II. ALORS QUE LE CAS REPRÉSENTE UNE PART MINORITAIRE DES DÉPENSES IMMOBILIÈRES DE L'ÉTAT, SON FONCTIONNEMENT POURRAIT ÉVOLUER AVEC LA CRÉATION DE LA FONCIÈRE DE L'ÉTAT
A. LE COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE COUVRE DES MASSES FINANCIÈRES LIMITÉES AU REGARD DE L'ENSEMBLE DU PATRIMOINE IMMOBILIER DE L'ÉTAT
1. Une part infime des crédits de l'État consacrés à l'immobilier
À l'évidence, les moyens du CAS pour impulser la politique immobilière de l'État sont très limités au regard de l'étendue du parc immobilier de l'État.
Au 31 décembre 2023, l'État et ses établissements publics occupaient un patrimoine immobilier de 96 millions de mètres carrés de surface bâtie (« surface utile brute »), dont 23 millions de mètres carrés de bureaux, 18 millions de mètres carrés de logements et 20 millions de mètres carrés pour les établissements d'enseignement, ainsi que 31 000 terrains non bâtis.
La valeur comptable de ce patrimoine immobilier est estimée à 73,7 milliards d'euros, soit une hausse notable par rapport à la fin de l'année 2019 (+ 8,0 milliards d'euros, soit + 12 %). Cette augmentation s'explique principalement par des réévaluations du patrimoine, dues à une correction d'évaluations initiales s'expliquant souvent par la prise en compte des travaux effectués sur la valeur des biens.
Valorisation du patrimoine immobilier de l'État
(en millions d'euros)
31/12/2019 |
31/12/2020 |
31/12/2021 |
31/12/2022 |
31/12/2023 |
|
Terrains |
1 755,7 |
1 720,2 |
1 703,4 |
1 642,1 |
1 653,1 |
Constructions et assimilées |
63 960,3 |
66 493,3 |
68 626,3 |
71 684,7 |
72 073,7 |
Total parc immobilier |
65 716,0 |
68 213,5 |
70 329,7 |
73 326,8 |
73 726, 8 |
Source : commission des finances, d'après les réponses de la DIE au questionnaire du rapporteur spécial
Rapporté à ce patrimoine très étendu, le CAS « Gestion du patrimoine de l'immobilier de l'État » représente un instrument marginal pour la politique immobilière de l'État.
Ainsi, le compte d'affectation spéciale ne représente qu'une part infime des crédits de l'État consacrés à l'immobilier : l'effort d'investissement supporté par le CAS représente seulement en moyenne annuelle 12 % des dépenses d'investissement de l'État sur la période 2014-2023.
Part du CAS dans l'effort d'investissement immobilier de l'État
(en millions d'euros et en pourcentages)
Investissement (décaissements) |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
CAS |
346 |
314 |
212 |
143 |
278 |
233 |
309 |
234 |
180 |
255 |
Total investissements de l'État |
1 613 |
1 667 |
1 669 |
1 795 |
1 763 |
1 886 |
1 934 |
2 226 |
3 119 |
3 462 |
Proportion du CAS |
21 % |
19 % |
13 % |
8 % |
10 % |
12 % |
16 % |
9 % |
6 % |
7 % |
Source : document de politique transversale « Politique immobilière de l'État »
2. Un outil qui demeure contourné par des règles dérogatoires
a) Des règles dérogatoires affectant le niveau des recettes encaissées
(1) Le système des décotes représente un manque à gagner important pour le compte d'affectation spéciale, avec un seul cas de plafonnement mis en oeuvre à ce jour
Les recettes des produits de cession peuvent être minorées par le système de décote qui s'applique sur la cession de certains biens du patrimoine immobilier de l'État en vue de favoriser la construction de logements, notamment sociaux. Entre 2009 et 2023, ce système a représenté, pour l'État, un effort financier de 311 millions d'euros6(*).
