B. DES DÉPENSES D'INVESTISSEMENT DYNAMISÉES PAR LES PROGRAMMES DE LA DSNA
1. Amorcée en 2024, la nouvelle impulsion budgétaire en faveur des investissements de la DSNA se confirme en 2025
a) Depuis 2024, les dépenses d'investissement du BACEA sont fortement stimulées par la nouvelle trajectoire pluriannuelle de la DSNA
En 2025, les dépenses d'investissement du BACEA devraient progresser de 38 millions d'euros pour atteindre 409 millions d'euros. Cette augmentation s'explique essentiellement (à plus de 80 %) par la hausse des dépenses d'investissement de la DSNA (voir infra).
Les dépenses d'investissement du BACEA (en CP) inscrites en LFI depuis 2013
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire
Comme l'illustre le graphique ci-après, l'impulsion budgétaire amorcée en 2024 doit se prolonger dans les années à venir.
Trajectoire prévisionnelle des dépenses d'investissement du BACEA (en CP) jusqu'en 2027
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire
Dans son rapport d'information de juin 2023 intitulé « la navigation aérienne fait atterrir en urgence son programme de modernisation »46(*), le rapporteur spécial avait souligné à quel point, en matière d'investissements, « la DSNA se trouve actuellement, et pour au moins encore quelques années, dans une phase critique dans laquelle elle doit tout à la fois assumer le coût financier des dérives constatées sur ses différents programmes de modernisation, assurer leur aboutissement, anticiper les projets de modernisation à venir et combler des années de sous-investissement dans des infrastructures aujourd'hui en situation d'obsolescence avérée ».
Il y révélait également qu'au printemps 2023, la DSNA avait sollicité une nouvelle trajectoire d'investissements pluriannuelle, largement majorée par rapport à celle qui avait été programmée en fin d'année 2022. Cette nouvelle trajectoire intégrait notamment les coûts prévisionnels de la transition du programme 4-Flight vers un système mutualisé (voir infra le nouveau programme « 4-Flight révolution ») et les investissements indispensables pour traiter des situations d'obsolescence identifiées sur les infrastructures de la DSNA (voir infra le nouveau programme « infrastructures bas carbone »).
À ce titre, à l'occasion de l'examen du PLF pour 2024, le rapporteur spécial avait eu l'occasion de saluer la revalorisation de la trajectoire pluriannuelle d'investissement de la DSNA.
Cette actualisation était à l'origine de la hausse substantielle des crédits d'investissement du BACEA observée en 2024. Elle explique également la poursuite du dynamisme de ces dépenses en 2025.
b) Principalement consacrées à la modernisation des outils du contrôle aérien, les dépenses d'investissements de la DSNA sont très dynamiques depuis 2024 et l'adoption d'une trajectoire pluriannuelle plus ambitieuse
Le programme 612 « Navigation aérienne » représente à lui seul environ 85 % des dépenses d'investissement effective du BACEA, avec 346 millions d'euros de CP prévus en 2025, soit une hausse de 31 millions d'euros par rapport à 2024.
Évolution des CP inscrits en loi de
finances initiale
sur le programme 612
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire
Cette augmentation fait suite à la hausse plus substantielle encore observée en 2024. Ce dynamisme traduit la mise en oeuvre de la trajectoire d'investissement pluriannuelle revalorisée de la DSNA.
Pour combler l'écart qui la sépare de ses homologues européens et enrayer la spirale de déclassement technologique dans laquelle elle était engagée, la DSNA conduit une série de grands programmes de modernisation des outils du contrôle aérien. Comme le rapporteur spécial a pu le souligner dans son rapport précité de juin 2023, ces grands programmes, aussi indispensables soient-ils, ont malheureusement accumulé les déboires tant en termes de délais que de surcoûts financiers.
