N° 144

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2024

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2025,

Par M. Jean-François HUSSON, 

Rapporteur général,

Sénateur

TOME II

Fascicule 2




AFFAIRES EUROPÉENNES

Rapporteur spécial : M. Jean-Marie MIZZON

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, MM. Vincent Capo-Canellas, Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Jean-Baptiste Olivier, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean-Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 324, 459, 462, 468, 471, 472, 486, 524, 527, 540 et T.A. 8

Sénat : 143 et 144 à 150 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

I. LA CONTRIBUTION FRANÇAISE EST ATTENDUE EN LÉGÈRE HAUSSE EN 2025 APRÈS UNE BAISSE CONJONCTURELLE EN 2024

A. L'ANNÉE 2024 A ÉTÉ MARQUÉE SUR LE PLAN BUDGÉTAIRE PAR LA RÉVISION À MI-PARCOURS DU CADRE FINANCIER PLURIANNUEL (CFP)

Trois règlements modifiant le cadre financier pluriannuel 2021-2027 ont été adoptés le 29 février 2024. La révision opérée vise à d'intégrer les hausses de dépenses découlant de la guerre en Ukraine, de la recrudescence du phénomène migratoire, des besoins de la transition énergétique et numérique et de la reprise de l'inflation.

Conséquences financières de la révision à mi-parcours du CFP

(en milliards d'euros)

Priorité

Mécanisme

Montant

Ukraine
50 Md€

Subventions et provisionnements

17

Prêts

33

Migrations / défis extérieurs
9,6 Md€

Fonds "Asile, migration et intégrations"

0,8

Instrument relatif à la gestion des frontières et aux visas

1

Agence de l'Union européenne pour l'asile

0,2

Réfugiés syriens (Syrie, Jordanie, Liban)

1,6

Réfugiés syriens (Turquie)

2

Voisinage méridional

2

Balkans occidentaux

2

Fonds européen de la défense

1,5

Instrument de flexibilité

2

Réserve de solidarité et d'aide d'urgence

1,5

Total

64,6

Dont prêts

33

Dont redéploiements

10,6

Dont nouveaux fonds

21

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

B. UNE CONTRIBUTION FRANÇAISE EXCEPTIONNELLEMENT BASSE EN 2024, ACCOMPAGNÉE D'INITIATIVES POUR EN AUGMENTER LES RETOURS

Évolution du prélèvement sur recettes
au profit de l'Union européenne par rapport à la prévision

(en millions d'euros)

 

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

2024

Crédits votés en LFI

18 690

19 912

21 443

21 480

27 200

26 359

24 994

21 610

Crédits exécutés

16 380

20 645

21 025

23 691

26 368

25 230

23 873

22 256*

Écart LFI/exécution

- 12,4 %

3,7 %

- 1,9 %

10,3 %

- 3,06 %

- 4,28 %

- 4,49 %

+ 2,99 %

* D'après la prévision actualisée figurant dans l'annexe « Voies et moyens », tome I, du projet de loi de finances pour 2025.

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

La contribution française au budget de l'Union européenne est atténuée par les retours dont elle bénéficie : la France est ainsi devenue en 2023 le premier bénéficiaire en volume de l'Union européenne. Rapportée au nombre d'habitants, la performance française est toutefois beaucoup moins flatteuse, la France ne se classant en 2023 qu'à la 22e position (242 euros par habitant). Avec un solde net estimé à - 9,333 milliards d'euros, la France était en 2023 le deuxième contributeur net au budget de l'Union européenne, loin derrière l'Allemagne (- 19,8 milliards d'euros) mais devant les Pays-Bas (- 6,3 milliards d'euros) et l'Italie (- 6 milliards d'euros). La création au 1er janvier 2023 d'une cellule de mobilisation des fonds européens au bénéfice de la France au sein du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) doit permettre de maximiser les bénéfices de notre appartenance à l'Union européenne.

C. LA CONTRIBUTION FRANÇAISE PROGRESSE EN 2025 

Calendrier déterminant l'évaluation du montant du PSRUE

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

Pour 2025, l'article 40 du projet de loi de finances évalue le montant du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne à 23,321 milliards d'euros, soit une hausse de 4,79 % par rapport à la prévision d'exécution à date pour 2024.

Cette hausse est expliquée principalement par deux facteurs : une légère reprise des paiements de la cohésion, dont le retard expliquait le bas niveau de la contribution 2024 et une hausse limitée des ressources propres traditionnelles, qui fait suite à la baisse des droits de douane estimée pour 2024.

II. LA CONTRIBUTION FRANÇAISE AU BUDGET EUROPÉEN DEVRAIT CROÎTRE FORTEMENT DÈS 2026 ET POTENTIELLEMENT LORS DU PROCHAIN CFP

A. UNE HAUSSE SIGNIFICATIVE DE LA CONTRIBUTION FRANÇAISE AU BUDGET EUROPÉEN POUR BOUCLER LE CFP 2021-2027

Une forte progression de la contribution française est attendue pour 2026 et 2027. Celle-ci reflète, d'une part, la progression de la contribution française attendue sur l'ensemble du CFP 2021-2027 (26,2 milliards d'euros par an) par rapport au CFP précédent (20,1 milliards d'euros par an), le CFP 2021-2027 étant mieux doté que le précédent (1,215 milliard contre 1,064 milliard en euros courants), et surtout, le départ de l'un des principaux contributeurs, le Royaume-Uni, ayant fortement alourdi la charge des contributeurs restants.

À cet effet volume vient s'ajouter un effet de cycle, particulièrement sensible sur cette fin de CFP. la consommation des crédits s'accentue systématiquement à mesure que le CFP progresse et les rattrapages sont fréquents en fin d'exercice. Cet effet est renforcé pour le CFP 2021-2027 par l'ampleur du plan Next Generation EU, dont les crédits ne seront déboursés que jusqu'à 2026 ce qui a pu renforcer la sous-consommation de fonds structurels dans certains pays.

Évolution du montant du prélèvement sur recettes
au profit de l'Union européenne entre 2014 et 2025 

(en milliards d'euros)

26,2 Md€

20,1 Md€

* Les montants 2024 - 2027 sont prévisionnels.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

B. LA MISE EN oeUVRE DU PLAN DE RELANCE NEXT GENERATION EU VA DURABLEMENT AFFECTER LES FINANCES DE L'UNION EUROPÉENNE

L'enveloppe de 750 milliards d'euros de Next Generation EU se répartit entre 360 milliards d'euros de prêts et 390 milliards d'euros de subventions. La grande majorité de ses fonds disponibles sont ceux de la nouvelle facilité pour la reprise et la résilience (FRR, pour 672,5 milliards d'euros). Afin d'assurer l'indépendance de l'Union européenne vis-à-vis des énergies fossiles russes d'ici 2027 et d'accélérer sa transition énergétique, le plan RePowerEU est intervenu en mars 2023, par une révision du règlement établissant la FRR.

La France est le troisième pays bénéficiaire de la Facilité pour la reprise et la résilience, derrière l'Espagne et l'Italie, avec une enveloppe de subventions d'un montant total de 40,3 milliards d'euros (37,5 milliards d'euros de subventions au titre de la FRR et 2,8 milliards au titre de REPowerEU). Depuis 2021 et à la suite du versement de 7,5 milliards d'euros en juin 2024, la France a reçu 30,9 milliards d'euros de subventions au titre de cette facilité, soit plus de 75 % des fonds auxquels elle a droit, ce qui la place en première position dans l'UE.

Le financement de ce plan de relance représente toutefois un enjeu crucial pour les finances de l'Union et son prochain CFP. L'Union européenne s'est dotée d'une capacité d'emprunt pour financer le plan de relance Next Generation EU dont le remboursement doit être assuré par l'introduction de nouvelles ressources propres pour l'Union européenne, suivant la feuille de route établie par l'accord interinstitutionnel du 16 décembre 2020.

La Commission européenne a présenté le 20 juin 2023 une proposition relative à la nouvelle génération de ressources propres, comprenant une ressource fondée sur le marché carbone européen, une ressource fondée sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), une ressource fondée sur le « Pilier I » de l'accord multilatéral de l'OCDE/G20 sur la fiscalité internationale et une nouvelle ressource propre statistique temporaire fondée sur l'excédent brut des entreprises.

Or un accord peine à être trouvé sur ces ressources propres et une percée n'est pas anticipée à court terme. Les États membres dits « frugaux » redoutent en effet qu'un accord sur de nouvelles ressources propres poussent les autres États à multiplier les dépenses.

En l'absence d'un accord sur de nouvelles ressources propres, le financement du plan de relance reposerait sur un relèvement de la contribution des États membres, estimé par la Cour des comptes à 2,5 milliards d'euros par an pour la France à compter de 2028.

Réunie le jeudi 31 octobre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, de l'article 40 du projet de loi de finances pour 2024.

À la date du 10 octobre, date limite prévue par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) pour l'envoi des réponses au questionnaire budgétaire, le rapporteur spécial avait reçu 0 % des réponses.

I. LA CONTRIBUTION FRANÇAISE EST ATTENDUE EN LÉGÈRE HAUSSE EN 2025 APRÈS UNE BAISSE CONJONCTURELLE EN 2024

Le budget européen s'inscrit depuis 1988 dans une perspective de moyen terme, appelée cadre financier pluriannuel (CFP). Le projet de loi de finances pour 2025 correspond à la cinquième année d'application du CFP 2021-2027, qui prévoyait initialement sur cette période un plafond de 1 074 milliards d'euros en crédits d'engagement et 1 061 milliards d'euros en crédits de paiement en euros constants (au prix de 2018). Ces moyens sont relativement stables par rapport au CFP précédant, couvrant la période 2014-2020, à savoir 960 milliards d'euros en engagements et 909 milliards en paiements, aux prix de 2011.

