130 millions de francs par an avec
une pointe de 130 millions de francs en 1982.
La Cour a donc examiné, d'une part, l'organisation, le fonctionnement et
les rôles respectifs des deux acteurs centraux que sont la direction des
musées de France DMF et la réunion des musées nationaux
RMN, et d'autre part, la gestion d'un certain nombre musées nationaux
étendant ses investigations en tant que de besoin, sur un certain nombre
d'organismes tel le Centre Georges Pompidou, gestionnaire du Musée
national d'art moderne, le Fonds National d'art contemporain, le Mobilier
National, ainsi qu'une douzaine d'associations d'amis des musées. Dans
son enquête, elle a procédé au recensement d'un
échantillon de 2705 inscriptions d'inventaire correspondant à
environ 5000 oeuvres déposées par les musées dans 120
lieux de dépôts.
1. Les structures administratives
La Cour a, d'une façon générale, constaté que cette extension considérable des ambitions de l'État ne s'était le plus souvent pas accompagnée de l'augmentation des moyens et des outils de gestion. Elle a relevé une dispersion des responsabilités à l'échelon central, ainsi qu'une absence de clarté dans le partage des tâches entre la DMF et la RMN.
a) La direction des musées de France
D'emblée, la Cour note que le champ d'intervention
direct de cette direction ne comprend pas une part importante du patrimoine
muséographique. En dépit des responsabilités qui lui
avaient été conférées par l'arrêté du
23 octobre 1979, en dépit des termes de l'arrêté du 5
août 1991 étendant explicitement sa mission à l'ensemble
des musées opérant sur le territoire national, des textes de
valeurs juridiques supérieures limite la compétence de la
DMF : d'abord, l'ordonnance de 1945 n'a pas soustrait à leurs
tutelles ministérielles propres un certain nombre de musées
d'État (musées relevant du l'Éducation nationale
4(
*
)
ou du Muséum ), ensuite,
parce que des textes spécifiques, tel le décret du 27 janvier
1976, relatif au centre Georges Pompidou, a radié le Musée
national d'art moderne de la liste des musées nationaux.
Le rapport de la Cour attire également l'attention sur la
compétence exclusivement scientifique et artistique des instances
consultatives, qui sont donc consultées ponctuellement sur les
acquisitions, et non sur des questions de structures juridiques ou
économiques. Elle a noté que les conseils scientifiques
spécialisés (patrimoine artistique du XXième
siècle, arts africains et océaniens) n'avaient quasiment jamais
fonctionné)
La DMF a indiqué qu'était à l'étude la
création d'un Conseil supérieur des musées, qui serait
composé d'élus, de représentants de l'Etat, de
conservateurs et de personnalités qualifiées.
La Cour souligne le manque de moyens de cet organisme dans deux domaines
essentiels :
La gestion financière
des musées : les
projets de comptes analytiques, - menés par des personnels changeants,
insuffisants en nombre, en disponibilité ou en expérience -, ou
de " base budgétaire analytique centralisée " n'ont que
partiellement abouti, empêchant la DMF de disposer de données
exhaustives sur la gestion des musées placés sous son
autorité. Ainsi, s'explique sans doute le fait que celle-ci ait pu
ignorer, jusqu'à ce que la Cour la révèle, l'existence de
pratiques irrégulières par lesquelles certains
établissements des flux de recettes ou de dépenses transitent par
des structures associatives ;
La gestion des collections publiques
: la transformation en
1991 du bureau des collections en département des collections n'a pas
produit les résultats attendus, faute là encore de
stabilité de titulaires du poste de responsable. La Cour insiste
également sur les insuffisances en matière d'informatique. Les
bases de données lancées au début des années 70
dans un but scientifique, ont pris une autre dimension, quand, au début
des années 90, il s'est agi de les transformer en outil de
vulgarisation. . Les " bases de données nationales "
devaient
être au nombre de trois ; seule, celle relative aux Beaux-arts ,
intitulée Joconde " est opérationnelle - accessible au
public sur minitel - mais ne comporte qu'une fraction du patrimoine
concerné (60 établissements dont 15 musées
nationaux)
5(
*
)
.
