Rapport n° 422 (1995-1996) de M. Bernard JOLY , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 12 juin 1996
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CHAPITRE PREMIER - OBJET ET INCIDENCE DE LA
DIRECTIVE n° 91/440 DU 29 JUILLET 1991 RELATIVE AUX NOUVELLES MESURES
POUR LE DÉVELOPPEMENT DU CHEMIN DE FER
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CHAPITRE II - LA CONVERGENCE DE VUE ENTRE VOTRE
COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ET LA DÉLÉGATION DU
SÉNAT POUR L'UNION EUROPÉENNE SUR LA PROPOSITION DE DIRECTIVE
E.510
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CHAPITRE III - POSITION DE VOTRE COMMISSION SUR LA
PROPOSITION DE RÉSOLUTION n° 332
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PROPOSITION DE RÉSOLUTION
N° 422
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 12 juin 1996
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur la proposition de résolution, présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par M. Nicolas ABOUT sur la communication de la commission sur le développement des chemins de fer communautaires. -Application de la directive 91/440. CEE-. Nouvelles mesures pour le développement des chemins de fer et sur la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 91/440. CEE relative au développement des chemins de fer communautaires (n° E-510).
Par M. Bernard JOLY.
Sénateur.
(1) Cette commission est, composée de MM Jean François Poncet, président : Gérard Larcher, Henri Révol, Jean Huchon, Fernand Tardy, Gérard César, Louis Minetti, vice -présidents : Georges Berchet, William Chervy, Jean-Paul Émin, Louis Moinard, secrétaires : Louis Alhapé, Alphonse Arzel, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Jean Besson, Claude Billard, Marcel Bony, Jean Boyer, Jacques Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Michel Charzat, Marcel-Pierre Cleach, Roland Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Jacques Dominati, Michel Doublet, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Jean-Paul Emorine, Léon Fatous, Philippe François, Aubert Garcia, François Gerbaud Charles Ginesy, Jean Grandon, Francis Grignon, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis, MM Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Hugo, Bernard Joly, Édmond Lauret, Jean-François Le Grand, Félix Leyzour, Kléber Malécot, Jacques de Menou, Louis Mercier, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean-Marc Pastor, Jean Pépin, Jean Peyrafitte, Alain Pluchet, Jean Pourchet, Mme Danièle Pourtaud, MM Jean Puech, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Roger Rigaudière, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Jacques Rocca Serra, Josselin de Rohan, René Rouquet, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Jacques Sourdille, André Vallet, Jean-Pierre Vial.
Voir le numéro
Sénat 332 (1995-1996)
Union européenne
Mesdames, Messieurs,
Votre commission est saisie d'une proposition de résolution sur la communication de la commission sur le développement des chemins de fer communautaires -application de la directive 91/440/CEE- nouvelles mesures pour le développement des chemins de fer communautaires et sur la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 91/440/CEE relative au développement des chemins de fer communautaires (n° E 510).
Cette proposition de résolution a été présentée, en application de l'article 73 bis du règlement, par M. Nicolas About qui a consacré à ce sujet un important rapport d'information intitulé « L'Europe : une chance pour la SNCF ? »
L'adoption de la proposition de directive fait l'objet d'une procédure de coopération entre le Conseil et le Parlement européen, dont la commission des transports et du tourisme a désigné M. Farthofer rapporteur. Cette commission examinera ce texte, sans doute au mois de juillet prochain, avant que le Parlement ne statue en première lecture, vraisemblablement à la fin de l'été.
L'enjeu que constitue la libéralisation du transport ferroviaire justifie Pleinement que la représentation nationale s'intéresse aux projets de la commission européenne. En effet, celle-ci, mue par le souci d'accroître la concurrence en Europe a choisi de faire avancer la libéralisation du transport ferroviaire en modifiant d'un seul article la directive du 29 juillet 1991.
Or la question des transports est essentielle pour l'avenir du pays, notamment en matière de développement équilibré et durable du territoire. En outre cette politique doit prendre en compte la dimension européenne dans les meilleures conditions économiques, sociales et environnementales.
