PREMIÈRE PARTIE
LES TERRITOIRES D'OUTRE-MER,
UN
RATTRAPAGE ÉCONOMIQUE NÉCESSAIRE
ET DES DÉFIS MAJEURS
À RELEVER
À titre liminaire, les rapporteurs spéciaux rappellent que le principal objectif de la mission « Outre-mer » du budget général de l'État est le rattrapage des écarts persistants entre les territoires d'outre-mer et l'hexagone et la convergence des niveaux de vie dans le domaine socio-économique. -
Au vu des écarts socio-économiques persistants entre les territoires d'outre-mer et l'hexagone, ce rattrapage doit demeurer une priorité.
Pour autant, de nouveaux enjeux se font jour pour les territoires d'outre-mer, dont les crédits de la mission « Outre-mer » doivent tenir compte à l'avenir.
La crise inflationniste a mis en exergue la dépendance des territoires d'outre-mer à l'égard des importations, notamment alimentaires. Plus fondamentalement, les territoires outre-mer sont fortement exposés aux risques climatiques et des politiques propres à ces territoires d'adaptation et d'atténuation des risques sont nécessaires.
À cet égard, les annonces faites à l'issu de comité interministériel des outre-mer (CIOM) le 18 juillet 2023 représentent une avancée notable mais ne répondent cependant pas à toutes les attentes. De surcroit, elles n'ont pas encore toutes été concrétisées par des moyens budgétaires et doivent être mises en oeuvre.
I. DES INÉGALITÉS DE DÉVELOPPEMENT PERSISTANTES ENTRE L'OUTRE-MER ET L'HEXAGONE
A. UN RATTRAPAGE ÉCONOMIQUE INACHEVÉ DES OUTRE-MER PAR RAPPORT À L'HEXAGONE
1. Un niveau de richesse par habitant plus faible que dans l'hexagone
Les territoires d'outre-mer accusent un écart de développement persistant par rapport à l'hexagone, malgré les politiques de rattrapage mises en oeuvre.
Ainsi, la richesse produite par habitant, représentée par le Produit intérieur brut (PIB) par habitant, est plus faible en Martinique, à Mayotte, La Réunion, la Guadeloupe et en Guyane que dans les autres régions de France, y compris la Corse.
Classement des PIB par habitant régionaux de l'hexagone et des DROM en 2022
(en euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après l'INSEE
Le PIB par habitant produit dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) représente en moyenne 57 % de la richesse par habitant de France métropolitaine. En particulier, la Guyane et Mayotte accusent une richesse par habitant bien inférieure à la valeur métropolitaine. Le PIB par habitant mahorais représente seulement 29,4 % du PIB par habitant métropolitain et celui de la Guyane 39,8 %. La Martinique, La Réunion et la Guadeloupe sont moins désavantagées, avec un PIB par habitant représentant respectivement 69 %, 62,7 % et 66 % de la valeur métropolitaine.
Part du PIB par habitant des DROM par rapport au
PIB
par habitant métropolitain
Source : commission des finances du Sénat d'après l'INSEE
Toutefois, malgré l'écart persistant de richesse entre l'hexagone et les outre-mer, celui-ci ne s'est pas davantage creusé depuis 24 ans et s'atténue même légèrement, ce qui montre l'impact des politiques publiques de rattrapage mises en oeuvre. Ainsi, le PIB par habitant a augmenté de près de 60 % en France métropolitaine, alors qu'il a augmenté de plus de 70 % dans les DROM. Cette tendance doit toutefois être approfondie pour achever le rattrapage économique des outre-mer.
Évolution du PIB par habitant des DROM entre 2000 et 2022
(en euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après l'INSEE
Lors des quatre dernières années, l'évolution du PIB par habitant est relativement similaire en outre-mer par rapport au reste de la France. Entre 2018 et 2022, le PIB par habitant a augmenté de 10,2 % en France métropolitaine, contre 10,67 % dans les DROM. Toutefois, ce constat masque des disparités importantes entre les DROM : entre 2018 et 2022, le PIB par habitant a augmenté de 25 % à Mayotte, de 12 % en Martinique, de 12,5 % à La Réunion et de 10,7 % en Guadeloupe, alors qu'il a stagné en Guyane.
De plus, les inégalités de richesse sont plus importantes en outre-mer que dans l'hexagone. L'indice de Gini, d'autant plus élevé que les inégalités sont importantes, a une valeur supérieure dans les territoires d'outre-mer que dans l'hexagone. Il est plus élevé de 41 % à Mayotte, de 36 % en Martinique, de 33 % en Guyane et de 31 % en Nouvelle-Calédonie que l'indicateur métropolitain.