Coût des programmes de modernisation
du
contrôle de la navigation aérienne
(en millions d'euros)
Programme |
Durée du programme |
Dépenses cumulées fin 2023 |
Dépenses programmées en 2024 |
Dépenses programmées en 2025 |
Dépenses programmées après 2025 |
Coût total programme |
4-Flight |
2011-2027 |
783,2 |
80,2 |
21,8 |
13,8 |
899,0 |
4-Flight Révolution |
2024-2030 |
0,2 |
51,0 |
71,3 |
219,5 |
342,0 |
Coflight |
2003-2027 |
268,2 |
6,2 |
28,7 |
0,0 |
303,1 |
Sysat |
2012-2032 |
135,8 |
21,7 |
32,1 |
240,6 |
430,0 |
Autres programmes |
- |
190,4 |
31,1 |
36,7 |
97,9 |
356,1 |
Total |
- |
1 377,8 |
190,2 |
190,6 |
571,8 |
2 330,2 |
Source : commission des finances, d'après le projet annuel de performances du BACEA
Le coût total cumulé des programmes de modernisation du contrôle de la navigation aérienne atteint 2,3 milliards d'euros. Sur ce montant, 762 millions d'euros devraient encore rester à dépenser après le 31 décembre 2024.
Comme le montre le graphique ci-après, et pour différentes raisons47(*) qui avaient pour la plupart d'entre-elles été signalées dès 2018 par le rapporteur spécial dans son rapport d'information « Retards du contrôle aérien : la France décroche en Europe » publié le 13 juin 201848(*), les principaux programmes de modernisation du contrôle aérien ont enregistré, depuis leur lancement, des surcoûts de près d'un milliard d'euros.
Évolution des coûts d'investissement
des programmes 4-Flight, Coflight et Sysat
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les annexes budgétaires aux lois de finances
Depuis 2024, la DSNA déploie également un autre programme d'investissement de grande envergure baptisé « infrastructures bas carbone » et visant à résorber l'obsolescence de certaines de ses infrastructures (voir infra).
2. Le point sur les principaux programmes d'investissement de la DSNA
a) 4-Flight révolution : les suites du programme 4-Flight
Engagé en 2011, 4-Flight constitue le principal programme de modernisation du système français de gestion du trafic aérien. Alors qu'il devait être entièrement déployé dès 2015, 4-Flight n'a été mis en service que dans deux CRNA sur cinq en 2022. Il ne devrait être complètement déployé que d'ici fin 2026, c'est à dire après plus de 10 ans de retard. Entretemps, ses coûts ont doublé (+ 450 millions d'euros). Après avoir été réévalué de 35 millions d'euros en 2022, le coût prévisionnel du programme a une nouvelle fois été relevé en 2023, à hauteur de 14 millions d'euros, pour un total désormais estimé à 899 millions d'euros.
La prochaine étape du déploiement de l'outil 4-Flight devait être réalisée au CRNA Nord d'Athis-Mons au début de l'année 2024. Cependant, en raison des retards accumulés et du fait des risques pesant sur le calendrier de remontée en capacité du contrôle aérien à l'approche de la saison estivale aérienne et des Jeux olympiques de Paris, la DSNA a fait le choix de reporter cette mise en service à l'automne 2024, puis finalement au début de l'année 2025, l'objectif étant que 4-Flight soit parfaitement opérationnel dans le CRNA Nord avant l'été 2025. Les deux derniers CRNA, de Bordeaux et de Brest, doivent quant-à-eux basculer sur 4-Flight en 2026.
Lancé en 2002, le programme Coflight est un système de traitement automatique des plans de vol. Croyant mutualiser les dépenses, la DSNA s'est associée au prestataire de services de la navigation aérienne (PSNA) italien et avait l'ambition de convaincre d'autres PSNA d'adopter ce système. Cette ambition a fait long feu : la DSNA sera le seul PSNA à assumer les coûts de Coflight qui ont doublé (+ 160 millions d'euros) depuis son lancement.
Par ailleurs, « l'adhérence quasi-totale » entre les programmes 4-Flight et Coflight a longtemps été sous-estimée, une situation qui n'a pas été sans conséquences sur les difficultés rencontrées par le projet 4-Flight. Le rapporteur spécial a notamment pu constater que l'interdépendance des deux programmes est en décalage avec le fait qu'ils avaient été jusqu'ici été développés en silos de façon quasi indépendante. Ainsi a-t-il résulté de leur découplage contractuel une situation sous-optimale, tant sur le plan opérationnel que sur les plans juridique ou encore de l'efficience économique des deux projets.
