II. L'ACCORD DE COOPÉRATION : UN DISPOSITIF DEVENU INDISPENSABLE POUR ACCOMPAGNER LE DÉVELOPPEMENT DES RELATIONS ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET LA CORÉE
D'une part l'accord fixe les principes d'une coopération diversifiée et mieux organisée, d'autre part, il permet de jeter les bases d'un accord pour régler des questions sectorielles, sources de contentieux.
A. UN DISPOSITIF DESTINÉ À DIVERSIFIER LA COOPÉRATION ET MIEUX ORGANISER LES ÉCHANGES ÉCONOMIQUES
L'accord cadre poursuit deux objectifs principaux : la diversification des relations entre les deux partenaires, une organisation des relations commerciales favorable au développement des échanges. Aussi le texte comprend-il deux grands volets : le premier couvre un vaste spectre de coopérations, le second pose les principes d'une plus grande ouverture des marchés.
1. Un large spectre de coopération
L'accord prévoit trois grands axes de
coopération : politique, économique et technique.
Conformément à la "nouvelle génération" des accords
de coopération négociés par l'Union européenne, le
texte signé avec la Corée comprend d'abord un aspect politique.
Il vise en effet à instituer un "dialogue politique régulier
basé sur des valeurs et aspirations partagées" (art. 3).
Même si la formule relative aux "valeurs partagées" peut
paraître plutôt vague, la référence au "respect des
principes démocratiques et des droits de l'homme" en éclaire le
contenu.
Que cette clause des "droits de l'homme" souhaitée par l'Union
européenne ait été acceptée par la partie
coréenne paraît révélatrice du nouvel
équilibre politique instauré en Corée. Le renforcement de
l'Etat de droit et d'une vie politique pluraliste a constitué l'une des
lignes d'action de M. Kim Young-Sam, premier président civil depuis
trente ans, élu en 1993 dans des conditions démocratiques. Le
chef de l'Etat dont le mandat expire à la fin de cette année a
d'ailleurs pu s'appuyer sur la constitution du 29 octobre 1987 dont le
préambule se réclame de "l'ordre fondamental libre et
démocratique".
Même si l'Union européenne et la Corée partagent
désormais des valeurs communes, et il convient de s'en réjouir,
il restera à donner un contenu concret à ce "dialogue politique"
dont l'expérience montre trop souvent qu'il se réduit à
une coquille vide.
Aujourd'hui, compte tenu du contexte géostratégique propre
à cette région, le partenaire privilégié de la
Corée demeure les Etats-Unis. Toutefois, il convient de le souligner,
l'Union européenne a accepté de rejoindre le Conseil
exécutif de la KEDO, organisme chargé de fournir deux centrales
nucléaires à la Corée du Nord en échange de
l'arrêt de son programme nucléaire militaire. Elle participera au
financement de cette opération à hauteur de 15 millions
d'écus par an sur les cinq prochaines années.
Au chapitre de la coopération économique et industrielle, les
deux parties s'efforcent de "promouvoir des investissements mutuellement
avantageux et établir un climat propre à l'investissement".
Aujourd'hui, malgré l'ouverture progressive de la Corée depuis
quelques années, les investissements étrangers jouent un
rôle limité dans l'économie coréenne -ils ne
représentent guère que 0,6 % du PNB avec 3,2 milliards de
dollars soit, il est vrai, une hausse de 50 % par rapport à
l'année précédente.
1996 - Répartition des flux par pays (en Mio USD)
Répartition par pays |
Flux d'investissement |
en % |
USA |
876 |
27 |
Japon |
254 |
8 |
Malaisie |
672 |
21 |
Hong Kong |
228 |
7 |
Union européenne |
892 |
27,8 |
Pays Bas |
205 |
6 |
Grande-Bretagne |
79 |
2 |
Irlande |
410 |
13 |
RFA |
95 |
3 |
France |
90 |
3 |
Comme le montre le tableau précédent, la part
des investissements français en Corée pour 1996 demeure
réduite : elle a connu cependant une forte progression par rapport
à 95 (où le flux ne dépassait pas 36 millions de dollars)
tout en demeurant très concentrée -la chimie représentant
80 % des flux-.