La gestion des collections repose donc sur l'inspection
générale des musées, service créé à
partir de l'ancienne inspection des musées classés et
contrôlés, et dont les misions ont été implicitement
étendues aux musées nationaux, sans que cette extension de
compétence ait été traduite formellement dans les textes.
La Cour note à cet égard, qu'en ce qui concerne les musées
nationaux, ce service est dans une position ambiguë, qui réduit sa
capacité à exercer sa tutelle sur ces établissements, en
ce sens notamment qu'elle ne correspond pas à un corps d'inspecteurs,
auquel accéderaient en fin de carrière des fonctionnaires
expérimentés, mais à une simple instance d'assistance et
de conseil essentiellement pour les musées de province..
b) La Réunion des musées nationaux
Créée par la loi de finances du 16 avril 1995,
la RMN avait initialement pour objet, grâce aux produits de sa dotation
initiale complétée par des dons et legs, puis
ultérieurement par la perception de droits d'entrée, de
contribuer à l'enrichissement des collections nationales. C'est donc un
organisme dont la vocation originelle est donc d'être une caisse de
mutualisation.
Unique à l'origine puis principale source de revenus, les droits
d'entrée des musées ne représentent plus, aujourd'hui,
qu'un quart des produits d'exploitation, car cet organisme a
développé des activités annexes : expositions
temporaires, édition, diffusion et vente de produits
dérivés, exploitation, enfin, directe ou concédée
d'espaces commerciaux divers, restaurants salles de conférences ou de
concert...
En fait, en s'appuyant sur l'augmentation de la
fréquentation et donc des recettes de droits d'entrée, la RMN a
investi dans le développement d'une gamme de produits plus large et
professionnalisé ses méthodes de gestion.
L'État a associé la RMN, dont le conseil d'administration est
présidé par le Directeur des musées de France, à sa
politique d'accompagnement du développement des musées, note la
Cour, soit parce qu'il souhaitait voir financer certaines de ses tâches
en dehors de son propre budget, soit parce que le statut de
l'Établissement lui paraissait gage d'une plus grande souplesse
d'intervention. C'est dans ce cadre qu'a été instauré un
mécanisme de redevance payée par la RMN au profit des
musées intitulée " dotations globales de
fonctionnement ". Laissé à l'origine à la
discrétion de la DMF, tant en ce qui concerne le montant que les
établissements bénéficiaires, ce dispositif a
été modifié en 1990 afin de bénéficier
à tous les musées nationaux
6(
*
)
. Le coût pour le budget de
la RMN est passé de 4 millions de francs en 1986 à 18 millions de
francs en 1992 ; l'accession de deux établissements à
l'autonomie financière a ramené à environ 10 millions de
francs la charge correspondante.
A plusieurs reprises, dit la Cour, la RMN a dû rechercher dans son exploitation et, plus particulièrement, dans le développement d'activités rentables le financement des ambitions muséographiques de l'État. Le décret du 14 novembre 1990 qu'érigeait la RMN en établissement public à caractère industriel et commercial tirant les conséquences de cette situation. Mais, ajoute la Cour, il plaçait cet organisme devant la nécessité de concilier deux logiques, " pas aisées à mettre en harmonie ", la logique économique et la logique régalienne. Nécessaire pour lui permettre de faire face à ses nouvelles responsabilités, ce changement s'est accompagné d'une augmentation des rémunérations des personnels, désormais sous statut privé, plus professionnalisés mais aussi aux rémunérations proches de conditions du marché. Ce souci des résultats d'exploitation a conduit la RMN à augmenter de façon importante ses tarifs d'entrée.
Certaines activités sont nettement déficitaires. Tel est d'abord
le cas du service des visites conférences, dont la responsabilité
a été transférée à la RMN en 1991, et qui
accuse un déficit structurel de 13 millions de francs par an, provoquant
la suppression de la gratuité pour les groupes scolaires. Mais le cas le
plus préoccupant est celui des services éditoriaux et
commerciaux. La Cour résume ainsi - en termes pudiques - la
situation : "
Les efforts financiers importants (80 millions
de
francs prélevés sur le fond de roulement) consacrés au
développement des activités commerciales , s'ils ont permis une
augmentation du chiffre d'affaires se soldent encore par des résultats
préoccupants dès lors qu'ils ont eu pour effet d'imposer
plusieurs années durant des prélèvements sur le produit
des droits d'entrée et des recettes annexes, alors même qu'ils
devraient dégager des marges et contribuer au financement des
acquisitions et des expositions temporaires ".
