TRAVAUX DE LA COMMISSION
A. AUDITIONS DE LA COMMISSION
1. Audition de M. Charles Millon, ministre de la Défense
La commission a entendu le mardi 10 décembre 1996 M. Charles Millon, ministre de la défense.
Le ministre a fait observer que la réforme du service national s'inscrivait dans le cadre plus vaste de la réforme des armées annoncée par le Chef de l'Etat le 22 février 1996. Il a rappelé les conclusions des travaux sur l'avenir du service national conduits au Sénat par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et à l'Assemblée nationale, par la mission d'information commune sur le service national. M. Charles Millon a souligné que le projet de loi portant réforme du service national s'appuyait sur les conclusions de ces travaux parlementaires. Ceux-ci avaient, dans chacune des deux Assemblées, constaté que le passage à l'armée professionnelle était largement justifié, que la nécessité de réformer le service national était liée à l'évolution de nos besoins en matière de défense et au fait que le service national ne répondait plus actuellement à sa fonction sociale, pas plus qu'il ne permettait de respecter les principes d'égalité et d'universalité. Par ailleurs, tant l'Assemblée nationale que le Sénat avaient insisté sur l'attachement des Français au lien armées-nation. Enfin, la seule hypothèse qui avait paru pouvoir être retenue était celle d'un service volontaire, précédé d'une courte période obligatoire pour tous, et assorti du maintien du principe de la conscription.
Le projet de loi portant réforme du service national tenait très largement compte, a souligné M. Charles Millon, de ces diverses conclusions : il maintenait le principe de conscription, tout en suspendant l'appel sous les drapeaux ; il maintenait l'obligation du recensement, qui devait être étendue aux jeunes filles à partir de 2001 ; il créait une période obligatoire de cinq jours, le rendez-vous citoyen, pendant lequel seraient proposées aux jeunes gens, puis aux jeunes filles à partir de 2003, une évaluation médicale, scolaire et professionnelle ainsi qu'une information civique et une orientation professionnelle ; le service national devenait volontaire, ce volontariat étant accessible tant aux jeunes gens qu'aux jeunes filles.
Enfin, le ministre de la défense a fait observer que le projet de loi visait également à aménager la période de transition, pendant laquelle serait progressivement mis en place le nouveau service national, tandis que le service national dans sa forme actuelle irait jusqu'à son terme.
Revenant ensuite sur l'obligation de recensement, M. Charles Millon a mentionné que l'âge de ce recensement serait ramené de dix-sept à seize ans et que des sanctions seraient prévues contre ceux (et celles) qui n'auraient pas satisfait à cette obligation.
S'agissant du rendez-vous citoyen, le ministre de la défense a insisté sur l'originalité de cette institution, qui s'intégrerait dans le parcours de formation civique des jeunes citoyens et qui, dans le respect des principes d'égalité et d'universalité, se déroulerait en trois phases. La phase d'évaluation (médicale, scolaire et socio-professionnelle) constituerait une deuxième chance pour certains jeunes exclus du système scolaire et de la formation professionnelle. La deuxième phase porterait sur l'information civique de la jeunesse, ainsi sensibilisée aux enjeux de la défense, aux principes qui fondent la République et à la portée de l'engagement citoyen. Au cours du rendez-vous citoyen, les jeunes seraient également informés des différentes formes de volontariat (sécurité-défense, cohésion sociale-solidarité, coopération internationale-aide humanitaire). Le rendez-vous citoyen, a enfin souligné le ministre de la défense, s'inscrirait dans un parcours d'insertion sociale, et permettrait à certains jeunes marginalisés de renouer un lien avec la nation.
Abordant ensuite l'organisation du rendez-vous citoyen, M. Charles Millon a évoqué les douze centres qui seraient installés sur le territoire métropolitain ainsi que ceux qui seraient mis en place dans les DOM-TOM. Il a indiqué que des centres expérimentaux seraient ouverts dès juillet 1997 successivement à Mâcon, Compiègne-Cambrai et Nîmes-Tarascon.
