II. LE CONTRAT DE PLAN DE LA DERNIÈRE CHANCE
"Après l'échec du précédent contrat de plan qui prévoyait son retour à l'équilibre, la SNCF est dans une situation critique. Dans le cadre du nouveau contrat de plan en cours d'élaboration, elle devra renforcer la maîtrise de ses dépenses et réussir sa reconquête commerciale". Ainsi s'expriment les rédacteurs du rapport effectué à la demande du Sénat sur les comptes consolidés du secteur public. Ces deux phrases synthétisent bien la situation et les objectifs du prochain contrat de plan pour la SNCF, mais ne disent rien de l'effort de l'État, encore inconnu lors de la publication de ce rapport. Cet effort pourrait se révéler très important.
A. LES POINTS FORTS DE L'AVANT-PROJET DE CONTRAT DE PLAN
A l'heure où votre rapporteur rédige ces lignes, le contrat de Plan 1996-2000 n'est pas encore signé. Il ne devrait l'être que le 13 décembre. Cependant, un avant-projet a été diffusé le 27 novembre, et les dispositions que l'État entend prendre vis-à-vis de la dette ont été précisées le 28.
Quatre enjeux principaux vont dominer les cinq années couvertes par le contrat de plan : la dette de l'entreprise, les infrastructures, les efforts commerciaux et le statut des cheminots.
1. Le problème de la reprise de la dette
"L'effort d'allégement de la dette", élément fondamental qui conditionne la pérennité même de l'entreprise, n'est qu'évoqué dans le premier avant-projet diffusé, bien que cet enjeu soit le plus important du contrat de plan.
Le 28 novembre, le gouvernement a annoncé une reprise de la dette en trois étapes :
- 25 milliards de francs le 1er janvier 1996
- 12 milliards de francs le 31 décembre 1996 1 ( * )
- le solde en fonction des résultats obtenus par la SNCF. La dette serait ainsi reprise proportionnellement aux progrès du résultat d'exploitation de l'entreprise, ces progrès étant mesurés à partir de la base d'un déficit inférieur ou égal à 8 milliards de francs en 1996. Sur les cinq prochaines années, cet élément pourrait représenter entre 53 et 98 milliards de francs.
Le mécanisme de reprise de ce solde serait le suivant :
• l'État épongerait chaque
année les
frais financiers
de l'entreprise du
même montant que s'améliorerait le
solde
d'exploitation
. Compte tenu du taux d'intérêt actuel de
la dette, une couverture d'1 milliard de francs de frais financiers
équivaut à une reprise de 12,5 milliards de francs d'encours de
dette (ce calcul se fera chaque année en fonction du taux
d'intérêt moyen constaté) ;
• l'État reprendrait directement un montant
de dette égal à celui des
plus-values de cession
réalisées. Un milliard de francs de plus-value
entraînerait 1 milliard de francs de reprise d'encours de la
dette
1
(
*
)
.
La dette ainsi reprise sera logée dans le service annexe d'amortissement de la dette, géré par la SNCF, mais dont l'État prend en charge les intérêts et remboursements.
Dès la préparation du projet de loi de finances pour 1995, votre commission considérait comme probable une reprise au moins partielle de la dette de la SNCF par l'État 2 ( * ) . Le président de la SNCF, M. Jean Bergougnoux, avait réclamé une reprise de 100 milliards de francs, correspondant à une charge annuelle de 8 milliards de francs, équivalente au déficit constaté pour 1994.
La reprise d'ores et déjà prévue occasionnera une charge supplémentaire pour le budget de l'État. Cette charge pourrait être d'au moins 2 milliards de francs en 1997, puis de 3 milliards de francs en 1998 en ce qui concerne les intérêts ; les charges d'amortissement dépendant de la structure de l'échéancier de la dette reprise. Votre rapporteur juge possible un doublement des dépenses du service annexe à l'horizon 1997, qui passerait de 4,4 milliards de francs dans les crédits présentement examinés, aux environs de 8 à 8,5 milliards de francs. La dette de l'État sera quant à elle immédiatement augmentée de 37 milliards de francs en 1996, par un jeu d'écritures, sans impact sur les flux budgétaires de cet exercice.
