CHAPITRE III
LES CARACTÉRISTIQUES ESSENTIELLES
DE
L'ÉQUILIBRE PROPOSÉ
L'exercice en cours a été riche
d'épisodes budgétaires : de la note "confidentielle" de la
Direction du Budget au "testament" budgétaire d'Alain Juppé, puis
de l'audit des finances publiques à l'annonce des premières
mesures dites de redressement. De surcroît, le caractère souvent
elliptique du domaine budgétaire ne permet pas aisément de rendre
compte des évolutions d'un exercice sur l'autre.
Votre rapporteur général estime que le souci pédagogique
et surtout celui d'assurer une information en continu doivent être mieux
pris en compte pour permettre au Parlement d'exercer pleinement les
prérogatives constitutionnelles qui sont les siennes.
Plusieurs propositions présentées par votre commission en juillet
dernier à l'occasion de la publication de l'audit des finances publiques
et ci-dessous rappelées se révèlent d'une pertinence
renforcée.
Propositions de la commission des finances pour une modernisation des procédures budgétaires : les propositions de la commission des finances
Rétablir la "sincérité" de la
loi de finances
Au fil des années, la loi de finances est devenue un document à
rendre perplexe un commissaire aux comptes. Le projet présenté au
Parlement est incomplet (les fonds de concours n'y figurent pas),
contracté (près de 250 milliards de francs de
prélèvements sur recettes sont des charges n'apparaissant pas),
hétérogène (des dépenses identiques sont
traitées différemment selon qu'elles figurent au budget de l'Etat
ou dans des comptes spéciaux du Trésor).
Ainsi, le budget voté pour 1995 prévoyait 1.616 milliards de
dépenses à caractère définitif. En loi de
règlement
25(
*
)
, le
montant des charges s'est en définitive établi à
3.757 milliards de francs, soit une différence de
2.141 milliards de francs
. Il est nécessaire de faire
apparaître la réalité : le budget de l'Etat atteint
2.369 milliards en total net des crédits ouverts, et dépasse
le budget social (2.300 milliards).
Institutionnaliser la distinction entre l'investissement et le
fonctionnement.
Depuis 1992, une part du déficit budgétaire (115 milliards
de francs en 1997) finance des dépenses courantes : l'Etat
s'endette pour vivre au jour le jour. Sans en avoir conscience, nous laissons
ainsi à nos enfants le soin et la charge de régler demain nos
consommations d'aujourd'hui. Cette atteinte aux droits des
générations futures n'est pas admissible. Par analogie avec la
"règle d'or" inscrite dans la Constitution allemande, elle appelle une
réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959, identifiant la section
de fonctionnement de l'Etat et les conditions de son équilibre
obligatoire, s
eul l'investissement étant dorénavant
financé par l'emprunt.
Certifier les méthodes comptables
L'évolution rapide des phénomènes économiques ne
permet pas de comparer des projets de loi de finances à "structure
constante". Cette instabilité inévitable -mais irritante- doit
être corrigée par la présentation au Parlement, sous le
contrôle de la Cour des Comptes, d'une annexe au projet de loi de
finances recensant les modifications de présentation budgétaire.
Inspirée du principe comptable de "permanence des méthodes",
cette réforme préviendra les polémiques sur les
"débudgétisations".
Instaurer une procédure de suivi des dépenses
sociales
Le vote de la loi de financement de la Sécurité sociale implique
que le Parlement puisse en contrôler l'exécution en cours
d'année. Cela suppose la création d'indicateurs mensuels rendus
d'autant plus nécessaires que les comptes sociaux se
caractérisent par leur extrême émiettement et que les
chiffres de l'ACOSS ne sont pas rendus publics.
Accélérer la mise en oeuvre de la comptabilité
patrimoniale
L'appréciation de la fidélité des documents
budgétaires implique une amélioration de la comptabilité
patrimoniale de l'Etat, dans le sens des travaux initiés par Jean
Arthuis. En effet, les déclassements d'opérations
budgétaires en opérations de trésorerie, la mise en jeu de
la responsabilité pécuniaire de l'Etat et les systèmes de
vases communicants entre le budget général et les comptes des
entreprises publiques ne sont finalement retranscrits que dans le compte de la
dette et non dans les lois de finances. Les pertes en capital n'apparaissent
pas, et pas davantage les charges de retraite non provisionnées.
