II. LE PROGRAMME 175 « PATRIMOINES » : UNE STABILITÉ QUI POURRAIT ÊTRE TRANSFORMÉE EN FORTE HAUSSE AU COURS DE LA NAVETTE PARLEMENTAIRE

Le programme 175 « Patrimoines » est dédié au financement des politiques publiques destinées à la constitution, à la préservation, à l'enrichissement et à la mise en valeur du patrimoine muséal, monumental, archéologique, archivistique et architectural.

Répartition des crédits au sein du programme 175 « Patrimoines »

(en %)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

18 opérateurs sont rattachés au programme 175, parmi lesquels la Réunion des musées nationaux - Grand Palais (RMN-GP), les grands musées nationaux, le Centre des monuments nationaux (CMN) et l'Institut national de recherches archéologiques et préventives (INRAP). Près de la moitié des crédits dédiés aux opérateurs de la mission sont liés au programme 175.

L'impact des jeux Olympiques sur la fréquentation des opérateurs patrimoniaux

Si les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ont entraîné un afflux de visiteurs à Paris, les monuments parisiens ont souffert pour certains d'une fermeture complète et, pour ceux situés dans les périmètres de restriction de circulation, d'importantes difficultés d'accès.

Pour l'ensemble des opérateurs, le ministère estime la baisse à - 20 % entre le 22 juillet et le 18 août 2024 par rapport à 2023. Pour les opérateurs parisiens, la diminution est plus importante : 27 % par rapport à 2023 sur la même période.

Les musées et monuments à forte notoriété (Louvre, Versailles, Orsay) ont connu une baisse d'environ 30 %, plus faible que ceux moins connus (- 67 % à la Cité de l'architecture et du patrimoine par exemple).

S'agissant spécifiquement des monuments du centre des monuments nationaux, la fréquentation a diminué au mois de juillet de 38 % pour l'Arc de Triomphe et jusqu'à 56 % pour l'Hôtel de la Marine ou 61 % pour la Conciergerie, situés tous deux en plein coeur de périmètre de sécurité. Pour l'ensemble des monuments franciliens, la diminution s'élève en juillet à 21 % et en août à 12 % par rapport aux mêmes mois en 2023.

Le public a cependant retrouvé, à la fin du mois d'août des niveaux comparables à ceux d'une année normale. S'agissant des retombées à long terme des Jeux, le ministère espère pouvoir convertir l'intérêt marqué du public pour les monuments mis en avant pendant les jeux Olympiques.

Source : commission des finances

S'agissant de l'exécution 2024 des crédits du programme, la réserve de précaution a été intégralement dégelée et annulée. Les crédits disponibles après annulations se sont élevés à 1,389 milliard d'euros en AE et 1,104 milliard en CP, soit une réduction de 22 millions d'euros en AE et 37,7 millions d'euros en CP.

La réserve de précaution permettait notamment le financement à hauteur de 15 millions d'euros de la mission « Patrimoine en péril » pour compenser les taxes sur le loto du Patrimoine. Ces crédits étaient dégelés chaque année depuis 2018 en cours de gestion. Le ministère indique que ces crédits ne pourront pas être versés en 2024 sans ouverture de crédits complémentaires.

La répartition des annulations sur l'ensemble des crédits du programme a été effectuée selon une logique de rabot. L'essentiel des crédits a été annulé sur les réserves de précaution des opérateurs.

Répartition des annulations de crédits en 2024 sur le programme 175

(en millions d'euros)

Source : commission des finances

Le programme 175 devrait être doté en 2025 de 1,138 milliard d'euros en AE et 1,201 milliard d'euros en CP en 2024, soit une diminution de 341,1 millions d'euros (- 23 %) en AE et une croissance de 7,3 millions d'euros en CP (+ 0,6 %).

Évolution des crédits du programme 175

(en millions d'euros)

Source : commission des finances

Il est à noter qu'une très forte hausse des AE (+ 32,8 %) avait été enregistrée en 2024. Elle découlait en quasi-totalité de la prévision des montants totaux prévus pour la restauration du centre Pompidou.

Outre l'absence des AE dédiées au Centre Pompidou, progressivement engagées au cours des prochaines années, cette diminution concerne essentiellement des baisses de crédits d'investissement courant pour les opérateurs, pour un total de 51 millions d'euros en AE et 28 millions d'euros en CP.

Décomposition de l'évolution des crédits du programme 175 entre 2024 et 2025

(en millions d'euros)

AE

CP

Source : commission des finances

La ministre a cependant annoncé devant la commission de la culture du Sénat son intention de déposer un amendement augmentant les crédits de la mission « Culture » à hauteur de 300 millions d'euros, qui modifierait considérablement les équilibres budgétaires prévus dans le texte initial pour 2025.