Comme le souligne le remarquable rapport de M. Nicolas About, cette modification aurait, dans l'immédiat, une incidence fâcheuse sur les chemins de fer français.
En effet, elle permettrait d'ouvrir à la concurrence :
- des services internationaux et de cabotage 2 ( * ) pour les transports de marchandises ;
- les services internationaux de transports de voyageurs.
La brièveté du dispositif de la proposition de directive apparaît donc sans commune mesure par rapport à l'importance des bouleversements qui résulteraient de son entrée en vigueur.
Avant de se prononcer sur la réforme qu'a pour objectif d'introduire la proposition de directive E.510, votre commission a souhaité examiner l'impact de la directive 91-440.
CHAPITRE PREMIER - OBJET ET INCIDENCE DE LA DIRECTIVE n° 91/440 DU 29 JUILLET 1991 RELATIVE AUX NOUVELLES MESURES POUR LE DÉVELOPPEMENT DU CHEMIN DE FER
I. UN TEXTE AMBITIEUX
La directive du 29 juillet 1991 constitue une étape essentielle dans la politique européenne de développement du transport ferroviaire. Quatre idées directives ont inspiré ses rédacteurs.
•
Le droit d'accès au
réseau
Ce droit est ouvert aux « regroupements internationaux » qui « se voient reconnaître des droits d'accès et de transit, dans les États membres où sont établies les entreprises ferroviaires qui les instituent, ainsi que des droits de transit dans les autres États membres pour les prestations de services de transports internationaux entre les États membres où sont établies les entreprises constituant lesdits groupements. »
En outre, « les entreprises ferroviaires se voient accorder un droit d'accès à des conditions équitables à l'infrastructure des autres aux fins de l'exploitation de services de transport combiné internationaux de Marchandises. »
Le dispositif de l'article 10, dont la proposition de la commission européenne E/510 prévoit de modifier le contenu n'a qu'entrouvert à la concurrence le secteur ferroviaire. Les entreprises qui peuvent actuellement accéder au réseau d'un État membre autre que celui auquel elles appartiennent doit soit :
- constituer un groupement international à cette fin ;
- exercer une activité de transport combiné.
•
L'indépendance des entreprises
ferroviaires à l'égard des États
La directive prévoit que les entreprises devront être gérées comme des sociétés commerciales.
•
Une séparation, au moins comptable,
entre les activités d'exploitation des services de transport et les
activités de gestion de l'infrastructure ferroviaire.
Cette
séparation peut être comptable ou résulter de la
création d'entreprises distinctes, l'une gérant l'infrastructure,
l'autre exerçant l'activité d'exploitation.
•
L'assainissement financier des entreprises
ferroviaires et la réduction de leur endettement
En effet, tous les chemins de fer européens ont connu, ou connaissent encore des difficultés financières graves.
Bien que la directive du 29 juillet 1991 ouvre des perspectives au développement de la concurrence et au rétablissement de la rentabilité des entreprises de chemin de fer, elle a été transposée et appliquée de façon très inégale par les États membres.
II. UN TEXTE INÉGALEMENT APPLIQUÉ
• Une transposition difficile
L'article 15 de la directive du 29 juillet 1991 prévoyait que les États membres devaient prendre les mesures de transposition nécessaires avant le 1er janvier 1993.
Présentant un état de transposition de la directive du 29 juillet 1991, la commission relève qu'« en règle générale, des progrès ont été accomplis quant à la mise en place de l'indépendance légale et de la séparation (...) entre gestion de l'infrastructure et prestation de service de transports ». Mais l'application de la directive s'est, en outre, révélée insuffisante, voire nulle, en matière de droits d'accès.
Au total, le Danemark, l'Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni (sauf pour le tunnel sous la Manche) ont totalement transposé la directive. Quant à la France, elle a publié un décret du 9 mai 1995 portant transposition de la directive 91/440.
Six États ont transposé la directive de façon partielle, tandis que la Grèce et le Portugal n'ont pas modifié leur droit interne afin de respecter le texte.