La survenue de la crise liée au covid 19 début 2020 et ses graves conséquences économiques et financières ont cependant conduit à lui adjoindre un plan massif de relance budgétaire sous la forme d'un nouvel instrument financier appelé Next Generation EU, conçu pour donner une impulsion aux économies européennes en sortie de crise tout en investissant dans la transition écologique et la digitalisation des économies. Aux dépenses du CFP s'ajoutent donc désormais celles du plan Next Generation EU pour 750 milliards d'euros en euros constants, aux prix de 2018.

Ce nouveau cadre financier 2021-2027 est issu de l'accord des chefs d'État et de Gouvernement du 21 juillet 2020 et confirmé par l'accord interinstitutionnel du 16 décembre 2020. Il a fait l'objet d'une révision à mi-parcours adoptée le 29 février 2024, afin de renforcer le financement de priorités telles que le soutien à l'Ukraine, les technologies stratégiques et les migrations, détaillée ci-après. Le financement du budget de l'Union européenne repose sur :

- les ressources propres traditionnelles (RPT), constituées des droits de douane collectés par les États membres pour l'Union européenne ;

- les contributions des États membres assises sur une assiette de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) harmonisée ;

- les contributions des États membres assises sur le revenu national brut (RNB) ;

- une ressource associée aux déchets plastiques non recyclés de chaque État membre, qui prend la forme d'une modulation de la ressource RNB, à compter de 2021 ;

- diverses autres ressources, telles que le report du solde de l'exercice précédent, les intérêts de retard et des amendes, ou encore les recettes provenant du fonctionnement administratif des institutions.

La « ressource plastique », une nouvelle ressource propre assise
sur les déchets d'emballages plastiques non recyclé

La dernière décision relative au système des ressources propres est entrée en vigueur le 1er juin 2021, avec un effet rétroactif au 1er janvier 2021, au terme du processus de ratification de celle-ci par l'ensemble des parlements nationaux. Le montant dû par chaque État membre est obtenu par l'application d'un taux d'appel forfaitaire, s'élevant à 0,80 euros par kilo, à une assiette exprimée en kilogrammes d'emballages plastiques non recyclés. Cette ressource constitue davantage une modulation de la ressource RNB des États membres en fonction du taux de recyclage des déchets plastiques qu'une réelle ressource propre indépendante, dans la mesure où elle ne se traduit pas par une taxe directement acquittée par les ménages et les entreprises. Des rabais sur cette nouvelle ressource ont été introduits pour les États membres dont le revenu national brut par habitant est inférieur à la moyenne de l'Union. Ce rabais correspond à une réduction équivalente à 3,8 kilogrammes d'emballages plastiques non recyclés par habitant.

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, le rapporteur spécial s'était étonné de l'introduction d'un tel rabais sur cette nouvelle ressource propre, à rebours des ambitions initiales de la Commission européenne, et défendues par la France, de supprimer le système de rabais pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027.

La contribution de la France au titre de cette nouvelle ressource, initialement située autour de 1,250 milliard d'euros en 2021 et 2022, a connu un pic à 1,564 milliards d'euros en 2023. Elle est évaluée à 1,498 d'euros pour 2024 et à 1,464 milliard d'euros pour 2025.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

En outre, les États membres contribuent au financement des différents rabais dont bénéficient l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, l'Autriche et le Danemark. La France est le premier contributeur au financement de ces mécanismes.

Le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne (PSRUE) constitue la part essentielle de la contribution de la France au budget de l'Union européenne. Il est défini à l'article 6 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) comme « un montant déterminé de recettes de l'État [...] rétrocédé directement au profit [...] de l'Union européenne ». Comme le prélèvement sur recettes au profit des collectivités territoriales, il doit être « dans [sa] destination et [son] montant » défini et évalué « de façon précise et distincte ».

À noter que le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne est considéré comme une dépense sur le plan de la comptabilité nationale. À l'inverse, sur le plan budgétaire, il s'agit d'une moindre recette. L'article 10 de la loi n° 2023-1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 intègre le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne dans le périmètre des dépenses de l'État ; cela était déjà le cas dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

Depuis la loi de finances pour 2010, le PSRUE n'intègre plus les ressources propres traditionnelles, qui sont comptabilisées en compte de tiers. Par conséquent, le périmètre de la contribution française au budget européen est plus large que celui du prélèvement sur recettes.

Enfin, comme chaque année, en raison du calendrier d'examen du projet de budget de l'Union européenne, concomitant à celui du projet de loi de finances de la France pour la même année, le montant prévisionnel inscrit dans le projet de loi de finances sera probablement réévalué au cours du débat parlementaire. D'ailleurs, non seulement le budget européen pour l'année suivante n'est pas encore adopté mais avant même son adoption, la Commission a présenté une lettre rectificative qui modifie le projet de budget initial pour 2025 et sera intégrée dans le budget définitivement adopté.

L'Assemblée nationale n'ayant pas adopté la première partie du présent projet de loi de finances, celui-ci est considéré comme ayant été rejeté et le présent article n'a pas été adopté.

A. L'ANNÉE 2024 A ÉTÉ MARQUÉE SUR LE PLAN BUDGÉTAIRE PAR LA RÉVISION DU CADRE FINANCIER PLURIANNUEL (CFP)

1. Une révision à mi-parcours du CFP rendue nécessaire par l'inflation et une série de crises

Dans une communication du 20 juin 20231(*), la Commission européenne a présenté ses propositions pour une révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel 2021-2027. Selon la Commission, plusieurs facteurs ont rendu nécessaire une telle actualisation :

- premièrement, la guerre d'agression menée contre l'Ukraine par la Russie a nécessité une réponse de l'Union européenne pour faire face aux besoins de l'accueil des réfugiés, de réponse aux crises énergétique et alimentaire et d'assistance humanitaire ;

- deuxièmement, la recrudescence du phénomène migratoire produit des effets qui s'expriment tant au niveau interne, sur les capacités d'accueil et d'intégration des États membres, qu'au niveau externe, sur les relations avec les États tiers ;

- troisièmement, la double transition énergétique et numérique suscite des besoins d'investissements de long terme qui doivent permettre à l'Union européenne une place stratégique dans des secteurs clés tout en préservant la libre concurrence. Ces besoins d'investissements doivent toutefois prendre en compte la concurrence de l'Inflation Reduction Act, adopté aux États-Unis et prévoyant 370 milliards de dollars de subventions dans un cadre protectionniste ;

- quatrièmement, la reprise de l'inflation depuis 2022 et la hausse des taux d'intérêt qui en découle ont renchéri les coûts de remboursement de Next Generation EU.

2. Les États membres se sont efforcés de contenir l'impact financier de cette révision

La proposition de la Commission du 20 juin 2023 était composée de trois textes législatifs :

- une proposition de règlement sur la mise en place d'une facilité pour l'Ukraine, fondée sur des prêts, des subventions et des garanties, d'une capacité globale de 50 milliards d'euros pour la période 2024-2027, afin de couvrir les besoins immédiats de l'Ukraine et soutenir son redressement et sa modernisation dans son cheminement vers l'adhésion à l'UE ;

- une proposition de règlement sur la mise en place d'une plateforme européenne des technologies stratégiques (« STEP ») destinée à promouvoir la compétitivité à long terme de l'UE et à encourager les investissements dans les technologies critiques, notamment dans les technologies de rupture, les biotechnologies et les technologies à zéro émission nette) ;

- une proposition de règlement visant à modifier le règlement (EU, Euratom) 2020/2093 fixant le CFP pour les années 2021-2027. Outre les conséquences budgétaires des deux propositions législatives susmentionnées, cette proposition prévoit principalement un nouvel instrument EURI pour faire face à la hausse du coût de financement de Next Generation EU (du fait de l'augmentation des taux d'intérêts), un renforcement du budget pour faire face aux dimensions internes et externes des migrations et un financement supplémentaire des dépenses administratives.

Partant de cette proposition, et après accord du Conseil européen et du Parlement européen, les trois règlements modifiant le CFP ont pu formellement être adoptés au Conseil le 29 février 2024. Hors prêts, l'accord prévoit un montant total de dépenses nouvelles de 31,6 milliards d'euros (dont 17,0 milliards d'euros au titre de la Facilité Ukraine, 9,6 milliards d'euros au titre des dimensions interne et externe des migrations et 1,5 milliards d'euros pour la politique industrielle de défense). Une part substantielle de ces dépenses nouvelles est néanmoins financée par des redéploiements sur le budget de l'UE, pour un montant de 10,6 milliards d'euros, limitant ainsi le ressaut des contributions nationales. Il est précisé enfin que ce montant de dépenses nouvelles n'inclut pas le surcoût lié au paiement des intérêts du plan NextGenerationEU, estimé par la Commission à 15 milliards d'euros de 2025 à 2027, et dont les modalités de financement font l'objet d'un nouveau mécanisme dit « en cascade » (cf. infra). Le tableau suivant présente les principaux impacts financiers de la révision du CFP.