Montants totaux et taux moyens de décote des biens
(en millions d'euros et en pourcentage)
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
|
Montants totaux |
27,8 |
49,9 |
29,8 |
29,5 |
70,7 |
17,7 |
5 |
14 |
3,1 |
5,7 |
Taux moyens |
55,8 % |
67,4 % |
46,3 % |
74 % |
66,7 % |
43,9 % |
84,5 % |
73 % |
67,6 % |
70,4 % |
Source : réponses de la DIE au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial
Le système de la décote sur les cessions des biens de l'État
Le système de la décote comprend deux mécanismes :
- aux termes de l'article 95 de la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, l'État peut céder un terrain de son domaine privé, bâti ou non, pour un prix inférieur à sa valeur vénale afin de favoriser la production de logements. La part de la décote, qui peut atteindre l'intégralité de la valeur vénale du bien, est négociée de gré à gré ;
- à ce principe général s'ajoute une décote « de droit ». En effet, conformément au dispositif dit de « décote Duflot », introduit par la loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, des personnes morales peuvent bénéficier de la décote sur certains terrains éligibles, à condition qu'y soient réalisés des programmes de construction de logements sociaux. Cette décote est toutefois plafonnée en fonction du coût moyen du logement social lorsque les personnes publiques disposent de réserves foncières ou de biens susceptibles d'accueillir un programme de logements sociaux, en vertu du décret n° 2019-1460 du 26 décembre 2019.
Source : Cour des comptes, réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial
Le taux annuel moyen de décote dépend fortement des caractéristiques des opérations réalisées dans l'année. C'est la raison pour laquelle ce taux moyen fluctue de façon importante entre 2014 et 2023. Les taux varient en fonction des projets présentés et acceptés par l'État. Sont notamment pris en compte la valeur du bien, la mixité sociale du projet, les facteurs de renchérissement du coût de construction ou la zone géographique. Pour chaque opération, la décote dépend ainsi, au cas par cas, du projet concret, dans les limites posées par les dispositions législatives et réglementaires qui encadrent le dispositif7(*).
Afin de limiter le coût pour l'État et de prévenir tout risque de détournement du dispositif, le Parlement a voté en 20198(*) un mécanisme de plafonnement de la « décote Duflot », précisé par décret9(*), et soutenu par le rapporteur spécial. Inscrit à l'article R 3211-32-7 au code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), ce mécanisme fixe un plafond du taux de décote en fonction du coût moyen du logement social, lorsqu'une collectivité territoriale, un établissement public ou encore une société dispose de réserves foncières ou de biens susceptibles d'accueillir un programme de logements sociaux, pour une surface de plancher au moins égale à celle du programme prévu par le demandeur.
Pour la première fois depuis sa création, ce plafonnement, qui vise à éviter pour l'État de subventionner de manière disproportionnée la construction de logements sociaux, a été mis en oeuvre en 2024, dans le cadre du dossier « Boulevard des Tchécoslovaques » à Lyon. Pour le bâtiment concerné, occupé par le ministère de l'intérieur, la décote calculée initialement s'élevait à 8,5 millions d'euros ; après plafonnement, le montant a été réduit à 6,7 millions d'euros, soit 79 % de la décote initiale10(*).
(2) Les dérogations au principe de la mutualisation des produits de cession
Les entités ou ministères occupants ne sont censés pouvoir exercer leurs droits de tirage sur le CAS qu'en contrepartie de la mutualisation de produits de cession. Cependant, des dérogations, décidées en accord avec les ministères concernés et le ministère du budget, peuvent conduire à ne pas mutualiser tous les produits de cession.
La fragmentation de l'action de l'État propriétaire qui résulte de ces dérogations au principe de la mutualisation des produits de cession obère la capacité à mutualiser d'autres financements au profit de la politique immobilière interministérielle. De surcroît, les bénéficiaires des dérogations peuvent s'estimer légitimes à demander des compensations financières pour les biens qu'ils occupaient et qui sont réemployés pour d'autres missions, sans être cédés, ce qui peut ralentir l'avancement de certains projets immobiliers.
