EXAMEN PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
En première lecture, l'Assemblée nationale n'ayant pas adopté la première partie du projet de loi, celui-ci est considéré comme rejeté en application du troisième alinéa de l'article 119 du Règlement de l'Assemblée nationale.
En conséquence, sont considérés comme rejetés les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le jeudi 24 octobre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur spécial, sur la mission « Immigration, asile et intégration ».
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur spécial de la mission « Immigration, asile et intégration ». - L'examen des crédits de la mission s'inscrit cette année dans un double cadre : d'un côté, une pression migratoire qui s'est encore accentuée ; de l'autre, une volonté politique qui s'est clarifiée.
Concernant le premier point, les dernières données disponibles témoignent d'une aggravation de la pression migratoire en 2023, qui a atteint des niveaux très élevés. Cela vaut d'ailleurs pour l'Europe dans son ensemble. Plus d'un million de demandes d'asile ont ainsi été enregistrées dans l'Union européenne en 2023, un niveau très proche des records historiques datant de la crise migratoire des années 2015 et 2016. Par ailleurs, 3,7 millions de premiers titres de séjours ont été accordés par les États membres cette année-là : comparés aux chiffres d'il y a cinq ans, c'est près de la moitié en plus. Et les chiffres de l'immigration irrégulière sont aussi explosifs, atteignant en 2023 le plus haut niveau depuis la crise de 2016.
Pour en venir à la France, le nombre de demandes d'asile a dépassé son record historique en 2023 avec plus de 140 000 demandes. Le nombre de premiers titres de séjour délivrés est, quant à lui, supérieur de plus de la moitié à celui d'il y a dix ans. Et ces flux se traduisent logiquement en stocks : fin 2023, 4 millions de titres de séjour étaient valides, à comparer aux 2,7 millions de titres valides à fin 2013.
Le contexte étant posé, qu'en est-il maintenant des grands équilibres du budget de la mission pour 2025 ?
Dans le contexte de réduction des dépenses publiques que nous connaissons tous, ce budget a dû faire des économies. Globalement, les crédits baissent de 2 % en autorisations d'engagement, soit 35 millions d'euros, et de 5 % en crédits de paiement, soit environ 110 millions d'euros.
En outre, il faut prendre en compte le fait que, pour la première fois, en 2025, les crédits initiaux proposés intègrent les dépenses afférentes à l'accueil des personnes fuyant l'Ukraine. C'est d'ailleurs un changement opportun par rapport aux années 2023 et 2024, dont les budgets initiaux ne couvraient pas ces dépenses, pourtant certaines.
Pour comparer utilement le budget de 2025 à celui de 2024, il faut donc neutraliser cette évolution. Concrètement, la baisse du budget est ainsi en réalité de l'ordre de 300 millions d'euros, soit environ 14 %.
Cette baisse globale du budget n'est toutefois pas uniforme. Elle touche quatre postes principaux.
Le premier poste de baisse concerne les dépenses d'intégration des étrangers déjà autorisés à séjourner durablement en France, au-delà de la première carte de séjour temporaire ; l'économie est de 79 millions d'euros.
Le deuxième poste d'économies concerne l'hébergement des demandeurs d'asile, dont le parc se réduit et les crédits baissent de 71 millions d'euros. Le parc du dispositif national d'accueil serait ainsi réduit de 6 500 places en 2025, bien que cette réduction soit compensée partiellement par une hausse de la disponibilité des places. En cumulé, il y aurait 1 500 places disponibles de moins en 2025 par rapport à cette année.
Le troisième poste de réduction des dépenses concerne l'investissement dans les centres de rétention administrative (CRA), à hauteur de 47 millions d'euros en crédits de paiement - j'y reviendrai.
Enfin, le dernier poste de baisse des crédits concerne le budget prévisionnel de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA), avec une réduction de 47 millions d'euros. Cette diminution est permise par l'accélération des délais de traitement des demandes d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) ces dernières années.
