TRAVAUX DE LA COMMISSION
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a consacré deux réunions de commission à l'examen du présent projet de loi :
A. AUDITION DE M. ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DÉFENSE
La commission a entendu le mardi 9 septembre 1997 M. Alain
Richard, ministre de la défense.
Présentant le projet de loi portant réforme du service national,
M. Alain Richard a rappelé que le Gouvernement avait
décidé de mener à son terme, selon le calendrier
prévu, la professionnalisation des armées et qu'à ce
titre, une loi était absolument nécessaire, notamment pour donner
une base juridique à la suspension de l'appel sous les drapeaux des
jeunes nés après le 1er janvier 1979. Il a estimé que le
dépôt d'un nouveau projet de loi était justifié par
l'ouverture d'une nouvelle législature et qu'il s'imposait par ailleurs
par le fait que, sur un certain nombre de points de fond, le Gouvernement
envisageait des dispositions différentes de celles du projet de loi
déposé par son prédécesseur. Le ministre a
néanmoins précisé que sur de nombreux autres points, tels
que le régime des dispenses durant la période de transition, le
nouveau projet de loi tenait compte des débats déjà
intervenus au Parlement.
M. Alain Richard a par ailleurs indiqué que la question des
réserves ferait l'objet d'un projet de loi distinct, qui serait
vraisemblablement déposé dans les premiers mois de 1998.
Le ministre a ensuite présenté les principales dispositions du
nouveau projet de loi, qui répondait à trois impératifs :
maintenir les liens entre l'armée et la nation, préserver la
possibilité d'une remontée en puissance de la conscription et
pourvoir au remplacement des appelés effectuant des missions
d'intérêt général.
Le dispositif du projet de loi, a-t-il précisé, s'organisait
autour de la suspension de l'appel sous les drapeaux, de l'obligation du
recensement à partir de 16 ans, du principe de l'information des jeunes
Français sur la défense au cours de leur scolarité et de
l'instauration d'une journée d' "appel de préparation
à la défense " effectuée entre 17 et 18 ans et
organisée de manière très déconcentrée, dans
le cadre du département.
M. Alain Richard a en outre précisé que le projet de loi donnait
une base législative à la préparation militaire ainsi
qu'au volontariat sous statut militaire pour des emplois d'une durée
d'un an renouvelable cinq fois.
Enfin, il a indiqué que le projet de loi organisait la phase de
transition -en assouplissant notamment le régime des dispenses- et
contenait des dispositions diverses telles que celles relatives à la
protection de l'Etat vis-à-vis des militaires concernés par des
procédures judiciaires et à l'adaptation du code de justice
militaire au nouveau code de procédure pénale, qui pourrait
être effectuée par voie d'ordonnance.
Le ministre de la défense a ensuite répondu aux questions des
commissaires.
M. Serge Vinçon est intervenu pour regretter qu'un bilan de santé
ne figure pas parmi les objectifs de l'appel de préparation à la
défense, alors même que la représentation nationale avait,
au cours du débat organisé au printemps 1996, jugé
indispensable de maintenir une expertise sur l'état sanitaire de la
jeunesse, et que le précédent projet de loi avait prévu un
tel bilan de santé dans le cadre du " rendez-vous citoyen ".
Puis M. Serge Vinçon s'est interrogé sur le suivi
susceptible d'être mis en oeuvre, après le dépistage de
l'illettrisme prévu au cours de l'appel de préparation à
la défense. Soulignant le paradoxe consistant à dénommer
" appel de préparation à la défense " une
institution dont les participants n'auraient pas le statut d'appelés, M.
Serge Vinçon a souhaité connaître les conséquences
juridiques de ce choix. Il s'est également étonné que le
présent projet de loi ne prévoit pas la création d'une
institution comparable au " Haut conseil du service
national " qui,
dans le cadre du précédent projet de loi, était notamment
destiné à contrôler les associations susceptibles
d'accueillir des volontaires. M. Serge Vinçon a aussi
interrogé le ministre de la défense sur l'organisation et le
coût des préparations militaires, et sur le lien entre
l'accomplissement d'une préparation militaire d'une part, et, d'autre
part, la souscription d'un volontariat dans les armées ou d'un contrat
de réserviste.
