N° 149
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 20 décembre 1995.
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relatif au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers,
Par M. Jean-Pierre TIZON,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larcbé, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, vice-présidents ; Robert Pagès, Michel Rufin, Jacques Mahéas. Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Claude Cornac, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Charles Jolibois, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Jean-Pierre Tizon, Alex Türk, Maurice Ulrich.
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
Réunie le 20 décembre 1995, sous la présidence de M. Jacques Larché, président, la commission des Lois a examiné, sur le rapport de M. Jean-Pierre Tizon, le projet de loi n° 105 (1995-1996), relatif au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers, adopté par l'Assemblée nationale.
La commission a tout d'abord considéré que l'examen de ce texte lui donnait une nouvelle occasion de rendre hommage au courage et au dévouement des sapeurs-pompiers volontaires.
Elle a en outre reconnu la nécessité d'encourager le volontariat, constatant les difficultés actuelles de recrutement des sapeurs-pompiers et d'organisation de leur disponibilité.
La commission a adopté l'ensemble du projet de loi, sous la réserve de 16 amendements.
Les principales orientations qu'elle a retenues ont été les suivantes.
• S'agissant du régime des
autorisations d'absence,
elle a eu le souci de ne pas
dissuader les entreprises, par un dispositif trop contraignant, d'embaucher des
sapeurs-pompiers volontaires.
Elle a donc rétabli, à l' article 3, le principe général selon lequel les autorisations d'absence peuvent être refusées lorsque s'y opposent les nécessités de fonctionnement de l'entreprise ou du service public, tout en prévoyant la possibilité de déroger à ce principe par convention entre l'employeur et le SDIS.
La convention pourrait ainsi fixer un nombre annuel d'heures d'absence en-deçà duquel les autorisations d'absence ne pourraient être refusées et au-delà duquel elles seraient soumises à l'accord de l'employeur et donneraient lieu à une compensation financière.
Elle a par ailleurs prévu, à l' article 2, que la programmation des gardes serait systématiquement communiquée à l'employeur.
• Au sujet de la
formation,
la
commission a fixé sa durée minimale à trente jours
répartis au cours des trois premières années (dont au
moins dix jours la première année) et à cinq jours par an
par la suite
(article 5).
Toutefois, les actions de formation n'ouvriraient droit à autorisation d'absence que dans la limite de cette durée minimale.
Elle a également prévu une information préalable de l'employeur par le SDIS, au moins deux mois à l'avance.
Elle a en outre souhaité placer les travailleurs indépendants et les membres des professions non salariées, lorsqu'ils sont sapeurs-pompiers volontaires, dans une situation aussi favorable que les employeurs de sapeurs-pompiers volontaires à l'égard du financement de la formation professionnelle (article 9).
• La commission a décidé de
réserver jusqu'à sa prochaine réunion sa décision
sur l'
article 10 bis,
prévoyant un dispositif
d'abattements sur les primes d'assurance
incendie en faveur
des employeurs de sapeurs-pompiers volontaires.
Pour sa part, le rapporteur a estimé préférable, plutôt que de fixer de manière rigide des abattements sur le montant des primes d'assurance incendie, de renvoyer à une convention nationale conclue entre l'État, les entreprises d'assurance et les organisations représentant les employeurs des sapeurs-pompiers volontaires, les conditions dans lesquelles les contrats d'assurance devraient prendre en compte la contribution des sapeurs-pompiers à la prévention des risques.
• En dépit de son incidence
financière pour les collectivités locales, la commission a
approuvé la généralisation de
l'allocation de
vétérance,
laquelle constitue une légitime
reconnaissance de la collectivité nationale à l'égard des
services rendus par les sapeurs-pompiers volontaires.
Elle a cependant clarifié la définition de la part variable, à l' article 12, de manière à limiter les risques de dérive financière. Elle a ainsi précisé que le montant de la part variable ne pourrait excéder celui de la part forfaitaire et que les critères de modulation de la part variable en fonction des services accomplis par le sapeur-pompier volontaire seraient définis par décret.
• Enfin, soucieuse d'encourager le
développement des formes de service national intéressant la
sécurité civile, la commission a prévu, à
l'
article 16 A,
d'instituer une priorité d'accès
à un service de sécurité civile en faveur des
appelés qui ont déjà accompli plus d'une année dans
un corps de sapeurs-pompiers volontaires.
