CHAPITRE II - LA CONVERGENCE DE VUE ENTRE VOTRE COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ET LA DÉLÉGATION DU SÉNAT POUR L'UNION EUROPÉENNE SUR LA PROPOSITION DE DIRECTIVE E.510
Après avoir auditionné près de trente personnes, et pris connaissance des contributions de plusieurs syndicats, le rapporteur de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, auquel votre commission souhaite rendre hommage, a effectué une analyse approfondie et critique du texte de la proposition de la commission 4 ( * ) . Il a, en outre, tenté de cerner la place qu'occuperait la SNCF dans l'Europe ferroviaire
I. APPLIQUER LA DIRECTIVE 91/440 AVANT DE LA MODIFIER
Dans son rapport. M. Nicolas About se déclare « perplexe face à la nouvelle proposition de la commission européenne ».
Il considère que les dispositions tendant à étendre l'accès à l'infrastructure pour :
- les services de transport de marchandises (transport international et cabotage) ;
- les services internationaux de transport de voyageurs ;
ne pourront entrer en vigueur que lorsque la première directive sera totalement appliquée.
Il observe notamment que la commission a annoncé son intention de lancer une étude sur la situation financière des chemins de fer et note que si certains états ont entamé le processus de désendettement des chemins de fer notamment la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Suède, la Belgique, l'Espagne et l'Italie, d'autres restent dangereusement endettés.
Votre commission des Affaires économiques, qui a récemment auditionné le Président de la SNCF 5 ( * ) , estime, quant à elle, qu'il est nécessaire de régler la question de l'endettement des chemins de fer français avant de procéder à une libéralisation dont personne n'est en mesure d'évaluer les conséquences de façon précise.
Plusieurs autres points appellent, pour le rapporteur de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, l'attention des pouvoirs publics.
•
L'avenir des réseaux
transeuropéens
Quatorze projets prioritaires ont été définis, dans le domaine des transports. Plus de la moitié de ces projets concernent le transport ferroviaire, et quatre intéressent directement la France, à savoir :
- le TGV Sud Paris-Montpellier ;
- le TGV Est Paris-Strasbourg ;
- le TGV combiné France-Italie (Lyon-Turin) ;
- enfin, le TGV Paris-Bruxelles-Cologne-Amsterdam-Londres, dont la partie française n'a pas bénéficié d'aides européennes ;
Selon les informations recueillies par votre rapporteur, les fonds consacrés au financement de réseaux transeuropéens s'élèvent à 267 millions d'écus en 1996, montant dérisoire comparé aux 99,5 milliards d'écus nécessaires à la réalisation des 14 projets prioritaires précités.
Votre commission approuve donc les conclusions de M. About qui estime nécessaire « que cesse ce contraste entre l'affirmation faite d'une volonté politique et le constat de l'insuffisance criante des moyens mis en oeuvre », elle souhaite que des moyens conséquents soient mis en oeuvre pour permettre de réaliser ces grandes infrastructures.
• L'harmonisation technique
La commission européenne, qui entend promouvoir l'interopérabilité des systèmes de transport nationaux, a proposé une directive à cette fin.
S'il est un terrain sur lequel les institutions européennes doivent s'engager, c'est bien celui de l'harmonisation technique, car des coûts importants grèvent la compétitivité du transport ferroviaire à cause des disparités techniques (écart des rails, caractéristiques du courant de traction par exemple).
•
Pour un développement du transport
combiné
Le développement du transport combiné dont le chiffre d'affaires a crû de 12 % en 1995, apparaît comme une nécessité, vu l'engorgement des axes autoroutiers. Mais le transport combiné a besoin d'aides publiques afin d'acquérir sa pleine maturité et doit être soutenu. L'essor des réseaux transeuropéens contribuera à son développement, aussi est-il nécessaire d'accroître l'infrastructure nécessaire à son exercice.
•
Le développement de la
coopération entre opérateurs ferroviaires
Comme le relève M. Nicolas About : « l'objectif de l'Union est le développement du transport ferroviaire et non le développement de la concurrence pour elle-même ».
En conséquence, il est nécessaire que la concurrence ne s'instaure pas au détriment de la coopération entre les réseaux, laquelle se traduit d'ores et déjà par la création de plusieurs groupements européens d'intérêt économique.
Votre commission partage, sur ce point également, les vues de la délégation, et estime qu'il n'est pas souhaitable de fragiliser ces accords au nom de la politique de concurrence.
• La régulation de la concurrence
intermodale
La part du transport ferroviaire régresse, depuis 1970, aussi bien pour le trafic marchandises que pour le trafic voyageurs.