Moderniser les procédures de régulation
budgétaire
Les rapports de la Cour des Comptes fournissent, chaque année, les
exemples d'une "comptabilité créatrice" visant tant à
lisser sur plusieurs exercices, qu'à réguler en cours
d'année les flux de dépenses et de recettes. L'ordonnance de 1959
n'est plus respectée : les conditions mises à la publication
de décrets d'avance, d'arrêtés d'annulation et de textes
créant des dépenses nouvelles
26(
*
)
ne sont plus appliquées.
Elles doivent être adaptées.
En revanche, et malgré quelques améliorations récentes, le
Parlement ne peut accepter d'être mis en permanence devant des faits
accomplis, d'apprendre que des correctifs sont apportés à la loi
de finances dont l'encre est à peine sèche, voire de constater
que des crédits annulés au printemps sont rétablis
à l'automne.
Deux pistes méritent d'être
explorées
. La Cour des Comptes pourrait être saisie pour avis
du projet de loi de finances -à l'image du Conseil d'Etat- et porter un
jugement sur l'adéquation du niveau des dotations inscrites. Les
commissions des finances devraient être appelées à
débattre des régulations mises en oeuvre.
Fixer un nouveau rendez-vous budgétaire
Les grandes entreprises arrêtent des comptes semestriels. L'Etat ne
s'impose pas cette discipline. Il convient donc que le Parlement soit saisi, en
fin de premier semestre, d'un état commenté de l'exécution
des comptes publics, analogue au travail commandé aux deux magistrats de
la Cour des Comptes
27(
*
)
-dont
l'élaboration pourrait être confiée à la Cour dans
l'esprit de l'article 47 de la Constitution. Un jugement politique pourra
alors être porté sur la pertinence de l'exécution de la loi
de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale.
I. L'ÉQUILIBRE PROPOSÉ REPOSE SUR UNE AGGRAVATION DE LA PRESSION FISCALE
A. CETTE AGGRAVATION EXPLIQUE LE MODE DE CONSTRUCTION DU BUDGET
Ainsi qu'il a été dit, la présentation
des chiffres faite par le ministère des Finances ne rend pas
aisées les comparaisons ; elle ignore l'exigence de clarté
que s'impose le législateur. Cette opacité suscite des
controverses qui obscurcissent les débats de fond.
On peut ainsi s'interroger sur les raisons pour lesquelles un budget
réputé "infaisable" en début d'année est devenu
finalement -en apparence- presque simple à boucler au mois de septembre.
La réponse est simple. Le choix politique que traduisent les conditions
de l'équilibre budgétaire est radicalement inversé.
L'objectif du précédent gouvernement était : moins de
dépenses pour moins d'impôts. Le choix arrêté par le
nouveau gouvernement est plus d'impôts pour ne pas réduire les
dépenses.
1.
Le projet de loi de finances pour 1998 présente donc un solde
de budget général en amélioration de
21,8 milliards de francs
(de 284,1 à 262,3). Pour
apprécier son amélioration "réelle" de 59,3 milliards
de francs, il convient d'ajouter la recette non reconductible de la soulte
France Télécom de
37,5 milliards de francs
Mais cette amélioration du déficit est réalisée au
moyen d'un alourdissement des impôts.
2.
Les principales décisions d'alourdissement fiscal sont les
suivantes :
(En milliards de francs)
A. Abandon du
programme
quinquennal de réduction de
l'impôt sur le revenu adopté l'année dernière, soit
une économie :
|
16,2
|
3.
Le rapprochement de ces deux masses
financières (59,3 et 50,7 milliards) illustre la façon dont
le budget pour 1998 a été globalement construit :
- abandon de la loi de programmation militaire ;
- abandon de la programmation de réduction d'impôts sur le
revenu
- accroissement massif de la
pression
fiscale ;
Le surplus étant offert par la croissance en 1998 qui
générera de bien précieuses recettes
supplémentaires par l'effet de l'évolution spontanée.
L'amélioration du solde résulte donc bien d'un accroissement
des recettes et non d'une maîtrise des dépenses.