II. LA CONTRIBUTION FRANÇAISE AU BUDGET EUROPÉEN DEVRAIT CROÎTRE FORTEMENT DÈS 2026 ET POTENTIELLEMENT LORS DU PROCHAIN CFP

A. UNE HAUSSE SIGNIFICATIVE DE LA CONTRIBUTION FRANÇAISE AU BUDGET EUROPÉEN POUR BOUCLER LE CFP 2021-2027

1. Le poids de la contribution croissante de la France au budget européen ne se fera véritablement sentir qu'en fin d'exercice

Si le prélèvement sur recettes pour 2025 est prévu en hausse par rapport à 2024, il reste inférieur de 552 millions d'euros au prélèvement de 23,873 milliards d'euros réalisé en 2023. Et ces deux montants restent significativement inférieurs au montant annuel moyen du PSR-UE, estimé par la direction du budget à 26,2 milliards d'euros pour les années 2021 à 2027, soit une hausse significative de près de 6,1 milliards d'euros par an par rapport au cadre 2014-2020 (+ 30 %). Une très forte hausse du prélèvement sur recettes est ainsi attendue pour les années 2026 et 2027, attendus respectivement à hauteur de 30,4 milliards d'euros et 32,4 milliards d'euros.

Évolution du montant du prélèvement sur recettes
au profit de l'Union européenne entre 2014 et 2025 

(en milliards d'euros)

20,1 Md€

26,2 Md€

* Les montants 2024 - 2027 sont prévisionnels.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

S'agissant de prévisions, il convient tout d'abord de prendre un certain nombre de précautions. Ainsi, les prévisions pour les années 2026 et 2027 sont fondées sur les hypothèses transmises par la Commission (prévisions à moyen-terme de la Commission européenne de l'été 2024 ainsi que sur une prévision en recettes partant des dernières données disponibles pour 2025), dont il convient de souligner le caractère encore particulièrement incertain : en dépenses, le rythme de décaissement du budget de l'UE reste soumis à des fortes incertitudes et évoluera naturellement dans les projets de budget annuel. En recettes, le niveau des ressources propres traditionnelles dépendra du contexte macroéconomique, de même que la clé de contribution RNB de chaque État membre.

Une forte progression de la contribution française en 2026 et 2027 reste néanmoins le scénario le plus probable, qui trouve deux explications. En premier lieu, le facteur principal est la progression en volume de la contribution française attendue sur le CFP 2021-2027 par rapport au CFP précédent. Cette hausse reflète d'une part une progression en euros courants entre le CFP 2014-2020 (1,064 milliards d'euros) et le CFP 2021-2027 (1,215 milliards d'euros, soit une hausse de 14 %), à laquelle il convient d'ajouter les 21,0 milliards d'euros de dépenses nouvelles issus de la révision du CFP de 2024.

L'effet de ces nouveaux besoins de l'Union est toutefois fortement accentué pour la France par le départ du Royaume-Uni de l'Union européenne. Le départ de l'un des principaux contributeurs de l'Union a ainsi fortement redistribué la charge du CFP 2021-2027, la contribution du Royaume-Uni représentant chaque année autour de 12 % du budget de l'Union là où la contribution française oscillait entre 15 % et 16 %.

En second lieu, un effet de cycle vient s'ajouter à cet effet volume, particulièrement sensible sur cette fin de CFP, effet détaillé dans la suite de ce rapport. Le rapporteur spécial avez pointé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024 que la baisse de la contribution française alors observée masquait des facteurs d'augmentation de la contribution française à moyen terme. Ainsi, la consommation des crédits s'accentue systématiquement à mesure que le CFP progresse et les rattrapages sont fréquents en fin d'exercice. Cet effet est renforcé pour le CFP 2021-2027 par l'ampleur du plan Next Generation EU, dont les crédits ne seront déboursés que jusqu'à 2026 ce qui a pu renforcer la sous-consommation de fonds structurels dans certains pays.

Le soutien de l'Union européenne à l'Ukraine

L'impact financier du soutien de l'Union européenne à l'Ukraine sur le prélèvement sur recettes sur le niveau de la contribution budgétaire française sera limité sur les prochains exercices. Celui-ci prend aujourd'hui la forme de quatre dispositifs.

Premièrement, l'Union européenne apporte une aide directe à l'Ukraine en matière militaire. Depuis février 2022, des mesures d'assistance ont été adoptées dans le cadre de la facilité européenne pour la paix (FEP), pour un total de 6,1 milliards d'euros. Ces mesures permettent de financer la fourniture d'équipements militaires, y compris létaux, et, depuis 2023, de munitions et de missiles. La mobilisation de la FEP a conduit à la révision du plafond de cet instrument à trois reprises, portant ses crédits à 17 milliards d'euros contre 5,7 milliards initialement prévus dans le CFP 2021-2027. Ce réabondement est toutefois financé par des contributions directes des États membres : en France par le budget du ministère des armées et celui de l'Europe et des Affaires étrangères

Deuxièmement, l'Union fournit une aide sur le plan humanitaire. Le total de l'aide humanitaire atteint 926 millions d'euros depuis 2022, principalement financés par la rubrique 6 (« Voisinage et monde ») du budget et répartis entre 860 millions d'euros à destination de l'Ukraine et 66 millions d'euros pour l'accueil des réfugiés en Moldavie. Cette aide humanitaire est complétée par un mécanisme de protection civile de l'Union européenne (dit « RescEU »), à hauteur de 839 millions d'euros depuis février 2022.

