CHAPITRE II - LA SNCF DEVANT L'AIGUILLAGE DÉCISIF

Le prolongement d'un an supplémentaire du contrat de plan 1990-1994, et la reconduction des dotations de l'État en 1996 sur ce canevas, telle qu'elle est prévue par le présent projet de loi de finances, mènent la SNCF dans une impasse.

C'est pourquoi il convient de signer d'urgence un nouveau contrat, indispensable pour une entreprise se sachant condamnée en l'absence de nouvelle orientation.

Les crédits ici examinés ne tiennent pas compte du nouveau contrat de plan, qui n'aura pas d'influence directe sur eux. Il est cependant indispensable d'en analyser les répercussions probables pour bien les juger.

I. LE CONTRAT 1990-1994 DANS L'IMPASSE

A. LES CONCOURS DE L'ÉTAT A LA SNCF POUR 1996

Ils sont reconduits sur le schéma du contrat 1990-1994. Quoique très élevés, ils ne sont pas en mesure de tirer l'entreprise de l'ornière où elle est enfoncée. Ils sont retracés dans le tableau ci-après.

Le montant total de ces concours s'élève à 39,3 milliards de francs en 1996 1 ( * ) , en augmentation de 2,0 % par rapport à 1995. Ils concernent, pour l'essentiel, à hauteur de 38,2 milliards, le réseau principal ; le reliquat, soit 1,1 milliard de francs, étant affecté au réseau de la banlieue parisienne.

Ils correspondent à deux objectifs essentiels : la compensation des missions de service public imposées à la SNCF et l'harmonisation des conditions de concurrence avec les autres moyens de transport.

La compensation des missions de service public justifie le versement à la SNCF :

Ø d'une contribution pour le maintien des installations nécessaires aux besoins de la défense du pays ;

Ø d'une contribution à l'exploitation des services régionaux de transports de voyageurs d'un montant de 4,30 2 ( * ) milliards de francs en 1996 ;

Ø d'une compensation au titre des tarifs sociaux d'un montant de 1,93 2 milliard en 1996 ;

Ø et d'une contribution à l'équilibre des comptes de l'activité du transport de voyageurs dans la région parisienne, soit 863² millions de francs en 1996, comprenant une indemnité compensatrice et une compensation pour les réductions de tarifs accordées sur le réseau banlieue. La réduction de ces deux postes provient de l'accroissement attendu du rendement du versement de transport et d'une participation accrue des usagers.

L'harmonisation des conditions de concurrence justifie, pour sa part, le versement par l'État d'une contribution aux charges d'infrastructures de 12,2² milliards de francs tendant à tenir compte des responsabilités spécifiques confiées à la SNCF en matières d'infrastructures et d'une contribution aux charges de retraite de 13,7 milliards de francs.

Ces contributions sont respectivement en augmentation de 3,5 % et stable par rapport à leurs montants de 1995.

L'accroissement de ce premier poste est lié aux besoins occasionnés par la réalisation du schéma directeur des trains à grande vitesse.

La stabilité de la contribution aux charges de retraites est obtenue malgré une dégradation continue de la structure démographique du régime spécial de la SNCF ; Cette relative incohérence laisse penser à votre rapporteur.

Elle est calculée en fonction d'un taux de cotisation normalisé incombant à la SNCF .et à ses salariés affilies de 38,13% de la masse salariale pour 1996.

Enfin, l'État apporte son concours à l'assainissement de la situation financière de la SNCF par un versement de 4,4 milliards de francs au service annexe d'amortissement de la dette, en application de l'article 28 du contrat de plan (1990-1994). Ce service annexe, doté d'une comptabilité séparée dans les livres de la SNCF, a été mis en place à compter du 1er janvier 1991, afin de gérer la partie de la dette correspondant aux déficits cumulés de l'entreprise nationale à la fin du précédent contrat de plan, soit 38 milliards de francs.

B. L'ÉVOLUTION DE LA SITUATION DE LA SNCF

Les concours de l'État prévus pour 1996 ne seront pas en mesure de permettre le redressement de la SNCF. La réussite de l'effort de reconquête commerciale n'a eu pratiquement aucune conséquence sur le redressement des comptes. La situation financière de l'établissement public a en effet atteint un point de non-retour.

1. Les premiers fruits de la reconquête commerciale

Le tableau suivant retrace l'évolution récente du trafic de la SNCF, en milliards de voyageurs-kilomètres et en milliards de tonnes-kilomètres.

a) Le trafic voyageurs

La chute du trafic voyageurs en 1993 est à l'origine d'une grande partie des difficultés de la SNCF.

Ainsi que l'indique le tableau, cette chute a été plus que proportionnelle à la récession de l'ensemble de l'économie, et la reprise de 1994 moins que proportionnelle à la croissance observable cette année-là.

Ce constat imposait comme une évidence que la SNCF devait faire des efforts commerciaux très importants.

