A. L'ÉLARGISSEMENT DES POUVOIRS D'INFORMATION DES COMMISSIONS
1. La proposition de loi initiale
Trois dispositions avaient pour objet d'élargir les pouvoirs de commissions.
- L'obligation de déférer aux convocations des commissions parlementaires (article premier)
La proposition de loi initiale proposait d'inscrire expressément cette obligation dans la loi. Elle ne l'assortissait toutefois d'aucune sanction et elle en limitait la portée, ne prévoyant pas l'obligation de déposer ni de prêter serment qui prévaut devant les commissions d'enquête. L'exposé des motifs estimait en effet qu'il n'était pas nécessaire d'aller au-delà, l'affirmation du principe dans la loi rendant « difficile de faire obstacle » à son application.
Cet article est la traduction de la proposition n° 7 du rapport d'information : « permettre aux commissions de procéder à toutes les auditions qu'elles estiment nécessaires » .
Il est destiné à donner une base légale à l'audition des fonctionnaires sans l'accord préalable de leur ministre, « pratique courante à l'étranger » et qui, si elle ne porte pas « atteinte au principe de la séparation des pouvoirs » , n'est pas vraiment entrée dans les moeurs françaises ainsi qu'en témoignait dans un passé proche une circulaire du Premier Ministre, M. Pierre Mauroy, rappelant qu'il n'est « conforme ni à la tradition républicaine d'indépendance de l'administration vis à vis du pouvoir politique, ni au régime parlementaire qui pose le principe du contrôle des Assemblées par le Gouvernement, que des hauts fonctionnaires se rendent devant les commissions permanentes ou spéciales pour y répondre aux questions des parlementaires » .
La pratique s'est assouplie depuis cette circulaire mais les fonctionnaires qui viendraient devant une commission parlementaire sans avoir demandé l'autorisation de leur ministre commettraient incontestablement une faute professionnelle au regard de l'obligation de discrétion prévue par l'article 26 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et dont seule peut les délier une « décision expresse de l'autorité dont ils dépendent » .
- L'extension des pouvoirs des rapporteurs spéciaux des commissions des finances aux rapporteurs budgétaires pour avis (article 2)
Aux termes de l'exposé des motifs de la proposition de loi, les rapporteurs budgétaires pour avis pourraient « contrôler de façon permanente sur pièces et sur place l'emploi des crédits inscrits au budget du département dont ils assurent le suivi » , dans la mesure où ils auraient ainsi accès à tous les renseignements de nature à faciliter leur mission.
Ces pouvoirs sont actuellement réservés par l'article 164-IV de l'ordonnance du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959 « aux membres du Parlement qui ont la charge de présenter, au nom de la commission compétente, le rapport sur le budget » de ce ministère.
- L'élargissement à toutes les commissions de la faculté de demander des enquêtes à la Cour des comptes (article 3)
La proposition de loi initiale proposait d'ouvrir aux commissions permanentes la faculté, actuellement réservée aux commissions des finances et aux commissions d'enquête par l'article L. 132-4 du code des juridictions financières, de faire procéder par la Cour des comptes à des enquêtes sur la gestion des services, organismes ou entreprises soumis à son contrôle. Elle prévoyait en outre le concours, le cas échéant, des chambres régionales des comptes pour les collectivités, organismes et entreprises soumis à leur contrôle.
2. Les modifications apportées par l'Assemblée nationale
Après avoir salué une proposition de loi qui tendait à renforcer les pouvoirs du Parlement et à revaloriser son rôle, « répondant en cela à un souhait du Président Seguin, relayant lui-même un voeu exprimé par le Président de la République, alors candidat, le 27 février 1995 dans un discours à la Porte de Versailles, et renouvelé lors du message qu'il a adressé au Parlement le 19 mai dernier » , le rapporteur de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, M. Jean-Pierre Delalande, a proposé d'apporter un certain nombre de modifications aux articles premier et 3 de la proposition initiale et d'en supprimer l'article 2 qui « mettrait en cause la spécificité des commissions des finances » .
- La sanction du refus de comparaître (article premier)
Outre une rectification de caractère formel, l'Assemblée nationale a assorti l'obligation de comparaître devant les commissions spéciales d'une peine de six mois d'emprisonnement et de 50 000 francs d'amende. Le rapporteur a en effet estimé qu'un dispositif coercitif renforcerait incontestablement l'effet de l'obligation « surtout à l'égard des personnes privées » .