Conséquences financières de la révision à mi-parcours du CFP

(en milliards d'euros)

Priorité

Mécanisme

Montant

Ukraine

Subventions et provisionnements

17,0

Prêts

33,0

Total

50,0

Migrations / défis extérieurs

Fonds "Asile, migration et intégrations"

0,8

Instrument relatif à la gestion des frontières et aux visas (IGFV)

1,0

Agence de l'Union européenne pour l'asile

0,2

Réfugiés syriens (Syrie, Jordanie, Liban)

1,6

Réfugiés syriens (Turquie)

2,0

Voisinage méridional

2,0

Balkans occidentaux

2,0

Total

9,6

STEP

Fonds pour l'innovation

 

InvestEU

 

Conseil européen de l'innovation

 

Fonds européen de la défense

1,5

Coût de financement de Next Generation EU - mécanisme en cascade

0

Instrument de flexibilité

2,0

Réserve de solidarité et d'aide d'urgence

1,5

TOTAL PRIORITES

64,6

Dont prêts

33,0

Dont subventions

31,6

Redéploiements

10,6

Nouveaux fonds

21,0

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

B. UNE CONTRIBUTION FRANÇAISE EXCEPTIONNELLEMENT BASSE EN 2024, ACCOMPAGNÉE D'INITIATIVES POUR EN AUGMENTER LES RETOURS

1. La contribution française a connu une baisse conjoncturelle en 2024

Pour 2024, la loi de finances initiale avait évalué le montant du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne à 21,610 milliards d'euros. Cette prévision a été réhaussée de 646 millions d'euros, pour atteindre 22,256 milliards d'euros dans les prévisions présentées dans le projet de loi de finances pour 2025. Cette révision à la hausse prend en compte :

- le budget rectificatif n° 1 adopté le 25 avril 2024, qui apporte les modifications nécessaires pour tenir compte de la révision du CFP dès 2024, avec une augmentation de 5,8 milliards d'euros de crédits d'engagements, principalement afin de prendre en compte le soutien financier à l'Ukraine à hauteur de 4,8 milliards d'euros ;

- le budget rectificatif n° 2, aussi adopté le 25 avril 2024, qui intègre l'excédent de 2023, s'élevant à 633 millions d'euros, réparti entre 239 millions d'euros en recettes et 394 millions d'euros en dépenses. Le surplus en recettes résulte en particulier d'un surplus issu des amendes au titre de la politique de la concurrence ; quant au volet dépenses, il résulte de sous-exécutions et annulations de crédits reportés. Pour mémoire, le solde excédentaire de l'exercice 2022 avait permis d'augmenter les recettes de 2,519 milliards d'euros ;

- un projet de budget rectificatif n° 3, de moindre ampleur, a été présenté par la Commission le 9 avril 2024 et propose de renforcer les crédits du Parquet européen de 3,6 millions d'euros (en CE et CP) à la suite de l'adhésion de la Pologne et celle à venir de la Suède ;

- enfin un 4e projet de budget rectificatif, adopté par la Commission le 19 juillet 2024, formalise la mise à jour du volet « recettes » à la suite du comité consultatif sur les ressources propres (CCRP), incluant notamment une baisse importante des ressources propres traditionnelles (4,5 milliards d'euros) ainsi que pour les « autres recettes » (1 milliard d'euros), notamment du fait de retards de décaissement du reste à liquider lié au départ du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Toutefois, cette prévision actualisée figurant dans les documents annexés au projet de loi de finances pour 2025, à la date de son dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale, ne prend pas en compte les hypothèses budgétaires de l'Union modifiées postérieurement

Ainsi, la Commission européenne a proposé le 10 octobre 2024, un projet de budget rectificatif n° 5. Ce dernier prévoit une hausse de 45 millions d'euros en crédits d'engagement et de 2 955 millions d'euros en crédits de paiement, expliquée par une hausse de 2,9 milliards d'euros de crédits de paiement à destination du Fonds européen de développement régional (FEDER) et une progression des coûts administratifs pour un peu moins de 100 millions d'euros. En recettes, cette lettre intègre le produit de pénalités et amendes à hauteur de 2,8 milliards d'euros, principalement fait de la confirmation par la Cour de justice de l'Union européenne en septembre 2024 d'une amende de 2,4 milliards d'euros à l'encontre de Google. Les dépenses, nettes des recettes, conduisent à une hausse de 139,9 millions d'euros de la contribution fondée sur le RNB des États membres.

Évolution du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne
par rapport à la prévision

(en millions d'euros)

 

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

2024

Crédits votés en PLF

18 690

19 912

21 443

21 480

27 200

26 359

24 994

21 610

Crédits exécutés

16 380

20 645

21 025

23 691

26 368

25 230

23 873

22 256*

Écart PLF/exécution

- 12,4 %

3,7 %

- 1,9 %

10,3 %

- 3,06 %

- 4,28 %

- 4,49 %

+ 2,99 %

* D'après la prévision actualisée figurant dans l'annexe « Voies et moyens », tome I, du projet de loi de finances pour 2025.

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Cette sur-exécution fait suite à plusieurs années de sous-exécution et reste d'une ampleur limitée.

2. Si la France est l'un des principaux bénéficiaires des dépenses européennes, des marges de progression existent

La contribution française au budget de l'Union européenne est atténuée pour une large part par les retours dont elle bénéficie : la France est ainsi devenue en 2023 le premier bénéficiaire en volume de l'Union européenne et affiche des retours en constante progression.

Total des retours par pays de 2000 à 2023

(en millions d'euros)

Source : annexe au projet de loi de finances pour 2025 « Relations financières avec l'Union européenne »

Rapportée au nombre d'habitants, la performance française est toutefois beaucoup moins flatteuse, la France ne se classant en 2023 qu'à la 22e position (242 euros par habitant, contre 3 800 euros pour le premier bénéficiaire, le Luxembourg). En 2023, les dépenses réalisées en France s'élevaient à 16,498 milliards d'euros, hors crédits du plan de relance, soit 11,5 % du total des dépenses réparties de l'Union.

Les dépenses de la politique agricole commune (PAC) continuent de représenter la majorité des retours français, avec 58 % du total des dépenses de l'Union en France en 2023, soit un montant de 9,5 milliards d'euros, loin devant les politiques de compétitivité et de cohésion (respectivement 2,7 milliards d'euros et 2,3 milliards d'euros). Cette proportion se réduit cependant depuis le début des années 2000, lorsque la PAC représentait 75 % des retours français.

La France demeure toutefois l'un des principaux contributeurs nets au budget de l'Union européenne. Avec un solde net estimé à - 9,333 milliards d'euros selon la méthode comptable (- 0,33 % du RNB), la France était en 2023 le deuxième contributeur net au budget de l'Union européenne, à distance de l'Allemagne (19,8 milliards d'euros) mais devant les Pays-Bas (6,3 milliards d'euros) et l'Italie (6 milliards d'euros).

Les différentes méthodes de calcul du solde net d'un État membre

La méthode dite comptable calcule le solde net par simple différence entre la contribution d'un État membre au budget de l'Union européenne au titre de l'ensemble des ressources propres, y compris les ressources propres traditionnelles nettes des frais de perception, et le montant des dépenses européennes effectuées dans cet État membre, y compris les dépenses administratives. Cette méthode a été privilégiée par les États membres du nord de l'Europe lors des négociations pour le CFP 2021-2027.

La méthode dite de la correction britannique calcule le solde net sans tenir compte du montant des ressources propres traditionnelles qui constituent des recettes de l'Union européenne, directement versées au budget européen.

La méthode dite de la Commission européenne calcule le solde net selon la même formule que celle de la correction britannique, mais en excluant les dépenses administratives, ce qui a pour effet de rendre contributeurs nets le Luxembourg et la Belgique, qui bénéficient fortement de l'implantation des institutions européennes sur leur territoire. C'est cette méthode qui a été utilisée lors des négociations du cadre financier pluriannuel pour les années 2014 à 2020.

Source : annexe au projet de loi de finances pour 2025 « Relations financières avec l'Union européenne »

Alors que le solde net de la France a été inférieur à - 0,1 % du RNB jusqu'aux années 2000, celui-ci n'a cessé de se dégrader depuis lors sous l'effet des élargissements successifs de l'Union européenne et de l'encadrement des dépenses agricoles. Si cette dégradation s'est ralentie à partir du CPF 2014-2020, elle a repris à partir de 2021 à la suite du départ du Royaume-Uni.

Soldes nets d'une sélection de plusieurs États membres

(selon la méthode comptable)

(en millions d'euros)

Source : annexe au projet de loi de finances pour 2025 « Relations financières avec l'Union européenne »

Face à ce constat, la mobilisation des fonds européens constitue un enjeu budgétaire important, afin de maximiser les bénéfices de notre appartenance à l'Union européenne. De manière prépondérante (79 %), les retours français sont composés de crédits issus des enveloppes pré-allouées à la France en gestion partagée, c'est à dire confiée aux États membres (PAC, pêche, politique de cohésion et affaires intérieures).

En complément, 15 % des retours français sont issus de crédits en gestion directe, à savoir ceux dont la gestion est à la main de la Commission, de ses agences ou de partenaires financiers2(*). Le CFP 2021-2027 marque une réorientation progressive du budget de l'UE vers les fonds en gestion directe dotés désormais de plus de 225 milliards d'euros, soit une hausse de 73 % par rapport au précédent CFP.

Dans ce contexte, une cellule de mobilisation des fonds européens au bénéfice de la France a été créée le 1er janvier 2023 au sein du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), qui a réalisé le diagnostic suivant avec les ministères compétents :

- pour les fonds en gestion partagée, si un bilan à date montre un progrès très important dans la consommation des fonds par les régions métropolitaines françaises qui ont rattrapé la moyenne européenne, un retard continue d'être constaté en revanche dans certaines régions ultrapériphériques

- le taux de retour de la France sur les fonds en gestion directe (16 %) la place en première position. Toutefois, ce résultat est le fait d'un petit nombre de fonds sur lesquels la France est très performante (Programme spatial, ITER, MEDIA). Des marges de progrès très substantiels existent en revanche sur plusieurs autres fonds, en particulier le programme cadre de recherche et d'innovation Horizon Europe.