Liste des dérogations au principe de la mutualisation des produits de cession Bénéficient d'un régime dérogatoire avec un taux de retour à 100 %, les produits de cession : - des immeubles domaniaux occupés par le ministère des armées ; - des immeubles domaniaux situés à l'étranger et occupés par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, jusqu'au 31 décembre 2025 ; - des biens mis à disposition des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel et des établissements publics administratifs mentionnés au II de l'article L. 711-9 du code de l'éducation ayant demandé à bénéficier de la dévolution de leur patrimoine immobilier par une délibération de leur conseil d'administration ; - des biens immobiliers appartenant à l'État affectés ou mis à disposition d'établissements publics exerçant des missions d'enseignement supérieur ou de recherche, qui contribuent au financement de projets immobiliers situés dans le périmètre de l'opération d'intérêt national d'aménagement du plateau de Saclay ; - des biens immeubles de l'État et des droits à caractère immobilier attachés aux immeubles de l'État occupés par la direction générale de l'aviation civile ; - des biens mis à disposition de l'office national des forêts ; - des biens mis à disposition des voies navigables de France. Source : réponses de la DIE au questionnaire du rapporteur spécial |
Un autre processus conduisant à contourner les règles du CAS résulte de l'octroi d'avances aux entités ou ministères qui, lors du lancement de certaines opérations immobilières, ne disposeraient pas de ressources suffisantes au titre de leurs droits dans les produits de cession. Le versement de ces avances est ainsi destiné à ne pas retarder le démarrage des opérations envisagées par les entités ou ministères concernés.
Selon la DIE, le niveau atteint par ces avances justifie qu'il n'y soit plus fait recours le temps que les ventes attendues pour le remboursement des principales avances se matérialisent. Ainsi, le montant net des avances consenties par le CAS s'élevait à 297 millions d'euros en juin 2024, en retrait relatif par rapport au montant de 326 millions d'euros constaté en juin 2023.
Montant des avances consenties par le CAS
par
budget opérationnel de programme (BOP)
(en millions d'euros)
Périmètre du BOP |
Montant initial de l'avance |
Montant de l'avance au 31/12/2023 |
Montant remboursé |
Montant net au 30/06/2024 |
|
BOP centraux |
Ministère des armées |
63,4 |
63,4 |
0 |
63,4 |
Ministère de l'intérieur |
131 |
120,6 |
0 |
120,6 |
|
Ministère de l'Europe et des affaires étrangères |
67,8 |
39,33 |
7,69 |
31,64 |
|
Ministère de l'enseignement supérieur |
50 |
50 |
0 |
50 |
|
Services du Premier ministre |
41,72 |
25,97 |
0,61 |
25,36 |
|
Total BOP centraux |
353,92 |
299,3 |
8,3 |
291 |
|
BOP régionaux |
Nouvelle-Aquitaine |
19,5 |
9,12 |
5,36 |
3,76 |
Guadeloupe |
2,88 |
2,88 |
0 |
2,88 |
|
Total général |
376,3 |
311,3 |
13,66 |
297,64 |
Source : réponses de la DIE au questionnaire du rapporteur spécial
b) Une marginalisation en dépenses persistante avec le recours à d'autres vecteurs budgétaires pour des montants supérieurs, mais qui pourrait disparaître à terme
En l'absence de loyers versés par les administrations occupantes, les recettes du CAS sont largement insuffisantes pour répondre aux besoins d'entretien et de rénovation du parc immobilier de l'État. Aussi, dans la période récente, le Gouvernement a mobilisé d'autres vecteurs budgétaires pour porter des grands projets structurels, notamment le programme 348 « Performance et résilience des bâtiments de l'État et de ses opérateurs » et l'action « Rénovation énergétique » du programme 362 « Écologie ».
