II. LA MODERNISATION DE LA FONCTION INFORMATIQUE : UNE NÉCESSITÉ POUR AMÉLIORER L'EFFICACITÉ DE LA JUSTICE TOUT EN MAÎTRISANT SES COÛTS

En 2022, la Cour des comptes notait, dans une enquête sur le plan de transformation numérique demandée par la commission des finances du Sénat21(*), constatait le retard considérable accumulé par le ministère de la justice, « marqué par des infrastructures informatiques vieillissantes et sous-dimensionnées, des applications obsolètes et des équipements insuffisants ». Elle note encore, dans un rapport récent, que le ministère de la justice reste en retard sur le plan de la transformation numérique : à titre d'exemple, c'est le seul ministère qui n'a mis en accès libre aucun jeu de données, malgré les objectifs fixés dans le cadre de la politique d'ouverture des données de l'État22(*).

Deux plans de transformation numérique (PTN) successifs cherchent à résorber cette dette technique. Toutefois le rapporteur spécial a constaté lors de ses auditions que les manquements pointés par la Cour des comptes et, en 2021, par les États généraux de la justice demeuraient une réalité quotidienne pour les agents du ministère et qu'ils affectaient leur capacité à assurer un service public de la justice de qualité.

A. FACE À LA NUMÉRISATION DE LA SOCIÉTÉ, LE MINISTÈRE DE LA JUSTICE DOIT DISPOSER D'OUTILS ET DE COMPÉTENCES À LA HAUTEUR

1. Le recours à l'externalisation : une facilité à court terme, le risque à moyen terme d'une perte de contrôle

Le premier plan de transformation numérique prévoyait un renforcement des effectifs des professionnels du numérique du ministère à hauteur de 260 agents.

La Cour des comptes, dans l'enquête précitée, critiquait le recours massif à l'externalisation. Le rapporteur spécial partage ce souci : si l'externalisation est parfois nécessaire pour avoir recours à des compétences trop spécifiques ou ponctuelles pour justifier un recrutement ad hoc, un recours excessif à l'externalisation crée une dépendance à l'égard d'un faible nombre de prestataires. Un certain degré de maîtrise interne des applications critiques pour le fonctionnement des services est nécessaire dans toute administration.

C'est pourquoi la direction interministérielle du numérique (Dinum) pousse les ministères, et notamment celui de la justice, à identifier des fonctions à internaliser ou ré-internaliser. Il est certainement plus difficile de recruter des personnels que de confier un marché à une société extérieure, tout particulièrement dans un secteur où les opportunités d'emploi ne manquent pas, d'où un taux de rotation des personnels élevé.

Un taux suffisamment élevé de personnels internes est toutefois nécessaire pour garantir la maîtrise interne des applicatifs. La maîtrise des techniques numériques peut en outre constituer un enjeu de sécurité pour certains établissements.

2. Une amélioration des équipements et une refonte des applicatifs à poursuivre

La crise sanitaire a poussé à la généralisation des outils de visioconférence. Le drame d'Incarville conduit également à une utilisation accrue de cet outil, qui permet d'éviter des transferts de détenus : en 2023, elle a permis d'éviter plus de 30 000 extractions judiciaires23(*). Le souci d'économie ou de gain de temps va dans le même sens.

Toutefois, plusieurs personnes auditionnées par le rapporteur spécial ont fait part de l'insatisfaction des magistrats par rapport à la qualité et la fiabilité des équipements de visioconférence. En tout état de cause, la visioconférence ne paraît pas adaptée à tous les stades de la procédure, dont certains exigent parfois un contact plus direct.

La situation est plus difficile encore pour de nombreux applicatifs, décrits au rapporteur spécial comme obsolètes.

Le rapporteur spécial souligne la nécessité de parvenir enfin à une numérisation de la procédure pénale, en lien entre les différentes administrations concernées. L'hétérogénéité des outils peut en effet conduire à de graves inefficiences, comme celles qu'il avait constatées lors d'un précédent travail relatif aux amendes pénales24(*).

Des questions d'interfaçage demeurent, par exemple entre l'outil Cassiopée et la direction générale des finances publiques (DGFiP).

Il souligne également la nécessité de placer l'utilisateur au coeur des projets informatiques. Des exemples lui ont été transmis sur l'étonnante inadaptation de certains applicatifs aux modes de travail des utilisateurs : Cassiopée, par exemple, comprend un nombre excessif de trames de décisions, souvent inadaptées et qui demandent en conséquence des modifications manuelles à l'origine d'importantes pertes de temps.

L'absence de prise en compte des besoins des utilisateurs, en particulier des magistrats, a d'ailleurs constitué l'une des causes des retards considérables du projet Cassiopée identifiées par la Cour des comptes dans une enquête demandée par la commission des finances, de sorte que la nouvelle application était plus complexe à utiliser et répondait moins bien aux besoins que la précédente25(*).


* 21 Cour des comptes, Point d'étape du plan de transformation numérique du ministère de la justice, janvier 2022.

* 22 Cour des comptes, Le pilotage de la transformation numérique de l'État par la direction interministérielle du numérique, avril 2024.

* 23 Projet annuel de performances de la mission « Justice », annexé au projet de loi de finances pour 2025.

* 24 En 2017, le Trésor public a dû effectuer la ressaisie manuelle des informations comprises dans 500 000 relevés de condamnation pénales transmises par les tribunaux correctionnels, les cours d'appel et les cours d'assises ( Amendes pénales : l'urgente modernisation du recouvrement, rapport d'information n° 330 (2018-2019), présenté par Antoine Lefèvre, rapporteur spécial, au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 20 février 2019.

* 25 Cour des comptes, La conduite des grands projets numériques de l'État, enquête réalisée à la demande de la commission des finances du Sénat, juillet 2020.

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