C'est pour cette raison que dans son rapport de juin 2023, le rapporteur spécial avait formulé une recommandation visant, pour des raisons d'optimisation opérationnelle, technique et financière, à faire rapidement aboutir l'objectif d'articuler les programmes 4-Flight et Coflight au sein d'une seule architecture contractuelle. Cette reconfiguration contractuelle est intervenue en 202449(*).
Le rapporteur spécial l'avait révélé dans son rapport de contrôle de juin 2023, alors que les programmes 4-Flight et Coflight n'ont à ce jour été déployés que dans deux centres sur cinq, la DSNA doit déjà se projeter dans « l'après ». En effet, le système 4-Flight n'a pas d'avenir de long terme car il n'a pas été conçu sur une architecture informatique pérenne. Il sera difficile de le faire évoluer et il ne pourra pas être adopté par d'autres prestataires de services de la navigation aérienne (PSNA). À long terme, le coût de sa maintenance et de ses évolutions, estimé à plus de 70 millions d'euros par an, qu'elle devrait assumer seule, n'apparaît pas financièrement soutenable pour la DSNA.
Pour se maintenir durablement au niveau technologique de ses homologues, la DSNA devra absolument parvenir à s'inscrire dans les feuilles de route industrielles du secteur pour partager les frais de ses systèmes avec d'autres PSNA. Aussi, la DSNA avait entamé des réflexions portant sur un plan de transition progressive du système 4-Flight, à travers le développement d'une série de nouvelles versions, vers une architecture susceptible de permettre à la DSNA d'intégrer des feuilles de routes industrielles mutualisées avec d'autres PSNA.
Cette ambition est traduite dans le programme d'investissement baptisé « 4-Flight révolution » dont le coût total prévisionnel est estimé à 342 millions d'euros d'ici à 2030.
Le programme « 4-Flight révolution »
Ce programme a pour objectif de concevoir, développer et déployer, pour l'horizon 2030, les versions successives d'amélioration et de maintien en condition opérationnelle du système 4-Flight déployé dans une version commune dite « V2 » dans les cinq centres en route de la DSNA entre 2024 et 2029.
Faisant suite au programme initial de déploiement du nouveau système, le présent programme vise à :
- mutualiser le coût de possession du système en s'inscrivant dans une démarche de convergence avec des partenaires ANSP ;
- accompagner la stratégie d'amélioration des performances des opérations de la DSNA en introduisant de nouvelles fonctionnalités ;
- contribuer à la rationalisation de l'architecture des systèmes de la DSNA en s'appuyant le cas échéant sur la centralisation et la virtualisation des applications ;
- rejoindre les feuilles de route des industriels des outils du contrôle aérien.
Source : projet annuel de performances du BACEA
b) La relance du programme Sysat
Le programme Sysat a été lancé en 2011 pour moderniser les centres d'approche et les tours de contrôle avec un volet pour la région parisienne (Sysat G1) et un autre pour la province (Sysat G2).
Sysat G1 devait à l'origine passer par l'acquisition « sur étagère » d'un système standard. Cependant la DSNA, a conçu un cahier des charges de 10 000 pages, excluant de fait tout produit industriel existant. Cette sur spécification caricaturale a conduit l'industriel SAAB/CS dans une impasse, entraînant une dérive rapide et incontrôlée des coûts et des délais. L'organisation de la DSNA et sa maîtrise d'ouvrage beaucoup trop dispersée et source d'incohérences, a condamné ce programme dont l'échec a été courageusement acté en 2021. Le programme Sysat G1 a ainsi été complètement restructuré. Le contrat avec l'industriel SAAB/CS pour le site de Roissy Charles-de-Gaulle (CDG) a été résilié au profit d'une simple remise à niveau du système existant des tours de contrôle. Pour Orly, le contrat a dû être revu largement pour y faire entrer un projet certes différent mais plus réaliste : l'achat « sur étagère » d'un système destiné à la tour de contrôle.