Le Sénat doit tenir compte de ces considérations dans le jugement porté sur les présents crédits.
L'effort de l'État ainsi consenti est très substantiel. A cet égard, la comparaison avec l'Allemagne fédérale, dont l'État a repris la totalité de la dette de la Deutsche Bahn - soit 275 milliards de francs - doit tenir compte du fait que cette dette était en grande partie constituée du coût d'intégration des chemins de fer des Länder de l'Est.
De son côté, la SNCF trouvera une motivation supplémentaire de performance puisque l'État lui offre en fait de doubler ses résultats.
Elle devra consentir des efforts propres de désendettement. L'avant-projet de contrat prévoit ainsi un recentrage sur le métier de base de l'entreprise, et la cession de tout le patrimoine non lié à ce métier.
Ce programme comporte trois éléments :
ï la filialisation de l'activité "télécommunications", déjà réalisée le 23 novembre 1995 par la création de "Télécom développement". Cette filialisation peut précéder une cession au moins partielle ;
ï la cession de tous les actifs immobiliers et fonciers ne concourant pas au transport
ï la cession des participations financières et des filiales situées hors du métier de base.
La SNCF a d'ores et déjà engagé des actions en ce sens, mais avec des résultats encore modestes. Les cessions immobilières se sont élevées à 829,4 millions de francs en 1994 (537,7 millions de francs en 1993). Aucune cession de filiales n'a eu lieu en 1994. Le résultat exceptionnel a surtout été dû à des ventes de matériel roulant.
Les filiales de la SNCF
La SNCF compte 400 filiales, dont le chiffre d'affaires (SNCF incluse) est de 28,5 milliards de francs et la contribution au résultat social du groupe de 165,5 millions de francs.
ACTIVITÉ |
CHIFFRE D'AFFAIRES (mdf) |
|
1. Transport routier (groupe SCETA) dont Transport combiné Transports spécialisés General Cargo Tourisme et voyages Divers 2. Les autres filiales dont : Logement social Transport maritime Location de wagons Ingénierie Dessertes terminales SERNAM Publicité Production d'énergie électrique Distribution internationale Edition |
21,4 1,3 1,4 15,8 2,6 0,3 7,1 2,6 1,2 1,0 0,8 0,5 0,4 0,3 0,2 0,1 |
L'ensemble du patrimoine cessible de la SNCF représenterait 160 milliards de francs dont 25 milliards de francs relativement liquides. La solution d'un cantonnement de ce patrimoine au sein de l'État, imaginée par le président de la SNCF n'est finalement pas retenue, mais celle qui est adoptée aboutit à un résultat analogue en ce sens que la SNCF devra pratiquer une politique de cession systématique de tout ce qui n'est pas indispensable au transport ferroviaire.
2. Le financement des infrastructures
Aux termes de l'avant-projet, "les investissements seront limités au niveau rigoureusement indispensable sur le réseau classique". Il n'est rien dit des lignes de TGV, sinon par allusion à la révision du schéma directeur en 1996.
A propos du réseau, il est probable qu'une rationalisation conduisant à des fermetures de lignes devra se produire. Bien que ne l'affirmant pas aussi clairement, l'avant-projet précise que les lignes à faible trafic devront être remises en question, en concertation avec l'État pour les lignes nationales, avec les régions pour les lignes locales. L'État est responsable des infrastructures et c'est donc à lui qu'il reviendra de décider la fermeture éventuelle des lignes.
Un exemple de ligne régionale déficitaire
Votre rapporteur a pris l'exemple d'une ligne réelle, dont la comparaison avec l'autocar est à l'avantage de ce dernier. Tout choix du maintien du train impliquerait une charge publique.
Desserte Train express régional (TER)
La desserte de cette ligne est constituée par trois aller-retour quotidiens autocar, un aller et deux retours par train (un retour supplémentaire les lundis). D'autres trains circulent aussi sur ce tronçon ferroviaire.
