I. LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉFORME DES PROCÉDURES DE PROTECTION DU PATRIMOINE ARCHITECTURAL

L'institution des ZPPAUP ne procédait nullement d'une critique des résultats de la législation protégeant le patrimoine architectural, dont on s'accorde à reconnaître que le bilan est « globalement positif », ni du travail accompli par les architectes des bâtiments de France (ABF). Comme le soulignait, à juste titre, le rapporteur pour avis de la commission des Affaires culturelles du Sénat sur la loi de 1983, « on a cherché beaucoup de mauvaises querelles aux ABF, en ne voyant que leurs erreurs ou l'effet désastreux de leur abstention. En revanche, personne ne voit, parce que par définition on ne peut pas les voir, les innombrables gâchis qu'ils ont évités » 2 ( * ) .

Elle répondait uniquement à la nécessité d'associer à la politique nationale de protection du patrimoine les collectivités territoriales, qui n'admettent plus, à juste titre, de n'avoir pas « leur mot à dire » sur des sujets qui les concernent au plus haut point. En effet, même si la concertation entre les élus et les architectes des bâtiments de France s'organise le plus souvent sur le terrain, les lois de 1913 ou de 1962 ne l'imposent pas. Elles peuvent donc être génératrices de conflits, certes très rares, mais qui n'en sont pas moins très regrettables.

Malheureusement, les progrès trop lents des ZPPAUP n'ont pas permis de supprimer les causes de ces conflits.

1. Les problèmes posés par les procédures antérieures à la décentralisation

Si on laisse de côté les procédures relevant de la loi du 2 mai 1930, qui ne sont plus utilisées pour la protection des sites bâtis à laquelle elles se sont révélées peu adaptées - l'inscription étant peu efficace et le classement, trop rigide, ne pouvant convenir qu'à des sites très « ponctuels » - la police du patrimoine architectural s'exerce aujourd'hui selon trois régimes :

- la protection des abords des monuments historiques prévue par la loi modifiée du 31 décembre 1913 ;

- les « secteurs sauvegardés » créés par la loi « Malraux » du 4 août 1962 ;

- et enfin les ZPPAUP instituées par la loi du 7 janvier 1983.

L'emploi qui en est fait laisse encore un avantage certain aux procédures les plus « étatiques ».

a) La législation des abords

C'est de loin le régime le plus fréquemment appliqué. C'est aussi celui qui présente les plus graves inconvénients, dont le rapporteur pour avis de la commission sénatoriale des affaires culturelles sur la loi du 7 janvier 1983 avait effectué un impitoyable recensement 3 ( * ) :


• Son mécanisme
est « absurdement automatique » . Il trace en effet autour des quelque 37.000 monuments classés ou inscrits des « ronds bêtes et méchants » , souvent inopérants pour protéger l'environnement d'une cathédrale au centre d'une ville ancienne, ou celui d'un château menacé par le voisinage d'une autoroute, parfois excessivement contraignants lorsqu'ils encerclent une fontaine ou « un simple porche perdu dans la campagne » .


• La procédure
relève totalement de l'État, et, en l'absence de toute règle de protection, repose pour l'essentiel sur l'exercice solitaire du pouvoir que la loi confère à l'architecte des bâtiments de France. Celui-ci est en effet investi de la mission redoutable de donner au nom de l'État sur les travaux projetés un avis qui, lorsqu'il est négatif, s'impose au pétitionnaire comme à l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation.

Ce « droit de veto » « exorbitant du droit commun (et exceptionnel dans notre législation) » , qui s'exerce dans les conditions les mieux faites pour faire peser sur les architectes des bâtiments de France les pires soupçons d'arbitraire, les cantonne en outre dans un rôle ingrat qui ne peut que nuire à la mission de conseil et à la fonction pédagogique qui sont inséparables d'une politique de protection architecturale. Mais s'étonnera-t-on, la procédure étant ce qu'elle est, que les pétitionnaires - et souvent ceux d'entre eux qui auraient le plus besoin de conseils éclairés - soient davantage portés à considérer l'architecte des bâtiments de France comme un censeur que comme un homme de l'art ?

Pour tenter de désarmer les critiques suscitées par le « droit de veto » de l'architecte des bâtiments de France, le décret n° 95-667 du 9 mai 1995 a institué une procédure permettant à l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation de faire « appel », devant le ministre, des « avis conformes » rendus par les architectes des bâtiments de France : l'autorisation ne peut en ce cas être délivrée qu'avec l'accord du ministre, dont le silence vaut, au bout de deux mois, confirmation de la position de l'architecte.

Cette procédure nouvelle - et demeurée confidentielle, sa publication ayant été éclipsée par l'annonce de la réintégration de l'architecture dans le giron du ministère de la culture - ne paraît malheureusement pas devoir supprimer les motifs d'insatisfaction qu'engendre « l'avis conforme ». Même si elle reste suffisamment exceptionnelle pour ne pas se solder trop fréquemment par des décisions tacites de rejet, elle risque fort, en effet, de n'apparaître que comme la manifestation réitérée d'un pouvoir d'État lointain et fermé au dialogue, et semble mal faite pour remédier au déficit d'explication, à l'absence de concertation, à l'imprévisibilité des critères de jugement qui sont les principales causes de dysfonctionnement de la procédure prévue par la loi de 1913.

b) La protection au titre des secteurs sauvegardés

L'application de la « loi Malraux », qui s'est traduite par l'élaboration de quelque 86 « plans de sauvegarde et de mise en valeur » protégeant d'importants ensembles architecturaux et urbains, nécessite une procédure extrêmement lourde, coûteuse, et totalement centralisée.