Force est donc de constater qu'avant de modifier la directive du 29 juillet 1991, les États devraient s'attacher à l'appliquer dans tout l'espace communautaire.
• Un texte dont l'incidence reste à
apprécier
La commission a présenté un bilan très succinct de l'application de la directive du 29 juillet 1991 dont la teneur ne permet pas de tirer des conséquences précises. Certes, la lenteur avec laquelle plusieurs États ont transposé les dispositions de la directive explique les difficultés à en dresser un bilan d'application complet et sérieux. Un tel bilan n'en demeure pas moins indispensable, compte tenu de l'incidence que la proposition de la commission aurait si elle entrait en vigueur.
Dès lors, votre commission estime, à l'instar de M. Nicolas About dans le rapport d'information 3 ( * ) qu'il a présenté au nom de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne, que l'accroissement de la concurrence et l'ouverture prévus par la proposition de directive n° E-510 sont prématurés.
Au surplus, le contenu-même de la proposition précitée soulève un certain nombre d'objections d'importance.
CHAPITRE II - LA CONVERGENCE DE VUE ENTRE VOTRE COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ET LA DÉLÉGATION DU SÉNAT POUR L'UNION EUROPÉENNE SUR LA PROPOSITION DE DIRECTIVE E.510
Après avoir auditionné près de trente personnes, et pris connaissance des contributions de plusieurs syndicats, le rapporteur de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, auquel votre commission souhaite rendre hommage, a effectué une analyse approfondie et critique du texte de la proposition de la commission 4 ( * ) . Il a, en outre, tenté de cerner la place qu'occuperait la SNCF dans l'Europe ferroviaire
I. APPLIQUER LA DIRECTIVE 91/440 AVANT DE LA MODIFIER
Dans son rapport. M. Nicolas About se déclare « perplexe face à la nouvelle proposition de la commission européenne ».
Il considère que les dispositions tendant à étendre l'accès à l'infrastructure pour :
- les services de transport de marchandises (transport international et cabotage) ;
- les services internationaux de transport de voyageurs ;
ne pourront entrer en vigueur que lorsque la première directive sera totalement appliquée.
Il observe notamment que la commission a annoncé son intention de lancer une étude sur la situation financière des chemins de fer et note que si certains états ont entamé le processus de désendettement des chemins de fer notamment la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Suède, la Belgique, l'Espagne et l'Italie, d'autres restent dangereusement endettés.
Votre commission des Affaires économiques, qui a récemment auditionné le Président de la SNCF 5 ( * ) , estime, quant à elle, qu'il est nécessaire de régler la question de l'endettement des chemins de fer français avant de procéder à une libéralisation dont personne n'est en mesure d'évaluer les conséquences de façon précise.
Plusieurs autres points appellent, pour le rapporteur de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, l'attention des pouvoirs publics.
•
L'avenir des réseaux
transeuropéens
Quatorze projets prioritaires ont été définis, dans le domaine des transports. Plus de la moitié de ces projets concernent le transport ferroviaire, et quatre intéressent directement la France, à savoir :
- le TGV Sud Paris-Montpellier ;
- le TGV Est Paris-Strasbourg ;
- le TGV combiné France-Italie (Lyon-Turin) ;
- enfin, le TGV Paris-Bruxelles-Cologne-Amsterdam-Londres, dont la partie française n'a pas bénéficié d'aides européennes ;
Selon les informations recueillies par votre rapporteur, les fonds consacrés au financement de réseaux transeuropéens s'élèvent à 267 millions d'écus en 1996, montant dérisoire comparé aux 99,5 milliards d'écus nécessaires à la réalisation des 14 projets prioritaires précités.
Votre commission approuve donc les conclusions de M. About qui estime nécessaire « que cesse ce contraste entre l'affirmation faite d'une volonté politique et le constat de l'insuffisance criante des moyens mis en oeuvre », elle souhaite que des moyens conséquents soient mis en oeuvre pour permettre de réaliser ces grandes infrastructures.