Alors que penser de ces évolutions des crédits de la mission ? Évidemment, j'aurais préféré, comme la plupart d'entre vous, que certains postes soient davantage préservés. Je pense notamment à l'intégration des étrangers réguliers ou encore à l'hébergement des demandeurs d'asile. Mais l'état des finances publiques étant ce qu'il est, il est logique que des économies aient été réalisées, comme sur bien d'autres missions. Surtout, ce budget doit être analysé dans un cadre plus large, pour deux raisons.
D'une part, la mission « Immigration » ne porte, comme vous le savez, qu'une part minoritaire des crédits consacrés par l'État à cette politique. Alors que les crédits proposés pour la mission sont de 2 milliards en 2025, le coût total de la politique d'immigration et d'intégration serait de 7,7 milliards d'euros, en hausse de 55 millions d'euros par rapport à 2024.
D'autre part et surtout, l'analyse du budget de la mission ne peut se faire seulement sur la base d'un examen ligne à ligne des crédits. Une question encore plus essentielle est de savoir quelle politique on met derrière ces dépenses.
Or si la commission des finances et le Sénat ont régulièrement rejeté les crédits de la mission au cours de ces dernières années, c'est largement parce que la politique qui y était associée était trop peu lisible. Aujourd'hui, les choses ont changé.
Dès la fin d'année dernière, les débats parlementaires, en particulier au Sénat, ont été l'occasion de renforcer les dispositions de ce qui est devenu la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Si beaucoup de mesures utiles ont été censurées par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme, cette loi permet notamment un réel renforcement de la politique d'éloignement des étrangers en situation irrégulière, tout en renforçant l'intégration.
Des résultats tangibles en résultent d'ailleurs dès aujourd'hui. Selon les informations que j'ai recueillies, entre le 28 janvier et le 1er octobre 2024, plus d'une centaine de retours supplémentaires ont d'ores et déjà été effectivement exécutés sur la base des nouvelles dispositions de la loi. Et au-delà du cadre législatif, le Gouvernement met aujourd'hui en oeuvre une politique claire en matière d'immigration. Je pense que c'est la bonne voie : moins subir la pression migratoire, davantage éloigner les personnes en situation irrégulière, et mieux intégrer ceux qui résident régulièrement sur le territoire, y compris en attendant d'eux non seulement une connaissance de leurs droits, mais également de leurs devoirs.
Comme cela a été annoncé, un prochain texte sur l'immigration et des modifications des textes européens pourraient contribuer à aller plus loin encore.
Cela étant dit, je souhaite néanmoins soulever deux points de vigilance sur le budget de la mission.
Le premier porte sur les crédits d'investissement dans les CRA, en réduction par rapport à 2024 de 47 millions d'euros en crédits de paiement et de 115 millions d'euros en autorisations d'engagement. Certes, cette baisse fait suite à une hausse des crédits en 2024. Néanmoins, elle peut surprendre au regard de l'objectif de porter le nombre de places en CRA à 3 000 en 2027, contre moins de 2 000 aujourd'hui. Au cours de mes travaux de préparation de l'examen du budget de la mission, j'ai eu l'occasion d'apprendre qu'il était envisagé par le Gouvernement d'augmenter ces crédits en cours de discussion parlementaire. Il me semble que cela serait opportun. Étendre le nombre de places en CRA est un objectif essentiel, et je serai attentive à sa bonne réalisation.
Mon second point d'attention touche aux formations linguistiques et civiques des étrangers primo-arrivants qui souhaitent s'installer durablement en France. Ces derniers sont à ce titre signataires du contrat d'intégration républicaine (CIR), qui leur ouvre le droit à ces formations.
J'en ai fait le bilan dans mon récent rapport de contrôle sur le sujet : ces formations souffrent d'importants écueils, tenant aux résultats obtenus, à l'articulation entre les volets linguistique et civique et à l'absence d'obligation de résultat pour obtenir en fin de course une carte de séjour pluriannuelle.
