ANNEXE
COMPTE RENDU DE LA MISSION D'INFORMATION EFFECTUÉE EN
ESPAGNE, LES 25 ET 26 JUIN 1997, PAR M. PAUL LORIDANT
Le but de cette brève mission était
d'étudier les raisons et les ressorts des succès de l'Espagne
dans le domaine du tourisme.
·
Les performances touristiques de l'Espagne sont en effet
éclatantes.
C'est ainsi que selon les statistiques de l'OMT, l'Espagne, avec
41,3 millions
de
touristes
en 1996, est désormais la
troisième destination touristique
derrière la France
(62,4 millions de touristes)
et les Etats-Unis
(448 millions de
touristes)
mais devant l'Italie
(32,8 millions de touristes).
En termes de
recettes touristiques,
l'Espagne avec 4,8 % des recettes
mondiales dépasse même la France (4,79 %) d'une courte tête
pour occuper la deuxième place derrière les Etats-Unis (10,8 %).
En outre, la tendance de ces dernières années se
caractérise par une
forte progression
du tourisme espagnol, en
raison notamment de la dépréciation de la peseta, de 1992
à 1996, et, peut-être, d'une meilleure adaptation aux besoins et
aux aspirations des touristes en provenance de l'Europe du Nord et de l'Est.
En définitive, le tourisme apparaît comme le
secteur le plus
dynamique de l'économie espagnole :
il représente
10
%
du
PIB
(contre 8,5 % en France),
fournit un emploi
à 8,1 % de la population active (à raison de 670.000 emplois
directs et 476.000 emplois indirects) et permet de dégager, au sein de
la balance des paiements, un
excédent du poste tourisme
de
132
milliards de francs
en 1996, soit 10 % de plus que l'année
précédente.
A titre de comparaison, le solde positif de la balance touristique de notre
pays ne s'élève qu'à 54,3 milliards de francs en 1996.
A un moment où la position forte du tourisme français
présente des faiblesses et connaît une certaine érosion, il
m'est apparu nécessaire de me pencher sur les
clefs
de la
réussite espagnole.
·
Les clefs de la réussite du tourisme espagnol
L'Espagne dispose
d'indéniables atouts touristiques
comme son
climat ensoleillé, l'étendue de son littoral, et la richesse de
son patrimoine architectural et culturel.
Par ailleurs, la dépréciation de la peseta entre 1992 et 1996,
associée à un coût du travail beaucoup moins
élevé qu'en France (le SMIC espagnol s'élève
à 2.000 francs par mois) a indéniablement contribué
à rendre plus attractive la destination Espagne.
Mais ces atouts structurels, qui ne datent pas d'aujourd'hui, et cette
dépréciation de la devise espagnole, dont les effets s'estompent
depuis la fin de l'année 1996, ne sauraient expliquer, à eux
seuls, le miracle du tourisme espagnol et l'engouement pour l'Espagne.
Dès lors, une question ne pouvait manquer de se poser : quelle est
la part de l'organisation administrative de la politique du tourisme et de
l'effort budgétaire consenti en faveur du tourisme dans ce succès
espagnol ?
A cet égard, l'originalité espagnole se caractérise par
une
organisation décentralisée
de la politique du tourisme.
·
Une organisation décentralisée
Après la fin du franquisme et le retour de la démocratie, la
constitution de l'Espagne, votée le 31 octobre 1978 par les
Cortès et le Sénat, a jeté les bases d'une
" Espagne régionalisable "
. En effet, la constitution
de 1978 consacre
" l'indissoluble unité de la nation
espagnole ",
tout en reconnaissant et en garantissant
" le
droit à
l'autonomie
des nationalités et
des
régions
qui la composent ".
Parmi les nombreuses compétences transférées aux
communautés autonomes,
c'est-à-dire aux régions,
figure
" la promotion et la réglementation du
tourisme ".
Dans la pratique, ce titre de compétence général reconnu
aux communautés autonomes dans le domaine du tourisme ne s'est pas
traduit par l'institution d'un
bloc de compétences
au profit des
régions.
En effet, les autres catégories de collectivités locales,
c'est-à-dire les
provinces,
qui correspondent à nos
départements, et les
communes
interviennent également dans
le domaine du tourisme. La réalité a donc consacré un
rôle prééminent, mais non exclusif, de la région et,
partant, un système de
compétences partagées
entre
les trois catégories de collectivités territoriales, même
si la région joue, dans toute la mesure du possible et dans son ressort
territorial, un rôle d'impulsion, de planification et de coordination,
des diverses initiatives locales.
De même, ce transfert des compétences touristiques aux
régions ne s'est pas accompagné d'un
dessaisissement total
de l
'Etat
qui conserve une
compétence
résiduelle
: il demeure, en effet, compétent pour
édicter la " législation de base ", conduire les
projets touristiques dont le champ géographique dépasse le
ressort territorial d'une région et assurer la promotion à
l'extérieur de la destination Espagne.
Tout se passe comme si à partir d'un transfert, en apparence plein et
entier, qui a conféré aux communautés autonomes une
compétence de droit commun
dans le domaine du tourisme, la
réalité avait bâti un système plus complexe qui
s'apparente aux
tables gigognes
ou aux
poupées russes.
Ce
paysage institutionnel
explique la relative
" modestie "
de
l'appareil étatique
chargé de la politique du tourisme.