• L'harmonisation technique
La commission européenne, qui entend promouvoir l'interopérabilité des systèmes de transport nationaux, a proposé une directive à cette fin.
S'il est un terrain sur lequel les institutions européennes doivent s'engager, c'est bien celui de l'harmonisation technique, car des coûts importants grèvent la compétitivité du transport ferroviaire à cause des disparités techniques (écart des rails, caractéristiques du courant de traction par exemple).
•
Pour un développement du transport
combiné
Le développement du transport combiné dont le chiffre d'affaires a crû de 12 % en 1995, apparaît comme une nécessité, vu l'engorgement des axes autoroutiers. Mais le transport combiné a besoin d'aides publiques afin d'acquérir sa pleine maturité et doit être soutenu. L'essor des réseaux transeuropéens contribuera à son développement, aussi est-il nécessaire d'accroître l'infrastructure nécessaire à son exercice.
•
Le développement de la
coopération entre opérateurs ferroviaires
Comme le relève M. Nicolas About : « l'objectif de l'Union est le développement du transport ferroviaire et non le développement de la concurrence pour elle-même ».
En conséquence, il est nécessaire que la concurrence ne s'instaure pas au détriment de la coopération entre les réseaux, laquelle se traduit d'ores et déjà par la création de plusieurs groupements européens d'intérêt économique.
Votre commission partage, sur ce point également, les vues de la délégation, et estime qu'il n'est pas souhaitable de fragiliser ces accords au nom de la politique de concurrence.
• La régulation de la concurrence
intermodale
La part du transport ferroviaire régresse, depuis 1970, aussi bien pour le trafic marchandises que pour le trafic voyageurs.
Ainsi, la part de marché des chemins de fer en matière de transport de marchandises est, elle, passée de 31,7 % à 15,4 % de 1970 à 1993, tandis que leur part de marché en termes de transport de voyageurs est passé de 10,4 à 6,6 % dans l'Union.
Ces chiffres préoccupants invitent à envisager les conditions de rééquilibrage des tarifs en faveur des chemins de fer, dans la mesure où les coûts externes (environnement, santé publique, accidents) provoqués par les autres modes de transport ne leur sont pas imputés.
En ce qui concerne le transport de voyageurs, l'enjeu est entre le transport collectif, tous modes confondus et la voiture individuelle. Aussi la complémentarité et la coordination des transports collectifs sont indispensables pour offrir au public une alternative attractive en termes de commodité, confort et souplesse.
Votre commission estime que des progrès considérables restent donc à réaliser en matière d'intermodalité pour assurer la continuité du transport dans l'espace et dans le temps.
• Absence de volet social
Afin de lutter contre l'apparition de « pavillons de complaisance », M. About souhaite qu'un « volet social » accompagne l'ouverture progressive à la concurrence.
Votre commission considère, quant à elle, que l'harmonisation sociale doit, sinon précéder, du moins accompagner le développement de la concurrence.
II. RENFORCER LA PLACE DE LA SNCF DANS L'EUROPE FERROVIAIRE
Compte tenu des modifications que connaît le secteur du transport ferroviaire, il est nécessaire de considérer les grands axes de réforme qui permettront à la SNCF d'être rentable et compétitive, par rapport à la concurrence, lorsqu'elle y sera confrontée.
Dans cette perspective le Premier ministre a demandé au Conseil économique et social un avis sur les grandes orientations du contrat de Plan État-SNCF 1996-2000.
Souscrivant pour l'essentiel aux analyses de la délégation, sur la situation de la SNCF, votre commission a identifié quatre pistes de réflexion, pouvant faire l'objet de recommandations.
•
Les infrastructures : une
clarification nécessaire des responsabilités
La loi d'orientation des transports intérieurs dispose que l'État est responsable du réseau ferré national. Il apparaît donc souhaitable que l'État prenne en charge les infrastructures nationales et rattrape le retard pris en matière de modernisation.