L'accord couvre plusieurs autres domaines de coopération comme c'est
désormais l'usage pour les textes de ce type signés par l'Union
européenne. Même si on peut douter de sa portée pratique,
il y a là du moins une base juridique utile pour des coopérations
qui pourront se développer à l'avenir. Quelques
expériences intéressantes ont déjà
été conduites : citons, au chapitre de la science et de la
technologie, l'extension en Corée du réseau informatique et de
consultant (" Business coopération network ")
créé par l'Union européenne pour aider les PME à
trouver des partenaires et clients internationaux, ou encore, au titre de
l'environnement, le séminaire organisé à Séoul du
30 septembre au 3 octobre dernier pour permettre un échange de
vues entre les experts des différents pays et faciliter les contacts
entre les entreprises de ce secteur et leurs partenaires ou clients
coréens. En matière de formation professionnelle, des programmes
de formation des cadres sont envisagés.
Il n'existe toutefois pas, comme ce peut être le cas avec d'autres
partenaires de l'Union européenne, un programme précis de
coopération. La Corée ne relève pas en effet de la
catégorie des pays en développement, elle ne dispose pas par
ailleurs d'une ligne budgétaire spécifique et substantielle dans
le cadre d'une action prioritaire en faveur d'un "pays cible" comme
le Japon.
Ainsi, l'enveloppe réduite (300 000 écus en 1997),
allouée à la Corée fixe des bornes assez étroites
au développement de la coopération entre les deux parties.
Le volet de l'accord consacré à la coopération commerciale
présente du moins à court et moyen terme, un impact plus
assuré sur les relations entre les deux parties dont la dimension
économique apparaît pour longtemps encore prédominante.
2. Un cadre nécessaire pour l'ouverture respective des marchés
L'accord consacre d'abord l'engagement souscrit par les
signataires au titre de leur adhésion à l'OMC de s'accorder
mutuellement le traitement de la nation la plus favorisée. En outre,
"les parties contractantes s'engagent à améliorer les conditions
d'accès au marché (...). Elles s'engagent à oeuvrer pour
l'élimination des obstacles aux échanges, en particulier en
supprimant en temps voulu les barrières non tarifaires" (art. 5, par.
1). Au chapitre de la coopération commerciale, votre rapporteur
souhaiterait souligner deux aspects qui lui paraissent plus
particulièrement importants : d'une part, l'"accès au
marché pour les services, tels que les services financiers ou les
télécommunications", d'autre part, la protection de la
propriété intellectuelle, industrielle et commerciale.
La Communauté européenne et la Corée ont toutes deux
adhéré à l'accord multilatéral sur les
marchés publics destinés à garantir aux signataires une
ouverture réciproque des marchés, l'application du principe de
base dans l'ouverture et la procédure de marchés publics.
Cependant ce cadre général appelait un renforcement, sur une base
bilatérale, dans des secteurs aussi cruciaux pour l'industrie
européenne que les télécommunications. C'est pourquoi il
convient de se réjouir de la signature d'un accord bilatéral
entre la Communauté et la Corée sur les marchés des
télécommunications pour permettre à l'une et l'autre
partie de bénéficier d'un traitement national pour les
marchés dépassant certains seuils et favoriser la transparence et
la non discrimination dans les procédures de passation de
marchés. Dans le cadre de ce dispositif, la procédure des
marchés publics s'applique désormais à la compagnie Korean
Telecom, entreprise publique qui détient environ 80 % du
marché des équipements de réseaux.
L'ouverture des marchés pour les services -secteur où la France,
on le sait, peut faire valoir un savoir-faire reconnu- doit demeurer une
priorité et l'accord de coopération procure à cet
égard une garantie utile.
De même, l'accord cadre avec la Corée, rappelle utilement le
principe de protection de la propriété intellectuelle,
industrielle et commerciale. En effet, même si la Corée a souscrit
aux différents accords internationaux relatifs à la protection de
la propriété, elle connaît encore un problème
important de contrefaçon.
