III. UNE REFORME APPRECIABLE QUI PERMETTRAIT, S'IL Y A LIEU, D'EN FAIRE EVOLUER LA PORTEE SANS NOUVELLE REVISION CONSTITUTIONNELLE
1. La révision constitutionnelle consacre l'intervention du Parlement sur l'équilibre financier de la sécurité sociale et représente donc une réelle avancée par rapport à la situation actuelle
Dans sa déclaration au Parlement le 15 novembre 1995, le Premier Ministre estimait que le Parlement « doit pouvoir -sur proposition du Gouvernement- fixer les orientations générales et les objectifs des politiques de protection sociale, les ressources financées par l'impôt, le taux d'évolution de l'ensemble des dépenses qui permettra de garantir l'équilibre du système et les critères de répartition des objectifs quantifiés nationaux ainsi arrêtés » .
Sous une formulation plus synthétique, le projet de révision constitutionnelle propose un dispositif qui constitue indiscutablement une avancée par rapport à la situation actuelle, même si l'on peut estimer que cette avancée aurait pu être obtenue par la voie beaucoup moins lourde et plus simple d'une loi organique, à condition de ne pas comporter de dispositions de procédure.
Cette avancée concerne autant la sécurité sociale elle-même que le rôle du Parlement.
En premier lieu, l'importance de la protection sociale dans la société française contemporaine et sa part déterminante dans le fonctionnement de notre économie justifient qu'elle fasse l'objet d'une disposition constitutionnelle plus précise qu'actuellement, où cette matière n'est abordée que sous l'angle de principes fondamentaux.
De surcroît, indépendamment du contenu des lois de financement, la révision constitutionnelle va inscrire dans la Constitution le principe même d'un équilibre financier de la sécurité sociale, alors que l'équilibre financier des régimes -ou, trop souvent, leur déséquilibre- n'étaient jusqu'à présent qu'une donnée purement comptable.
Mutatis mutandis, la « constitutionnalisation » du principe d'équilibre n'est pas sans analogie avec le principe d'équilibre financier du budget de l'État, tel qu'il est posé par l'article premier de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique sur les lois de finances. Celles-ci déterminent en effet la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'État « compte tenu d'un équilibre économique et financier qu'elles définissent » .
En second lieu, le principe d'équilibre sera traduit dans une loi particulière consacrée par la Constitution. Cette loi, délibérée et approuvée par la représentation nationale, représente un net progrès par rapport aux procédures de simple information conçues en cette matière depuis 1958.
Tout d'abord, pour reprendre les propos de notre collègue Charles Descours dans son rapport d'information précité, l'intervention d'une loi plutôt que l'examen d'un simple rapport conférera une « légitimité politique » aux décisions que l'État est amené à prendre en matière de sécurité sociale, « considérablement réduite en raison de l'absence du Parlement dans la formation des principaux choix devant guider la régulation du système » .
D'autre part, à la différence des procédures d'approbation d'un rapport, le vote d'une loi permettra à chaque parlementaire d'exercer son droit d'amendement, dans les conditions et sous les réserves déjà prévues par la Constitution (irrecevabilités constitutionnelles) et, le cas échéant, celles qui seraient instituées par la loi organique à laquelle renvoie le projet de révision.
Ces conditions et ces réserves ne sont pas encore définies mais il serait souhaitable qu'elles ne restreignent pas trop la capacité d'initiative des parlementaires.
Le vote d'une loi assortie s'il y a lieu d'amendements respecte mieux la vocation naturelle du Parlement, car celui-ci ne saurait se limiter à une simple approbation d'un rapport ou de comptes qui s'apparenterait à un quitus de la gestion passée.
Enfin, la révision introduit un élément de régularité. Elle crée, tant pour le Gouvernement que pour le Parlement, l'obligation d'un rendez-vous à date fixe sur la sécurité sociale, ce qu'aucune des dispositions législatives simples adoptées jusqu'à présent n'était parvenue à imposer durablement.
Chaque année, le Gouvernement aura en effet l'obligation constitutionnelle de déposer un projet de loi spécifique, à des dates ou dans une période que fixera la loi organique. Le Parlement sera quant à lui tenu chaque année de se prononcer sur ce sujet, dans des délais constitutionnels stricts.
L'annualité de cette procédure paraît de très loin préférable à des interventions épisodiques uniquement laissées à la discrétion des Gouvernements, eux-mêmes soumis à la pression des circonstances.
Comme dans le cas de la loi de finances, la discussion annuelle de la loi de financement sera l'occasion à la fois d'un bilan et d'un exercice prospectif.
S'agissant de l'aspect bilan, cette occasion offrira au Parlement un moment privilégié pour évaluer l'impact de ses décisions et de celles du Gouvernement en matière de sécurité sociale.
À ce titre, elle représentera un temps fort du contrôle parlementaire dans un domaine ou, précisément, les procédures antérieures ont montré leurs limites.
Mais le contrôle parlementaire doit aussi permettre au Parlement de faire oeuvre prospective.
La définition de l'équilibre et des objectifs de dépenses laissera précisément au Parlement plus de marge d'appréciation pour approuver ou, s'il y a lieu, pour infléchir ou modifier les arbitrages proposés par le Gouvernement, dans une perspective à moyen ou à plus long terme.
Cette formule représente donc un progrès par rapport à la situation antérieure où le Parlement était tenu informé de manière souvent irrégulière et n'intervenait généralement qu'après-coup et dans l'urgence pour rétablir une situation compromise. Surtout, les mécanismes conçus jusqu'à présent ne permettaient pas d'anticiper sur les évolutions à venir et demeuraient axés sur des solutions à très court terme.
2. Il aurait été néanmoins concevable d'aller plus loin dans la revalorisation du rôle du Parlement à l'égard de la sécurité sociale
La réforme proposée, pour appréciable qu'elle soit, aurait cependant pu conférer un rôle encore plus actif au Parlement en matière de sécurité sociale, notamment en lui reconnaissant la compétence de fixer les ressources dans les mêmes conditions que les dépenses.
Dans cette optique, on pourrait considérer les mécanismes proposés par le projet de révision comme une simple première étape d'une remise en ordre de la sécurité sociale.
Fallait-il s'arrêter à cette étape ?
Force est d'admettre que notre système de protection est très certainement appelé à connaître d'importantes évolutions dans les années à venir.
Dans cette optique, il serait difficile et sans doute peu réaliste d'anticiper sur ces évolutions en définissant dès à présent des compétences ou des modalités d'intervention du Parlement qui, à terme, risqueraient fort de ne pas correspondre aux nécessités du moment.
Seul le bilan de la présente révision permettra de vérifier, le moment venu, si les pouvoirs du Parlement en matière de sécurité sociale doivent encore être renforcés.
Pour l'heure, la révision constitutionnelle permet enfin de débloquer « le verrou » de la procédure. Il existera désormais l'instrument constitutionnel adéquat permettant au Parlement de se prononcer par un vote sur le financement de la sécurité sociale.
Par la loi organique, le Parlement pourra, le cas échéant, modifier le domaine de la loi de financement de la sécurité sociale en fonction d'évolutions sur lesquelles il serait difficile d'anticiper.
C'est sous le bénéfice de toutes ces observations que votre commission des Lois propose au Sénat d'adopter sans modification le projet de loi constitutionnelle.