C. ...CONDUISANT À UN NET EFFET D'ÉVICTION SUR LES DÉPENSES PILOTABLES, QUI POURRAIT AVOIR DES CONSÉQUENCES EN 2025

Le cumul des annulations de crédits décidées en février 2024 et du financement sous enveloppe initiale des surcoûts et dépenses exceptionnelles apparus en cours d'année a conduit à un rétrécissement très net des marges de manoeuvre budgétaires des responsables de programme en cours d'année.

Face à l'impossibilité de remettre en question les activités opérationnelles, elle s'est traduite par un effet d'éviction sur les dépenses pilotables.

Cet effet d'éviction a été particulièrement fort pour la police nationale, dont le budget a notamment été marqué par un coût très élevé des JOP à assumer sous enveloppe initiale et par des annulations de crédits significatives. Selon les informations transmises au rapporteur spécial18(*), il a porté sur les dépenses d'investissement ou de fonctionnement reportables, et en particulier sur deux postes principaux :

la diminution de l'ordre de 80 % du plan de renouvellement automobile en 2024, impliquant un renoncement au renouvellement de 2 036 véhicules sur 2 628 prévus ;

la forte réduction des dépenses d'investissement immobilier, qui a entraîné la décision de ne plus engager aucun nouveau projet d'investissement immobilier. Les investissements ainsi se sont concentrés sur la poursuite des chantiers immobiliers déjà engagés, afin d'éviter des interruptions qui auraient engendré des problèmes techniques et budgétaires. En outre, le montant des crédits de maintenance lourde exécutés devrait diminuer de l'ordre de 75 % en 2024 par rapport à 2023.

Mais l'effet d'éviction sur les dépenses pilotables a également été réel pour la gendarmerie. En effet, si le montant des annulations de crédits a été moins élevé que pour la police nationale, le cumul d'une loi de finances initiale comportant très peu de marges en « hors titre 2 », du financement de dépenses exceptionnelles très coûteuses sans ouverture nouvelle de crédits et du très haut niveau d'activité des forces a conduit la DGGN à devoir faire des choix difficiles en cours d'année.

Ainsi, elle a réduit ses dépenses en matière de loyers, en même temps qu'elle a procédé à diverses mesures d'économies concernant les véhicules, les équipements technologiques et les frais de déplacement.

L'incapacité de la gendarmerie nationale de payer certains de ses loyers
à l'automne 2024, au détriment des collectivités territoriales

Sur l'ensemble du territoire français, la gendarmerie nationale occupe plus de 3 700 casernes, couvrant sa zone géographique de compétence, à savoir 95 % du territoire et 50 % de la population. Ce parc représente environ 11 millions de mètres carrés.

Au sein de cet ensemble, le parc dit « domanial » appartient à l'État. Il regroupe un peu moins de 700 casernes, mais près de la moitié de la surface. Le parc dit « locatif », appartient pour l'essentiel aux organismes « HLM » et aux collectivités territoriales. Il représente environ 3 000 casernes et plus de la moitié de la surface. Il est en extension, contrairement au parc domanial.

Le fonctionnement du parc locatif repose sur le principe que les collectivités territoriales ou les organismes « HLM » investissent pour construire des locaux pour la gendarmerie nationale en échange du versement d'un loyer permettant d'amortir l'investissement.

Si la gendarmerie est généralement considérée comme un bon payeur, l'automne 2024 est marqué par une suspension du paiement par elle de certains de ses loyers, dans le cadre de l'effet d'éviction mentionné supra.

En effet, selon les informations recueillies par le rapporteur spécial19(*), la gendarmerie a suspendu le versement des loyers pour les mois de septembre à novembre 2024 aux bailleurs (collectivités territoriales et organismes « HLM »), à l'exception du tiers d'entre eux jugés financièrement les plus fragiles. L'ensemble des baux faisant l'objet d'un report de paiement représenteraient un montant de 90,1 millions d'euros sur la période, dont 82,5 millions d'euros pour l'échéance de septembre20(*), pour 5 079 emprises. Les collectivités territoriales représentent 49 % des bailleurs concernés et 52 % du montant total (2 500 baux pour 47 millions d'euros). Une procédure est prévue pour permettre à certaines collectivités qui n'auraient pas été identifiées comme particulièrement fragiles de solliciter le paiement des loyers, en passant par le préfet de département ; 4,6 millions d'euros auraient été débloqués à ce jour à cet effet21(*).

Si le rapporteur spécial comprend qu'il ne soit pas possible de payer les loyers au détriment d'activités opérationnelles indispensables aux territoires, il constate que la situation actuelle est inacceptable et met en difficultés les collectivités territoriales. Une solution doit être trouvée pour régler le problème au plus vite, notamment dans le cadre de la loi de finances de fin de gestion pour 2024, afin de permettre à la gendarmerie nationale de faire face à ses obligations.

Source : commission des finances du Sénat

Le contenu final de de la loi de finances de fin de gestion pour 2024 aura d'importantes conséquences. En effet, l'éventuel dégel de crédits ou l'ouverture de crédits nouveaux pour les FSI permettrait de financer des dépenses exceptionnelles qui n'ont pas pu être réglées jusqu'ici et de réduire l'intensité de l'effet d'éviction sur les autres postes de dépenses.

Le rapporteur spécial considère, à la lumière de ces éléments sur l'exécution des crédits en 2024 que les forces de sécurité intérieure n'ont pu satisfaire l'ensemble de leurs besoins essentiels cette année et qu'il appartient donc au budget de 2025 d'y répondre.

En outre, il remarque qu'au regard de ces mêmes éléments, la pertinence d'une comparaison des crédits initiaux de 2025 par rapport à ceux de 2024 doit être relativisée, les seconds ayant été en partie amputés par des annulations et par le financement de dépenses exceptionnelles dont toutes ne se reproduiront pas en 2025.

Enfin, il souligne le risque réel - voire probable - qu'une partie des dépenses exceptionnelles générées en 2024, que le montant de CP ne permettrait pas de couvrir avant la fin de l'année, conduise à une nette hausse des reports de charges, dont l'amortissement viendrait grever les crédits ouverts pour 2025. Il invite le Gouvernement à régler ce qui peut l'être dès la loi de finances de fin de gestion pour 2024, en particulier s'agissant des loyers impayés, afin de ne pas entrer à crédit dans l'année 2025.


* 18 Réponses de la direction générale de la police nationale au questionnaire du rapporteur spécial.

* 19 Audition de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et réponses de la DGGN au questionnaire du rapporteur spécial.

* 20 Selon les informations transmises par la direction générale de la gendarmerie nationale au rapporteur spécial le 22 novembre 2024. Les 90,1 millions d'euros correspondent à 82,5 millions d'euros pour l'échéance de septembre (qui correspond également à des échéances trimestrielles), et à 3,8 millions d'euros en octobre, puis en novembre.

* 21 Selon les informations transmises par la direction générale de la gendarmerie nationale au rapporteur spécial le 22 novembre 2024.

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