D. LA POLITIQUE DE L'ÉNERGIE HORS CRÉDITS BUDGÉTAIRES
La politique du Gouvernement dans le secteur de
l'énergie ne se limite pas aux seuls établissements ou actions
financés par des crédits budgétaires.
Elle concerne également la tutelle sur les établissements et
grandes entreprises du secteur, ainsi que la participation au marché
unique de l'énergie.
1. La situation des principaux opérateurs
a) Le nouveau contrat de plan clarifie les relations financières entre l'Etat et EDF
Le contrat d'entreprise signé le 8 avril 1997 entre
l'Etat et EDF a défini leurs relations pour la période 1997-2000.
Conformément à ce contrat, une réforme du régime
comptable a eu lieu par le biais de la loi portant mesures urgentes à
caractère fiscal et financier du 10 novembre 1997. En transférant
la propriété des ouvrages de transport
d'électricité du réseau d'alimentation
générale (RAG) à l'opérateur public cette loi a en
effet autorisé la restructuration du bilan d'EDF. Ainsi,
l'intégration des provisions pour renouvellement constituées par
EDF sur ces ouvrages au résultat de l'entreprise a permis de tripler le
montant des capitaux propres, a épuisé le montant des reports
à nouveau négatifs et a rendu EDF contributeur net de
l'impôt sur les sociétés pour la première fois.
Compte tenu de cette dernière conséquence, le contrat
d'entreprise prévoit une légère réduction des
versements d'EDF à l'Etat. En effet, la rémunération de
l'Etat actionnaire se compose de deux éléments :
- une rémunération des dotations en capital à un taux
d'intérêt fixé annuellement ;
- une rémunération complémentaire égale à
40% du résultat comptable net de l'entreprise.
Le taux d'intérêt de la première
rémunération, fixé à 5 % dans le
précédent contrat d'entreprise, a été ramené
à 3 % pour tenir compte de l'accroissement des dotations en capital
que la réforme comptable a induit.
En outre, le contrat d'entreprise précise que le montant annuel total
des deux composantes ne peut excéder 6 % du montant des dotations
en capital, soit 3.044 millions de francs, après restructuration du
bilan.
Au total, les versements d'EDF à l'Etat devraient augmenter de 50 %
en 1997 par rapport à 1996, en raison surtout du montant de
l'impôt sur les sociétés que l'établissement devra
désormais acquitter, pour un montant supérieur à 3
milliards de francs en 1997.
Le tableau ci-après retrace les flux financiers entre l'Etat et EDF.
La rémunération
complémentaire de l'Etat versée en 1996 comprend la contrepartie
de la reprise sur provision relative au règlement d'un contentieux entre
l'URSSAF et EDF, pour un montant de 2.450 millions de francs ; sans cet
événement exceptionnel, la rémunération
complémentaire de l'Etat se serait élevée à 1.552
millions de francs, portant le montant total des versements d'EDF à
l'Etat pour 1996 à 3.368 millions de francs.
Enfin, dans le cadre de la future organisation du système
électrique qui verra apparaître, à partir de 1999, une
concurrence pour l'activité de la production, seront définies les
modalités de financement des charges d'intérêt
général imposées au secteur électrique, de
façon à ce que la répartition de ces charges ne nuise pas
à une concurrence loyale. D'ici là, le contrat d'entreprise
stipule qu'aucune charge nouvelle sans lien avec l'activité principale
de l'entreprise, ne sera imposée à EDF sans compensation.
L'assainissement des relations financières avec l'Etat s'accompagne
d'objectifs clairs en matière de
désendettement
: la
dette financière d'EDF qui s'élevait à 133 milliards de
francs à la fin de 1996, devrait ainsi être ramenée
à 100 milliards de francs à la fin de l'an 2000, ce qui place
l'entreprise sur une trajectoire lui permettant d'envisager un niveau
d'endettement nul au moment du renouvellement de son parc de production. Il
convient de rappeler que le désendettement cumulé depuis le
début du précédent contrat de plan a atteint 62 milliards
de francs en termes réels.
Enfin, le contrat d'entreprise a prévu que les gains de
productivité auxquels l'entreprise s'engage sur la période du
contrat seront en priorité affectés aux clients grâce
à une
baisse des tarifs
. Le contrat a prévu au cours de sa
validité (1997 à 2000) une baisse moyenne des tarifs de
13,3 % en francs courants.