Le Conseil économique et social s'est déclaré favorable à ce que l'État définisse le réseau national, et les régions les fractions du réseau dont elles estiment l'existence indispensable. Le Conseil souhaite que toute charge imposée à l'entreprise soit compensée. Il estime enfin nécessaire qu'une structure ad hoc telle que le Conseil national des transports s'assure de la cohérence des décisions prises et qu'elle :
- analyse les conflits éventuels entre les choix de l'État et ceux des régions ;
- examine le niveau du péage qu'acquitterait la structure d'exploitation du réseau ;
- recherche une harmonisation des schémas régionaux nationaux et européens.
La question du choix des technologies : grande vitesse, « pendulaire », ou classique reste, quant à elle, posée.
Elle conditionne le problème du choix des investissements d'avenir : faut-il renforcer le réseau TGV, alors même que la rentabilité des futures lignes sera plus faible que celles existantes ?
Sur ce point, votre commission partage l'avis de son rapporteur pour avis sur le budget des transports terrestres, M. Georges Berchet, lequel souhaitait que l'on hiérarchise, à l'avenir, les priorités du programme TGV et estimait que les TGV étaient « une vitrine vouée à la remise en cause » 6 ( * ) .
En revanche la technologie pendulaire semble devoir connaître un essor durable, comme le remarque un spécialiste :
« Les matériels à pendulation transforment en quelque sorte les voies classiques en voies à « semi-grande vitesse » pour un coût d'aménagement très limité en regard des frais de construction de lignes nouvelles. Il n'est donc pas étonnant que ce type de matériel, qui est également produit ailleurs, connaisse un succès grandissant dans nombre de pays, la Suisse, l'Espagne, l'Allemagne, la Suède et la Finlande les ayant également adoptés, et les États-Unis et le Canada en ayant retenu le principe, après avoir renoncé à construire à grands frais des lignes nouvelles. Il paraît s'agir là d'une solution de compromis particulièrement judicieuse pour les réseaux qui ne peuvent ou ne veulent dépenser des sommes considérables pour construire des lignes nouvelles là où le trafic ne le justifie pas. L'avenir du chemin de fer en Europe passe largement par la pendulation. » 7 ( * )
Sept pays européens se sont d'ores et déjà engagés dans la création de lignes à grande vitesse. Si les projets actuellement à l'étude parviennent à terme, les 2350 kilomètres de ligne TGV devraient doubler dans les dix ans à venir.
Le problème du financement de telles infrastructures est cependant posé et pourrait différer la réalisation de ces lignes.
Votre commission souhaite, donc, qu'à défaut d'une infrastructure à très grande vitesse, les pouvoirs publics envisagent l'adaptation des lignes existantes (et notamment la suppression des passages à niveaux) pour permettre l'utilisation de la technologie pendulaire, qui, moins coûteuse, permettra cependant d'effectuer des progrès notables.
• La clarification de la définition du
service public
Il conviendra d'identifier les activités ferroviaires qui relèveront de la logique commerciale et celles qui relèveront d'une mission de service public.
En effet, comme le relève M. Nicolas About dans son rapport :
« Le transport ferroviaire n'est plus aujourd'hui un service public dont l'accès doit être offert à chacun, quelle que soit sa situation sur le territoire. Le service public à prendre en considération aujourd'hui est celui du transport collectif de voyageurs, qui peut prendre des formes très diverses ».
Dans ce contexte, le rapporteur de la délégation du Sénat pour l'Union européenne appelle de ses voeux la compensation adéquate des missions de service public confiées à la SNCF et souhaite, comme on le verra plus loin, une mise en oeuvre rapide du transfert aux régions de la responsabilité du transport régional.
Votre commission approuve cette orientation générale qui tend à ne retenir à la charge de la collectivité que le surcoût des missions de service public dévolues à la SNCF, aussi bien à cause de l'existence des tarifs sociaux que du maintien des lignes d'intérêt régional ou de l'exploitation des trains de banlieue parisienne.
Votre commission demeure clairement attachée au service public. Elle souhaite que lorsque les lignes ferroviaires ne peuvent être maintenues, les pouvoirs publics favorisent le développement de lignes de transport par autocars et s'inspirent des expériences existantes en la matière. Une ligne rentable existe, par exemple, entre Marseille et Nice.
