B. UNE LUTTE À ARMES INÉGALES, AU DÉTRIMENT DES ACTEURS PUBLICS

Les travaux des rapporteurs attestent de l'implication sans faille des services publics chargés de la lutte contre le trafic. En témoignent, entre autres, l'augmentation continue des saisies depuis plusieurs années (par exemple, pour la cocaïne, 44,8 tonnes ont été saisies au 30 septembre 2024, contre 23,2 tonnes pour toute l'année 2023) et la baisse tendancielle du nombre de points de deal (2 900 au troisième trimestre 2024, contre 4 034 en 2020)5(*).

Mais leurs auditions montrent, dans le même temps, que la réponse de l'État face au narcotrafic souffre d'un manque de moyens organisationnels, juridiques et humains. Sans prétendre à l'exhaustivité, les rapporteurs relèvent que plusieurs facteurs obèrent l'efficacité de la riposte étatique.

Sur le plan organisationnel, la coordination de la lutte menée par la police, la gendarmerie et la douane n'est qu'imparfaitement assurée par l'Ofast, chef de file qui ne dispose paradoxalement pas d'une pleine autorité sur les services qu'il supervise. De la même manière, dans la sphère judiciaire, l'articulation entre les juridictions locales, les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) et la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) manque de fluidité, limitant la capacité de chaque acteur à jouer son juste rôle.

En outre, alors que tous s'accordent sur la nécessité de « frapper au porte-monnaie » des trafiquants mus par l'appât du gain et qui ne craignent que modérément l'incarcération, les résultats de la lutte contre le blanchiment sont décevants : les saisies effectuées en matière de narcotrafic ne représentaient en 2023 que 117 millions d'euros (soit à peine 3 % de la fourchette basse du chiffre d'affaires du trafic), dont seulement 2 % de cryptoactifs.

En troisième lieu, l'arsenal pénal et procédural est imparfait : les représentants des administrations, des magistrats et des policiers entendus par les rapporteurs mettent en particulier en avant les limites que leur impose l'état du droit en matière de recueil et d'exploitation du renseignement administratif, la complexité du régime des techniques spéciales d'enquête et un usage parfois dévoyé des nullités de procédure, qu'elles soient invoquées à des fins purement dilatoires ou provoquées par l'usage de manoeuvres dolosives.

Les personnes auditionnées se sont également inquiétées de la montée en puissance de la corruption comme de la continuation des trafics en prison, qui sont autant de marques de l'impérialisme des narcotrafiquants.

Enfin, tous les protagonistes (services d'enquête et de renseignement, juridictions, administration pénitentiaire...) ont pointé l'insuffisance des moyens matériels et humains qui leur sont attribués : outre la faiblesse des effectifs des services de police judiciaire spécialisés en matière de trafic et, plus encore, de blanchiment, les auditions ont rappelé l'obsolescence des moyens informatiques des juridictions pénales, sans même évoquer un éventuel recours (pourtant souhaitable) à des outils de traitement de données en masse, voire d'intelligence artificielle.


* 5 Source : Ofast.

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