M. Jean Clouet a rappelé les réticences que lui avait
inspiré le " rendez-vous citoyen ". Constatant que, selon
lui,
l'appel de préparation à la défense procédait d'une
démarche comparable, tout en s'appuyant sur une durée largement
réduite, il a jugé que cette institution pouvait être
remise en cause sans grand préjudice. M. Jean Clouet s'est
également étonné que le recensement devienne, deux ans
avant l'âge de la majorité, une étape solennelle et
obligatoire du nouveau service national, alors même que serait
automatique l'inscription sur les listes électorales, qui constituait
pourtant un moment décisif de l'accession à la
citoyenneté.
M. Nicolas About, rejoignant les remarques présentées par
M. Serge Vinçon sur l'absence de bilan de santé au cours de
l'appel de préparation à la défense, s'est
interrogé sur les modalités de la participation de
l'éducation nationale à l'enseignement des principes de la
défense nationale, dans le cadre des programmes des
établissements scolaires. Il s'est également demandé s'il
était possible d'organiser une telle initiation pour les jeunes qui
auraient quitté l'école dès l'âge de seize ans.
Tout en exprimant son accord avec les principes qui sous-tendent le projet de
loi et tout en jugeant impossible de revenir sur la décision de
professionnalisation des armées annoncée par le Chef de l'Etat le
22 février 1996, M. Bertrand Delanoë a souligné la
nécessité d'adopter des principes clairs et des dispositions
nouvelles permettant une véritable refondation du lien
armée-nation dans le cadre de la professionnalisation. Revenant sur la
détection de l'illettrisme dans le cadre de l'appel de
préparation à la défense, il s'est déclaré
peu convaincu de l'opportunité d'effectuer cette expertise dans un cadre
militaire. Il a d'ailleurs exprimé, à l'égard de l'appel
de préparation à la défense, le même scepticisme
qu'à l'égard du rendez-vous citoyen, se demandant s'il ne serait
pas plus pertinent de consacrer au titre V du budget de la défense
les crédits destinés à financer ces institutions. Il a en
revanche souligné, entre autres progrès, l'amélioration
apportée par le présent projet de loi en ce qui concerne la
rémunération des volontaires.
M. Jean-Luc Bécart a alors regretté que la décision
présidentielle annoncée le 22 février 1996 ait
conduit l'opinion publique à considérer comme acquise la
suppression du service national obligatoire. Il a déploré que
n'ait pas été recherchée une rénovation profonde de
celui-ci. Il a néanmoins jugé positives, dans le cadre du
présent projet de loi, l'initiation aux questions de défense
prévue au sein des établissements scolaires et la
référence aux préparations militaires, tout en regrettant
que celles-ci n'aient pas été rendues obligatoires.
M. Michel Rocard a interrogé le ministre de la défense sur
l'avenir des modalités civiles actuelles d'accomplissement du service
national (volontaires du service national en entreprise, aide technique,
coopération...) dont il a souligné le rôle éminent.
Il a regretté que la réforme du service national ne se soit pas
traduite par le maintien d'une année d'obligation nationale, selon des
modalités faisant une très large part aux services civils.
M. Michel Caldaguès a estimé que si les armées devaient,
à travers la détection de l'illettrisme prévue au cours de
l'appel de préparation à la défense, remédier aux
carences du système éducatif, il serait naturel qu'elles puissent
participer à l'initiation aux principes de défense qui devrait
être organisée dans le cadre scolaire.
Après avoir à son tour souligné l'intérêt des
missions accomplies à l'étranger par des appelés, M.
Jacques Habert a souhaité obtenir des informations sur les
modalités pratiques d'accomplissement de l'appel de préparation
à la défense par les jeunes Français résidant
à l'étranger qui, d'après le projet de loi, seraient tous
assujettis à cette obligation.