Indice de Gini dans les territoires d'outre-mer
L'indice de Gini est un indicateur représentant les inégalités de revenu, 0 représentant une situation parfaitement égalitaire et 1 une situation parfaitement inégalitaire, où tous les revenus seraient aux mains d'une seule personne.
Source : commission des finances à partir des données de l'INSEE, ISPF, ISEE et STSEE
Les natifs des DROM sont ainsi plus souvent d'origine modeste ou très modeste, à hauteur de 70 % pour La Réunion et les Antilles, que les natifs de France métropolitaine, dont la moitié seulement est d'origine modeste ou très modeste. Environ un natif des Antilles et de La Réunion sur dix est d'origine favorisée, contre un sur quatre pour les métropolitains.
Cette différence de richesse par rapport à l'hexagone a des incidences élevées en termes de qualité de vie. Ainsi, l'espérance de vie à la naissance est plus élevée dans l'hexagone, où elle s'élève à 85,3 ans pour les femmes et 79,4 ans pour les hommes, qu'en outre-mer, notamment à Mayotte (74,6 ans pour les femmes et 72,3 ans pour les hommes) et en Polynésie française (76,3 ans pour les femmes et 71,5 ans pour les hommes).
Espérance de vie à la naissance dans les territoires d'outre-mer
Source : données de l'INSEE, ISPF, ISEE et STSEE
Les politiques de rattrapage des écarts socio-économiques entre l'outre-mer et l'hexagone sont donc nécessaires dans ces territoires soumis à des contraintes notamment géographiques et démographiques fortes.
2. Malgré une population relativement jeune, un chômage persistant
L'évolution démographique des outre-mer est globalement plus importante que la tendance métropolitaine. En 10 ans, la population a augmenté de 5,4 % en outre-mer, alors que la hausse n'a été que de 3,4 % en France métropolitaine. Ce constat masque toutefois à nouveau des disparités importantes entre les territoires d'outre-mer. Ainsi, l'augmentation de la population est particulièrement importante à Mayotte et en Guyane, où la hausse est respectivement de 42,7 % et de 23 % entre 2013 et 2023. À l'inverse, la population a décru en Guadeloupe et en Martinique, de respectivement 6,5 % et 9,8 % en 10 ans. Si l'augmentation de population est globalement semblable à celle de la France métropolitaine en Polynésie française, à hauteur de 4 %, elle est plus faible en Nouvelle-Calédonie, où elle ne représente que 1,7 %.
Certains territoires d'outre-mer ont donc une population vieillissante, notamment en Guadeloupe et en Martinique, où la population de plus de 65 ans représente respectivement 97,1 % et 114,3 % de la population de moins de 20 ans. En Martinique, il y a plus de personnes de 65 ans et au-delà, que de jeunes de moins de 20 ans. À l'inverse, Mayotte, la Guyane et la Polynésie française ont une population beaucoup plus jeune, les personnes de plus de 65 ans représentant respectivement 4,9 %, 16,7 % et 32 % de la population de moins de 20 ans. L'indice de vieillissement est globalement plus faible en outre-mer qu'en France métropolitaine, la population de plus de 65 ans ne représentant que 44 % de la population de moins de 20 ans, contre 92,3 % dans l'hexagone.
Le taux de dépendance économique, c'est-à-dire le ratio entre la population des jeunes et des personnes âgées et la population en âge de travailler, est donc globalement plus favorable en outre-mer que dans l'hexagone. Toutefois, il est particulièrement défavorable tant en Guadeloupe et en Martinique, en raison du vieillissement de la population, qu'en Guyane et à Mayotte, à cause de l'importance d'une population de moins de 20 ans.
Ratios relatifs à la population en outre-mer
(1) : rapport de la population de plus de 65 ans sur la population de moins de 20 ans.
(2) : le rapport entre la population des jeunes et des personnes âgées (moins de 20 ans et 65 ans et plus) et la population de 20 à 65 ans. Il est défavorable lorsqu'il est supérieur à 100 (ou « fort »), c'est-à-dire lorsqu'il y a davantage de jeunes et seniors que de personnes en âge de travailler.
Source : commission des finances à partir des données de l'INSEE, ISPF, ISEE et STSEE
Alors que la part de la population en âge de travailler est plus importante en outre-mer que dans l'hexagone, les taux de chômage sont particulièrement élevés en outre-mer. En particulier, le taux de chômage est cinq fois plus élevé à Mayotte qu'en France métropolitaine. Il est de 19 % en Guadeloupe, de 18 % à La Réunion et de 13 % en Guyane, en Martinique et en Nouvelle-Calédonie, soit près du double du taux de chômage de la France hors Mayotte, s'élevant à 7 % en 2023. Seule la Polynésie française a un taux de chômage proche de celui de la France entière, à hauteur de 9 %.