Troisièmement, l'Union a mis en place des mécanismes d'assistance en matière financière. Ces mécanismes de prêts sont au nombre de trois :

- l'assistance macrofinancière d'urgence (1,2 milliard d'euros) versée en 2022 ;

- l'assistance macrofinancière exceptionnelle (7,2 milliards d'euros versés en 2022) ;

- l'assistance macrofinancière + (18 milliards d'euros) prenant la forme de prêts et financée par le dispositif unique d'émission de titres de créance à court terme de l'Union européenne et d'obligations de l'Union européenne.

Le Conseil de l'Union européenne a approuvé le 23 octobre 2024 une proposition législative visant à mettre sur pied, pour 2025, une nouvelle assistance macrofinancière pouvant aller jusqu'à 35 milliards d'euros. Formulée dans le cadre d'un accord des pays du G7 relatif à une aide globale de 50 milliards de dollars, cette aide sera gagée sur les profits futurs que généreront les avoirs de la Banque de Russie immobilisés dans l'Union européenne. Les paramètres de cette nouvelle assistance doivent encore être arrêtés, notamment le montant octroyé par l'Union européenne, qui pourrait baisser selon la contribution des autres membres du G7.

S'agissant de cette dernière assistance macrofinancière, si l'utilisation des profits générés par les avoirs immobilisés de la Banque de Russie doit servir de gage à cette aide, une telle mesure n'est pas neutre pour le budget de l'Union, ces profits contribuant aujourd'hui à financer la facilité européenne pour la paix (cf. ci-dessus).

Quatrièmement, l'Union a adopté en février 2024 le règlement établissant une facilité pour l'Ukraine, s'intègre dans le paquet législatif dédié à la révision du CFP 2021-2027 (cf. supra). Plafonnée à hauteur de 50 milliards d'euros sur la période 2024-2027, dont 17 milliards d'euros de soutien budgétaire et 33 milliards d'euros de prêts.

À court terme, ce sont ces 17 milliards d'euros de soutien budgétaire qui affecteront le plus le montant de la contribution française au budget de l'Union européenne, la facilité représentant, à titre d'exemple, des crédits de 4,3 milliards d'euros dans le budget européen estimé pour 2025.

Si le montant de prêts accordés est significatif, et si la solvabilité de l'Ukraine est menacée, l'impact sur le budget de l'Union serait lointain et diffus, les prêts étant assortis d'une période de grâce de 10 ans et échelonnés sur une période de plus de 25 ans.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

2. La facture des retards pris dans le décaissement des crédits sera présentée dans les prochains budgets européens

Le retard pris dans le décaissement des crédits européens constitue un sujet récurrent, en particulier s'agissant de ceux accordés dans le cadre de la politique de cohésion. De fait, le démarrage plus lent que prévu d'un nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) a notamment des répercussions sur l'ensemble de la période de programmation.

Ces retards ont été particulièrement observables concernant l'exécution des différents fonds de la politique de cohésion (Fonds social européen, Fonds européen de développement régional, Fonds de cohésion, Initiative pour l'emploi des jeunes ou le Fonds européen d'aide aux plus démunis). Le CFP 2014 a été particulièrement affecté par ces retards et, au ce n'est qu'au 31 mars 2024 que les crédits de l'enveloppe allouée à la politique de cohésion ont pu être consommés à hauteur de 341 milliards d'euros, correspondant à un taux d'exécution de 95 % sur l'ensemble de l'Union (la France se situant en dessous de la moyenne avec un taux de 93 %).

À l'échelle de l'Union, ces retards s'expliquent par l'adoption tardive des règlements relatifs aux fonds de la politique de cohésion. À l'échelle française, ils sont plutôt liés au changement d'autorités de gestion nationales au début de l'application du cadre financier ainsi que par d'autres facteurs techniques (changement de logiciel) ou administratifs.

La période de programmation 2021-2027 a, elle aussi, connu un démarrage plus lent qu'attendu en raison de l'adoption tardive des règlements sectoriels. Le chevauchement des programmations ainsi que l'absorption des crédits de Next Generation EU sont également des facteurs de retard de démarrage de la programmation 2021-2027. Au 6 août 2024, seuls 19 milliards d'euros de l'enveloppe de crédits alloués à la politique de cohésion (FSE+, FEDER, FTJ et fonds de cohésion) avaient été décaissés à l'échelle de l'Union, soit un taux d'exécution globale en paiement de 6 % pour la programmation 2021-2027, la France se situant au-dessous de cette moyenne avec un taux d'exécution de 4 %.