Votre rapporteur se félicite de la signature du nouveau contrat de
plan entre l'Etat et EDF qui a permis de clarifier la situation et de fixer les
règles des relations financières entre l'Etat et l'entreprise. Il
évite en particulier les prélèvements de l'Etat sur la
trésorerie d'EDF.
Toutefois, on peut regretter le recours à d'autres formes de
prélèvements sur EDF comme l'accroissement des taxes pesant sur
l'opérateur. En effet, le présent projet de loi de finances
prévoit dans son article 22, en contrepartie de l'abandon du canal
Rhin-Rhône, le relèvement de la taxe due par les titulaires
d'ouvrages hydroélectriques concédés qui finance le fonds
d'investissement des transports terrestres et des voies navigables. La
contribution d'EDF au FITTVN devrait être portée de
1 milliard à 1,8 milliards de francs
17(
*
)
.
Il est à craindre qu'à ce seuil, l'exploitation des centrales
hydrauliques ne soit plus rentable ce qui dégraderait l'assiette de la
redevance - comme celle de la taxe professionnelle. De surcroît,
il
convient de ne pas multiplier les charges pesant sur l'opérateur public
à la veille de l'ouverture du marché intérieur de la
production d'électricité à la concurrence
.
b) La politique relative au gaz naturel
Face à une dépendance gazière croissante,
la France poursuit sa politique de diversification des ressources
d'approvisionnement, gage de sécurité à long terme. Gaz de
France envisage d'acheter du gaz britannique lorsque les travaux de pose du
gazoduc Interconnector entre la Grande Bretagne et la Belgique seront
achevés. Des négociations sont en cours avec les principaux
producteurs de mer du Nord britannique.
Par ailleurs, l'Afrique comptera, à l'aube du siècle prochain, un
deuxième fournisseur de gaz naturel pour la France et l'Europe : le
Nigéria. Les premières livraisons de gaz naturel
liquéfié nigérian sont programmées pour fin 1999
malgré les incertitudes relatives aux enlèvements de l'ENEL,
l'électricien italien.
La Russie et la Norvège demeurent les deux principaux fournisseurs de
gaz de la France avec des volumes respectifs de 126 TWh et 120 TWh.
L'Algérie et les Pays-Bas viennent immédiatement après
avec 83 et 59 TWh.
La
part du gaz dans le bilan énergétique de la France
a
progressé lentement au cours des dernières années,
s'établissant à environ 13 % aujourd'hui, soit à un
niveau inférieur à celui observé dans les autres pays
d'Europe de l'Ouest où elle atteint en moyenne 20 %. C'est la
conséquence du recours à la filière nucléaire pour
la production d'électricité.
La poursuite de cette progression paraît souhaitable en raison, d'une
part, des qualités environnementales du gaz et, d'autre part, du
nécessaire rééquilibrage de la part relative de
l'électricité et des autres énergies.
En outre, certains nouveaux débouchés, encore peu
développés, apparaissent favorables au gaz : la
cogénération, les centrales à cycles combinés et
les véhicules au gaz naturel.
On observera toutefois qu'une évolution de la demande de gaz naturel se
heurte à un double obstacle :
l'incertitude qui pèse actuellement sur l'offre et notamment sur la
stabilité politique et la capacité d'investissement des
principaux fournisseurs (Russie et Algérie),
la faible densité de peuplement du territoire français qui rend
la desserte en gaz de certaines zones impossible à des prix
compétitifs.
Votre rapporteur se félicite que, dans ce contexte, la situation
financière de Gaz de France se soit sensiblement
améliorée. Il constate cependant qu'elle reste en grande partie
liée à l'évolution incertaine de ses principaux
fournisseurs et des perspectives de déréglementation du
marché européen.
Depuis 1991, Gaz de France connaît un résultat
bénéficiaire et, en conséquence, depuis 1992, l'Etat
perçoit un dividende sur ce résultat à un taux variant
entre 30 et 70 %. En outre, Gaz de France s'est acquitté pour la
première fois en 1994 de l'impôt sur les sociétés.