Abordant alors le contenu du futur service national volontaire, M. Charles Millon a souligné que le volontariat ne saurait être assimilé à un emploi. Les fonctions proposées ne devraient pas, en effet, être indispensables au fonctionnement des organismes d'accueil afin d'éviter toute concurrence avec des emplois permanents, conformément aux souhaits des organisations syndicales consultées préalablement à l'élaboration du projet de loi. Selon le ministre de la défense, l'agrément des associations qui emploieraient des volontaires garantira le respect de ce principe. D'autre part, l'égalité entre les volontaires, quelle que soit la forme de service accomplie, serait garantie par une indemnité identique, comprise entre 2.000 et 2.500 F par mois.
Le service volontaire pourrait être accompli entre 18 et 30 ans par les jeunes gens et les jeunes filles. Outre les trois domaines préalablement évoqués par M. Charles Millon, la future législation préserverait le service militaire adapté, qui continuera à être proposé aux jeunes Français d'outre-mer dans un cadre volontaire.
Le ministre de la défense a alors souligné que la réforme du service national s'inscrivait dans un débat de société et dans le pacte républicain. Il a estimé que la jeunesse, " avide d'engagement ", répondrait favorablement à l'appel au volontariat qui résulterait de la loi portant réforme du service national.
En conclusion, M. Charles Millon a rappelé le rôle majeur que jouerait l'armée dans l'encadrement du rendez-vous citoyen et dans le futur service national. Il a, à cet égard, mentionné la place susceptible d'être impartie aux réservistes dans la mise en oeuvre du rendez-vous citoyen.
Un débat a suivi l'exposé du ministre de la défense.
M. Serge Vinçon, après s'être félicité de la proximité entre les propositions de son rapport et les dispositions du projet de loi, a interrogé le ministre sur la procédure de sélection des volontaires ; il a également demandé des précisions sur le rendez-vous citoyen : son coût, son encadrement et la formation des personnels y concourant, son organisation pour les jeunes Français à l'étranger. Il a enfin demandé des informations complémentaires sur les fonctions du " médiateur citoyen ".
M. André Rouvière a souhaité connaître les modalités concrètes du futur recensement et de l'organisation des centres du rendez-vous citoyen ainsi que les modalités de la participation des jeunes filles aux formes nouvelles de volontariat et le devenir des formes actuelles du service national dans les ministères civils.
M. Jean Clouet s'est déclaré fortement préoccupé par le coût du nouveau dispositif concernant le rendez-vous citoyen.
M. Maurice Lombard a souhaité connaître les solutions retenues pour les jeunes binationaux qui pouvaient jusqu'à présent choisir d'effectuer le service national dans l'un ou l'autre pays. Il s'est également interrogé sur l'imputation budgétaire du coût du rendez-vous citoyen.
M. Xavier de Villepin, président, après avoir souligné l'utilité du rendez-vous citoyen et estimé que sa durée ne devrait pas être supérieure à 5 jours, a demandé au ministre si les commissions compétentes du Parlement auraient connaissance des projets de décrets d'application avant l'examen du projet de loi. Il a interrogé le ministre sur l'encadrement du rendez-vous citoyen, sur la présentation aux jeunes des possibilités offertes dans le cadre de l'engagement au sein des armées et sur la couverture sociale des volontaires. Il a souhaité savoir si des parlementaires siègeraient au sein du Haut Conseil du service national. Il s'est à son tour interrogé sur la notion de médiateur citoyen, puis sur les raisons de l'abaissement de 17 à 16 ans de l'âge du recensement, sur celles de l'élargissement des motifs de dispenses prévu par le projet de loi, et sur les motifs qui pourraient justifier le maintien du statut d'objecteur de conscience.