La Corée a adhéré à plusieurs textes :
- convention de Paris pour la protection de la propriété
industrielle (Acte de Stockholm 1967),
- convention internationale pour la protection des producteurs de phonogrammes
contre la production non autorisée de leurs phonogrammes (Genève,
1971),
- traité de Budapest sur la reconnaissance internationale du
dépôt de micro-organismes aux fins de la procédure en
matière de brevets (1977).
En outre, lors de son adhésion à l'OMC, la Corée avait
souhaité bénéficier du statut de pays en
développement qui lui permettait notamment de mettre en application de
façon échelonnée -jusqu'à l'an 2000- les
dispositions prévues en matière de propriété
industrielle par les accords de Marrakech. Toutefois, après son
adhésion à l'OCDE, la Corée a pris rang au sein de la
catégorie des pays développés et partant, a du renoncer
à la période de transition en appliquant dès son
intégration à l'OCDE les dispositions de l'accord OMC relatives
à la propriété intellectuelle.
Par ailleurs, l'accord-cadre (art. 9) lui fait obligation d'adhérer "le
plus rapidement" à l'ensemble des textes multilatéraux
intéressant le droit de propriété dont une liste est
annexée à l'accord.
La contrefaçon des articles de maroquinerie et du logo de la
société Chanel paraît à cet égard exemplaire.
Malgré une action en justice et le soutien de l'ambassade et du poste
d'expansion économique français, l'Institut d'enregistrement des
marques en Corée (KIPO) n'a pas mis beaucoup d'empressement à
démanteler les filières de contrefacteurs et à saisir les
articles délictueux aux aéroports. Du reste, même lorsque
le KIPO se montre plus rigoureux, la justice coréenne désavoue
cet organisme en acceptant la marque et les logos des contrefacteurs.
L'accord-cadre constituera un atout supplémentaire pour régler
une question qui intéresse naturellement au premier chef notre
pays
3(
*
)
. Surtout, il importe de
développer une coopération concrète dont la collaboration
entre l'Institut coréen et son homologue français constitue un
exemple encourageant.
De façon plus générale, les parties conviennent de
promouvoir la coopération en matière de réglementation
technique et de normes (art. 10). Un séminaire permettra, à
Bruxelles, de présenter les normes coréennes aux entreprises
européennes. Une action comparable sera conduite en Corée.
Au-delà du seul volet commercial, l'accord-cadre comprend
également plusieurs dispositions d'ordre sectoriel. Ainsi, il cherche
à encourager la coopération dans les domaines de l'agriculture et
de la pêche, et à favoriser l'harmonisation des mesures sanitaires
et phytosanitaires. Surtout, il fait un sort particulier à deux
activités importantes pour la Corée comme pour l'Union
européenne : le transport maritime et la construction navale.
B. UNE CLARIFICATION UTILE DANS DEUX SECTEURS, SOURCES DE CONTENTIEUX : LE TRANSPORT MARITIME ET LA CONSTRUCTION NAVALE
1. Les transports maritimes : un enjeu important
Par son importance, la flotte coréenne se classe au
quinzième rang mondial. Sa position apparaît
particulièrement forte dans le trafic de ligne où elle occupe la
dixième place avec quelques grands armements -comme Hanjin,
sixième mondial- qui font escale régulièrement dans les
ports européens. Du reste, Hanjin assure désormais une partie
importante du trafic entre l'Union européenne et la Corée. Elle a
pu en effet tirer parti d'un dispositif contraignant fondé sur des
réservations de cargaison
pour des marchandises de vrac (minerai
de fer, charbon, gaz liquéfié) par lesquelles la Corée
réserve à ses armateurs tout ou partie des cargaisons
importée ou exportées sur son territoire.