La procédure d'élaboration du plan de sauvegarde permet cependant de consulter la commune ou l'établissement intercommunal concerné (qui peuvent même prendre l'initiative de proposer la création du secteur sauvegardé), de recueillir l'avis d'une « commission locale du secteur sauvegardé », nommée par arrêté du préfet mais qui comporte des représentants de la commune, associe à ses travaux des personnalités qualifiées et des représentants des chambres de commerce et des métiers, et peut enfin entendre des associations agréées.

Mais on retrouve dans toute sa rigueur, au niveau de l'application des règles de protection prévues par le plan de sauvegarde, la procédure « d'avis conforme » de l'architecte des bâtiments de France :

- dès la délimitation du plan de sauvegarde et de mise en valeur, l'avis défavorable de l'architecte des bâtiments de France entraîne un sursis à statuer sur les demandes d'autorisation de travaux modifiant l'état des immeubles ;

- après la publication du plan, les autorisations sont subordonnées à un avis de l'architecte des bâtiments de France constatant leur conformité aux prescriptions du plan.

L'avis de l'architecte des bâtiments de France ne peut en outre faire l'objet d'aucune procédure d'appel.

c) Les ZPPAUP

Par comparaison avec les procédures résultant des lois de 1913 et de 1962, et en particulier avec la « police des abords », les ZPPAUP « n'ont que des avantages » (Paul Séramy).

Sans remettre en cause les compétences de l'État, (le ministre ayant notamment le pouvoir d'évoquer tout projet de zone et tout dossier d'autorisation de travaux dans les zones existantes), elles permettent en effet :

- de donner aux communes un pouvoir de codécision sur la création des zones et de les associer très étroitement, ainsi que la population, consultée par voie d'enquête publique, à la sauvegarde et à la mise en valeur du patrimoine local ;

- d'adapter le périmètre et les mesures de protection à la diversité de situations, en supprimant, pour les immeubles situés à l'intérieur de la zone et au profit des règles qu'elles prévoient, les servitudes résultant des lois de 1913 et de 1930 ;

- de fixer à l'avance les règles imposées par le régime protecteur. Dès lors, si l'avis conforme de l'architecte des bâtiments de France reste exigé pour l'autorisation des travaux, au moins se fonde-t-il sur des bases objectives et connues d'avance ;

- de retirer au « droit de veto » de l'architecte des bâtiments de France son caractère absolu. La loi de 1983 ouvre en effet la possibilité au maire ou à l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation le droit de faire appel de l'avis devant le préfet de région, qui statue après consultation du collège régional du patrimoine et des sites.

On pouvait donc penser que les ZPPAUP allaient rapidement se substituer aux régimes de protection des lois de 1913 et de 1930 et offrir de nouvelles possibilités de protection des sites urbains anciens comme du patrimoine contemporain.

Le bilan des créations de ZPPAUP est à cet égard décevant puisque 192 zones seulement, tant « urbaines » que « paysagères », ont été créées depuis 1983.

Ce résultat médiocre a de multiples causes :

- bien que les études préalables à la création de la zone soient relativement peu coûteuses, leur financement, réparti par moitié entre l'État et les communes, n'en présente pas moins des difficultés pour bien des collectivités. Quant à la participation de l'État, elle est également limitée tant par la conjoncture budgétaire que par la charge de travail que représente la mise en oeuvre des ZPPAUP pour les services départementaux de l'architecture, dont les moyens sont des plus limités ;

- la longueur des procédures -régies par des textes réglementaires qui mériteraient certainement d'être revus et simplifiés - peut aussi décourager les maires de s'engager dans des projets dont ils ne sont pas assurés de voir l'aboutissement ;

- la « période de rodage » inséparable de la mise en place d'une procédure nouvelle a pesé, dans les premières années d'application de la loi de 1983, sur le rythme de création des ZPPAUP, qui s'est nettement accéléré depuis 1990 : cette accélération reste cependant bridée par le manque de moyens, qui pourrait conduire à limiter à une zone par an et par département le nombre des mises en oeuvre de nouvelles ZPPAUP ;

- enfin, même si l'extension aux ZPPAUP du dispositif fiscal de la loi « Malraux », réalisée par la loi de finances pour 1995, peut avoir une influence positive sur le développement des ZPPAUP, la faiblesse et le caractère aléatoire des subventions pour travaux dont elles bénéficient ne contribuent pas non plus à renforcer leurs attraits.

* 2 Rapport pour avis de M. Paul Séramy au nom de la commission des Affaires culturelles, n° 16 (1982-1983).

* 3 Rapport précité de M. Séramy, n° 16 (1982-1983) p. 50 et s.

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