Si cet amendement était adopté, les crédits du programme 175 ne devraient diminuer que de 8 % en AE et augmenter de 12 % en CP. Cela conduirait donc à une croissance importante de la mission dans un contexte budgétaire pourtant très contraint.

La Cour des comptes a estimé dans un rapport publié en juin 2022 la dépense totale en faveur des monuments historiques à 1,43 milliard d'euros en 2021, hors dépenses fiscales et crédits du plan de relance 7(*).

Financements publics dédiés à la protection du patrimoine monumental en 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les données de la Cour des comptes

Au niveau territorial, la Cour des comptes relève des crédits versés par des préfectures au titre de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) en direction de monuments historiques en principe couverts par les crédits du programme 175, sans véritable concertation avec les DRAC.

Plus largement, la Cour appelle à un audit approfondi des outils fiscaux existants (exonération des droits de mutation à titre gratuit, déductibilité des charges pour travaux, notamment en cas de labellisation par la Fondation du Patrimoine, soit 42,5 millions d'euros de dépenses fiscales en 2020), qui apparaissent difficiles à évaluer faute de données fiables ou n'apparaissent toujours pas mis en oeuvre faute d'accord entre le ministère de la culture et le ministère des finances (engagement à rendre un monument accessible au public pour pouvoir bénéficier du label Fondation du patrimoine8(*)).

A. LA POURSUITE DES GRANDS PROJETS PATRIMONIAUX

Les crédits dédiés aux grands projets continuent de constituer une part importante des crédits du programme 175, malgré la clôture de plusieurs chantiers de grande ampleur en 2023 et 2024 (Palais de la Cité, Grand Palais, site des archives nationales de Paris).

Grands travaux sur le programme 175

(en millions d'euros)

 

Coût total

(P. 175)

Date d'achèvement prévue

Musée mémorial du terrorisme

15,2

2026

Abbaye de Clairvaux

60

2028

Archives nationales (bâtiment de Pierrefitte)

67,2

2028

Archives nationales (schéma directeur)

31,5

2025

Centre Pompidou

261

2029

Château de Fontainebleau

61,4

2026

Musée Guimet

9

2026

Corps central Nord du schéma directeur de Versailles

198

2032

Source : commission des finances

Une partie de ces crédits concerne l'extension du site des Archives Nationales à Pierrefitte-sur-Seine. L'objectif principal du chantier est de permettre, après 2027, la poursuite de la collecte des archives de la Présidence de la République, des services du Premier ministre, des ministères, de leurs opérateurs nationaux, des hautes juridictions et des archives d'origine privée d'intérêt national. Le bâtiment actuel de Pierrefitte-sur-Seine, qui développe une capacité de stockage de 358 kilomètres de rayonnages, sera en effet saturé à horizon 2026, au lieu de 2040, en raison de la fermeture du site de Fontainebleau.

Le début des travaux est prévu pour fin 2025. Le coût total de l'opération s'élève à 96 millions d'euros, dont 67 millions d'euros du ministère de la Culture. 54,7 millions d'euros en AE ont été ouvertes en 2024 sur le programme 175. En 2025, 17,68 millions d'euros de CP devraient être versés.

En parallèle, les travaux engagés depuis 2021 sur le site parisien des Archives nationales, installé au sein du Quadrilatère des archives, se poursuivent. 4,23 millions d'euros en CP seront versés en 2025 pour la rénovation de magasins d'archives. Les études de conception de la phase 2 du schéma directeur devraient quant à elles débuter en 2025, pour un coût des travaux estimé à 20,7 millions d'euros. Il faut noter que le schéma directeur comporte 6 phases, de sorte que les travaux sont appelés à se prolonger à long terme.

Deux des chantiers concernent les schémas directeurs des grands châteaux franciliens. Le schéma directeur de Fontainebleau a pour objectif de sécuriser, restaurer et améliorer l'accueil du public. Le montant total de la phase 2, actuellement en cours, s'élève à 59,9 millions d'euros auxquels s'ajoutent un montant de 3,71 millions d'euros versé par le ministère de la transition écologique au titre des travaux sur le grand canal. Le ministère indique que « sous couvert de la disponibilité d'AE en 2025, les études de la phase 3 pourraient être lancées ».

La phase 2.2 du schéma directeur de Versailles est plus ambitieuse en termes de crédits budgétaires. Elle vise la mise en sécurité, la mise en sûreté, la rénovation et modernisation technique des réseaux et le traitement climatique du Corps central Nord. Son coût total est estimé à 198 millions d'euros. Les rapporteurs spéciaux notent par ailleurs que son coût initial était de 137 millions d'euros. Le renchérissement considérable du chantier découle de l'évolution des coûts de construction en lien avec l'inflation constatée puis anticipée entre 2018 et 2032. L'opération est financée par crédits budgétaires, bien que l'établissement assume sous sa propre maîtrise d'ouvrage le reste des opérations du schéma directeur intégrateur.

