II. RENFORCEMENT DES ALÉAS EXTÉRIEURS ET EFFETS PERVERS DE LA NOUVELLE POLITIQUE ÉCONOMIQUE
Avec une croissance de 3 % en 1998, le scénario du gouvernement est particulièrement optimiste compte tenu du passé récent de la croissance en France et des perspectives à moyen terme.
La croissance française en perspective
L'Observatoire français des conjonctures
économiques a réalisé une projection de l'économie
française au moyen du modèle Mosaïque pour le compte de la
Délégation du Sénat à la Planification.
Son résultat essentiel est que le sursaut de croissance observé
en 1998 serait exceptionnel. Au cours de la période 2000-2002, la
croissance annuelle serait en moyenne de 2,2 % à nouveau
inférieure au taux permettant de stabiliser le taux de chômage.
Le tableau suivant décrit la projection de croissance :
1997 |
1998 |
1999 |
2000-2002* |
|
POURCENTAGE ANNUEL DE VARIATION (en volume) |
||||
- PIB total |
2,1 |
3,2 |
2,9 |
2,2 |
- PIB marchand |
2,1 |
3,2 |
2,8 |
2,1 |
- Importations |
4,1 |
5,3 |
5,8 |
4,4 |
- Consommation des ménages |
0,7 |
1,6 |
1,8 |
2,2 |
- Investissement des entreprises |
- 0,2 |
3,4 |
3,7 |
1,9 |
- Investissement logement des ménages |
- 1,2 |
2,8 |
0,5 |
0,3 |
- Exportations |
8,7 |
7,4 |
6,7 |
4,5 |
- Variations des stocks (contribution à la croissance en points de PIB) |
|
|
|
|
* Taux de croissance annuel moyen pour les années 2000, 2001 et 2002. |
Outre certaines discordances avec la prévision du
gouvernement pour 1997 et 1998 -la contribution du commerce extérieur
est plus élevé dans la projection de l'OFCE sous l'effet d'une
hypothèse d'appréciation du dollar plus forte ; en revanche, la
contribution de la demande intérieure et moins importante- le tableau de
résultats indique que malgré une consommation des ménages
plutôt dynamique, la faiblesse des investissements des entreprises et le
retour à une situation de solde extérieur neutre viendraient
limiter la progression du PIB.
Chacun souhaite bien sûr le retour de la croissance. Mais la raison comme
la sagesse sénatoriale commandent de ne pas se cacher les aléas
défavorables que le scénario choisi semble écarter.
A. NUAGES SUR L'ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL DE LA FRANCE
Les hypothèses choisies pour décrire
l'environnement international de l'économie française lui sont
plutôt favorables : l'activité mondiale serait soutenue et
rééquilibrée au profit de l'Europe continentale ; les
conditions monétaires et financières seraient durablement
modifiées au profit de notre pays. Cette atmosphère d'optimisme
est confortée par la vision d'une insertion excellente de la France dans
cet environnement international : notre compétitivité serait
bonne ; nos performances financières et monétaires
continueraient à bénéficier d'une
crédibilité sans tache.
Malheureusement, un certain nombre de nuages pèsent sur ce ciel radieux.
S'ils venaient à éclater, ils viendraient remettre en question la
prévision de croissance associée au projet de loi de finances.
1. Les nuages monétaires et financiers
Plusieurs risques planent sur l'environnement monétaire et financier international.
a) Les éléments d'incertitude de la période transitoire vers la troisième phase de l'union économique et monétaire
L'adoption d'une monnaie unique en Europe est une chance
historique pour notre continent. Au-delà de la composante symbolique
qu'elle recèle, elle permettra de disposer d'un instrument
monétaire capable de s'imposer comme grande devise internationale. En
outre, elle réduira les frais de transaction des agents
économiques, complétant ainsi l'intégration
économique des pays européens, et viendra anéantir les
primes de risque de change subies jusqu'alors par tous les pays
extérieurs à la zone d'influence du mark.
Mais, la période nous séparant de l'institution de l'euro n'est
pas sans dangers. Les marchés qui disposent de marges de manoeuvre sans
commune mesure avec leurs capacités réelles seront,
peut-être, tentés de tester les parités des monnaies
susceptibles de contribuer à la formation de l'euro.
A cet égard, la décision prise d'émettre à leur
intention un signal fort en fixant dès mars 1998 les parités
irrévocables sur lesquelles l'euro sera construit quelques mois plus
tard n'est pas sans risques. Elle supposera de la part des banques centrales en
charge des monnaies concernées une forte coopération et sans
doute une solidarité exemplaire.
Rien ne permet de douter de celle-ci. En revanche, des interrogations
subsistent sur son efficacité et le sens que pourrait prendre la
politique monétaire dans l'hypothèse de perturbations frappant
les monnaies européennes.
b) La situation financière des Etats-Unis
Les Etats-Unis connaissent une expansion ininterrompue depuis
6 ans qui devrait aller s'accélérant encore en 1997.