Exécution des fonds de cohésion

(en millions d'euros)

Pays

Enveloppe
2021-2027

Exécution au
6 août 2024

Taux
d'exécution

Pays-Bas

1 543

211

14 %

République Tchèque

21 054

1 970

9 %

Finlande

1 940

173

9 %

Estonie

3 369

284

8 %

Grèce

20 540

1 688

8 %

Hongrie

21 730

1 747

8 %

Luxembourg

38

3

8 %

Bulgarie

10 705

835

8 %

Danemark

455

35

8 %

Chypre

968

65

7 %

Suède

1 724

108

6 %

Allemagne

19 860

1 178

6 %

Autriche

1 066

63

6 %

UE-27

377 711

19 194

6 %

Lettonie

6 274

365

6 %

Pologne

75 460

3 819

5 %

Lituanie

4 434

202

5 %

Irlande

988

44

4 %

Slovénie

3 242

139

4 %

France

16 775

714

4 %

Belgique

2 503

104

4 %

Roumanie

30 986

1 240

4 %

Slovaquie

12 893

384

3 %

Italie

42 179

1 262

3 %

Malte

772

22

3 %

Espagne

35 561

963

3 %

Croatie

8 706

228

3 %

Portugal

22 602

546

2 %

Source : annexe au projet de loi de finances pour 2025 « Relations financières avec l'Union européenne »

Si les autorités de gestion de chaque État membre ont fréquemment concentré leurs efforts depuis 2021 sur la clôture de la programmation 2014-2020 et la mise en oeuvre de la Facilité pour la relance et la résilience, une forte progression des décaissements est désormais attendue sur les derniers exercices du CFP, qui pourraient s'avérer substantiels. Selon la Cour des comptes européenne, pour des investissements en faveur de la cohésion économique, sociale et territoriale, six pays peuvent dépenser au moins deux fois plus qu'au cours de la période 2014-2020 (la Bulgarie, l'Allemagne, l'Irlande, la Grèce, Chypre et la Finlande), sept pays peuvent dépenser au moins trois fois plus (la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la France, l'Italie, l'Autriche et la Suède) et deux autres sept fois plus (le Luxembourg et les Pays-Bas).

3. La problématique structurelle des reste-à-liquider (RAL)

Le « reste à liquider » ou RAL est un phénomène normal, conséquence de la structure et du fonctionnement du budget de l'UE, composé en grande partie de crédits dissociés en crédits d'engagement (CE) et en crédits de paiement (CP). Il correspond aux engagements pris par l'Union européenne qui n'ont pas encore été couverts par des paiements. À une date donnée, le stock de RAL mesure le besoin de crédits de paiement pour les années à venir, indépendamment des nouveaux engagements qui pourraient être pris.

Le ratio entre le RAL et les CP indique le temps nécessaire pour couvrir l'ensemble des engagements. Ainsi, il faut plus de quatre ans pour couvrir les engagements de l'ancienne sous-rubrique 1b (politique de cohésion) et, en moyenne, entre deux et trois ans pour couvrir ceux de l'ancienne sous-rubrique 1a (compétitivité) ou de l'ancienne rubrique 4 (Europe dans le monde) et seulement huit mois pour l'ancienne rubrique 2 (ressources naturelles).

L'allongement du décalage entre l'engagement des dépenses et le versement des crédits de paiement se traduit par une augmentation progressive du reste-à-liquider (RAL) du budget européen. Au cours de la période 2014-2020, les engagements avaient été nettement supérieurs aux paiements, d'où une augmentation des RAL de 105,9 milliards d'euros.

Après d'importantes progressions en 2021 (+ 13 %), 2022 (+ 32,6 %) et 2023 (+ 20 %), une baisse du RAL est attendue pour les prochaines années, le RAL passant de 542 milliards d'euros fin 2023 à 470 milliards fin 2024 et 445 milliards fin 2025. L'augmentation conséquente observée en début de CFP s'explique principalement par le lancement des engagements de la programmation 2021-2027 et du plan de relance Next Generation EU.

Le montant des RAL équivaut désormais aux crédits de paiement de deux exercices complets, ce qui n'est pas soutenable dans le contexte budgétaire actuel. Sur le terrain, plusieurs facteurs ont simultanément contribué à créer une complexité supplémentaire pour tous les organismes chargés de gérer et de contrôler les fonds :

- la lenteur de la mise en oeuvre de la plupart des fonds en gestion partagée dans le cadre du nouveau CFP ;

- la gestion des RAL des fonds structurels et d'investissement européens (ESI) relevant du précédent CFP ;

- la concrétisation de Next Generation EU ;

- la mise en oeuvre des mesures budgétaires qui seraient éventuellement prises en réponse à la guerre en Ukraine.

Le rapporteur spécial appelait dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2024 à la vigilance quant au suivi de la consommation des crédits européens dans les années à venir, notant que le niveau élevé du stock des RAL engendrera pour plusieurs années un besoin important de crédits de paiement qui pèsera sur le montant du prélèvement sur recettes. Cette vigilance est d'autant plus de mise maintenant que ce scénario se concrétise.

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