Le programme Sysat G2 était irréalisable, sa première mouture envisageant de moderniser l'ensemble des tours de contrôle à horizon 2020. Abandonné, il est revenu à son point de départ. Cette révision était incontournable. Un appel d'offres a été lancé en 2023 en vue de moderniser quinze grandes tours et centres d'approches. Alors qu'elle était prévue en 2024, la notification du premier marché subséquent visant à la modernisation de cinq premières tours de contrôle (Nice, Lyon, Marseille, Toulouse et Bâle-Mulhouse) est désormais espérée en 2025, de même que le lancement des premières activités et prestations sur le site de Nice, considéré comme prioritaire. L'objectif désormais poursuivi par la DSNA est celui d'une modernisation de la tour de Nice en 2027 suivi des quatre autres à l'horizon 2030.
Comme le rapporteur spécial l'avait signalé dans son rapport d'information de juin 2023, depuis son lancement, le coût du programme Sysat a plus que quintuplé et au moins 37 millions d'euros auront été dépensés en pure perte.
c) Le programme « infrastructures bas carbone » doit remédier à l'obsolescence des emprises immobilières de la DSNA
Le rapporteur spécial avait soulevé cet enjeu dans son rapport de juin 2023 en indiquant que « la focalisation des investissements de la DSNA sur ses grands programmes de modernisation a occulté, et probablement conduit à négliger, des situations d'obsolescence rencontrées sur d'autres de ses systèmes et infrastructures ». Bien que n'entraînant pas de risques de sécurité en raison des systèmes de redondance, la situation est préoccupante puisque l'ensemble des infrastructures de la DSNA semble aujourd'hui exposé à des phénomènes plus ou moins prononcés d'obsolescence et de vétusté.
Concernant les infrastructures de génie civil, notamment le réseau des tours de contrôle, la DSNA évalue la dette d'investissement à plus de 200 millions d'euros. Face à cette situation, dans le cadre de la préparation du PLF pour 2024, la DSNA avait proposé à la direction du budget un plan consistant à engager 140 millions d'euros d'investissements en deux phases, 45 millions d'euros entre 2024 et 2026, puis 95 millions d'euros entre 2027 et 2029.
Ce plan a été traduit dans un nouveau programme « infrastructures bas carbone » inclus dans le cadre de la LFI pour 2024 à la trajectoire pluriannuelle d'investissements de la DSNA à compter de l'exercice budgétaire 2024. En 2024, 45 millions d'euros d'AE et 4 millions d'euros de CP50(*) devraient être consommés au titre de ce programme. En 2025, des CP à hauteur de 15 millions d'euros sont prévus. La consommation prévisionnelle des crédits de paiement a par ailleurs été lissée dans le temps par rapport à la programmation envisagée en fin d'année 2023. 6 millions d'euros initialement prévus en 2024 et 5 millions en 2026 ont ainsi été reportés à l'exercice 2027.
Trajectoire prévisionnelle
actualisée en 2024 de la consommation
des crédits
d'investissement relatifs au programme de la DSNA
« infrastructures bas carbone »
(2024-2029)
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après le projet annuel de performances du BACEA annexé au PLF pour 2025
* 46 Rapport d'information n° 758 (2022-2023) fait au nom de la commission des finances sur les programmes de modernisation de la navigation aérienne 4-Flight, Co-Flight et Sysat par M. Vincent Capo-Canellas, juin 2023.
* 47 Le rapporteur spécial s'était alors interrogé sur le caractère systématique des dérives financières et en termes de délais de chacune des opérations de modernisation technique de la DSNA. Il avait notamment pointé de profondes lacunes en matière de pilotage des grands programmes d'investissements. Les dysfonctionnements de la gestion des opérations de modernisation avaient en particulier pour origine une gouvernance sous optimale, en partie liée aux caractéristiques de la direction de la technique et de l'innovation (DTI) de la DSNA.
* 48 Retards du contrôle aérien, la France décroche en Europe, rapport d'information n° 568 (2017-2018) réalisé au nom de la commission des finances du Sénat par Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens ».
* 49 Après la qualification finale de la dernière version V4 prévue au contrat avec le groupement industriel Thalès-Leonardo.
* 50 Alors que 10 millions d'euros étaient programmés à l'origine.