Le rapporteur spécial suivra avec attention la mise en oeuvre effective des plans d'actions construits par la cellule pour exploiter les marges de progression identifiées, avec notamment un ciblage sur les acteurs ayant le plus grand potentiel d'amélioration (opérateurs de l'État et entreprises) et une articulation plus fine entre les crédits européens et ceux du budget de l'État, afin de prévenir les effets d'éviction.

C. LA CONTRIBUTION FRANÇAISE PROGRESSE EN 2025 

1. Un budget européen qui connaîtrait une légère hausse en 2025...

L'évaluation du prélèvement sur recettes est fondée sur les prévisions de recettes et de dépenses de l'Union européenne, c'est-à-dire :

- d'une part, sur le besoin de financement de l'Union européenne pour 2025 estimé à partir des crédits de paiement prévus dans le projet de budget européen pour cet exercice, qui dépend lui-même du cadre financier pluriannuel 2021-2027, des éventuels budgets rectificatifs et du solde du budget européen 2024 qui sera reporté sur l'exercice 2025 ;

- d'autre part, sur les données prévisionnelles relatives aux ressources propres assises sur la TVA et la RNB et des hypothèses de recouvrement des droits de douane, ainsi que du montant de la contribution britannique.

Ces données sont fournies par la Commission européenne lors du comité consultatif des ressources propres (CCRP) qui se tient chaque année en mai. Les hypothèses retenues pour l'année N, fournies en N-1, font ensuite l'objet d'une révision lors du CCRP de l'année N, ce qui peut se traduire par l'élaboration d'un budget rectificatif.

Calendrier déterminant l'évaluation du montant du PSRUE

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

Le 19 juin 2024, la Commission européenne a présenté son projet de budget pour 2025, en proposant un niveau de dépenses s'élevant à 199,7 milliards d'euros en crédits d'engagement (CE), en hausse de 2,3 % par rapport au budget 2024 après révision du CFP, et à 152,7 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) en hausse de 4,1 %.

Comme en 2024, ce projet de budget se caractérise par les retards d'exécution des politiques traditionnelles de l'UE, à savoir la politique de cohésion et le fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). On observe en effet un niveau des paiements encore inférieur à celui de 2023 (-15,9 milliards d'euros), et le niveau de CP de la politique de cohésion est ainsi limité à 29,6 milliards d'euros pour la programmation 2021-2027 contre une prévision de 35,1 milliards d'euros en 2023. Le rapporteur spécial attire ici l'attention sur le fait que cette baisse demeure transitoire et que les retards en paiement peuvent se traduire par un rattrapage sur les exercices ultérieurs.

Le projet de budget de la Commission tire les conséquences financières de la révision du CFP 2021-2027 :

- le déploiement de la facilité pour l'Ukraine : dotée d'une enveloppe de 50 milliards d'euros pour la période 2024-2027, dont 4,3 milliards d'euros en 2025 ;

- le relèvement de plafond des instruments d'action extérieure, à hauteur de 3,1 milliards d'euros pour 2025-2027 dont 1 milliard d'euros en 2025 ;

- le renforcement de la capacité d'investissement dans la défense, dans le cadre de la nouvelle plateforme des technologies stratégiques pour l'Europe (STEP) de 1,5 milliard d'euros sur la période 2025-2027, dont 374 millions d'euros seront alloués au Fonds européen de défense (FEDeF) pour 2025 ;

- Le renforcement des moyens pour gérer les besoins liés à la gestion des migrations et des frontières (2 milliards d'euros sur la période 2025-2027, dont 303 millions d'euros pour 2025), concernant le Fonds pour l'asile, la migration et l'intégration (FAMI), l'instrument pour la gestion des frontières et la politique des visas (IGFV) et l'Agence de l'Union européenne pour l'asile (AUEA) ;

- l'augmentation des instruments spéciaux : l'instrument de flexibilité3(*) pour 2 milliards d'euros dont 500 millions d'euros en 2025 et la réserve de solidarité et d'urgence4(*) pour 1,5 milliard d'euros dont 375 millions d'euros en 2025.

Le Conseil a adopté le 13 septembre 2024 sa position sur le projet de budget. Il a proposé une enveloppe de 191,5 milliards d'euros en crédits d'engagement (soit une diminution de 4,11 % par rapport aux propositions de la Commission) et de 146,2 milliards d'euros en crédits de paiement (soit une hausse de 2,17 %).

La position du Conseil vise principalement à augmenter les marges sous plafonds et dégager suffisamment de flexibilité au plan budgétaire compte-tenu des incertitudes sur l'exécution du budget, notamment sur les fonds structurels, et des marges restantes d'ici 2027 pour assurer divers engagements dont le paiement du surcoût lié aux intérêts du plan NGEU conformément au « mécanisme en cascade ».

Comme chaque année, le Parlement européen, dans sa position sur le projet de budget adoptée le 23 octobre 2024, a majoré les propositions du Conseil. En fixant les crédits d'engagement à 201 milliards d'euros, il propose même 1,24 milliards de plus que la Commission européenne. Estimant que l'augmentation des coûts de remboursement du plan de relance européen post-Covid-19 ne doit pas se solder par des coupes dans le financement des programmes, il défend un financement supérieur pour la jeunesse, les agriculteurs, les PME, l'éducation, la santé, la recherche, les infrastructures, la sécurité et l'aide humanitaire. Un compromis sur le budget 2025 avec le Parlement européen est attendu, comme chaque année, au mois de novembre.

À noter que, comme en 2023 et 2024, les crédits d'engagement dépassent largement le montant prévu pour les crédits de paiement alors qu'ils étaient sensiblement équivalents en 2022.

Écart entre crédits d'engagement et de paiement
dans le budget de l'Union européenne

(en milliards d'euros)

* Proposition de la Commission.

Source : Commission des finances, d'après les documents budgétaires

La participation du Royaume-Uni au budget de l'Union européenne en 2025

Conformément à l'accord de retrait entré en vigueur le 31 janvier 2020, le Royaume-Uni participe au-delà de 2020 au budget de l'Union au titre de ses engagements passés (part des restes-à-liquider, aux retraites, aux passifs et aux actifs éventuels). Le principal déterminant de cette contribution est le restes-à-liquider (RAL) pré-2021. La part de contribution du Royaume-Uni dans ce RAL est calculée selon un niveau historique en tenant compte de la correction dont bénéficiait le Royaume-Uni ainsi que des autres montants de corrections accordés.

La dernière évaluation de la contribution britannique pour l'exercice 2024, opérée lors de l'examen du budget rectificatif n° 4, s'élève à 2,383 milliards d'euros de versement en 2024. Pour l'exercice 2025, la Commission européenne évalue le montant de la contribution britannique à 1,926 milliard d'euros.

Source : annexe au projet de loi de finances pour 2025 « Relations financières avec l'Union européenne »

2. ... qui se répercuterait sur le niveau de la contribution française

Pour 2025, l'article 40 du projet de loi de finances évalue le montant du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne à 23,321 milliards d'euros, soit une hausse de 4,79 % par rapport à la prévision d'exécution à date pour 2024.

Les droits de douane bruts versés par la France en 2025 sont estimés à 2 666 millions d'euros, contre 2 528 millions en 2024. Mécaniquement, les droits de douane, nets des 25 % retenus pour frais de perception, versés par la France peuvent être évalués à 2 milliards d'euros en 2025, contre 1,896 milliard d'euros en 2024). Ceci porterait la contribution française à 25,321 milliards d'euros, contre 24,152 milliards d'euros en 2024 selon les dernières estimations, soit une hausse de près de 5 %. Pour mémoire, si la loi de finances initiale pour 2024 a sous-estimé le montant du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne, le montant des droits de douane nets des frais de perception était en revanche significativement surestimé (2,33 milliards d'euros en loi de finances 2024).

Décomposition du prélèvement sur recettes au profit
de l'Union européenne en 2024 et 2025

(en millions d'euros)

Composants

2024

PLF 2025

Ressource TVA

4 294

4 429

Ressource plastique

1 498

1 464

Ressource RNB

16 464

17 428

Dont rabais forfaitaires

1 490

1 526

Total

22 256

23 321

Source : tome I « voies et moyens » annexé au projet de loi de finances pour 2024 et 2025

Le montant du prélèvement sur recettes estimé dans le projet de loi de finances pour 2025 représente une hausse de 1,711 milliard d'euros par rapport à celle figurant au PLF 2024 et de 1,065 milliard d'euros par rapport à la prévision d'exécution à date pour 2024. Cette hausse est expliquée principalement par deux facteurs :

- une légère reprise des paiements de la cohésion : la mise en oeuvre de la politique de cohésion 2021-2027 a en effet connu d'importants retards, qui ont conduit à une diminution conjoncturelle des besoins de paiement en 2024 ;

- une hausse limitée des ressources propres traditionnelles (RPT, droits de douane) qui fait suite à la baisse des droits de douane estimée pour 2024. Or les sous-jacents de la LFI 2024 avaient pour hypothèse une hausse plus franche des RPT.

Le niveau du prélèvement pourrait évoluer dans les prochaines semaines, notamment dans le cadre de la conciliation prévue début novembre entre le Parlement européen et le Conseil qui viendra arrêter le montant définitif de crédits de paiements du budget européen, comme chaque année.