Ainsi, la part de marché des chemins de fer en matière de transport de marchandises est, elle, passée de 31,7 % à 15,4 % de 1970 à 1993, tandis que leur part de marché en termes de transport de voyageurs est passé de 10,4 à 6,6 % dans l'Union.
Ces chiffres préoccupants invitent à envisager les conditions de rééquilibrage des tarifs en faveur des chemins de fer, dans la mesure où les coûts externes (environnement, santé publique, accidents) provoqués par les autres modes de transport ne leur sont pas imputés.
En ce qui concerne le transport de voyageurs, l'enjeu est entre le transport collectif, tous modes confondus et la voiture individuelle. Aussi la complémentarité et la coordination des transports collectifs sont indispensables pour offrir au public une alternative attractive en termes de commodité, confort et souplesse.
Votre commission estime que des progrès considérables restent donc à réaliser en matière d'intermodalité pour assurer la continuité du transport dans l'espace et dans le temps.
• Absence de volet social
Afin de lutter contre l'apparition de « pavillons de complaisance », M. About souhaite qu'un « volet social » accompagne l'ouverture progressive à la concurrence.
Votre commission considère, quant à elle, que l'harmonisation sociale doit, sinon précéder, du moins accompagner le développement de la concurrence.
II. RENFORCER LA PLACE DE LA SNCF DANS L'EUROPE FERROVIAIRE
Compte tenu des modifications que connaît le secteur du transport ferroviaire, il est nécessaire de considérer les grands axes de réforme qui permettront à la SNCF d'être rentable et compétitive, par rapport à la concurrence, lorsqu'elle y sera confrontée.
Dans cette perspective le Premier ministre a demandé au Conseil économique et social un avis sur les grandes orientations du contrat de Plan État-SNCF 1996-2000.
Souscrivant pour l'essentiel aux analyses de la délégation, sur la situation de la SNCF, votre commission a identifié quatre pistes de réflexion, pouvant faire l'objet de recommandations.
•
Les infrastructures : une
clarification nécessaire des responsabilités
La loi d'orientation des transports intérieurs dispose que l'État est responsable du réseau ferré national. Il apparaît donc souhaitable que l'État prenne en charge les infrastructures nationales et rattrape le retard pris en matière de modernisation.
Le Conseil économique et social s'est déclaré favorable à ce que l'État définisse le réseau national, et les régions les fractions du réseau dont elles estiment l'existence indispensable. Le Conseil souhaite que toute charge imposée à l'entreprise soit compensée. Il estime enfin nécessaire qu'une structure ad hoc telle que le Conseil national des transports s'assure de la cohérence des décisions prises et qu'elle :
- analyse les conflits éventuels entre les choix de l'État et ceux des régions ;
- examine le niveau du péage qu'acquitterait la structure d'exploitation du réseau ;
- recherche une harmonisation des schémas régionaux nationaux et européens.
La question du choix des technologies : grande vitesse, « pendulaire », ou classique reste, quant à elle, posée.
Elle conditionne le problème du choix des investissements d'avenir : faut-il renforcer le réseau TGV, alors même que la rentabilité des futures lignes sera plus faible que celles existantes ?
Sur ce point, votre commission partage l'avis de son rapporteur pour avis sur le budget des transports terrestres, M. Georges Berchet, lequel souhaitait que l'on hiérarchise, à l'avenir, les priorités du programme TGV et estimait que les TGV étaient « une vitrine vouée à la remise en cause » 6 ( * ) .
En revanche la technologie pendulaire semble devoir connaître un essor durable, comme le remarque un spécialiste :
« Les matériels à pendulation transforment en quelque sorte les voies classiques en voies à « semi-grande vitesse » pour un coût d'aménagement très limité en regard des frais de construction de lignes nouvelles. Il n'est donc pas étonnant que ce type de matériel, qui est également produit ailleurs, connaisse un succès grandissant dans nombre de pays, la Suisse, l'Espagne, l'Allemagne, la Suède et la Finlande les ayant également adoptés, et les États-Unis et le Canada en ayant retenu le principe, après avoir renoncé à construire à grands frais des lignes nouvelles. Il paraît s'agir là d'une solution de compromis particulièrement judicieuse pour les réseaux qui ne peuvent ou ne veulent dépenser des sommes considérables pour construire des lignes nouvelles là où le trafic ne le justifie pas. L'avenir du chemin de fer en Europe passe largement par la pendulation. » 7 ( * )
Sept pays européens se sont d'ores et déjà engagés dans la création de lignes à grande vitesse. Si les projets actuellement à l'étude parviennent à terme, les 2350 kilomètres de ligne TGV devraient doubler dans les dix ans à venir.