• L'assainissement des finances de la
SNCF
Le respect de la directive 91/440 impose l'assainissement des comptes de la SNCF et l'apurement de son endettement qui, comme le faisait observer son président lors de son audition par la commission des Affaires économiques, croît à un rythme vertigineux.
Il est donc nécessaire de procéder au désendettement de l'entreprise et de prendre des dispositions afin qu'à l'avenir son équilibre financier soit préservé.
• Le renforcement du rôle des
régions
Le rapport Haenel propose que les régions prennent en charge la totalité des services régionaux de voyageurs. Sous certaines réserves, cette proposition apparaît positive.
Dans la droite ligne de l'article 58 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 relative à l'aménagement et au développement du territoire, dont l'article 67 dispose qu'une phase d'expérimentation des modalités d'organisation et de financement des transports collectifs d'intérêt régional, et des conditions dans lesquelles ces tâches seront attribuées aux régions, M. About appelle de ses voeux un renforcement du rôle des régions.
Selon l'audit effectué par le cabinet KPMG, la contribution versée par l'État devait être majorée de 1,9 milliard pour mener à bien le transfert de compétences, sans transfert de charges.
Votre commission juge souhaitable que les élus et les citoyens soient appelés à définir le contenu du service public, ainsi que les priorités et les modalités selon lesquelles ce service est offert, compte tenu de son coût.
*
* *
Votre commission estime cependant nécessaire de prévoir qu'un mécanisme de péréquation sera mis en oeuvre, entre les régions, faute de quoi ce transfert de compétences serait dépourvu de toute substance, dans la mesure où les régions les plus pauvres seraient incapables de financer les services publics non rentables. La création d'un tel dispositif permettrait de faciliter la clarification de la contribution de la SNCF à l'aménagement du territoire que M. Berchet, rapporteur pour avis sur le budget des transports terrestres 8 ( * ) , a demandée en 1995.
CHAPITRE III - POSITION DE VOTRE COMMISSION SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION n° 332
Votre commission a souscrit aux réserves émises par la délégation du Sénat pour l'Union européenne sur la proposition de directive E-510. Aussi a-t-elle approuvé l'essentiel du dispositif de la proposition de résolution n° 332.
Elle vous propose, cependant, d'y apporter deux compléments. Le premier concerne le transfert aux régions, afin de prendre en compte le souci d'aménagement du territoire et de péréquation des ressources entre celles-ci. Le second tend à mentionner de façon très claire le souci de voir la SNCF entreprendre des réformes et une démarche innovatrice.
Au cours de sa séance du 12 juin 1996, après l'exposé général de votre rapporteur, un débat s'est instauré.
Répondant à M. Félix Leyzour qui l'interrogeait sur le lien entre l'examen de la proposition de résolution et le débat sur la SNCF, le rapporteur a déclaré qu'il avait choisi d'étudier la proposition afin de contribuer à la réflexion sur l'avenir de la SNCF.
M. Félix Leyzour s'est, en outre, déclaré inquiet de l'incidence d'une libéralisation sur l'équilibre et l'assainissement de la situation de la SNCF.
Après avoir donné acte au rapporteur des ajouts qu'il avait apportés à la proposition de résolution, Mme Danièle Pourtaud s'est déclarée défavorable à plusieurs des considérants de la proposition de résolution, estimant que ceux-ci préjugeaient de la position du Sénat avant le débat qui doit se tenir fin juin.
M. Henri Révol, vice-président, a répondu que, compte tenu des contraintes du calendrier communautaire, les assemblées françaises étaient tenues dans le cadre de l'application de l'article 88-4 de la Constitution de faire connaître rapidement leur position afin que celle-ci puisse être prise en compte par le Gouvernement français au moment où le Conseil des ministres européen serait appelé à statuer.
Au terme de cette discussion, la commission a adopté la proposition de résolution dans le texte proposé par son rapporteur, les groupes socialiste et communiste votant contre.
