CHAPITRE III : IDENTITE CULTURELLE ET PRESENCE AUDIOVISUELLE EXTÉRIEURE
Toute imprégnée de la culture du service public,
la France espère pouvoir échapper à des changements qui la
dépassent, sans réaliser que, dans le domaine audiovisuel
désormais complètement international, il est vain de vouloir
imposer ses propres règles du jeu. Tenter de le faire, c'est s'exposer
à la marginalisation économique et culturelle, et, tôt ou
tard, au dépérissement.
Si l'on ne peut ignorer les évolutions du monde qui nous entoure et
bientôt nous envahira, balayant toutes les digues que nous croirons avoir
construites, on ne doit pas pour autant accepter comme un fait presque accompli
l'irrésistible montée en puissance des lois du marché.
Entre la " bunkerisation " irréaliste et la soumission
complaisante au complexe médiatico-financier dominé par les
États-Unis, il y a une voie pour notre pays et surtout pour l'Europe,
dont la stratégie doit être d'accepter le jeu du marché
sans pour autant se plier à la dérégulation à
outrance voulue par les grands groupes anglo-saxons.
Ceux-ci s'avancent masqués derrière les idéaux de
liberté et de créativité, pour imposer leur pouvoir et
surtout leur logique financière.
Mais cette logique existe. Il faut le savoir et faire prendre conscience de ses
dangers à nos partenaires, au niveau européen, mais
également adapter en conséquence notre politique de
présence extérieure.
I. LA POLITIQUE COMMUNAUTAIRE DE L'AUDIOVISUEL
La France est isolée pour faire valoir une " exception culturelle " que l'évolution des mentalités - surtout au nord de l'Europe - mais aussi celle des techniques et des pratiques commerciales, rendent de plus en plus difficile à défendre.
A. EN EUROPE : ÉCHEC DU RENFORCEMENT DE LA DIRECTIVE TÉLÉVISION SANS FRONTIÈRES
Dans un premier temps, le débat devant le Parlement
européen avait été favorable aux positions de la France.
Le Parlement avait converti la clause envisagée de suppression des
quotas dans un délai de dix ans en clause de révision, tout en
optant pour une définition plus stricte de l'oeuvre audiovisuelle en
excluant les émissions majoritairement réalisées en
plateau ; il avait étendu le champ de la directive aux nouveaux
services, tels que la vidéo à la demande ou le paiement à
la séance. Le Parlement avait adopté en février 1996 un
texte plus protecteur que celui élaboré par la Commission, fruit
d'un compromis entre défenseurs d'une réglementation
contraignante (France, Espagne) et partisans d'un assouplissement des
règles (pays du Nord).
La France avait donc obtenu le maintien de la politique des quotas de diffusion
qu'elle considère comme l'arme essentielle dans sa bataille pour
l'exception culturelle, alors qu'une grande partie de ses partenaires y est
opposée. Mais il fallait que ce texte soit accepté par le Conseil
des ministres - en vertu de la co-décision - avant la fin de
l'année 1996.
Or, le Conseil a décidé, durant l'été 1996,
d'assortir le respect des quotas d'une mention " chaque fois que cela
est
réalisable ". Elle confirmait ainsi le caractère flexible du
régime des quotas tout en excluant les nouveaux services de
l'application de la directive Télévision sans frontières.
La France insistait pour rendre les quotas obligatoires mais l'Allemagne et le
Royaume-Uni souhaitaient leur disparition. En définitive, le compromis
adopté a prévu une renégociation dans cinq ans.
Mais, ce compromis, qui porte la date du 16 avril 1997, entre le
Parlement européen et le Conseil des ministres constitue un recul. Non
seulement les nouveaux services interactifs demeurent exclus du champ de la
directive. Et surtout, l'obligation de diffusion d'une majorité
d'oeuvres européennes reste imprécise, pour ne pas dire purement
théorique, puisque la règle des quotas est un objectif non
contraignant. Le plus grave est que cette affaire, capitale pour l'avenir des
cultures européennes, a finalement donné lieu à moins de
discussions et de réserves que celles de la puce anti-violence et de la
retransmission en clair des grands événements sportifs. Un espoir
demeure toutefois ; c'est le dessein de rédiger un rapport
d'évaluation après trois ans ; De plus, une clause de
réexamen a été décidée pour permettre, le
cas échéant, une révision du texte actuel.
Faute d'être garantie par des quotas, " l'exception
culturelle " pourrait être beaucoup plus efficacement
préservée sur le plan économique par le renforcement du
poids économique et financier des opérateurs nationaux, ainsi que
par l'instauration d'un fonds européen de soutien aux industries
audiovisuelles. Or, sur ce plan également, notre pays paraît, en
dépit de propositions réitérées, bien seul pour
défendre l'Europe.