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'État aux Finances, qui représentait le Gouvernement, a estimé que cette sanction « revenait un peu à prendre un marteau-pilon pour écraser une mouche » mais il a souhaité « sans réserves » que les fonctionnaires de responsabilité et les ministres puissent être auditionnés. L'Assemblée nationale a donc adopté la sanction qui lui était proposée par sa commission spéciale.
- Le refus de donner aux rapporteurs budgétaires pour avis les pouvoirs des rapporteurs spéciaux (article 2 ancien)
La commission spéciale a estimé que l'extension proposée par la proposition de loi initiale ne pouvait être retenue pour trois motifs :
- le risque de concurrence et de surenchère entre les rapporteurs à l'égard d'une administration ;
- le risque d'inconstitutionnalité, les dispositions qu'il était proposé de modifier étant inscrites dans une loi de finances ;
- le risque de mettre en cause les pouvoirs de la commission des Finances ; plusieurs intervenants ont même parlé de « dilution » .
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des Finances, a estimé qu' « avec une centaine de parlementaires ayant un pouvoir d'investigation » , il n'est « pas sûr que nous atteindrons le niveau d'efficacité recherché » . Il a préféré que des équipes soient constituées autour des rapporteurs spéciaux pour approfondir les dossiers.
La plupart des orateurs ont par ailleurs souhaité un renforcement de l'activité effective des rapporteurs spéciaux.
- L'approbation de l'extension de la saisine de la Cour des comptes (article 2 nouveau)
Sous réserve d'une meilleure articulation avec le principe de l'autonomie des chambres régionales des comptes, l'Assemblée nationale a retenu l'idée d'élargir à l'ensemble des commissions la possibilité de demander des enquêtes à la Cour des comptes.
Elle a en revanche refusé d'étendre la saisine aux présidents des groupes politiques, M. Jean-Pierre Delalande faisant observer qu'il n'était pas souhaitable que la saisine de la Cour des comptes soit « politisée » .
B. LA CRÉATION D'UN OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES
1. La proposition de loi initiale
Les auteurs de la proposition de loi ont eu le souci d'insérer l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques dont ils proposaient la création dans l'organisation interne du Parlement afin que ses activités ne se substituent pas à celles des commissions permanentes « et singulièrement de leurs commissions des finances dans le domaine budgétaire » . A leurs yeux, l'office devait « mener des travaux que le Parlement n'est pas en mesure d'effectuer à l'heure actuelle » en créant « lui-même une information nouvelle, élaborée de façon scientifique, qui puisse alimenter le dialogue entre l'exécutif et le législatif ».
- Une délégation parlementaire commune aux deux Assemblées
La proposition de loi introduit dans l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires un article 6 quater nouveau pour créer une nouvelle délégation parlementaire commune aux deux Assemblées.
Inspirée de l'organisation de l'Office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques créé par une loi du 8 juillet 1983, l'Office d'évaluation des politiques publiques présente toutefois certaines spécificités, notamment dans sa composition.
S'il réunit en effet à parité des députés et des sénateurs assurant une représentation des groupes politiques et des commissions de chaque Assemblée, il comprend également quatre membres de droit : les présidents et les rapporteurs généraux des commissions des Finances des deux Assemblées, le président de chaque commission assurant alternativement la présidence annuelle de la délégation.
- Un conseil scientifique
La délégation est assistée d'un conseil scientifique composé de quinze personnalités choisies pour trois ans en raison de leurs compétences dans les domaines économique, social, budgétaire et financier.
- Des moyens d'information et d'investigation
La délégation peut recueillir l'avis de toute personne ou organisation qu'elle estime nécessaire.
Elle dispose des pouvoirs des rapporteurs spéciaux des commissions des finances.
Enfin, « en cas de difficultés dans l'exercice de sa mission » , elle peut, comme l'office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, demander à l'Assemblée d'où émane la saisine de lui conférer les prérogatives des commissions d'enquête, de leurs présidents et de leurs rapporteurs.
Il est par ailleurs précisé que la délégation peut « s'assurer de toute collaboration extérieure rémunérée qu'elle estime utile » , les collaborations et les frais de mission étant financés sur un budget doté à parts égales par les deux Assemblées.
- Une saisine ouverte
La délégation est saisie par :
- le Bureau de l'un ou l'autre Assemblée, soit à son initiative, soit à la demande d'un président de groupe ou à celle de soixante députés ou de quarante sénateurs ;
- une commission spéciale ou permanente ;
- l'un de ses membres.
La saisine serait donc plus ouverte que celle de l'Office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques pour lequel l'autosaisine avait été écartée en 1983.