M. Xavier de Villepin, président, a interrogé le ministre de la
défense sur le projet de loi qui doit être ultérieurement
déposé sur les volontariats civils. Il a souhaité savoir
quel ministère prendrait en charge l'élaboration de ce projet. Il
a également posé la question du financement des volontariats
civils, rappelant les réticences traditionnelles des organismes
d'accueil des appelés actuels à couvrir les dépenses
liées à l'emploi de ceux-ci. M. Xavier de Villepin,
président, s'est également interrogé sur l'incidence de
l'augmentation de la rémunération des volontaires dans les
armées sur le budget de la défense. Il a souhaité
connaître quelles missions seraient confiées à ces
volontaires. Avec M. Serge Vinçon, il s'est demandé si le
volontariat militaire pourrait être accompli de manière
fractionnée, comme le prévoyait le précédent projet
de loi. M. Xavier de Villepin, président, s'est interrogé sur
l'attitude de la gendarmerie à l'égard du volontariat militaire
tel qu'il est encadré par l'actuel projet de loi.
M. Alain Richard a alors répondu aux questions des commissaires, tout en
rappelant que certains aspects de la réforme du service national -tels
que la réflexion sur le lien armée-nation- ne relevaient pas du
domaine législatif.
Répondant à MM. Serge Vinçon et Nicolas About sur
l'absence de bilan de santé dans le cadre de l'appel de
préparation à la défense, M. Alain Richard a
rappelé la différence de nature essentielle qui distinguait la
logique des "trois jours", où l'examen médical est destiné
à déterminer l'aptitude militaire des jeunes, de l'expertise
prévue par le précédent projet de loi dans une perspective
de santé publique. Il a jugé que, même dans
l'hypothèse de la préparation d'une éventuelle
remontée en puissance de la conscription, organiser un examen de
santé dans le cadre de l'appel de préparation à la
défense répondrait à un bilan coût-efficacité
peu convaincant, eu égard aux délais considérables qui
sépareraient très vraisemblablement l'accomplissement de l'appel
de préparation à la défense d'un éventuel retour
à la conscription. Il s'est, par ailleurs, interrogé sur
l'opportunité d'utiliser un outil militaire en vue d'une
opération de santé publique ; il a à cet égard
estimé que, si les réflexions du Gouvernement quant à la
politique de santé publique en faisaient ressortir le besoin, un projet
de loi ultérieur pourrait rendre obligatoire la présentation d'un
certificat médical par les jeunes convoqués à l'appel de
préparation à la défense. Par ailleurs, le ministre a
rappelé que le bilan de santé prévu dans le cadre du
rendez-vous citoyen induisait l'organisation concentrée de celui-ci dans
dix centres seulement, alors même que l'option retenue en vue de la mise
en oeuvre de l'appel de préparation à la défense
s'appuyait sur le recours à 150 ou 200 centres répartis sur
le territoire national.
M. Alain Richard a ensuite, en réponse à M. Serge Vinçon,
affirmé que le suivi de la détection de l'illettrisme
prévue dans le cadre de l'appel de préparation à la
défense serait confié à l'Education nationale, qui
pourrait proposer aux jeunes concernés la participation à des
formations complémentaires. Le ministre de la défense a ensuite
précisé que les jeunes convoqués à l'appel de
préparation à la défense auraient le même statut que
les personnes se rendant à une convocation de l'administration, le
maintien du statut spécifique d'appelé étant dès
lors, selon lui, inutile. M. Alain Richard a par ailleurs indiqué que
les préparations militaires seraient organisées pendant les fins
de semaine et les vacances scolaires dans au moins un centre par région,
et s'adresseraient aux jeunes les plus motivés ; elles ne seraient pas
une condition d'accès aux volontariats dans les
armées ; l'encadrement y serait assuré par des
militaires de carrière et par des réservistes.
Répondant aux objections de M. Jean Clouet, le ministre de la
défense a justifié l'obligation du recensement, que certes les
fichiers scolaires auraient permis de rendre automatique, par la
nécessité de faire comprendre aux jeunes que l'appartenance
à la nation induit certaines contraintes, et par la possibilité
d'assimiler le recensement à un élément déterminant
du cheminement vers la citoyenneté. Le ministre a également
indiqué qu'aucun fichier ne permettait, à ce jour, d'inscrire
automatiquement les jeunes sur les listes électorales, le fichier de la
sécurité sociale ne faisant pas mention de la nationalité.