En réponse à ces différentes interventions, M. Charles Millon, ministre de la défense, a apporté les précisions suivantes :
- les dispositions du projet de loi relatives aux dispenses et aux reports étaient destinées à permettre une gestion plus efficace de la période transitoire,
- la conscription étant seulement suspendue, le principe de l'objection de conscience pouvait être maintenu, mais son application n'avait plus lieu d'être avec la disparition de l'obligation légale de porter les armes. Les associations d'objecteurs qui accueillent des appelés pourraient néanmoins poursuivre leurs activités en s'ouvrant aux volontaires,
- le recensement continuerait à s'effectuer dans les mairies, l'âge de 16 ans, qui correspond à la fin de la scolarité obligatoire, permettant de disposer du temps nécessaire pour préparer, à 18 ans, la participation des jeunes au rendez-vous citoyen,
- le coût de fonctionnement du service national est actuellement de 9,4 milliards de francs par an pour le ministère de la défense, dont 1,1 milliard de francs pour le fonctionnement de la direction centrale du service national (DCSN) qui emploie 7.300 personnes ; en 2002, le nouveau service national coûterait à la défense 3,1 milliards de francs par an, dont 1,6 milliard de francs au titre du fonctionnement de la DCSN qui emploierait alors 8.000 personnes, dont 7.000 agents du ministère de la défense et 1.000 agents provenant d'autres administrations,
- la loi de programmation avait prévu le maintien des crédits de fonctionnement actuels de la DCSN, qui s'élèvent à 1,1 milliard de francs par an ; les 500 millions de francs supplémentaires nécessaires en 2002 seraient obtenus par redéploiement de moyens au sein du titre III,
- l'encadrement du rendez-vous citoyen avait été prévu dans la proportion de un cadre pour quatre jeunes appelés ; 70 % des cadres seraient des militaires, les 30 % restants étant des personnels civils de la défense ou des personnels des ministères civils, en particulier de l'éducation nationale,
- les nombreuses conventions relatives au service national des double-nationaux devraient être revues afin de redéfinir les obligations des jeunes concernés,
- les actions de formation des cadres du rendez-vous citoyen devraient être définies au fur et à mesure de la mise en place du dispositif,
- la notion de médiateur citoyen faisait référence au projet de loi sur la cohésion sociale actuellement proposé par le Gouvernement ; il s'agirait de personnes volontaires chargées d'une fonction d'accompagnement et de conseil des jeunes,
- la couverture sociale des volontaires devrait être prise en charge par l'organisme qui assurera la rémunération du volontaire,
- le Haut Conseil du service national comporterait des parlementaires,
- enfin, les commissions compétentes des Assemblées auraient communication, avant l'examen du projet de loi, des projets de décrets actuellement préparés en vue de son application.
A l'issue de cet échange de vues, M. Charles Millon a commenté le bilan du sommet franco-allemand de Nuremberg du 9 décembre 1996, dont il a souligné l'important contenu dans le domaine de la défense.
Il a relevé l'adoption d'un concept commun de sécurité et de défense, dont le contenu serait communiqué aux présidents des deux Assemblées et aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.
La deuxième orientation du sommet de Nuremberg concernait, a rappelé le ministre de la défense, les questions relatives aux industries d'armement. Les contraintes budgétaires qui s'imposaient à la France comme à l'Allemagne avaient, en effet, abouti à un nouvel examen général des programmes conduits en coopération. Ceux-ci avaient néanmoins été confirmés à Nuremberg, en dépit du retard de six à sept mois qui caractériserait la participation allemande à Hélios II et à Horus. M. Charles Millon a toutefois estimé que l'Allemagne devrait, en 1997, reprendre sa place dans ces programmes spatiaux, que la France poursuivait, pour sa part, selon le calendrier prévu.
M. Charles Millon a enfin commenté la troisième décision prise à Nuremberg sur le déploiement de la brigade franco-allemande en Bosnie, dans le cadre de la mise en place de la force post-Ifor. Une part de la brigade franco-allemande, a en effet indiqué le ministre de la défense, devrait être installée dans le secteur sous commandement français.