- La définition de missions et d'un domaine d'intervention
L'office est chargé « d'informer le Parlement sur toute politique publique mise en oeuvre par des collectivités ou des organismes publics ou par des personnes de droit privé » chargées d'une mission de service public. A cette fin, il fournit au Parlement « des études sur les incidences économiques, sociales, budgétaires et financières des dispositions législatives et réglementaires » . Ces études peuvent comporter « des évaluations » et « des simulations » .
Ainsi définie, cette mission est différente de celle que M. Arthur Paecht et plusieurs députés souhaitaient confier à un autre office dont ils préconisaient la création dans une proposition de loi n° 2132 que l'Assemblée nationale n'a pas formellement examinée mais qu'elle a implicitement rejetée. L'Office d'évaluation et de contrôle budgétaire aurait en effet été chargé d'améliorer l'information du Parlement sur l'exécution des lois de finances, au prix d'un empiétement incontestable sur la mission de contrôle de l'emploi des crédits budgétaires dévolue aux commissions des finances par l'ordonnance du 30 décembre 1958 et donc en contradiction avec l'article premier de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances qui réserve au domaine exclusif des lois de finances les dispositions législatives destinées à organiser l'information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques.
La mission fondamentale de l'office institué par l'Assemblée nationale est clairement l'évaluation a priori et a posteriori des politiques publiques. Dans le premier cas, il s'agit en quelque sorte d'une aide à la décision parlementaire grâce à l'estimation, autant que faire se peut, de l'impact potentiel des dispositions proposées. Cette démarche pourrait d'ailleurs être grandement facilitée par l'engagement pris par le Premier Ministre lors de sa déclaration de politique générale et confirmé dans sa circulaire du 9 novembre 1995 d'assortir les projets de loi, à compter du 1er janvier 1996, de fiches d'impact présentant l'évaluation des moyens nouveaux nécessaires à leur mise en oeuvre.
Quant à l'évaluation ex post, il est clair qu'en dressant un bilan des effets d'une politique publique, elle en prépare la redéfinition ou le développement. Ainsi que l'indiquait le rapporteur de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, le Parlement « disposerait ainsi, pour autant que le Gouvernement l'associe plus en amont à ses travaux en l'informant suffisamment tôt de ses intentions, des moyens de proposer une alternative crédible aux propositions gouvernementale » .
Pour autant, l'office n'est pas une étape de la procédure législative ; une modification constitutionnelle eut d'ailleurs été nécessaire si tel avait été l'objectif.
La proposition de loi énumère par ailleurs les organismes susceptibles d'entrer dans le champ d'évaluation de l'office. Cette liste prend en compte non seulement les organismes publics mais également les personnes privées faisant appel, par des moyens légaux ou réglementaires spécifiques, à des ressources publiques ou des prélèvements obligatoires, ou agissant dans le cadre de conventions avec des collectivités ou organismes publics.
2. Le texte adopté par l'Assemblée nationale
L'essentiel du débat à l'Assemblée nationale a porté sur l'institution de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques. A l'issue de ce débat, le texte initial a été sensiblement remanié conformément aux observations présentées par la commission spéciale.
a) Les éléments du débat
Les débats de la commission spéciale et ceux de l'Assemblée nationale dans son ensemble ont clairement montré que si l'institution de l'office était généralement approuvée, le rôle de cette délégation était bien loin de faire l'unanimité.
- Un point d'accord : la nécessité de revaloriser le rôle du Parlement
La plupart des intervenants aux débats ont insisté sur la nécessité de renforcer le rôle du Parlement afin de favoriser le débat démocratique et, dans un contexte budgétaire difficile, d'ouvrir au citoyen un véritable droit de regard sur l'utilisation de l'impôt et, pour reprendre l'expression de M. Hervé Gaymard, secrétaire d'État aux finances qui représentait le Gouvernement, « la qualité des dépenses publiques » .
Certains orateurs ont également parlé de rééquilibrage des pouvoirs et de renforcement de la séparation des pouvoirs.
- L'évaluation : un enjeu
Pour nombre de députés, l'évaluation est un enjeu politique et technique d'importance.
Le rapporteur de la commission spéciale, M. Jean-Pierre Delalande, considère ainsi que son objet est en définitive d' « étudier, sur la durée, les problèmes de société » .
Le Gouvernement, pour sa part, et la grande majorité des intervenants insistent sur le lien avec la dépense publique. Certains vont même jusqu'à vouloir recentrer le rôle de l'office sur la préparation de l'élaboration et de l'exécution de la loi de finances.