II. LA CONTRIBUTION FRANÇAISE AU BUDGET EUROPÉEN DEVRAIT CROÎTRE FORTEMENT DÈS 2026 ET POTENTIELLEMENT LORS DU PROCHAIN CFP

A. UNE HAUSSE SIGNIFICATIVE DE LA CONTRIBUTION FRANÇAISE AU BUDGET EUROPÉEN POUR BOUCLER LE CFP 2021-2027

1. Le poids de la contribution croissante de la France au budget européen ne se fera véritablement sentir qu'en fin d'exercice

Si le prélèvement sur recettes pour 2025 est prévu en hausse par rapport à 2024, il reste inférieur de 552 millions d'euros au prélèvement de 23,873 milliards d'euros réalisé en 2023. Et ces deux montants restent significativement inférieurs au montant annuel moyen du PSR-UE, estimé par la direction du budget à 26,2 milliards d'euros pour les années 2021 à 2027, soit une hausse significative de près de 6,1 milliards d'euros par an par rapport au cadre 2014-2020 (+ 30 %). Une très forte hausse du prélèvement sur recettes est ainsi attendue pour les années 2026 et 2027, attendus respectivement à hauteur de 30,4 milliards d'euros et 32,4 milliards d'euros.

Évolution du montant du prélèvement sur recettes
au profit de l'Union européenne entre 2014 et 2025 

(en milliards d'euros)

20,1 Md€

26,2 Md€

* Les montants 2024 - 2027 sont prévisionnels.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

S'agissant de prévisions, il convient tout d'abord de prendre un certain nombre de précautions. Ainsi, les prévisions pour les années 2026 et 2027 sont fondées sur les hypothèses transmises par la Commission (prévisions à moyen-terme de la Commission européenne de l'été 2024 ainsi que sur une prévision en recettes partant des dernières données disponibles pour 2025), dont il convient de souligner le caractère encore particulièrement incertain : en dépenses, le rythme de décaissement du budget de l'UE reste soumis à des fortes incertitudes et évoluera naturellement dans les projets de budget annuel. En recettes, le niveau des ressources propres traditionnelles dépendra du contexte macroéconomique, de même que la clé de contribution RNB de chaque État membre.

Une forte progression de la contribution française en 2026 et 2027 reste néanmoins le scénario le plus probable, qui trouve deux explications. En premier lieu, le facteur principal est la progression en volume de la contribution française attendue sur le CFP 2021-2027 par rapport au CFP précédent. Cette hausse reflète d'une part une progression en euros courants entre le CFP 2014-2020 (1,064 milliards d'euros) et le CFP 2021-2027 (1,215 milliards d'euros, soit une hausse de 14 %), à laquelle il convient d'ajouter les 21,0 milliards d'euros de dépenses nouvelles issus de la révision du CFP de 2024.

L'effet de ces nouveaux besoins de l'Union est toutefois fortement accentué pour la France par le départ du Royaume-Uni de l'Union européenne. Le départ de l'un des principaux contributeurs de l'Union a ainsi fortement redistribué la charge du CFP 2021-2027, la contribution du Royaume-Uni représentant chaque année autour de 12 % du budget de l'Union là où la contribution française oscillait entre 15 % et 16 %.

En second lieu, un effet de cycle vient s'ajouter à cet effet volume, particulièrement sensible sur cette fin de CFP, effet détaillé dans la suite de ce rapport. Le rapporteur spécial avez pointé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024 que la baisse de la contribution française alors observée masquait des facteurs d'augmentation de la contribution française à moyen terme. Ainsi, la consommation des crédits s'accentue systématiquement à mesure que le CFP progresse et les rattrapages sont fréquents en fin d'exercice. Cet effet est renforcé pour le CFP 2021-2027 par l'ampleur du plan Next Generation EU, dont les crédits ne seront déboursés que jusqu'à 2026 ce qui a pu renforcer la sous-consommation de fonds structurels dans certains pays.

Le soutien de l'Union européenne à l'Ukraine

L'impact financier du soutien de l'Union européenne à l'Ukraine sur le prélèvement sur recettes sur le niveau de la contribution budgétaire française sera limité sur les prochains exercices. Celui-ci prend aujourd'hui la forme de quatre dispositifs.

Premièrement, l'Union européenne apporte une aide directe à l'Ukraine en matière militaire. Depuis février 2022, des mesures d'assistance ont été adoptées dans le cadre de la facilité européenne pour la paix (FEP), pour un total de 6,1 milliards d'euros. Ces mesures permettent de financer la fourniture d'équipements militaires, y compris létaux, et, depuis 2023, de munitions et de missiles. La mobilisation de la FEP a conduit à la révision du plafond de cet instrument à trois reprises, portant ses crédits à 17 milliards d'euros contre 5,7 milliards initialement prévus dans le CFP 2021-2027. Ce réabondement est toutefois financé par des contributions directes des États membres : en France par le budget du ministère des armées et celui de l'Europe et des Affaires étrangères

Deuxièmement, l'Union fournit une aide sur le plan humanitaire. Le total de l'aide humanitaire atteint 926 millions d'euros depuis 2022, principalement financés par la rubrique 6 (« Voisinage et monde ») du budget et répartis entre 860 millions d'euros à destination de l'Ukraine et 66 millions d'euros pour l'accueil des réfugiés en Moldavie. Cette aide humanitaire est complétée par un mécanisme de protection civile de l'Union européenne (dit « RescEU »), à hauteur de 839 millions d'euros depuis février 2022.

Troisièmement, l'Union a mis en place des mécanismes d'assistance en matière financière. Ces mécanismes de prêts sont au nombre de trois :

- l'assistance macrofinancière d'urgence (1,2 milliard d'euros) versée en 2022 ;

- l'assistance macrofinancière exceptionnelle (7,2 milliards d'euros versés en 2022) ;

- l'assistance macrofinancière + (18 milliards d'euros) prenant la forme de prêts et financée par le dispositif unique d'émission de titres de créance à court terme de l'Union européenne et d'obligations de l'Union européenne.

Le Conseil de l'Union européenne a approuvé le 23 octobre 2024 une proposition législative visant à mettre sur pied, pour 2025, une nouvelle assistance macrofinancière pouvant aller jusqu'à 35 milliards d'euros. Formulée dans le cadre d'un accord des pays du G7 relatif à une aide globale de 50 milliards de dollars, cette aide sera gagée sur les profits futurs que généreront les avoirs de la Banque de Russie immobilisés dans l'Union européenne. Les paramètres de cette nouvelle assistance doivent encore être arrêtés, notamment le montant octroyé par l'Union européenne, qui pourrait baisser selon la contribution des autres membres du G7.

S'agissant de cette dernière assistance macrofinancière, si l'utilisation des profits générés par les avoirs immobilisés de la Banque de Russie doit servir de gage à cette aide, une telle mesure n'est pas neutre pour le budget de l'Union, ces profits contribuant aujourd'hui à financer la facilité européenne pour la paix (cf. ci-dessus).

Quatrièmement, l'Union a adopté en février 2024 le règlement établissant une facilité pour l'Ukraine, s'intègre dans le paquet législatif dédié à la révision du CFP 2021-2027 (cf. supra). Plafonnée à hauteur de 50 milliards d'euros sur la période 2024-2027, dont 17 milliards d'euros de soutien budgétaire et 33 milliards d'euros de prêts.

À court terme, ce sont ces 17 milliards d'euros de soutien budgétaire qui affecteront le plus le montant de la contribution française au budget de l'Union européenne, la facilité représentant, à titre d'exemple, des crédits de 4,3 milliards d'euros dans le budget européen estimé pour 2025.

Si le montant de prêts accordés est significatif, et si la solvabilité de l'Ukraine est menacée, l'impact sur le budget de l'Union serait lointain et diffus, les prêts étant assortis d'une période de grâce de 10 ans et échelonnés sur une période de plus de 25 ans.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

2. La facture des retards pris dans le décaissement des crédits sera présentée dans les prochains budgets européens

Le retard pris dans le décaissement des crédits européens constitue un sujet récurrent, en particulier s'agissant de ceux accordés dans le cadre de la politique de cohésion. De fait, le démarrage plus lent que prévu d'un nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) a notamment des répercussions sur l'ensemble de la période de programmation.

Ces retards ont été particulièrement observables concernant l'exécution des différents fonds de la politique de cohésion (Fonds social européen, Fonds européen de développement régional, Fonds de cohésion, Initiative pour l'emploi des jeunes ou le Fonds européen d'aide aux plus démunis). Le CFP 2014 a été particulièrement affecté par ces retards et, au ce n'est qu'au 31 mars 2024 que les crédits de l'enveloppe allouée à la politique de cohésion ont pu être consommés à hauteur de 341 milliards d'euros, correspondant à un taux d'exécution de 95 % sur l'ensemble de l'Union (la France se situant en dessous de la moyenne avec un taux de 93 %).

À l'échelle de l'Union, ces retards s'expliquent par l'adoption tardive des règlements relatifs aux fonds de la politique de cohésion. À l'échelle française, ils sont plutôt liés au changement d'autorités de gestion nationales au début de l'application du cadre financier ainsi que par d'autres facteurs techniques (changement de logiciel) ou administratifs.

La période de programmation 2021-2027 a, elle aussi, connu un démarrage plus lent qu'attendu en raison de l'adoption tardive des règlements sectoriels. Le chevauchement des programmations ainsi que l'absorption des crédits de Next Generation EU sont également des facteurs de retard de démarrage de la programmation 2021-2027. Au 6 août 2024, seuls 19 milliards d'euros de l'enveloppe de crédits alloués à la politique de cohésion (FSE+, FEDER, FTJ et fonds de cohésion) avaient été décaissés à l'échelle de l'Union, soit un taux d'exécution globale en paiement de 6 % pour la programmation 2021-2027, la France se situant au-dessous de cette moyenne avec un taux d'exécution de 4 %.