Votre commission vous demande d'adopter cette proposition de résolution.
*
* *
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition d'acte communautaire E 510 ;
Considérant que l'unification de l'espace européen peut constituer un facteur important de renouveau pour le transport ferroviaire ;
Considérant que la directive 91/440 du 29 juillet 1991, relative au développement des chemins de fer européens, repose sur quatre piliers : l'indépendance des entreprises ferroviaires à l'égard des États, l'assainissement financier, la séparation entre activité de transport et gestion de l'infrastructure, enfin une ouverture limitée du réseau ferroviaire à la concurrence ;
Considérant que le bilan de l'application de la directive précitée présenté par la commission européenne ne permet aucunement d'évaluer les résultats de ce premier texte, qui n'a pas encore été transposé dans l'ensemble des États membres ;
Considérant que la proposition d'acte communautaire E 510 a pour objet d'étendre les droits d'accès à l'infrastructure, qui seraient désormais accordés à toutes les entreprises souhaitant offrir des services de transport de marchandises ou des services internationaux de transport de voyageurs ;
Considérant que les conséquences possibles de l'extension des droits d'accès n'ont fait l'objet d'aucune réflexion préalable, notamment en ce qui concerne les risques d'écrémage du marché, la nécessité de maintenir un haut niveau de sécurité et un niveau de formation du personnel satisfaisant ;
Considérant que la coopération entre opérateurs ferroviaires peut souvent permettre des progrès substantiels dans l'unification de l'espace européen ; que la politique communautaire de la concurrence doit prendre en compte les particularités du transport ferroviaire ;
Considérant également que l'ouverture progressive à la concurrence est un phénomène irréversible et que les entreprises ferroviaires peuvent en tirer un important profit en termes d'efficacité ;
Considérant que l'absence de prise en compte de certains coûts externes -pollution, encombrements, accidents...- nuit au développement du transport ferroviaire ; que le chemin de fer ne pourra toutefois profiter d'une modification de cette situation que s'il améliore sensiblement ses performances dans le domaine du transport de marchandises ;
Considérant que la politique de l'Union européenne en matière de réseaux transeuropéens de transport paraît aujourd'hui fragilisée du fait de l'absence de financements suffisants ;
Considérant que l'harmonisation technique entre réseaux et matériels européens a progressé tout en restant insuffisante ; que les incompatibilités techniques sont source de coûts importants, qui nuisent à la compétitivité du transport ferroviaire ;
Considérant que le transport combiné, malgré les soutiens dont il fait l'objet, tant au niveau communautaire qu'au niveau français, ne connaît qu'un développement assez lent et ne détient encore que des parts de marché limitées ;
Considérant que la politique européenne n'est pas la source des difficultés de la SNCF ; que l'action communautaire offre au contraire une opportunité de mettre en oeuvre des réformes indispensables trop longtemps différées ;
Considérant que la SNCF est aujourd'hui dans une situation extrêmement difficile, qui pose la question de sa survie dans un environnement en profonde évolution ;
Considérant qu'il est aujourd'hui en pratique impossible d'identifier les responsabilités respectives de l'État et de la SNCF dans la situation et l'évolution du transport ferroviaire ; que la séparation comptable entre exploitation et gestion de l'infrastructure doit permettre de progresser dans cette voie ; qu'il paraît désormais peu souhaitable de laisser la SNCF prendre en charge la construction des nouvelles infrastructures ferroviaires ;
Considérant que la situation financière de la SNCF n'est aujourd'hui plus supportable pour l'entreprise et qu'elle conduit à une démotivation profonde ; que la directive du 29 juillet 1991 invite les États à assainir la situation des entreprises ferroviaires ;
Considérant que la France est légitimement attachée au maintien de missions de service public ; que la SNCF n'est pas un service public, mais qu'elle est appelée à exercer des missions de service public ; que ces missions ne sont actuellement pas clairement identifiées :