L'écart de production qui mesure la différence entre la
production effective et la production potentielle, c'est-à-dire celle
qui résulterait d'un emploi non inflationniste des facteurs de
production est, au cours de ces dernières années, resté
négatif ou proche de l'équilibre. Mais, selon les chiffres de
l'organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE), il ne devrait plus en aller ainsi à partir de
1997. L'écart de production serait positif de 0,9 point en 1997 et
encore de 0,6 point en 1998 malgré une prévision de
croissance modérée, de 2 %, correspondant à un
scénario d'atterrissage en douceur de l'économie
américaine.
Ainsi, si jusqu'à présent les tensions inflationnistes n'ont
pas perturbé la croissance américaine, les prévisions
économiques deviennent moins favorables de ce point de vue.
Cette situation nouvelle alliée à la croissance importante de
l'endettement des ménages américains pourrait provoquer des
relèvements de taux d'intérêt de la part de la banque
centrale américaine.
Celle-ci pourrait au demeurant être d'autant plus tentée par de
tels relèvements que son président a, à plusieurs
reprises, estimé que la Bourse américaine avait connu une
progression exagérée.
L'écart de taux d'intérêt à court terme entre les
Etats-Unis et l'Europe pourrait donc se creuser davantage
. Cette situation
ne s'accompagnerait pas nécessairement d'une hausse des taux à
long terme si les agents devaient la considérer comme garantissant un
objectif de stabilité des prix. Si ce sentiment ne devait pas
l'emporter, une hausse des taux à long terme serait d'autant plus
probable.
Elle s'accompagnerait inévitablement d'une appréciation du dollar
sous certaines réserves -voir infra c)- ce qui serait plutôt
favorable à l'économie européenne.
Elle s'accompagnerait aussi ce qui est moins favorable, d'un ralentissement de
l'activité aux Etats-Unis sous l'effet de trois facteurs au moins :
le renchérissement des crédits, la correction boursière
qui provoquerait des effets de richesse négatifs, la
détérioration de la compétitivité extérieure
américaine.
Dans ces conditions, l'activité européenne pâtirait d'un
ralentissement de l'économie américaine probablement plus
marqué qu'il n'est escompté.
c) La situation financière des pays émergents
Les pays émergents partagent plusieurs
caractéristiques communes : des déficits extérieurs
considérables, des systèmes bancaires fragiles, des monnaies
faibles, c'est-à-dire très soumises à des aléas
extérieurs à la hausse comme à la baisse. De façon
générale, leurs économies sont très fortement
dépendantes de l'épargne extérieure et des investissements
directs étrangers.
On ne peut pas dire que l'allure de l'activité économique dans
ces pays influence considérablement l'activité économique
des grands pays occidentaux. Toutefois, elle contribue à cette
dernière et parfois -voir infra- dans des conditions non
négligeables.
En revanche, ce qui est établi, c'est que
la situation
créditrice des pays occidentaux à l'égard de ces pays rend
les économies développées très vulnérables
à l'évolution de la valeur de leurs créances
.
Autrement dit, un choc monétaire ou boursier survenant dans les pays
émergents est susceptible de pénaliser leurs créditeurs.
L'apparition de crises de change suivies de crises boursières et
bancaires dans divers pays de l'Asie du Sud-Est est un de ces chocs. Pourraient
suivre des phénomènes semblables en Amérique latine.
Outre les effets à court terme de telles crises sur la croissance des
économies concernées et leur impact direct sur la croissance des
pays développés, il y a lieu d'être préoccupé
des perturbations financières qu'elles occasionnent et qui, même
surmontées, devraient laisser place à des pertes de richesses
pour les créanciers de ces économies.
d) La politique monétaire en Europe
L'Europe qui s'apprête à constituer une zone
monétaire solide pourrait donc être confrontée à un
climat d'instabilité monétaire et financière. Les grands
pays de l'Union européenne étant créditeurs nets
pourraient subir des pertes de revenus. En outre, leur activité pourrait
être affaiblie. Mais l'essentiel est ailleurs, c'est-à-dire dans
la réaction des autorités monétaires européennes
devant la situation monétaire et financière des Etats-Unis.
D'emblée, il faut noter qu'il n'est pas sûr que les
autorités monétaires soient en mesure de s'opposer à une
hausse des taux à long terme qui constituerait, si elle devait survenir
aux Etats-Unis, le pire des scénarios.
Quant à la réaction des autorités monétaires
européennes face à un creusement de l'écart de taux
à court terme entre Etats-Unis et Europe, il n'est guère
aisé de la prévoir et encore moins de juger quelle elle devrait
être. Il apparaît toutefois que, compte tenu du niveau de
croissance en Europe, de l'orientation donnée aux politiques
budgétaires, de l'inflation sous-jacente particulièrement faible
et de la situation d'épargne des agents privés, une restriction
monétaire ne s'imposerait pas.