Il a, par ailleurs, jugé plus pertinent de débattre de la bonne
utilisation de l'appel de préparation à la défense que de
sa suppression, rappelant que celle-ci ne générerait qu'une
économie très limitée.
En réponse à MM. Michel Caldaguès et Nicolas About sur
l'enseignement des principes de la défense nationale dans le cadre des
établissements scolaires, M. Alain Richard a rappelé le
souci exprimé notamment au Sénat, dès le printemps 1996,
dans le cadre du débat sur l'avenir du service national, de
développer l'enseignement de l'histoire et de l'instruction civique afin
de renforcer l'esprit de défense dès la scolarité. Il a
également estimé souhaitable d'actualiser la convention conclue
entre les ministères de l'éducation nationale et de la
défense, jugeant par ailleurs que l'enseignement de la défense
pouvait concerner plusieurs disciplines, et que la représentation
nationale devrait en apprécier le contenu. Enfin, le ministre de la
défense a indiqué que, après l'âge de la
scolarité obligatoire, l'enseignement des principes de la défense
pourrait être dispensé dans le cadre des diverses formations
suivies par les jeunes.
S'agissant de la refondation du lien armée-nation, M. Alain Richard a
rappelé la préoccupation exprimée par certains militaires
du fait de la disparition du service national obligatoire. Le renforcement de
la participation des militaires à la vie locale, notamment à
travers la participation à des activités associatives, pourrait
constituer l'un des moyens de fonder les relations entre la
société et l'armée sur des bases renouvelées, de
même que les missions de service public assurées par les
militaires et les services susceptibles d'être rendus à la
collectivité par des réservistes. De manière
générale, le ministre de la défense a jugé
nécessaire que la politique de communication des armées s'adapte
au contexte issu de la professionnalisation.
Soulignant la sincérité du point de vue exprimé par M.
Jean-Luc Bécart au nom du groupe communiste, républicain et
citoyen, M. Alain Richard a jugé indispensable de rendre les
préparations militaires les plus attractives possibles, afin que la
professionnalisation n'empêche pas la participation du citoyen à
la défense.
Répondant aux questions de MM. Xavier de Villepin, président,
Jacques Habert et Michel Rocard sur les volontariats susceptibles d'être
accomplis à l'étranger, le ministre de la défense a
rappelé que la plupart des futurs appelés concernés par
ces modalités d'accomplissement du service national étant
actuellement en report d'incorporation, la ressource était
assurée au moins jusqu'en 1999. D'ici cette échéance, le
cadre législatif des futurs volontariats à l'étranger
devrait donc être élaboré. Compte tenu du fait que les
missions accomplies dans ce contexte relèvent de l'intérêt
général, ces différents volontariats devraient, a
estimé le ministre, figurer dans le futur code du service national. En
revanche, les volontariats qui, dans le cadre du précédent projet
de loi, concernaient des missions d'intérêt général
et de solidarité accomplies en France recouvraient, a
précisé M. Alain Richard, les "emplois jeunes" et ne sauraient de
ce fait relever du service national.
Précisant, à la demande de M. Xavier de Villepin,
président, les missions des volontaires dans les armées, le
ministre de la défense a estimé que ceux-ci seraient le plus
souvent des militaires du rang et que leurs emplois correspondraient à
des postes de soutien. M. Alain Richard n'a d'autre part pas exclu qu'un
service fractionné puisse être proposé aux volontaires les
plus qualifiés. Il a, par ailleurs, souligné
l'intérêt que présentait désormais le volontariat
pour la gendarmerie, par rapport aux conditions restrictives que
prévoyait le précédent projet de loi.
Enfin, le ministre de la défense, en réponse à M. Jacques
Habert, a précisé les conditions d'accomplissement de l'appel de
préparation à la défense par les jeunes Français
établis à l'étranger, estimant que les contraintes propres
à certains pays d'accueil pourraient justifier que l'appel de
préparation à la défense se traduise, le cas
échéant, par l'envoi de documents aux jeunes assujettis.