Fréquentation
Maximum de l'autocar le moins chargé 1 Maximum de l'autocar le plus chargé 13 Maximum d'occupation du train le moins chargé 28 Maximum d'occupation du train le plus chargé : 207 Taux d'occupation dynamique (VK/CKM) 9 Pour rappel, le taux de la région, pour les autocars, se situe à 9 Taux d'occupation dynamique (VK/TKM) 39 Pour rappel, le taux de la région se situe à 52 |
Bilan
1992 |
1993 |
1994 |
||
Déficit de la ligne autocar |
.. 1,0 MF |
1,3 MF |
1,3 MF |
|
Déficit de la ligne train |
.. 6,2 MF |
4,9 MF |
6,8 MF |
Taux de couverture routier des charges par les recettes R/C Pour rappel, le taux de la région se situe à 43 % Taux de couverture ferroviaire des charges par les recettes R/C ... Pour rappel, le taux de la région se situe à 32 % |
. 41 % . 25% |
La contribution de l'État aux charges d'infrastructures devrait suivre le même régime que lors du précédent contrat, puisqu'elle est régie par le cahier des charges actuellement en vigueur. Celui-ci n'a été récemment révisé que pour tenir compte des dispositions européennes qui obligent à distinguer la comptabilité de l'infrastructure de celle de l'exploitation.
3. Les efforts commerciaux
L'avant-projet de contrat de plan consacre un volet important à la reconquête commerciale sur laquelle se fondent tous les espoirs de redressement durable de l'entreprise.
Trois nouveautés remarquables peuvent être observées dans les stipulations :
- la SNCF bénéficiera désormais de la liberté tarifaire pour les lignes de voyageurs, dans le respect du cahier des charges ;
- elle s'engagera dans la réforme préconisée par notre collègue Hubert Haenel, tendant à faire des régions les autorités organisatrices des transports intra-régionaux ;
- elle bénéficiera de la liberté dans le développement du fret, en particulier le transport combiné.
4. Le statut des cheminots et le régime des retraites
L'avant-projet de contrat ne traite pas du statut des cheminots et de leur régime particulier de retraite. Il demeure cependant évident que ces éléments conditionnent la réussite du contrat de plan, du fait de leur poids sur les comptes de la SNCF.
En restant allusif, l'avant-projet invite ainsi les cheminots à être "acteurs des changements nécessaires", et la SNCF à rechercher "les voies et moyens d'une modernisation sociale". La SNCF devra également "conduire un effort durable de modération salariale" et accélérer ses gains de productivité.
Tout en restant vagues, ces objectifs impliquent le maintien d'une politique de réduction d'effectifs, et probablement une rigueur salariale accrue 1 ( * ) .
Quant aux retraites, qui coûtent actuellement 18 milliards de francs par an à l'État et aux autres régimes, le contrat de plan ne les remettra pas en cause. A cet égard, la publication du plan de redressement de la sécurité sociale a créé une coïncidence malheureuse avec la négociation de ce contrat pour provoquer une inquiétude excessive de la part des cheminots. La contribution de l'État aux charges de retraites reste une subvention d'équilibre comme lors du précédent plan.
Il reste que, sans modification du statut, la direction de l'entreprise et les syndicats devront mettre au point un mode de dialogue social ne reposant plus systématiquement sur la grève 1 ( * ) , comme c'est le cas en Allemagne, malgré la scission programmée en trois entités de la DB à terme. C'est probablement l'un des sous-entendus de la "modernisation sociale".
* 1 soit un montant total supérieur au cumul des déficits 1992-1995 (31 milliards de francs environ), mais quasiment égal, ironie de l'histoire, à celui du précédent contrat de plan (38 milliards de francs).
* 1 Dans l'avant-projet de contrat de plan, cet élément est formulé de façon plus complexe : l'État reprend un montant de dette égal au produit des plus-values par le taux d'intérêt, divisé par le taux d'intérêt.
* 2 Rapport général n° 79 - Annexe n° 19 (1994-1995) page 25.
* 1 Le salaire moyen des cheminots s'est accru de 2,7 % par an en termes réels de 1990 à 1994 alors que la productivité de l'entreprise a stagné.
* 1 Représentant moins de 1 % de la population active occupée, les cheminots totalisent 20 % des journées de travail perdues ces dernières années.