Concernant la reconversion de l'ancienne abbaye de Clairvaux, celle-ci a été cédée par l'administration pénitentiaire. Le chantier en cours concerne la restauration du clos et couvert, pour un montant de 60 millions d'euros pour le seul grand cloître et jusqu'à 200 millions d'euros pour l'ensemble du couvert.

Étant donné la taille du site et l'ampleur des enjeux, plusieurs points d'inquiétude peuvent-être soulignés : la rénovation du grand cloître, si elle est une étape nécessaire, ne permet pas pour autant d'envisager dans un futur proche la valorisation économique du site. Par ailleurs, si la volonté, similaire à celle observable à Villers-Cotterêts, de dynamiser un territoire par l'ouverture d'un complexe culturel de grande taille doit être saluée, elle n'est pas sans susciter des interrogations sur la viabilité économique de ce type de projets.

Enfin, pour des montants relativement limités, le programme 175 participe au financement du plan pluriannuel des investissements du musée Guimet. Un audit architectural et technique du musée Guimet a abouti à la production d'un projet de plan pluriannuel d'investissement d'un montant de 30 millions d'euros, qui doit permettre de rationnaliser et de sécuriser les trois sites du musée. La trajectoire présentée prévoit un financement de 3 millions d'euros en AE = CP par an pendant 3 ans sur la période 2024-2026, soit 9 millions d'euros au total afin de soutenir l'établissement.

Le sprint final avant la réouverture en décembre de Notre-Dame de Paris

Le coût des travaux de conservation puis de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris est aujourd'hui estimé à 703 millions d'euros. Le chantier de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris se trouve aujourd'hui dans sa dernière ligne droite avant la réouverture prévue les 7 et 8 décembre 2024.

Plusieurs interventions se poursuivront après la réouverture, durant l'année 2025, avec l'achèvement de la couverture de la flèche et des travaux relatifs au parcours de visite du Centre des monuments nationaux (CMN) dans les tours, retardés en raison de la découverte de l'état sanitaire très dégradé de la charpente du beffroi sud, qui nécessite des interventions structurelles. La réouverture du parcours de visite des tours est prévue à l'été 2025.

La maîtrise d'ouvrage est assumée par l'établissement public administratif chargé de la restauration et de la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris (EP RNDP), institué par la loi du 29 juillet 20199(*) et entré en fonction le 2 décembre 2020. Cette structure fait partie de la liste des opérateurs de l'État du programme 175 mais seul le loyer de l'établissement est pris en charge par le ministère de la Culture depuis le mois d'octobre 2020.

Le financement de l'établissement (masse salariale, soit 3,9 millions d'euros pour 40,5 ETP et budget de fonctionnement établi à 0,7 million d'euros) est presque intégralement assumé par les dons perçus.

Il convient de rappeler à ce stade que le coût du chantier de restauration générera des recettes de TVA qui auraient pu largement financer la charge administrative. In fine, seule la dépense fiscale afférente aux dons constitue de son côté un financement indirect. Le montant des dons et versements ayant bénéficié du taux de réduction d'impôt de 75 % prévu à l'article 5 de la loi du 29 juillet 2019 s'élève ainsi à 24,7 millions d'euros, générant une réduction d'impôts de l'ordre de 15,4 millions d'euros.

La souscription atteint au total 848,9 millions d'euros10(*). Le montant des dons promis devrait, en tout état de cause, dépasser le montant des travaux générés par l'incendie, qui s'élèvent à 702 millions d'euros.

Le ministère indique avoir « la certitude que la restauration de la cathédrale ne pourra s'arrêter à sa réouverture », pour aller au-delà des dégâts causés par l'incendie en entamant une nouvelle phase, dite « phase 3 » de reconstruction. Celle-ci devrait concerner les élévations extérieures (chevet, transept, sacristie, nef etc.). Ces travaux seront, grâce à l'accord des donateurs, financés par le solde de la souscription nationale.

Source : commission des finances


* 7 La politique de l'État en faveur du patrimoine monumental, Rapport public thématique, juin 2022.

* 8 Article 7 de la loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020.

* 9 Loi n° 2019-803 du 29 juillet 2019 pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale et décret n° 2019-1250 du 28 novembre 2019 relatif à l'organisation et au fonctionnement de l'établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

* 10 Des frais techniques de collecte et de gestion ramènent ce montant à 846,7 millions d'euros.

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