La commission spéciale a toutefois souhaité affirmer une distinction qu'elle a voulu ferme entre l'évaluation et le contrôle, et donc entre les missions respectives de l'office et des commissions des Finances.
- Distinguer entre l'évaluation et le contrôle
Parce qu'il souhaitait éviter la création d'une « commission des finances bis » , M. Dominati n'a pas repris les conclusions de la mission d'information qu'il avait présidée pour leur préférer un office clairement distinct des commissions des Finances.
M. Gaymard, au nom du Gouvernement, a estimé que la distinction entre le contrôle, qui relève à titre principal de la commission des Finances, et l'évaluation « est capitale car il faut se garder de tout confusionnisme institutionnel » .
Le rapporteur de la commission spéciale a également souhaité insister sur cette distinction afin d' « éviter les interférences avec toute autre activité relevant de la compétence des commissions, notamment de la commission des Finances dans l'exercice de son contrôle budgétaire » ; autrement dit l'office travaillerait avec un certain recul et ne serait pas partie prenante au « travail législatif au jour le jour » .
Cette distinction entre évaluation et contrôle n'a toutefois pas paru convaincante à tous ceux qui, comme M. Paecht, estiment que contrôle et évaluation sont deux techniques jumelles.
b) Les modifications apportées à la proposition de loi
L'Assemblée nationale a suivi pour l'essentiel sa commission spéciale dans les modifications qu'elle lui proposait d'apporter au texte initial de la proposition de loi.
- L'élargissement du champ de l'évaluation
En empruntant au décret de 1990 sa définition de l'évaluation, l'Assemblée nationale a élargi le champ d'intervention de l'office à toutes les politiques publiques mais en calquant son champ d'intervention sur celui de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes.
- L'affirmation d'une distinction entre évaluation et contrôle
En retirant à l'office le pouvoir d'exercer des contrôles sur pièces et sur place, l'Assemblée nationale a souhaité réserver aux commissions des Finances l'exclusivité du contrôle budgétaire.
- Une meilleure articulation avec les commissions permanentes
Après que son rapporteur eut précisé que « cet office doit être au service de l'ensemble du Parlement » et ne doit « pas pouvoir user de pouvoirs propres et autonomes » , l'Assemblée nationale a supprimé la faculté pour l'office de s'autosaisir.
L'articulation, avec les commissions des Finances est en outre garantie par la présence de droit, au sein de l'office, de leurs présidents et de leurs rapporteurs généraux.
Enfin, l'effectif de l'office a été augmenté de dix membres représentant les cinq autres commissions permanentes des deux assemblées.
- Un dispositif allégé
Le texte adopté par l'Assemblée nationale renvoie au règlement intérieur de l'office (qui est soumis à l'approbation des bureaux des deux Assemblées) le soin de fixer la composition du conseil scientifique.
Il prévoit en outre que la publicité des travaux de l'office est de droit après leur communication à l'auteur de la saisine.
3. La proposition de loi n° 388 de M. Bernard Barbier
M. Bernard Barbier, président de la délégation du Sénat pour la planification dont les travaux ont été évoqués plus haut, et plusieurs de nos collègues, ont déposé, en juillet dernier, une proposition de loi tendant à modifier l'article - 2 de la loi n° 82-65 du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification afin d'instituer un office parlementaire pour la prospective économique.
L'objet de cette proposition de loi est d'élargir à la prospective économique la compétence actuelle des délégations pour la planification. Il est donc distinct de celui qui justifie la création de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques imaginé par l'Assemblée nationale, qui, à la demande de la commission spéciale, ne comprend pas la prospective économique dans son champ d'étude.
Cette proposition de loi doit toutefois être mentionnée ici car elle propose une construction originale ; la structure commune aux deux Assemblées conçue par nos collègues est en effet de type confédéral : les deux délégations pour la prospective économique constituées dans chaque assemblée formeraient un organe de coopération souple et à double commande, sa présidence étant assurée conjointement par les présidents des délégations.
Dans l'esprit de ses concepteurs, cette organisation permettrait de préserver la spécificité des acquis sénatoriaux en matière de prospective économique et l'autonomie politique de chacune des assemblées, le domaine de la prospective économique étant « plus proche des choix politiques que ne l'est la prospective scientifique » .
Sur le fond, cette proposition de loi, ayant un objet distinct de celle qui nous occupe, il n'y a bien sûr pas lieu d'en joindre l'examen.