·
Des structures étatiques légères
La mise en oeuvre de la politique nationale du tourisme est confiée
à
deux entités administratives
situées au sein du
secrétariat d'Etat
au
commerce,
au
tourisme
et aux
PME
qui est rattaché au ministère de l'économie et
des finances.
Ce rattachement "prestigieux" compense la dilution du tourisme au
sein d'un
simple secrétariat d'Etat polyvalent puisque le ministre de
l'économie et des finances, qui détient le titre de
vice-président du Gouvernement, est le numéro 2 du Gouvernement.
La première des deux structures administratives compétentes dans
le domaine du tourisme est la
direction générale du
tourisme.
Compétente pour la dimension
intérieure
du
tourisme, cette direction générale est constituée de
deux sous directions générales
: d'une part, la
sous-direction générale de la coopération et de la
coordination touristique et, d'autre part, la sous-direction
générale de la compétitivité et du
développement touristique.
La seconde structure administrative, qui est compétente pour la
promotion du tourisme à l'étranger, se dénomme
Turespaa
. Son action principale est de tenter de coordonner les
initiatives des communautés autonomes.
·
Des moyens budgétaires relativement importants
L'Etat espagnol consacre à la politique du tourisme un budget de
800 millions de francs
à raison de 180 millions de francs
pour la direction générale du tourisme et de 620 millions pour
Turespaa. Sur les 620 millions dont dispose Turespaa, 424 millions sont
affectés au fonctionnement et 196 millions à la promotion.
La part du budget de Turespaa consacrée à la promotion externe
peut sembler faible (31,6 %) en comparaison du poids des dépenses de
fonctionnement (68,4 %) ; mais il convient d'avoir présent à
l'esprit que lorsque Turespaa "fédère" les actions des
communautés autonomes dans une foire ou un salon à
l'étranger, les régions contribuent aux frais exposés.
Au total
, l'Etat espagnol consacre au tourisme, qui relève
pourtant de la compétence des régions, un effort
budgétaire plus de deux fois supérieur à celui consenti
par le budget français (355,7 millions de francs) alors que le PIB de
l'Espagne représente moins de la moitié du PIB de la France.
Pour être exhaustif, il conviendrait d'ajouter à cette manne
étatique les sommes consacrées par les communautés
autonomes à la promotion du tourisme. Nous ne disposons pas encore des
résultats de ce recensement, mais il apparaît, d'ores et
déjà, que ces montants sont importants.
C'est ainsi que le budget tourisme de la
Galice
s'élève
à 36 millions de francs.
En
définitive
, le succès du tourisme espagnol semble
reposer sur
deux piliers
: le
dynamisme
de Turespana et la
mobilisation
des communautés autonomes.
En
premier lieu
, le
dynamisme
de
Turespana
dont votre
rapporteur a pu apprécier le savoir-faire lors de salons du tourisme
comme celui de Berlin.
Pourtant, les espagnols nous envient la Maison de la France qu'ils
considèrent comme un modèle de partenariat entre le public et le
privé.
Ce paradoxe a conduit votre rapporteur à se demander si cette mission
en Espagne ne doit pas me ramener en France pour contrôler le
fonctionnement de la Maison de la France et, éventuellement,
définir les voies et moyens d'une meilleure efficience de cet organisme.
En
second lieu
, la
mobilisation
des
communautés
autonomes
:
Pour illustrer ce phénomène, votre rapporteur se bornera
à décrire brièvement l'exemple de l'Andalousie qu'il a pu
étudier lors de son séjour à Séville.
Longtemps laissée à l'écart du développement
espagnol, l
'Andalousie
a bénéficié du choc de
l'Exposition Universelle de 1992 qui a permis de combler le déficit
d'infrastructures dont souffrait cette région. C'est ainsi que
l'Exposition Universelle de Séville a apporté à
l'Andalousie une amélioration de son réseau autoroutier et
routier (autoroutes Madrid-Séville, Séville-Grenade et
Séville-Huelva), une modernisation de ses aéroports et surtout la
construction de la ligne TGV entre Madrid et Séville.
Pourtant, le PIB par habitant de l'Andalousie ne représente aujourd'hui
que 70 % de la moyenne nationale.
L'Andalousie a donc décidé de mettre l'accent sur le tourisme
qui représente l'un des piliers de son économie.
En effet, le tourisme, avec des retombées estimées à
36 milliards de francs, représente 18 % du PIB de l'Andalousie et
procure des emplois à 16 % de la population active andalouse.
Pour conforter ces résultats, la communauté autonome de
l'Andalousie a décidé de sortir d'un schéma de
développement touristique fondé sur le modèle "soleil et
plage". Il s'agit de promouvoir une politique de diversification
touristique,
mettant en valeur l'intérieur de l'Andalousie et proposant aux visiteurs
un tourisme culturel, un tourisme rural, et un tourisme sportif.
L'intention très clairement affichée est de cantonner les
"
colonies touristiques
" peuplées de touristes d'Europe du Nord
qui vivent en quasi-autarcie sur la Costa del Sol, entre la mer et la route.
L'objectif, très franchement proclamé, est d'attirer et de
fidéliser une clientèle plus "cultivée" en offrant des
produits de qualité.
Cette nouvelle approche, plus "élitiste", du tourisme espagnol
relativise les critiques adressées au tourisme français et
à son incapacité à retenir, ne serait-ce qu'une nuit, les
touristes allemands ou néerlandais qui traversent la France, sans
s'arrêter, pour se rendre dans le sud de l'Espagne.