Après un très bon exercice en 1996 (chiffre d'affaires en hausse
de 10 % et résultat net de 2,5 milliards de francs après 1,9
milliards en 1995), la situation financière de Gaz de France s'est
détériorée en 1997. En effet, l'amplification de la
concurrence des autres énergies combinée avec des conditions
climatiques devenues défavorables (hiver doux et pluvieux) ont
entraîné un net fléchissement des ventes de gaz. En outre,
les coûts d'approvisionnement ont connu une augmentation de près
de 25 % en raison de l'accroissement des prix du brut et de la hausse du
dollar. Le chiffre d'affaires prévisionnel s'établit à 57
milliards de francs avec un résultat après impôts et
dividendes de 2,6 milliards de francs.
Ce fléchissement de l'activité devrait conduire à une
révision en baisse des prévisions budgétaires, lesquelles
devront également tenir compte des nouvelles dispositions fiscales
relatives à l'impôt sur les sociétés (passage du
taux de l'IS de 36,6 % à 41,6 %).
Le désendettement devrait néanmoins se poursuivre. Il a
été divisé par deux entre 1992 et 1995 et
s'établissait à 13 milliards de francs fin 1996.
2. La déréglementation du marché unique de l'énergie
L'énergie est devenue un enjeu de la construction
européenne à partir de 1987. Afin de tirer le meilleur parti des
complémentarités des différents systèmes
énergétiques européens, la Commission des
communautés européennes a alors engagé des travaux visant
à développer les échanges énergétiques en
s'appuyant sur les opérateurs. Cette première approche a abouti
à l'
adoption de trois directives
relatives d'une part, à
la transparence des prix de l'électricité et du gaz et, d'autre
part, au transit sur les grands réseaux.
A partir de 1991, la Commission a adopté une deuxième approche
visant à appliquer plus fermement les règles de concurrence
communautaires et donc à s'attaquer aux monopoles du secteur
énergétique. C'est à cette fin qu'elle a engagé une
procédure en manquement devant la Cour de Justice
à
l'encontre des monopoles électrique et gazier français (ainsi
qu'à l'encontre de ceux d'autres pays). En rejetant récemment ce
recours pour insuffisance de motivation, sans se prononcer sur le fond, la Cour
de justice des communautés européennes (CJCE) a implicitement
estimé que le monopole d'importation et d'exportation pour le gaz et
l'électricité détenu par EDF et GDF était
légal.
a) La directive concernant le marché intérieur de l'électricité
La directive 96/92/CE concernant des " règles
communes pour le marché intérieur de
l'électricité " a été adoptée par le
Conseil des ministres européen le 20 juin 1996, après le vote
positif du Parlement européen. La France, comme ses partenaires, a
jusqu'au
19 février 1999
pour mettre sa réglementation en
accord avec les termes de cette directive qui entraîne l'ouverture du
marché de l'électricité à la concurrence.
Le texte de la directive est un compromis entre les dispositions initiales de
la directive et la position française.
En effet, initialement, la directive prévoyait :
- la suppression des monopoles de production, de transport et de
distribution de l'électricité et du gaz ;
- l'introduction de la séparation comptable entre ces trois
activités ;
-
l'accès des tiers aux réseaux électriques et
gaziers (ATR).
Ce système était, dans un premier temps,
réservé aux grands consommateurs de gaz et
d'électricité, afin de leur permettre de se fournir auprès
du producteur de leur choix, à charge pour le réseau d'acheminer
l'énergie moyennant péage.
Considérant que ce dispositif se heurtait aux grands acquis de la
politique énergétique française, et notamment à la
sécurité des approvisionnements, à l'obligation de
fourniture, à la protection du consommateur et à
l'efficacité des systèmes électriques et gaziers, la
France a obtenu qu'une proposition alternative au système de l'ATR soit
élaborée. Cette proposition reposait sur le
concept d'acheteur
unique
, selon lequel l'opérateur chargé du monopole du
réseau organise la concurrence pour les nouveaux producteurs
d'électricité qui ne peuvent contracter directement avec les
consommateurs.
Ce concept permet d'ouvrir les marchés nationaux à plus de
concurrence tout en excluant l'ATR et en préservant les missions
d'intérêt général que les Etats confient aux
opérateurs du secteur électrique, telles que la
sécurité d'approvisionnement, la péréquation
tarifaire, l'obligation de fourniture et la protection de l'environnement.