Considérant que le transfert aux régions de la gestion du transport régional contribuera à la clarification des responsabilités et permettra de rapprocher la décision de l'usager ; qu'un tel transfert doit naturellement être accompagné d'un transfert de moyens suffisants ; qu'il convient, dans un premier temps, de mettre en place une expérimentation réversible ;
Considérant que la SNCF est une entreprise, qu'elle doit, à ce titre, disposer d'une large autonomie pour entreprendre les réformes indispensables à l'amélioration de son efficacité ; qu'elle doit dès lors être jugée sur les résultats qu'elle obtiendra ;
- Demande au Gouvernement de s'opposer à la proposition d'acte communautaire E 510 afin de permettre, dans un premier temps, une application complète de la directive 91/440 ; souhaite qu'un bilan approfondi de cette directive puisse être établi par la commission européenne et que les conséquences d'une plus large ouverture à la concurrence soient étudiées avec précision ;
- Demande que les accords de coopération entre opérateurs soient examinés en fonction des spécificités du transport ferroviaire et non seulement au regard des principes généraux de la politique communautaire de la concurrence ;
- Estime important de poursuivre les études sur la prise en compte des coûts externes entraînés par les différents modes de transport, afin de parvenir à une concurrence plus équilibrée entre le rail et la route ;
- Invite le Gouvernement à agir au sein du Conseil afin qu'une clarification soit apportée sur la situation des projets de réseaux transeuropéens de transport, dont la réalisation paraît aujourd'hui compromise, faute de financements suffisants ;
- Souligne la nécessité de renforcer les actions menées dans le domaine de l'harmonisation technique, afin de faciliter l'unification de l'espace européen ;
- Souhaite que le transport combiné, compte tenu de ses avantages, fasse l'objet de mesures de soutien renforcées, tant au niveau communautaire qu'au niveau français ;
- Souligne la nécessité d'une clarification des responsabilités respectives de l'État et de la SNCF dans l'organisation du transport ferroviaire en France ; estime qu'il convient d'envisager une prise en charge par l'État de la construction de nouvelles infrastructures ;
- Estime qu'un assainissement important et rapide de la situation financière de la SNCF est indispensable ;
- Réaffirme son attachement à l'existence d'un service public du transport, élément indispensable de la politique d'aménagement du territoire et de la cohésion sociale ; observe que les missions de service public confiées à la SNCF devraient être définies de manière plus précise ;
- Souhaite une mise en oeuvre rapide du transfert aux régions de la responsabilité du transport régional, dans le cadre de l'expérimentation prévue par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 ; estime que ce transfert devrait se faire dans le cadre d'une réflexion globale, au niveau de l'État, sur l'avenir du transport ferroviaire, et sur la péréquation des ressources entre les régions ;
- Souligne que la SNCF, qui dispose de nombreux atouts, doit entreprendre de profondes réformes en matière d'organisation et d'adaptation de sa gestion, qu'elle doit en outre améliorer rapidement ses performances, notamment en faisant appel à l'expérimentation et à l'innovation, afin de devenir un opérateur dynamique et conquérant dans l'espace européen.
* 2 Le « cabotage » désigne les services nationaux fournis par une entreprise de chemin de fer dans un État membre autre que celui dans lequel elle est établie.
* 3 Rapport d'information n° 331 (1995-1996) du 24 avril 1996, fait au nom de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne sur le projet communautaire de réforme des règles de transport ferroviaire en Europe (n° E 510) par M. Nicolas About intitulé : « L'Europe : une chance pour la SNCF ? ».
* 4 Rapport d'information n° 331 (1995-1996) du 24 avril 1996, fait au nom de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne sur le projet communautaire de réforme des règles de transport ferroviaire en Europe (n° E 510) par M. Nicolas About intitulé : « L'Europe : une chance pour la SNCF ? ».
* 5 Audition de M. Loïk Le Floch-Prigent, président de la SNCF, le mardi 28 mai 1996
* 6 Avis présenté au nom de la commission des Affaires économiques sur le budget des transports terrestres par M. Georges Berchet, Sénat, 1995-1996.
* 7 Christian Gérondeau, « Les transports en Europe », p. 151.
* 8 cf rapport précité p. 18.