Elle a en outre adopté certains amendements de cohérence ou d'amélioration rédactionnelle.
Mesdames, Messieurs,
L'examen du projet de loi relatif au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers donne une nouvelle fois à votre commission des Lois l'occasion de rendre hommage à l'action courageuse des sapeurs-pompiers qui se dévouent quotidiennement au service de la collectivité et dont les qualités sont unanimement appréciées par la population. Animés par la devise « sauver ou périr », ils n'hésitent pas à s'exposer pour secourir leurs concitoyens, et l'on déplore malheureusement plus d'une vingtaine de décès de sauveteurs en service chaque année.
Or ce sont les sapeurs-pompiers volontaires, plus précisément, qui constituent la charpente de l'organisation de la sécurité civile en France. Représentant plus de 85 % des effectifs totaux des sauveteurs, ils sont le plus souvent les seuls, en zone rurale, à être en mesure d'intervenir dans un délai rapide.
Cependant, le volontariat des sapeurs-pompiers est aujourd'hui en crise. Alors même qu'ils sont chaque jour davantage sollicité, leurs effectifs tendent à décroître, de même que la durée moyenne de leur engagement. Exerçant très majoritairement une activité professionnelle dans les secteurs public ou privé, ils éprouvent de plus en plus de difficultés à concilier celle-ci avec leur engagement de sapeur-pompier volontaire, en l'absence de toute disposition légale les autorisant à s'absenter.
Cette situation a conduit le Gouvernement à préparer un projet de loi afin d'organiser leur disponibilité dans des conditions plus satisfaisantes et de les doter d'un statut légal qui leur fait aujourd'hui largement défaut.
Ainsi, un projet de loi « relatif au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers » a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, le 2 mars 1995, par M. Charles Pasqua, alors ministre de l'Intérieur (n° 1952 AN).
La commission des Lois de l'Assemblée nationale, saisie de ce texte, a cependant dans un premier temps émis un vote négatif, le 28 juin 1995. Elle a en effet craint, selon les termes retenus dans le rapport supplémentaire ultérieurement présenté par M. Pierre-Rémy Houssin, rapporteurs « que ce projet de loi n'aille à l'encontre de son objectif et ne décourage les entreprises d'embaucher des sapeurs-pompiers volontaires, tout en alourdissant les charges des collectivités locales » .
Après avoir entendu M. Jean-Louis Debré, ministre de l'Intérieur, le 21 septembre, la commission des Lois de l'Assemblée nationale a toutefois procédé à une seconde délibération le 8 novembre, examinant simultanément l'intéressante proposition de loi déposée entre-temps par notre collègue Jean-Jacques Hyest, alors député (n° 2227 AN). Elle a alors adopté le projet de loi après l'avoir substantiellement amendé, cherchant en particulier à assouplir certaines dispositions jugées trop astreignantes pour les employeurs.
Le projet de loi, tel que modifié par l'Assemblée nationale au cours de ses séances publiques des 22 et 29 novembre dernier [n° 105 (1995-1996)], est aujourd'hui soumis au Sénat.
Avant d'en présenter les dispositions et d'exposer les orientations retenues par votre commission des Lois, il convient de rappeler les grands traits de la situation actuelle des sapeurs-pompiers volontaires.
I. LA CRISE ACTUELLE DU VOLONTARIAT DES SAPEURS-POMPIERS
Les sapeurs-pompiers volontaires doivent aujourd'hui assurer des interventions de plus en plus nombreuses et diversifiées avec des effectifs en diminution et bien moins importants que dans les pays voisins.
L'insuffisance du recrutement et la réduction de la durée moyenne d'engagement s'expliquent largement par les difficultés croissantes qu'ils rencontrent pour concilier leur engagement avec leur activité professionnelle.
Ces problèmes ne peuvent qu'être renforcés par l'absence de cadre juridique homogène réglementant l'activité de sapeur-pompier volontaire.
A. DES EFFECTIFS EN BAISSE FACE À DES INTERVENTIONS DE PL US EN PLUS NOMBREUSES ET DIVERSIFIÉES
1. Des effectifs stagnants et moins nombreux que dans les pays voisins
Les sapeurs-pompiers volontaires sont aujourd'hui au nombre de 203 000 environ, soit 86,55 % des effectifs totaux de sapeurs-pompiers, alors que le nombre des sapeurs-pompiers professionnels ou militaires ne s'élève respectivement qu'à 23 000 (9,85 % des effectifs) et 8 500 (3,6 % des effectifs), soit 31 500 ( ( * )1) .