Il n'en demeure pas moins que, si ces formations doivent être réformées, elles sont importantes pour l'intégration effective des personnes concernées. Elles vont l'être encore davantage dans la mesure où la loi du 26 janvier 2024 a prévu que la délivrance d'un premier titre de séjour pluriannuel serait désormais conditionnée à des obligations de résultat à l'issue des formations linguistiques et civiques. Le niveau en français n'est désormais plus seulement visé, il est exigé, en même temps qu'il est relevé du niveau A1 au niveau A2.
Or les crédits concernés portés par le programme 104 restent stables pour 2025. Dans ces conditions, il faudra améliorer sensiblement l'efficience des formations et s'appuyer davantage sur une contribution des entreprises employeuses ou des signataires du CIR. Je continuerai de suivre ce sujet de près.
Pour conclure, si je reste vigilante notamment sur le sujet des investissements dans les CRA et sur la formation des étrangers primo-arrivants, je suis favorable à l'adoption des crédits de la mission.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. -Pour avoir assisté vendredi dernier, à la préfecture de Meurthe-et-Moselle, à la remise des cartes de nationalité, j'ai remarqué que ceux qui demandent la naturalisation sont souvent là depuis une durée plus longue que celle requise pour obtenir la nationalité française. Il faut prendre en compte les parcours humains individuels. En effet, l'accueil de ressortissants étrangers doit rester l'une des valeurs fortes de notre République.
Au demeurant, comme le rapporteur spécial, nous allons surveiller de près le nécessaire ajustement budgétaire. Il ne faut pas se démunir de certains des moyens qui sont indispensables.
Enfin, et cela doit être mis au crédit des précédents gouvernements, les délais de traitement de l'Ofpra se sont considérablement réduits en deux ans : de près de neuf mois en 2021, ils sont passés à environ quatre mois en 2023. Cette réduction des délais concourt à mieux traiter les dossiers et à réduire les coûts associés aux demandes d'asile.
Mme Nathalie Goulet. - Je remercie Madame le rapporteur spécial.
Ma première question concerne la gestion des étrangers en France. La mission couvre-t-elle le système d'information de l'administration numérique pour les étrangers en France (Anef) et de l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (Agdref) ? Où en est la mise à jour du premier fichier, qui pose un certain nombre de difficultés ?
Par ailleurs, j'évoquerai la question de l'aide aux associations chargées de l'intégration et de l'accueil des migrants. La commission des lois avait obtenu l'année dernière le détail des subventions versées, à savoir un peu plus de 1 milliard d'euros. L'association Coallia est prise dans la tourmente en raison de dysfonctionnements. Quel contrôle avons-nous sur ces structures ?
M. Arnaud Bazin. - Je remercie Madame le rapporteur spécial pour la qualité et la précision de ses informations. Pourriez-vous nous préciser le périmètre de cette mission et nous confirmer le montant de la politique d'immigration et d'intégration dans son ensemble, qui s'élèverait à un peu plus de 7 milliards d'euros ? En particulier, les places d'hébergement d'urgence sont-elles prises en compte ? Selon les informations qui me remontent régulièrement, les départements tels que le mien enregistrent un taux d'occupation de 80 % par des étrangers sans droits ni titre.
M. Rémi Féraud. - Merci pour ce rapport spécial. Il existe un fossé important entre le discours politique du Gouvernement et le budget de la présente mission. Cela va sans doute devenir un problème politique...
Je suis également attentif à la baisse du nombre de places pour les demandeurs d'asile et d'hébergement. La situation des déboutés du droit d'asile, très nombreux dans la capitale et d'autres villes de France, est préoccupante et risque d'alimenter les difficultés d'hébergement. De plus, les crédits de l'apprentissage du français sont en forte baisse.
Par ailleurs, en savez-vous plus sur les amendements que le Gouvernement compte présenter pour modifier son propre budget ?