Ceux-ci ont commencé à porteur leurs fruits en 1995. A la fin août, le trafic voyageurs était en progression de 5,8 % sur un an glissant, et les recettes correspondantes de 6,8 % (à 14,6 milliards de francs) ; ce qui montre que la SNCF n'a pas sacrifié ses tarifs pour gagner des parts de marché 1 ( * ) . Sur l'ensemble de 1995, la SNCF table sur une augmentation du trafic de 6 % 2 ( * ) .

Socrate : de l'échec à l'atout

Une grande partie des difficultés commerciales tenait à la précipitation de la mise en service de SOCRATE, logiciel de vente des billets, que la SNCF avait absolument voulue concomitante de celle du TGV-Nord.

La SCNF a progressivement rectifié les dysfonctionnements. Elle a également mis en place un comité de suivi de SOCRATE comprenant des représentants de la SNCF et des associations de consommateurs et d'usagers. Ce comité animé par M. Carrère a rendu ses conclusions en décembre 1994 en confirmant le bien fondé du choix de SOCRATE avec des remarques complémentaires sur la nécessité de simplifier les tarifs et de mieux adapter la gestion des prestations en intégrant dans SOCRATE les prestations pour lesquelles la centralisation apporte un avantage certain aux utilisateurs.

L'accent a été porté sur la nécessité de relation suivie avec les associations de consommateurs et d usagers. La SCNF a renoué le dialogue avec les associations de l'établissement l'ont été en concertation avec les représentants de ces associations. La SCNF poursuit, en effet, le dialogue avec ces associations au sein de groupes de travail réunissant ses représentants et ceux des associations dans le cadre du protocole d'accord signé en mars 1990 3 ( * ) .

Actuellement, la SNCF procède à la mise en application progressive de lors utilisées et élargissant son champ fonctionnalités de SOCRATE qui n'avaient pas été jusqu'alors utilisées et élargissant son champ d'application initial : après le télépaiement par minitel et téléphone ou le traitement automatisé des opérations d'après-vente au niveau central sont envisagées d'autres fonctionnalités telles que la connexion aux grands systèmes de distribution (Amadeus, Galiléo)ou la connexion directe aux systèmes de distribution d'autres réseaux ferroviaires (Deutsche Bahn), ou bien encore la vente de prestations complémentaires (hôtels, voitures, etc...). Ceci permettra d'intégrer peu à peu l'ensemble des prestations qui sont encore traitées de façon manuelle ou non centralisée dans le système SOCRATE et pour lesquelles un traitement informatisé présente un avantage appréciable.

Pour consolider ces performances, la SNCF pourra notamment compter sur Eurostar, le TGV Paris-Londres, qui obtient déjà 40% de parts de marché.

b) Le trafic marchandises

Le fret s'est révélé beaucoup plus réactif au retour de la croissance que le transport de voyageurs, grâce notamment au transport combiné.

A la fin de l'année 1993, le mouvement de baisse du trafic a commencé à s'inverser et cette évolution s'est poursuivie sur l'année 1994 qui a connu une augmentation de 8,4 % par rapport à 1993. Sur cette même période, les transports combinés ont pour leur part augmenté de 21,6 %, les trains entiers de 5,8 % et de 3,7 % pour le reste du trafic (wagons isolés et organisations spéciales).

L'objectif pour 1995 est d'atteindre 49,2 milliards de tonnes-kilomètres. Les résultats observés depuis le début de l'année le font paraître réalisable (+ 10,6 % sur le premier semestre 1995 par rapport à la même période de 1994).

En 1996, la politique de reconquête commerciale sera poursuivie. L'objectif est d'atteindre 50,4 milliards de tonnes-kilomètres, grâce en particulier au tunnel sous la Manche qui devrait permettre une augmentation du trafic du transport combiné.

Les plates-formes multimodales

Pour l'avenir, la SNCF compte sur un maillage du territoire par des plates-formes multimodales, le développement du fret par TGV (à l'instar de celui de la Poste, un TGV de marchandises pourrait être créé dès 1996 entre Paris et Marseille) et les "autoroutes" ferroviaires, telles que celle qui est prévue entre Lyon et Turin

Dans la période récente, le trafic de la SNCF s'est inséré dans un mouvement européen général. Contrairement aux idées reçues, elle a plutôt mieux réussi en matière de fret que pour les voyageurs. De la même façon, la SNCF devrait profiter dans les années à venir de l'essor du rail en Europe.

2. Une situation financière au-delà du point de non retour

Malgré une augmentation sensible de ses recettes prévisibles en 1995 (entre 6 et 7 %), le déficit de la SNCF s'aggravera encore par rapport à 1994. Ceci montre que le point de non retour est dépassé.

Sur la période couverte par le contrat de plan, le résultat net de la SNCF a évolué comme suit :

Votre rapporteur rappelle que le contrat de plan prévoyait un maintien de l'équilibre comptable.

a) L'exercice 1994

Dans un environnement économique plus favorable qu'en 1993, l'amélioration du résultat d'exploitation n'a pas suffi à faire face à l'alourdissement des charges de capital.

Les résultats de la SNCF se sont en conséquence encore dégradés en 1994, pour atteindre une perte de 8,2 milliards de francs, contre 7,7 milliards de francs l'année précédente.