Exécution des fonds de cohésion

(en millions d'euros)

Pays

Enveloppe
2021-2027

Exécution au
6 août 2024

Taux
d'exécution

Pays-Bas

1 543

211

14 %

République Tchèque

21 054

1 970

9 %

Finlande

1 940

173

9 %

Estonie

3 369

284

8 %

Grèce

20 540

1 688

8 %

Hongrie

21 730

1 747

8 %

Luxembourg

38

3

8 %

Bulgarie

10 705

835

8 %

Danemark

455

35

8 %

Chypre

968

65

7 %

Suède

1 724

108

6 %

Allemagne

19 860

1 178

6 %

Autriche

1 066

63

6 %

UE-27

377 711

19 194

6 %

Lettonie

6 274

365

6 %

Pologne

75 460

3 819

5 %

Lituanie

4 434

202

5 %

Irlande

988

44

4 %

Slovénie

3 242

139

4 %

France

16 775

714

4 %

Belgique

2 503

104

4 %

Roumanie

30 986

1 240

4 %

Slovaquie

12 893

384

3 %

Italie

42 179

1 262

3 %

Malte

772

22

3 %

Espagne

35 561

963

3 %

Croatie

8 706

228

3 %

Portugal

22 602

546

2 %

Source : annexe au projet de loi de finances pour 2025 « Relations financières avec l'Union européenne »

Si les autorités de gestion de chaque État membre ont fréquemment concentré leurs efforts depuis 2021 sur la clôture de la programmation 2014-2020 et la mise en oeuvre de la Facilité pour la relance et la résilience, une forte progression des décaissements est désormais attendue sur les derniers exercices du CFP, qui pourraient s'avérer substantiels. Selon la Cour des comptes européenne, pour des investissements en faveur de la cohésion économique, sociale et territoriale, six pays peuvent dépenser au moins deux fois plus qu'au cours de la période 2014-2020 (la Bulgarie, l'Allemagne, l'Irlande, la Grèce, Chypre et la Finlande), sept pays peuvent dépenser au moins trois fois plus (la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la France, l'Italie, l'Autriche et la Suède) et deux autres sept fois plus (le Luxembourg et les Pays-Bas).

3. La problématique structurelle des reste-à-liquider (RAL)

Le « reste à liquider » ou RAL est un phénomène normal, conséquence de la structure et du fonctionnement du budget de l'UE, composé en grande partie de crédits dissociés en crédits d'engagement (CE) et en crédits de paiement (CP). Il correspond aux engagements pris par l'Union européenne qui n'ont pas encore été couverts par des paiements. À une date donnée, le stock de RAL mesure le besoin de crédits de paiement pour les années à venir, indépendamment des nouveaux engagements qui pourraient être pris.

Le ratio entre le RAL et les CP indique le temps nécessaire pour couvrir l'ensemble des engagements. Ainsi, il faut plus de quatre ans pour couvrir les engagements de l'ancienne sous-rubrique 1b (politique de cohésion) et, en moyenne, entre deux et trois ans pour couvrir ceux de l'ancienne sous-rubrique 1a (compétitivité) ou de l'ancienne rubrique 4 (Europe dans le monde) et seulement huit mois pour l'ancienne rubrique 2 (ressources naturelles).

L'allongement du décalage entre l'engagement des dépenses et le versement des crédits de paiement se traduit par une augmentation progressive du reste-à-liquider (RAL) du budget européen. Au cours de la période 2014-2020, les engagements avaient été nettement supérieurs aux paiements, d'où une augmentation des RAL de 105,9 milliards d'euros.

Après d'importantes progressions en 2021 (+ 13 %), 2022 (+ 32,6 %) et 2023 (+ 20 %), une baisse du RAL est attendue pour les prochaines années, le RAL passant de 542 milliards d'euros fin 2023 à 470 milliards fin 2024 et 445 milliards fin 2025. L'augmentation conséquente observée en début de CFP s'explique principalement par le lancement des engagements de la programmation 2021-2027 et du plan de relance Next Generation EU.

Le montant des RAL équivaut désormais aux crédits de paiement de deux exercices complets, ce qui n'est pas soutenable dans le contexte budgétaire actuel. Sur le terrain, plusieurs facteurs ont simultanément contribué à créer une complexité supplémentaire pour tous les organismes chargés de gérer et de contrôler les fonds :

- la lenteur de la mise en oeuvre de la plupart des fonds en gestion partagée dans le cadre du nouveau CFP ;

- la gestion des RAL des fonds structurels et d'investissement européens (ESI) relevant du précédent CFP ;

- la concrétisation de Next Generation EU ;

- la mise en oeuvre des mesures budgétaires qui seraient éventuellement prises en réponse à la guerre en Ukraine.

Le rapporteur spécial appelait dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2024 à la vigilance quant au suivi de la consommation des crédits européens dans les années à venir, notant que le niveau élevé du stock des RAL engendrera pour plusieurs années un besoin important de crédits de paiement qui pèsera sur le montant du prélèvement sur recettes. Cette vigilance est d'autant plus de mise maintenant que ce scénario se concrétise.

B. LA MISE EN oeUVRE DU PLAN DE RELANCE NEXT GENERATION EU VA DURABLEMENT AFFECTER LES FINANCES DE L'UNION EUROPÉENNE

1. La France a su mobiliser le plan de relance Next Generation EU
a) Next Generation EU constitue un mécanisme sans précédent

Le Conseil européen de juillet 2020 a constitué un tournant historique majeur, tant en ce qu'il a permis d'aboutir sur les négociations pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027, que parce qu'il a défini les contours du plan de relance européen - Next Generation EU.

À cette occasion les 27 États membres se sont accordés sur un CFP « socle » de 1 074 milliards d'euros5(*) en crédits d'engagement, et 1 061 milliards d'euros en crédits de paiement. Dans le même temps a été actée la mise en place d'un instrument temporaire de relance de 750 milliards d'euros6(*) destiné à aider à la réparation des dommages économiques et sociaux immédiats causés par la pandémie due au Covid-19. Il s'est agi de faire en sorte que l'Union européenne de l'après choc sanitaire soit plus « verte », plus numérique et plus résiliente.

L'enveloppe de 750 milliards d'euros de Next Generation EU se répartit entre 360 milliards d'euros de prêts et 390 milliards d'euros de subventions. La grande majorité de ses fonds disponibles sont ceux de la nouvelle facilité pour la reprise et la résilience (FRR, pour 672,5 milliards d'euros), instrument proposant des subventions et des prêts aux États membres pour soutenir les réformes et les investissements7(*). Concrètement, le décaissement des fonds de la FRR s'étalera de 2021 à 2026, au fur et à mesure de l'atteinte de cibles (« targets » quantitatives) et jalons (« milestones » qualitatives) figurant dans le plan national de chaque État membre.

Le reste des sommes allouées aux États membres dans le cadre de Next Generation EU leur est versé par le canal de plusieurs programmes de l'Union : le soutien à la reprise en faveur de la cohésion et des territoires de l'Europe (REACT-EU, pour 47,5 milliards d'euros), Horizon Europe (5 milliards), InvestEU (5,6 milliards), le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER, pour 7,5 milliards), le Fonds pour une transition juste (FTJ pour 10 milliard) et RescEU, mécanisme de protection civile de l'Union pour 1,9 milliards.

La clé d'allocation de la Facilité pour la reprise et la résilience

Chaque État membre dispose d'une enveloppe de subventions pré-allouée établie sur la base d'une clé d'allocation prenant en compte à la fois des critères structurels reflétant la fragilité relative des économies (taux de chômage, RNB, etc.) et des critères dynamiques reflétant l'impact conjoncturel de la crise liée à la COVID-19.

La clé d'allocation retenue (annexe I du règlement FRR) permet d'ajuster les montants reçus en fonction de l'impact réel de la crise :

(i) pour 2021-2022 (70 % des fonds), les critères retenus sont des critères de cohésion classiques (population, proportion inverse du PIB par habitant, taux de chômage moyen sur les cinq dernières années par rapport à la moyenne de l'Union (2015-2019)) ;

(ii) pour 2023 (30 % des fonds), le critère du chômage au cours de la période 2015-2019 est remplacé, en proportions égales, par le critère de la chute de PIB réel en 2020 et la chute du PIB réel durant les exercices 2020-2021 combinés, dont le chiffrage devait être réalisé au plus tard le 30 juin 2022.

Source : Annexe au projet de loi de finances pour 2024, « Relations financières avec l'Union européenne »

Les PNRR des 27 États membres ont été validés par le Conseil. Le dernier État membre à avoir reçu l'aval du Conseil en décembre 2022 est la Hongrie8(*). La France a transmis son PNRR à la Commission européenne le 28 avril 2021. La Commission l'a formellement approuvé le 23 juin 2021 et la Conseil ECOFIN l'a validé lors de sa réunion du 13 juillet 2021.

Le PNRR français regroupe des investissements pour un total de 40 milliards d'euros. Il présente la stratégie de réforme qui accompagne la mise en oeuvre de ces investissements. Ce plan s'articule avec le plan national France Relance, auquel il contribue à hauteur de 40 % des financements et avec lequel il partage trois priorités : l'écologie, la compétitivité et la cohésion sociale et territoriale.

Selon la direction générale du Trésor, la mise en oeuvre de la FRR a permis de soutenir la croissance économique après la crise sanitaire et aurait contribué à hauteur de 1,1 % à la reprise entre 2021 et 2022, hors effets d'entraînement9(*).