M. Pascal Savoldelli. - À mon tour de vous remercier, Madame le rapporteur spécial. Sur les quatre postes d'évolution en négatif, les deux principaux concernent l'intégration et l'hébergement d'urgence pour les demandeurs d'asile, comme vous l'avez indiqué. J'y ajouterai la baisse des crédits à hauteur de 85,55 %, qui passent de 9 millions d'euros à 1,3 million d'euros, pour l'accompagnement des résidents des foyers de travailleurs migrants. Pouvez-vous me le confirmer ?
Je partage vos deux points de vigilance.
Concernant les CRA, il existe trois voies possibles : les éloignements, dont 80 % sont réalisés dans les quarante-cinq premiers jours, et 8 % au-delà des soixante jours - les chiffres de ma circonscription - ; l'assignation à résidence, sans aucun dispositif d'accompagnement ; enfin, la remise en liberté, sans accompagnement non plus. Toute volonté politique ne saurait se résumer à des lignes budgétaires.
Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteure spéciale. - Premièrement, l'accompagnement des travailleurs migrants connaît non pas une remise en cause, mais un transfert de crédits, principalement vers le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires ».
Deuxièmement, si davantage de places sont ouvertes dans les CRA, les assignations à résidence nécessaires diminuent d'autant. L'objectif est d'atteindre en 2027 les 3 000 places, contre moins de 2 000 à l'heure actuelle. Il a été annoncé que le Gouvernement préparait un amendement au présent budget pour garantir l'atteinte de cet objectif ; mais je ne peux vous donner son libellé précis à ce stade.
Troisièmement, les travaux liés aux fichiers que vous évoquez, Madame Goulet, relèvent en partie de la mission. Nous poserons donc des questions à ce sujet.
Quatrièmement, j'ai eu l'occasion d'interroger l'ancien ministre de l'Intérieur sur Coallia. Je pointais alors l'absence de contrôle par l'État des associations qui travaillent dans le domaine de l'immigration et de l'intégration, qui sont sollicitées dans tant de domaines différents qu'elles en développent des fragilités. Un an après les mises en garde d'un rapport de la Cour des comptes, Coallia est venue il y a deux jours répondre précisément aux critiques et me rendre compte des évolutions.
Dans le cadre du 2° de l'article 58 de la loi du 1er août 2001 relative aux lois de finances, nous avons demandé à la Cour des comptes de se pencher sur l'ensemble des missions de ces associations. Nous devrions avoir un retour avant la fin de l'année, lequel se focalisera sur les plus grosses structures, hors leurs missions d'hébergement, qui ont déjà été traitées dans un récent rapport de la Cour. Nous pourrons ainsi porter un véritable jugement.
Cinquièmement, le coût de l'immigration est évalué à 7,7 milliards d'euros. En dehors des 2 milliards de cette mission, sont notamment concernées des dépenses de la police nationale pour 1,4 milliard d'euros, de protection maladie pour 1,3 milliard d'euros, ou encore de formations supérieures et de recherche universitaire, pour 1,7 milliard d'euros.
L'apprentissage du français et des valeurs civiques pour les étrangers qui ne sont pas encore autorisés à résider durablement sur le territoire connaît non pas une baisse des crédits, mais une stagnation. Il s'agit d'un point de vigilance. Toutefois, il faut passer d'une obligation de moyens à une obligation de résultat, car les ressources augmentent plus vite que le nombre de contrats d'intégration républicaine conclus ces dernières années.
La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
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Réunie à nouveau le jeudi 21 novembre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé définitivement ses votes émis sur toutes les missions, tous les budgets annexes, tous les comptes spéciaux et les articles rattachés aux missions, à l'exception de ceux émis pour les missions « Culture », « Direction de l'action du Gouvernement », « Enseignement scolaire », « Médias, livre et industries culturelles », « Audiovisuel public », « Recherche et enseignement supérieur », ainsi que des comptes spéciaux qui s'y rattachent.