Compte tenu d'efforts renouvelés de l'entreprise pour réduire ses charges d'exploitation, l'excédent brut d'exploitation a progressé de 20,4 %, passant de 5,8 à 7 milliards de francs.

Le résultat d'exploitation ne s'est amélioré cependant que de 0,5 milliard de francs. Il est resté négatif (- 1 milliard de francs) du fait de l'accroissement des dotations aux amortissements.

Le résultat financier (- 8,5 milliards de francs) s'est aggravé d'1 milliard de francs du fait d'une aggravation continue de la dette.

Par conséquent, le résultat net s'est de nouveau dégradé, et la capacité d'autofinancement a fait place, comme l'année précédente, à un besoin de financement de l'exploitation (- 1,4 milliard de francs contre - 2,1 milliards de francs en 1993).

Dans ces conditions la SNCF a tenté de réaliser d'importantes cessions d'actifs. Compte tenu de l'état du marché immobilier, ces opérations ont majoritairement porté sur du matériel roulant.

b) L'exercice 1995

Comme en 1994, l'exécution de la gestion 1995 se révèle décevante : la prévision de résultat s'est dégradée d'un milliard de francs à fin juin, puis de 3 milliards de francs en octobre.


• A fin juin 1995, les nouvelles prévisions pour l'exercice 1995 donnent des recettes d'exploitation en baisse de 618 millions de francs par rapport au budget initial, essentiellement à cause du retard dans la mise en service et d'une montée en régime d'Eurostar plus lente que prévu malgré un taux d'occupation satisfaisant (60 % sur Paris-Londres).

Par ailleurs, les prévisions budgétaires concernant les dépenses d'exploitation sont en augmentation de 215 millions de francs :

? la baisse du trafic sur Eurostar et la règle du paiement minimum conduisent à accroître la redevance d'utilisation globale d'Eurotunnel 1 ( * ) ;

? les inondations du début de l'année ont entraîné des dommages très importants, dont la réparation a pesé sur les charges ;

? la puissance synchrone électrique a augmenté plus fortement que prévu et a entraîné une augmentation des charges d'énergie de traction.

La prévision du résultat financier à fin juin est plus défavorable (de 335 millions de francs) qu'initialement prévu, notamment du fait du niveau élevé des taux d'intérêt, et de celui du franc suisse 2 ( * ) .


• En octobre, dans le contexte de la négociation du contrat de plan, le président de l'entreprise publique a annoncé que le déficit pourrait finalement atteindre 12 milliards de francs, notamment du fait d'un niveau de frais financiers plus élevé que prévu, et d'un niveau de cession d'actifs inférieur de 1,3 milliard de francs au niveau prévu 3 ( * ) .

3. Un endettement mortel

Après avoir jugé catastrophique son endettement en 1994 comme en 1993, votre rapporteur a bien des difficultés à trouver un degré supplémentaire dans l'appréciation de la situation patrimoniale de la SNCF. Elle est en fait de nature à tuer l'entreprise 1 ( * ) et à aggraver la maladie financière de l'État, son garant.

La charge nette correspondante (compte tenu des produits financiers réalisés) a progressé de la façon suivante (1 ) :

La progression très rapide de la charge de la dette, en particulier celle liée au déficit lui-même, montre que la SNCF est désormais victime d'un effet "boule de neige" de l'endettement, mettant l'amélioration de son résultat net hors de portée de tout effort commercial, si important soit-il, et ce malgré l'amélioration du taux d'intérêt moyen de la dette.

Un cheminot sur quatre travaille aujourd'hui pour rembourser et payer la charge de la dette. Pour en optimiser la gestion, la SNCF privilégie désormais les émissions à taux fixe en francs.

* 1 Le document explicatif du projet de contrat de plan diffusé le 28 novembre fait état de 50,270 milliards de francs consolides comprenant les subventions du ministère de la défense, du syndicat des transports parisiens, des collectivités locales et des régimes spéciaux de retraite.

* 2 Chiffres également mentionnes dans I avant-projet de contrat de plan diffusé le 26 novembre.

* 1 Les tarifs moyens de la SNCF ont augmenté de 2,4 % le 1er janvier 1995

* 2 Le mouvement de grève en cours va probablement entraver la marche vers cet objectif

* 3 L'une des stipulations de l'avant-projet de contrat de plan concerne la concertation avec ces associations pour l'élaboration des tarifs sociaux (groupes, enfants, domicile-travail).

* 1 La SNCF est pour l'instant à l'abri d'une augmentation des péages Eurotunnel ayant été débouté de sa demande d'augmentation de 55 % de ces péages le 31 octobre dernier.

* 2 7% de la dette de la SNCF sont libellés en Francs suisses.

* 3 La cession de la participation de 12,5 % dans Air Inter (400 millions de francs) se fait notamment toujours attendre.

* 1 Au rythme actuel, le président de la SNCF estime à 300 milliards de francs l'endettement de la SNCF à l'horizon 2.005, et le déficit à 17 milliards de francs.

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