Le mécanisme de conditionnalité des fonds européens
au regard de l'État de droit

Le mécanisme de conditionnalité des fonds européens repose sur le règlement 2020/2092 relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l'Union, adopté le 16 décembre 2020 et entré en vigueur le 1er janvier 2021. Il permet à l'Union européenne de prendre des mesures comme la suspension des paiements ou des corrections financières.

Lorsqu'elle constate des violations de l'état de droit menaçant les intérêts financiers de l'Union européenne, la Commission propose au Conseil des mesures appropriées et proportionnées. La Commission assure un suivi régulier de la situation de l'État concerné par les sanctions et procède à des réévaluations au regard des mesures correctrices adoptées par cet État au plus tard un an après l'adoption des mesures. Par suite, elle propose au Conseil une décision d'exécution levant ou adaptant les mesures adoptées. Si elle estime que la situation n'a pas évolué, elle adresse une décision d'exécution à l'État concerné dont elle informe le Conseil.

Dans deux décisions du 16 février 2022, la Cour de justice de l'UE a rejeté les recours formés par la Hongrie et la Pologne contre le règlement sur la conditionnalité liée à l'état de droit10(*). Prenant en compte cette jurisprudence, la Commission a publié dans la foulée les lignes directrices sur l'application du règlement.

La Commission européenne a activé le mécanisme de conditionnalité le 27 avril 2022 à l'encontre de la Hongrie. Les mesures correctrices présentées par le gouvernement hongrois ont été jugées insuffisantes et en 15 décembre 2022, le Conseil, sur proposition de la Commission, a adopté une décision d'exécution suspendant 55 % des fonds auxquels la Hongrie a droit au titre de la politique de cohésion.

Si la Hongrie considère aujourd'hui qu'elle a rempli l'ensemble des mesures correctrices proposées, la Commission a maintenu une évaluation négative le 13 décembre 2023, estimant que la Hongrie n'a pas remédié aux violations identifiées, n'ayant pas notifié formellement la Commission de mesures correctives prises. Par conséquent, trois programmes relevant de la politique de cohésion, correspondant à 6,3 milliards d'euros restent suspendus et la Hongrie n'a pas accès à ces fonds dans l'immédiat.

Source : Commission des finances, d'après les documents budgétaires

b) La mise en place du plan RePowerEU a conduit à une modification du PNRR français

Afin d'assurer l'indépendance de l'Union européenne vis-à-vis des énergies fossiles russes d'ici 2027 et d'accélérer sa transition énergétique, le plan RePowerEU est intervenu en mars 2023 par une révision du règlement (UE) 2021/241 du Parlement européen et du Conseil établissant la FRR.

Le plan RePowerEU repose sur quatre axes principaux : les économies d'énergie, la diversification des approvisionnements, le développement des énergies renouvelables et la réduction de la part des énergies fossiles dans l'industrie et les transports.

La FRR a été retenue comme vecteur de mise en oeuvre de ce plan. Le financement sous forme de subventions, d'une valeur maximale de 20 milliards d'euros, est assuré par le Fonds pour l'innovation (à 60 %) et la vente de quotas du système d'échange de quotas d'émission (SEQE) (à 40 %). Les chapitres REPowerEU peuvent aussi être financés par le volet « prêt » de la FRR. Le montant des subventions pour chaque État membre est alloué selon une formule qui tient compte des critères de la politique de cohésion, de la dépendance des États membres à l'égard des combustibles fossiles et de la hausse des prix des investissements.

Additionnellement, les États membres disposent de la faculté de transférer des financements issus d'autres fonds. Ainsi, jusqu'à 5,4 milliards d'euros en provenance de la réserve d'ajustement Brexit pourront être redirigés vers la FRR. Les États pourront également réviser leurs programmes de cohésion afin d'y intégrer les objectifs du plan RePowerEU pour un maximum de 7,5 % des fonds de la politique de cohésion prévus pour 2021-2027.

Au titre du plan REPowerEU, la France bénéficiera d'une enveloppe totale de 2,8 milliards d'euros (2,3 milliards d'euros de subventions supplémentaires et 0,5 milliards d'euros issus d'un transfert partiel des fonds non affectés de la réserve d'ajustement au Brexit).

Le bénéfice des financements au titre de REPowerEU est soumis à une modification des PNRR pour y inclure un nouveau chapitre « REPowerEU » dédié. La France a rapidement présenté une mise à jour de son PNRR, le 20 avril 2023. Les financements de RePowerEU devraient permettre de financer des mesures visant à accroître la décarbonation de l'industrie et l'indépendance énergétique de la France. Le PNRR français révisé a été adopté par le Conseil ECOFIN du 14 juillet 2023. Le chapitre RePowerEU du PNRR révisé comprend :

deux investissements participant de l'effort de décarbonation de la France, à savoir le financement du PIIEC (projet important d'intérêt européen commun) hydrogène11(*) (à hauteur de 800 millions d'euros), d'une part, et le financement de l'appel à projets « Industrie Zéro Fossile » visant à soutenir des actions de décarbonation de la chaleur et d'efficacité énergétique (pour 300 millions d'euros), d'autre part ;

des actions en faveur de la rénovation énergétique du bâti privé et public, en premier lieu une participation au financement du dispositif MaPrimeRénov' (pour 1,6 milliard d'euros), mais également une contribution au financement des appels à projets résilience I et résilience II, qui ont pour objectif de sélectionner et de financer les opérations de réduction de la consommation d'énergie fossile au sein des bâtiments (pour 100 millions d'euros).

Le financement de ces actions est complété par un volet réforme reposant sur trois réformes structurelles : la mise en oeuvre de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, l'application du plan de sobriété énergétique et la coordination de la planification écologique confiée au Secrétariat général de la planification écologique.

c) La France a su profiter de ce dispositif exceptionnel

La France est le troisième pays bénéficiaire de la Facilité pour la reprise et la résilience, derrière l'Espagne et l'Italie, avec une enveloppe de subventions d'un montant total de 40,3 milliards d'euros (37,5 milliards d'euros de subventions au titre de la FRR et 2,8 milliards d'euros au titre de REPowerEU).

Depuis 2021 et à la suite du versement de 7,5 milliards d'euros en juin 2024 (troisième demande de paiement), la France a reçu 30,9 milliards d'euros de subventions au titre de cette facilité, soit plus de 75 % des fonds auxquels elle a droit, ce qui la place en première position parmi les États membres de l'UE.

La France bénéficie par ailleurs d'un retour favorable sur ce mécanisme. En 2023, elle se situait, en montant, au second rang des États bénéficiaires NextGenerationEU, avec 19,1 % des dépenses réparties entre les États membres de l'UE. Ramené au nombre d'habitants, le montant perçu (181 euros par habitant) est aussi supérieur à la moyenne européenne (144 euros par habitant). Les taux de retour les plus favorables proviennent de la facilité pour la relance et la résilience (22,2 %)

Une des principales difficultés de la déclinaison de Next Generation EU au niveau national constitue l'articulation entre les crédits versés au titre de la FRR et ceux issus des politiques du cadre financier pluriannuel. En fonction des choix opérés par les autorités nationales dans la conduite des projets financés sur fonds européens, il existait un risque d'effet d'éviction de l'un ou l'autre des instruments européens.

La France a adopté une organisation interne visant à assurer la coordination des différents instruments. Elle repose sur l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et sur le pôle PNRR organisé au sein de la direction générale du Trésor. Un guide « Articulation de la Facilité pour la reprise et la résilience avec les fonds de la politique de cohésion européenne » a été publié en septembre 2021. Cité en exemple de bonne pratique par la Cour des comptes européenne, il établit quatre grands principes pour articuler les différents instruments européens :

- un critère de temporalité, visant à privilégier l'absorption des fonds sur une base séquentielle en utilisant en priorité la FRR ou les reliquats du CFP 2014-2020 et, dans un second temps, les fonds de la politique de cohésion 2021-2027 ;

- un critère thématique, en fonction des domaines éligibles ;

- un critère « bénéficiaire », permettant de cibler les crédits issus de la FRR sur des catégories de bénéficiaires ;

- un critère territorial, permettant de répartir les fonds en fonction des priorités établies par zone géographique.

Au-delà de ces principes cardinaux, le guide recense également les bonnes pratiques que les gestionnaires doivent identifier. Un cycle de réunions sur la coordination entre la FRR et la politique de cohésion a également été organisé par l'ANCT et Régions de France avec les autorités de gestion régionales et les services ministériels compétents.

Si ce type de dispositif ne constitue pas une garantie de double financement, le rapporteur spécial estime qu'il a su faciliter la gouvernance des financements européens, notamment lorsqu'elle s'exerce à plusieurs niveaux (Commission, État, régions, parties prenantes).

2. Le financement de ce plan de relance représente un enjeu crucial pour les finances de l'Union et son prochain CFP

L'Union européenne s'est dotée d'une capacité d'emprunt pour financer le plan de relance Next Generation EU, la Commission européenne émettant des obligations sur les marchés financiers internationaux au nom de l'Union européenne pour un montant qui pourra s'élever jusqu'à 750 milliards d'euros12(*). Les conséquences d'un emprunt d'une telle ampleur se feront toutefois sentir tant sur son remboursement que sur le paiement de ses intérêts.

a) Une charge d'intérêts revue à la hausse dans un contexte inflationniste

Le cadre financier pluriannuel comprend une ligne de financement des intérêts de l'emprunt commun Next Generation EU sur les marchés financiers à la ligne « EURI ». Le montant de l'année N dépend du volume des obligations émises ainsi que des taux d'intérêt de l'année N - 1. Ainsi, le coût effectif des intérêts de Next Generation EU dépend à la fois des taux d'intérêts en vigueur et du calendrier d'émission de la Commission sur les marchés, c'est-à-dire du rythme effectif de décaissement du plan de relance.