Le chômage élevé participe des écarts de développement persistants entre les outre-mer et l'hexagone. Des investissements pour favoriser l'activité économique sont particulièrement nécessaires dans ces territoires. L'importance du chômage explique et alimente de plus l'émigration des populations des outre-mer vers l'hexagone (voir supra).
Taux de chômage des 15-64 ans dans les territoires d'outre-mer
Source : commission des finances à partir des données de l'INSEE, ISPF, ISEE et STSEE
3. Une émigration des populations des outre-mer vers l'hexagone, en particulier des populations éduquées
Le développement des outre-mer est rendu plus difficile par l'émigration d'une part importante de la population vers l'hexagone, notamment de la population éduquée. Selon France stratégie1(*), une personne née en outre-mer sur trois a quitté son territoire natal pour la France métropolitaine, soit un niveau comparable à celui constaté pour la Corse, pourtant beaucoup plus proche géographiquement de la France métropolitaine. Cette tendance est d'autant plus marquée pour les populations en âge de travailler. Ainsi, 37,8 % des personnes nées dans les Antilles, 24,3 % des personnes nées à La Réunion et 26,1 % des personnes nées en Guyane et ayant entre 30 et 49 ans résident dans l'hexagone.
Migration des natifs des outre-mer et de l'hexagone
Originaires désigne les individus nés dans l'hexagone, dont au moins l'un des parents est né dans les Antilles ou à La Réunion ; non-originaires désigne donc les individus nés dans l'hexagone dont aucun parent n'est né dans les Antilles ou à La Réunion. IDF signifie Île-de-France.
Source : France stratégie
Cette émigration est également plus fréquente parmi les populations les plus favorisées. Ainsi, 51 % des natifs des Antilles et 52 % des natifs de La Réunion d'origine favorisée résident dans l'hexagone. À l'inverse, seuls 35 % des natifs des Antilles et 21 % des natifs de La Réunion d'origine très modeste résident dans l'hexagone.
Migration des DROM vers l'hexagone selon l'origine sociale
Source : France stratégie
En effet, les opportunités professionnelles et en termes d'études sont moins importantes en outre-mer. Ainsi, à origine sociale comparable, un natif des Antilles a 20,5 % de chances en moins d'avoir un diplôme du supérieur qu'un natif de l'hexagone, pour un natif de La Réunion, c'est 24,6 % de chances en moins. Le taux d'emploi est inférieur de 10 % pour un natif des Antilles et de 15 % pour un natif de La Réunion par rapport à l'hexagone, et le taux de cadres est inférieur de 35 % pour les natifs des Antilles et de 45 % pour les natifs de La Réunion par rapport à l'hexagone.
Les chances d'avoir un emploi ou d'avoir un emploi de cadres sont plus importantes pour les natifs de 30 à 49 ans des Antilles ou de La Réunion qui ont émigré, que pour ceux qui habitent sur leur territoire natal, y compris lorsqu'ils ont déjà été dans l'hexagone, par exemple pour faire des études. Un natif de La Réunion ou des Antilles habitant dans l'hexagone a même plus de chances d'avoir un emploi qu'un natif de l'hexagone.
Toutefois, un natif des Antilles ou de La Réunion qui revient habiter en outre-mer après un passage dans l'hexagone a une chance presqu'équivalente à un natif de l'hexagone d'être titulaire d'un diplôme du supérieur. Toutes les études supérieures ne peuvent être faites dans tous les territoires d'outre-mer, limitant de fait les opportunités scolaires des habitants, ce qui explique les chances plus élevées d'avoir un diplôme du supérieur pour les personnes ayant été dans l'hexagone.
Taux de diplômés du supérieur,
d'emploi et de cadres dans les DROM
des personnes
de 30 à 49 ans, à origine sociale
comparable
Source : France stratégie
L'émigration importante des populations d'outre-mer, en particulier des personnes les plus favorisées et les plus diplômées, a des effets négatifs et auto-réalisateurs sur l'économie de ces territoires. En effet, si le taux de chômage élevé et les prix importants expliquent en partie la forte émigration, celle-ci alimente en retour les difficultés rencontrées par les outre-mer. Il est plus difficile de favoriser le développement d'une région quand une part importante de sa population, notamment éduquée et en âge de travailler, quitte le territoire pour travailler ailleurs. L'émigration importante d'une part de la population peut constituer l'un des facteurs explicatifs des écarts socio-économiques persistants entre l'outre-mer et la métropole.
Outre le rattrapage socio-économique des outre-mer sur la métropole, les crédits de la mission outre-mer doivent aider à relever les défis spécifiques posés aux territoires ultra-marins par la cherté de la vie et par la transition écologique.
* 1 Naitre en outre-mer : de moindres opportunités que dans les autres régions de France, France Stratégie, Note d'analyse n° 137, mai 2024.