Le Conseil des ministres de l'énergie du 1
er
juin 1995 a
admis le principe de la coexistence de l'ATR avec le système de
l'acheteur unique. Il a également reconnu la légitimité
des obligations de service public et de la programmation à long terme
dans le secteur électrique, dans le respect du principe de
subsidiarité.
C'est sur la base de ce compromis que la directive concernant des
"règles communes pour le marché intérieur de
l'électricité" a été adoptée par le Conseil
des ministres de l'énergie du 20 juin 1996.
La directive comporte tout d'abord un certain nombre de
dispositions
obligatoires
qui constituent les règles communes à tous les
systèmes électriques. Elle fait ainsi obligation aux fournisseurs
de présenter des comptes séparés relatifs à la
production, à la distribution et au transport. C'est ce que l'on appelle
l'''unbundling" comptable. Il s'agit également de permettre la
liberté d'établissement pour de nouveaux producteurs et
d'organiser une ouverture progressive des marchés nationaux, en
particulier pour les grands consommateurs.
La proposition de directive comporte, par ailleurs, un certain nombre de
dispositions ouvertes
aux choix des Etats membres
. Il s'agit de
la possibilité d'imposer des obligations de service public, qui doivent
néanmoins être clairement définies, aux entreprises du
secteur électriques. Il s'agit aussi de la possibilité de
prévoir une planification à long terme des investissements de
production, de désigner un gestionnaire unique du réseau pour le
transport ou encore d'adopter un système d'autorisation ou d'appel
d'offres pour la construction de nouvelles unités de production.
La directive fixe enfin avec précision les
objectifs à
atteindre
en terme d'ouverture du marché
. Conformément
aux revendications exprimées par la France, cette ouverture sera
partielle et progressive
: 25 % des ventes (en volume) seront
ouverts à la concurrence en 1999, puis 30 % en l'an 2000, et
33 % en 2003. De 40 gigawattheures par an et par site, le seuil de
consommation au delà duquel les consommateurs pourront s'adresser au
fournisseur d'électricité de leur choix passera ainsi
à 9 gigawattheures par an en 2006. Dans un premier temps, ce sont les
400 plus gros clients d'EDF qui pourront contracter avec des fournisseurs
d'électricité de leur choix. Ce sont pour l'essentiel des
entreprises industrielles pour lesquelles le prix de l'énergie est un
élément important de leur prix de revient. Ils seront 2500
à la dernière étape.
Votre rapporteur se félicite que cette proposition de directive soit
conforme aux principes que la France a constamment défendus depuis 1990,
notamment en matière de service public.
Néanmoins, votre rapporteur appelle l'attention du Gouvernement sur la
nécessité d'apporter des clarifications
sur :
la définition des missions d'intérêt économique
général ;
la détermination d'une autorité de régulation ;
la question des tarifs à appliquer aux clients " captifs "
par rapport aux clients dit " éligibles " ;
la problématique des coûts " échoués ",
c'est-à-dire des coûts que ne supporte pas la concurrence :
coût de l'énergie éolienne, coût liés au
statut du personnel d'EDF, coût de l'énergie nucléaire...
b) Les perspectives pour le secteur du gaz
La
directive sur le marché intérieur du
gaz
reste en cours de discussion. Néanmoins,
votre rapporteur
restera vigilant sur la prise en compte par les autorités
européennes des spécificités du marché
français du gaz,
et en particulier de la dépendance de la
France vis-à-vis des approvisionnement extérieurs en gaz. Il
importe donc que l'ouverture du marché soit progressive et compatible
avec les engagements à long terme de GDF.
En effet, les opérateurs français ont conclu des contrats
à long terme par lesquels ils s'engagent à acheter des
quantités minimales de gaz ou, à défaut, d'indemniser le
fournisseur (contrat dit " take or pay "). L'ouverture du
marché et la liberté d'approvisionnement qu'il autorise risque de
rendre ces contrats coûteux pour les contractants français. Il
convient également que, conformément au principe de
subsidiarité, l'organisation de la distribution du gaz relève de
la compétence de chaque Etat membre.