Sur longue période, leurs effectifs ont fortement décrû ; en effet, ils étaient au nombre de 273 000 au début du siècle, pour assurer la sécurité d'une population bien inférieure à la population actuelle.
Sur courte période, il s'agit plutôt d'une stagnation globale (+ 2,3 % entre 1988 et 1993), traduisant des évolutions locales très contrastées (sur 77 départements, 54 ont vu leurs effectifs croître au cours de cette période de cinq ans, alors que 23 ont vu leurs effectifs stagner ou diminuer).
Les effectifs de sapeurs-pompiers volontaires sont d'ailleurs, en nombre absolu, extrêmement variables : si l'on compte en moyenne 2 000 volontaires par département, certains départements n'en ont que quelques centaines, alors que trois départements de l'Est de la France (à savoir les Vosges, le Haut-Rhin et le Bas Rhin) concentrent à eux seuls plus de 12 % du total des effectifs nationaux. Ainsi, comparativement à la population, la proportion de sapeurs-pompiers volontaires varie considérablement d'un département à l'autre, de un pour mille habitants en Seine-et-Marne ou en Essonne, par exemple, à dix pour mille habitants dans le Bas-Rhin. En outre, un faible nombre de volontaires n'est pas toujours compensé par un nombre élevé de professionnels.
Parallèlement, la durée moyenne d'engagement des sapeurs-pompiers volontaires tend à se réduire : ainsi, seuls 26 % d'entre eux sont en fonction depuis plus de 15 ans, alors que 41 % ont une ancienneté comprise entre 5 et 15 ans et que 33 % sont engagés depuis moins de 5 ans.
Cette évolution préoccupante rend aujourd'hui difficile la constitution et le maintien d'équipes mobilisables en nombre suffisant dans certains centres de secours. Ainsi, selon la Fédération nationale des sapeurs-pompiers français, seuls 52 % des centres de secours principaux et 10 % des centres de secours fonctionneraient actuellement avec un effectif au moins égal à l'effectif réglementaire.
La comparaison avec les autres pays européens fait par ailleurs ressortir la faiblesse des effectifs de sapeurs-pompiers français, le nombre de sapeurs-pompiers rapporté au nombre d'habitants étant l'un des plus faibles d'Europe. Ainsi, on compte un sapeur-pompier volontaire pour 270 habitants en France, contre par exemple un pour 70 habitants en Allemagne, un pour 42 habitants au Luxembourg et un pour 29 habitants en Suisse.
2. Des interventions de plus en plus nombreuses et diversifiées
Or, avec ces effectifs restreints, les sapeurs-pompiers volontaires français doivent faire face à un accroissement extrêmement rapide du nombre de leurs interventions. En effet, alors qu'en 1948 les sapeurs-pompiers réalisaient environ 85 000 interventions sur le territoire national, soit une toute les six minutes, ils effectuaient plus de trois millions d'interventions en 1992, soit une toute les 11 secondes.
De plus, l'augmentation du nombre des interventions (+ 72 % en dix ans) a affecté au premier chef les centres de première intervention (+ 120 %) et les centres de secours (+ 81 %), qui assurent le maillage territorial de l'organisation des secours et dont les effectifs sont en quasi-totalité composés de sapeurs-pompiers volontaires.
Ceux-ci doivent donc assurer des interventions de plus en plus nombreuses, mais également de plus en plus variées.
Ainsi, la lutte contre les incendies, qui constituait autrefois la principale mission des sapeurs-pompiers, ne représente plus que 9,5 % de leurs interventions, alors que 28,95 % des interventions sont effectuées pour apporter des secours aux personnes, 11,3 % pour des accidents de circulation, 22,65 % pour des missions de prévention d'accidents et 4,25 % pour des actions de sauvegarde de l'environnement (le surplus étant constitué par des interventions diverses).
On constate donc un décalage croissant entre l'évolution de la demande de secours et celle des moyens humains permettant de répondre à cette demande.
* (1) Les chiffres figurant dans le présent rapport sont essentiellement tirés du Livre blanc sur les sapeurs-pompiers volontaires en France, publié par la Direction de la Sécurité civile du ministère de l'Intérieur en mars 1995.