Le problème du financement de telles infrastructures est cependant posé et pourrait différer la réalisation de ces lignes.
Votre commission souhaite, donc, qu'à défaut d'une infrastructure à très grande vitesse, les pouvoirs publics envisagent l'adaptation des lignes existantes (et notamment la suppression des passages à niveaux) pour permettre l'utilisation de la technologie pendulaire, qui, moins coûteuse, permettra cependant d'effectuer des progrès notables.
• La clarification de la définition du
service public
Il conviendra d'identifier les activités ferroviaires qui relèveront de la logique commerciale et celles qui relèveront d'une mission de service public.
En effet, comme le relève M. Nicolas About dans son rapport :
« Le transport ferroviaire n'est plus aujourd'hui un service public dont l'accès doit être offert à chacun, quelle que soit sa situation sur le territoire. Le service public à prendre en considération aujourd'hui est celui du transport collectif de voyageurs, qui peut prendre des formes très diverses ».
Dans ce contexte, le rapporteur de la délégation du Sénat pour l'Union européenne appelle de ses voeux la compensation adéquate des missions de service public confiées à la SNCF et souhaite, comme on le verra plus loin, une mise en oeuvre rapide du transfert aux régions de la responsabilité du transport régional.
Votre commission approuve cette orientation générale qui tend à ne retenir à la charge de la collectivité que le surcoût des missions de service public dévolues à la SNCF, aussi bien à cause de l'existence des tarifs sociaux que du maintien des lignes d'intérêt régional ou de l'exploitation des trains de banlieue parisienne.
Votre commission demeure clairement attachée au service public. Elle souhaite que lorsque les lignes ferroviaires ne peuvent être maintenues, les pouvoirs publics favorisent le développement de lignes de transport par autocars et s'inspirent des expériences existantes en la matière. Une ligne rentable existe, par exemple, entre Marseille et Nice.
• L'assainissement des finances de la
SNCF
Le respect de la directive 91/440 impose l'assainissement des comptes de la SNCF et l'apurement de son endettement qui, comme le faisait observer son président lors de son audition par la commission des Affaires économiques, croît à un rythme vertigineux.
Il est donc nécessaire de procéder au désendettement de l'entreprise et de prendre des dispositions afin qu'à l'avenir son équilibre financier soit préservé.
• Le renforcement du rôle des
régions
Le rapport Haenel propose que les régions prennent en charge la totalité des services régionaux de voyageurs. Sous certaines réserves, cette proposition apparaît positive.
Dans la droite ligne de l'article 58 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 relative à l'aménagement et au développement du territoire, dont l'article 67 dispose qu'une phase d'expérimentation des modalités d'organisation et de financement des transports collectifs d'intérêt régional, et des conditions dans lesquelles ces tâches seront attribuées aux régions, M. About appelle de ses voeux un renforcement du rôle des régions.
Selon l'audit effectué par le cabinet KPMG, la contribution versée par l'État devait être majorée de 1,9 milliard pour mener à bien le transfert de compétences, sans transfert de charges.
Votre commission juge souhaitable que les élus et les citoyens soient appelés à définir le contenu du service public, ainsi que les priorités et les modalités selon lesquelles ce service est offert, compte tenu de son coût.
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Votre commission estime cependant nécessaire de prévoir qu'un mécanisme de péréquation sera mis en oeuvre, entre les régions, faute de quoi ce transfert de compétences serait dépourvu de toute substance, dans la mesure où les régions les plus pauvres seraient incapables de financer les services publics non rentables. La création d'un tel dispositif permettrait de faciliter la clarification de la contribution de la SNCF à l'aménagement du territoire que M. Berchet, rapporteur pour avis sur le budget des transports terrestres 8 ( * ) , a demandée en 1995.
* 4 Rapport d'information n° 331 (1995-1996) du 24 avril 1996, fait au nom de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne sur le projet communautaire de réforme des règles de transport ferroviaire en Europe (n° E 510) par M. Nicolas About intitulé : « L'Europe : une chance pour la SNCF ? ».
* 5 Audition de M. Loïk Le Floch-Prigent, président de la SNCF, le mardi 28 mai 1996
* 6 Avis présenté au nom de la commission des Affaires économiques sur le budget des transports terrestres par M. Georges Berchet, Sénat, 1995-1996.
* 7 Christian Gérondeau, « Les transports en Europe », p. 151.
* 8 cf rapport précité p. 18.