Les résultats des expositions temporaires
pèsent enfin lourdement sur les résultats d'ensemble de la
RMN
7(
*
)
. Il y a là la
conséquence pour partie de la suppression à partir de 1988 de la
subvention que l'Etat accordait à la RMN pour cette activité.
Enfin, la Cour souligne un phénomène de structure :
l'évolution des musées nationaux vers une plus grande autonomie
financière remet en cause le système de mutualisation sur lequel
repose la RMN. Ce processus a commencé au début des années
80 quand il s'est agi de donner une plus grande autonomie de gestion aux chefs
d'établissements. Cette responsabilisation accrue des conservateurs a
suscité une demande légitime des conservateurs de participation
aux décisions, en particulier quand elles concernent les relations avec
le public, mais également de voir lier plus étroitement leurs
moyens aux efforts réalisés et aux résultats obtenus. De
ce point de vue, l'institution des redevances RMN, dont la Cour se demande si
elle est véritablement en conformité avec la vocation
industrielle et commerciale de l'organisme, est une mesure qui a permis aux
musées d'intervenir par des expositions dossiers, par des ateliers
pédagogiques dans ce qui était le coeur de la compétence
de la RMN.
RMN
Résultats expositions temporaires |
1984 |
1986 |
1987 |
1988 |
1989 |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
Charges d'exploitation |
27,5 |
30,1 |
25,8 |
47,3 |
65,7 |
43,9 |
61,8 |
81,1 |
137,3 |
96,3 |
Produits d'exploitation |
38,4 |
21,2 |
14,8 |
45,8 |
38,9 |
24,5 |
41,9 |
62,6 |
117,9 |
74,1 |
Balance |
7,3 |
-8,9 |
-11 |
-6,9 |
-26,8 |
-19,4 |
-19,9 |
-18,4 |
-19,4 |
-23,4 |
Au début, cette concurrence restait marginale mais elle prit de
l'ampleur avec l'accession des plus grands musées à l'autonomie
financière et, en particulier, la création de
l'établissement public du musée du Louvre. Celui-ci se voit
attribuer des compétences exclusives dans les domaines de l'accueil et
de l'animation culturelle, du mécénat, des expositions dossiers
et surtout de l'encaissement des droits d'entrée et de prise de vue.
Certaines compétences sont partagées, les visites pour lesquelles
la RMN est prestataire de services et les expositions pour lesquelles cet
organisme est responsable du transport-assurance et de l'édition des
catalogues. Ce dispositif, arrêté par une convention entre les
deux établissements publics, se traduit par le versement à la RMN
d'une redevance égale à 45% des droits d'entrée dans les
collections permanentes.
La conclusion de la Cour est, si l'on en décrypte les nuances,
plutôt prudente sur l'avenir de la RMN : "
il n'est pas
certain que le musée du Louvre n'ait pas la possibilité, à
terme, de développer une capacité à prendre en charge de
façon autonome des activités culturelles et commerciales qui lui
échappent encore....Un risque existe néanmoins que la RMN, en
raison de l'autonomie croissante qui serait accordée aux musées
nationaux, notamment aux plus grands, et de leur capacité potentielle
à la concurrencer sur son propre terrain soit progressivement
réduite à jouer un rôle de prestataire de services, dont
rien ne justifierait alors qu'il n'entre pas en compétition avec
d'autres fournisseurs publics ou privés, sauf à ce que
l'État organise un monopole à son profit afin de préserver
d'une part, la capacité de l'établissement à financer les
choix de la politique culturelle dont il resterait un acteur central, d'autre
part, l'accès des plus petits établissements à des
produits de diffusion culturelle que leur taille ne leur permettrait pas de
produire de façon autonome.
"