(1) Le programme 348 « Performance et résilience des bâtiments de l'État et de ses opérateurs » de la mission « Transformation et fonction publiques »
La direction de l'immobilier de l'État est responsable du programme 348 « Performance et résilience des bâtiments de l'État et de ses opérateurs » de la mission « Transformation et fonction publiques ».
Initialement destiné à financer la rénovation des sites occupés par plusieurs services de l'État et de ses opérateurs (les « cités administratives »)11(*), ce programme a été doté depuis 2023 de financements complémentaires pour mener à bien les opérations du plan de sobriété énergétique, au titre de l'action « Résilience ».
Le programme 348 visait à moderniser les bâtiments publics en réhabilitant le parc existant, notamment pour diminuer les consommations d'énergies et en investissant sur des travaux ciblés sur la performance énergétique et sur l'évolution des modes de travail.
En LFI 2024, le programme 348 a bénéficié de 528 millions d'euros de crédits de paiement, notamment pour accélérer la rénovation énergétique du parc immobilier. Dans le cadre du PLF 2025, les moyens du programme 348 connaissent une réduction marquée, avec une baisse de - 31,7 % en CP, à 360 millions d'euros.
Si la mobilisation d'un programme budgétaire distinct du CAS pouvait s'expliquer par les contraintes spécifiques à la gestion de celui-ci, limitant l'engagement de nouvelles dépenses à hauteur des recettes issues des produits de cession et des redevances domaniales, ce choix a accentué l'éclatement de la politique immobilière de l'État. Aussi, dans le cadre de la nouvelle gestion immobilière qui devrait être initiée par la création de la foncière publique interministérielle (voir infra), une extinction progressive du programme 348 pourrait être envisagée.
(2) La suppression des crédits de l'action 01 « Rénovation énergétique » du programme 362 « Écologie » dans le cadre du présent projet de loi de finances représente un progrès en vue de la centralisation des vecteurs budgétaires de la politique immobilière de l'État
Dans le cadre du programme 362 « Écologie » de la mission « Plan de relance », introduite dans le projet de loi de finances pour 2021, une nouvelle action, l'action 01 « Rénovation énergétique », avait été créée pour porter un plan de plus de 6,29 milliards d'euros pour la rénovation énergétique, dont 4 milliards d'euros pour celle des bâtiments publics.
En 2021, l'action « Rénovation énergétique » avait été dotée de 2,86 milliards d'euros de crédits de paiement. Par la suite, les crédits de cette action ont diminué progressivement, tout en demeurant à un niveau élevé jusqu'en 2024 : 1,51 milliard d'euros en 2022, 983 millions d'euros en 2023 et 683 millions d'euros en 2024, soit un cumul de 6,04 milliards d'euros depuis la création de l'action.
Aussi, compte tenu du déploiement du plan initial, le PLF 2025 prévoit de ne pas ouvrir de nouveaux crédits sur l'action 01 « Rénovation énergétique » du programme 362 « Écologie ».
Le rapporteur spécial considère cette évolution comme un progrès important en vue de la concentration des moyens budgétaires associés à la politique immobilière de l'État, dont le fonctionnement est appelé à évoluer fortement avec la création de la foncière publique interministérielle (voir infra).
* 6 Réponses de la DIE au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial.
* 7 Il est donc possible que deux opérations a priori similaires donnent lieu à un taux de décote différent.
* 8 Article 274 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.
* 9 Décret n° 2019-1460 du 26 décembre 2019 relatif au plafonnement de la décote prévue à l'article L. 3211-7 du code général de la propriété des personnes publiques.
* 10 Réponses de la DIE au questionnaire du rapporteur spécial.
* 11 L'État compte 56 cités administratives dans son réseau déconcentré dont 36 bénéficiaires du programme de rénovation. La livraison des dernières cités administratives encore en travaux devrait intervenir en 2025.