C'est précisément ce dispositif que l'accord-cadre vise à
remettre en cause. Il pose en effet le principe d'"un accès
illimité au marché et au trafic maritime international dans des
conditions de concurrence loyale sur une base commerciale" (art. 7). Ainsi,
l'accord-cadre engage la Corée à prendre les mesures
nécessaires "pour éliminer progressivement les réserves de
cargaison pratiquées sur certains produits en vrac pour les navires
battant pavillon coréen pendant une période de transition qui
prendra fin le 31 décembre 1998."
Dès lors les parties s'abstiennent d'introduire dans les accords
bilatéraux des clauses de partage par lesquelles les Etats signataires
réservent à leurs armateurs la totalité ou une partie des
marchandises transportées par voie maritime dans leur commerce
bilatéral. Elles s'abstiennent par ailleurs d'adopter des mesures
discriminatoires qu'elles soient de nature législative, administrative
ou technique et accordent aux navires exploités par des particuliers ou
des entreprises de l'autre partie un traitement aussi favorable que celui
réservé à leurs propres navires.
2. La construction navale : réduire le déséquilibre structurel entre l'offre et la demande
La production des chantiers navals coréens
représente 20 % de la construction navale, une part comparable
à celle occupée par la production européenne. Cette
similitude ne doit toutefois pas dissimuler deux évolutions
contradictoires : une forte augmentation des capacités de production
pour la Corée, une forte contraction pour l'Union européenne (de
45 à 20 %). Dans la mesure où la part des autres
grands constructeurs est restée stable (notamment la part du Japon
maintenue à hauteur de 40 % de la production mondiale) la
percée de la Corée s'est faite au détriment des
constructeurs européens.
L'accord-cadre, s'il ne mettra naturellement pas fin aux ambitions
coréennes, pourra toutefois contribuer à les canaliser et, en
tout cas, fournir un cadre utile pour la nécessaire concertation entre
européens et coréens sur ce sujet. En effet, l'accord appelle les
signataires à coopérer et à promouvoir des "conditions de
marché loyales et concurrentielles" ; en outre, après avoir
évoqué "le déséquilibre structurel important entre
l'offre et la demande et la tendance au déclin de l'industrie mondiale
de la construction navale", l'article 8 du texte engage les parties
à ne prendre aucune initiative et n'adopter "aucune mesure pour soutenir
leur industrie de la construction navale, qui serait de nature à fausser
la concurrence ou à permettre à la construction navale de leur
pays d'échapper à des difficultés futures".
A cet égard, le texte fait référence à l'accord
OCDE sur la construction navale du 21 décembre 1994, ratifié par
l'Union européenne et par la Corée mais encore non entré
en vigueur faute de ratification par les Etats-Unis -qui avaient pourtant
été les initiateurs de cette négociation. L'accord OCDE
fondé sur le constat de la surcapacité mondiale recommandait la
mise en oeuvre des disciplines particulières par lesquelles les membres
de l'OCDE s'engageaient à ne pas soutenir l'accroissement des
capacités ou le maintien de chantiers en difficulté.
Dans une déclaration unilatérale annexée à
l'accord-cadre avec la Corée, la Communauté européenne
rappelle justement les termes de la déclaration qu'elle avait faite
à Paris lors de la conclusion des négociations de l'accord de
l'OCDE. Les Quinze avaient appelé les autorités coréennes
à s'abstenir de toute action qui pourrait favoriser la mise en oeuvre
par les chantiers navals de ce pays de leurs projets d'accroissement de leurs
capacités et à annoncer publiquement qu'elles ne les aideront pas
en cas de difficultés. Dans l'hypothèse où l'un des
signataires de l'accord OCDE ne respecterait pas ses engagements, l'Union
européenne aurait recouru à ces instruments de politique
commerciale.
Dans l'attente de l'entrée en vigueur de l'accord de l'OCDE,
l'accord-cadre permettra à l'Union européenne de rappeler
à la Corée à ses engagements. Au-delà, il pose les
bases d'un dialogue bilatéral dont on peut attendre plus de
résultats sans doute que les procédures de consultation
fixées par l'OCDE toujours menacées de se perdre dans les
méandres de la négociation multilatérale.