Doté initialement d'un budget de 15 milliards d'euros sur 2021-2027, les crédits initialement prévus en 2020 ne seront pas suffisants afin de couvrir la totalité du paiement des intérêts en raison du contexte inflationniste qui a conduit à une hausse des taux par rapport aux hypothèses connues en 2020.

Dans son rapport annuel sur la gestion 2022, la Cour des comptes européenne observait que l'emprunt au titre de Next Generation EU « présente un risque de taux d'intérêt pour le budget de l'UE ». Le coût des emprunts de la Commission européenne sur les marchés n'a cessé de progresser depuis 2021, avec une accélération depuis la remontée des taux de la BCE en juillet 2022. Ainsi, alors que la Commission empruntait à taux négatifs début 2021, elle a emprunté jusqu'à 3,6 % au second semestre 2023 et empruntait encore à 3,1 % au premier semestre 2024. Par conséquent, à titre d'exemple, la ligne EURI a été créditée à hauteur de 3,3 milliards d'euros en 2024, soit 1,3 milliard d'euros de plus par rapport aux crédits initialement prévus.

Ce contexte a conduit la Commission à proposer la création d'un « instrument EURI » dans le cadre de la révision du CFP afin de financer le surcoût. Cet instrument suit un « mécanisme en cascade » en trois étapes :

- étape 1 : mobilisation des crédits déjà prévus sur la ligne EURI dans le cadre du CFP existant ;

- étape 2 : recours à la procédure budgétaire annuelle pour le financement supplémentaire, avec l'objectif de financer au moins 50 % des coûts supplémentaires par redéploiement sur le budget de l'UE ;

- étape 3 : mobilisation de crédits dégagés (engagés et non-consommés dans le délai imparti) puis recours aux contributions des États membres par la mobilisation du nouvel instrument EURI.

S'appuyant sur ce mécanisme, la révision de mi-parcours du CFP n'a pas prévu de crédits supplémentaires pour financer le surcoût dans le paiement des intérêts. Le rapporteur spécial note néanmoins que ce mécanisme, assurément astucieux, se fonde sur des jeux d'écritures et n'empêche pas, chaque année, que se pose la question d'une contribution additionnelle des États membres (cf. étape 3).

Le budget proposé pour l'année 2025 évite une contribution supplémentaire des États membres en puisant de manière significative sur l'instrument de flexibilité. La Commission propose ainsi dans son projet de budget de créditer la ligne EURI de 5,2 milliards d'euros, soit 2,5 milliards d'euros de plus que la programmation financière communiquée en 2024. Ce surcoût est financé par la mobilisation de l'instrument de flexibilité à hauteur de 1,2 milliard d'euros13(*) (étape 2) et l'utilisation des dégagements effectués à hauteur de 1,2 milliard d'euros (étape 3).

b) Un remboursement du principal fondé sur de nouvelles ressources propres qui peinent à voir le jour

Dans la continuité des conclusions du Conseil européen des 17-21 juillet 2020 qu'il précise, l'Accord Interinstitutionnel du 16 décembre 2020 prévoit une feuille de route en vue de l'introduction de nouvelles ressources propres censées permettre la diversification du système de financement de l'Union et la couverture des dépenses attendues au titre du remboursement de l'emprunt commun contracté dans le cadre du plan de relance européen Next Generation EU, soit 15 milliards d'euros par an sur 30 ans à compter de 2028 au titre du principal.

À défaut de l'introduction de nouvelles ressources propres d'ici la fin du prochain cadre, ce remboursement sera calculé sur la base de la ressource RNB, soit la part de chaque État membre dans le RNB total de l'UE, qui constitue la ressource d'ajustement du budget de l'UE.

La Commission a donc présenté, le 22 décembre 2021, à la suite de l'adoption de textes sectoriels du paquet « Fit for 55 », une proposition portant sur trois nouvelles ressources propres :

une ressource fondée sur le marché carbone européen (EU Emission Trading System ou ETS). La Commission proposait que 25 % des recettes générées par le système communautaire d'échange de quotas d'émission (ETS/SEQE-UE) prévu dans le cadre du paquet Climat « Fit for 55 » soit affecté au budget européen ;

une ressource fondée sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF). Cet instrument vise à limiter les fuites d'émission carbone en instaurant, dans certains secteurs, une péréquation des prix du carbone entre les produits nationaux et les importations en provenance de pays situés hors de l'Union européenne ;

une ressource fondée sur le « Pilier I » de l'accord multilatéral de l'OCDE/G20 sur la fiscalité internationale. Cette ressource, effective une fois la convention multilatérale entrée en vigueur, serait équivalente à 15 % de la part des bénéfices résiduels de certaines entreprises multinationales réaffectés aux États membres de l'Union. Les recettes issues de cette nouvelle taxation pour le budget de l'Union sont estimées entre 2,5 et 4 milliards d'euros par an.

La nouvelle proposition de la Commission, présentée en juin 2023, amende et actualise le projet de décembre 2021. Elle prévoit notamment :

d'adapter la ressource fondée sur le marché carbone européen. Ainsi, la Commission propose que 30 % des recettes générées par l'ETS, contre 25 % dans sa précédente proposition, soient affectés au budget européen à partir de 2028 ;

d'adapter la ressource fondée sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF). La Commission propose que 75 % des revenus issus de la vente des certificats MACF deviennent une ressource propre de l'Union et que les 25 % restants soient reversés aux États membres. Cette recette est évaluée à 1,5 milliard d'euros par an à compter de 2028 ;

de conserver le projet d'une ressource fondée sur le « Pilier I » de l'accord multilatéral de l'OCDE/G20 sur la fiscalité internationale. Pour mémoire, les travaux au niveau de l'OCDE n'ont, en tout état de cause, pas connus d'avancée récente ;

d'adopter une nouvelle ressource propre statistique qui serait temporaire et fondée sur l'excédent brut d'exploitation des entreprises. La proposition de la Commission consisterait à affecter au budget européen un montant calculé sur la base d'une assiette représentant 0,5 % de l'excédent brut d'exploitation des entreprises nationales. Il ne s'agit pas stricto sensu d'une recette mais d'une contribution budgétaire supplémentaire des États membres, à l'instar de la ressource TVA ou de la ressource plastique. Le montant de cette contribution est estimé par la Commission à 16 milliards d'euros par an sur la période 2028-2030. Selon la Commission elle serait remplacée par une contribution de BEFIT14(*), une fois un compromis trouvé sur ce sujet15(*).

Le rapporteur spécial alerte sur le retard pris sur des discussions portant sur un sujet structurant pour le futur des finances de l'Union. La feuille de route sur les nouvelles ressources propres annexée à l'accord interinstitutionnel du 16 décembre 2020 prévoyait une mise en oeuvre du premier paquet au 1er janvier 2023. Lors de la présentation du second paquet, la Commission proposait une entrée en vigueur au 1er janvier 2024.

À ce jour, les discussions autour de ces propositions suivent toujours leur cours. L'introduction de ces nouvelles ressources propres nécessite en effet d'une part un accord sur la législation propre à chacune des ressources envisagées et d'autre part la révision de la décision « ressources propres », qui doit être approuvée à l'unanimité et ratifiée dans tous les États membres selon leur procédure nationale. Seules deux propositions législatives (respectivement pour le MACF et le système ETS-EU) ont donné lieu à un accord entre le Conseil et le Parlement au mois de décembre 2022. Les discussions sur la proposition de révision de la décision ressources propres et de ses règlements d'application ont débuté au premier semestre 2022 sous la présidence française, sans aboutir à ce stade.

Les discussions progressent peu et une percée n'est pas anticipée à court terme. Les États membres dits « frugaux » redoutent en effet qu'un accord sur de nouvelles ressources propres poussent les autres États à multiplier les dépenses. Compte tenu de l'ampleur du défi financier qui se présente à l'Union, des progrès sont attendus lors de l'ouverture des négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel au moment de la présidence danoise du Conseil de l'Union européenne au second semestre 2025.

Le rapporteur spécial rappelle l'importance de voir ces projets se concrétiser puisqu'en cas contraire, le financement de la FRR devrait reposer sur un relèvement de la contribution des États membres et, par suite, du PSR-UE. Cette potentielle sur-contribution est évaluée par la Cour des comptes à environ 2,5 milliards d'euros par an à compter de 2028. La Cour des comptes souligne le risque financier afférent à l'absence de concrétisation de la mise en oeuvre des nouvelles ressources propres. L'engagement financier de la France au titre de Next Generation EU est, en effet, de l'ordre de 75 milliards d'euros selon le Compte général de l'État en 2022.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le jeudi 31 octobre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial, relatif à la participation de la France au budget de l'Union européenne (article 40).

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'examen du rapport spécial de la mission « Participation de la France au budget de l'Union européenne ». Celle-ci est un peu particulière dans la mesure où l'affectation des crédits y est presque obligatoire puisqu'ils sont liés à l'intégration de la France à l'Union européenne (UE).

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial de la mission « Participation de la France au budget de l'Union européenne ». - Comme chaque année, le projet de loi de finances (PLF) fournit une évaluation du prélèvement sur recettes du budget de l'État qui est versé au profit de l'Union européenne. L'examen de l'article fixant le montant de ce prélèvement nous donne l'occasion de faire le point sur les relations financières de la France avec l'UE.

Vous aurez remarqué que nous avons les coudées franches cette année puisque nos collègues députés, après avoir initialement voté un amendement de rabot de 5 milliards d'euros sur ces crédits, ont fini par rejeter l'article amendé.

Mon ambition, ce matin, est non pas de dénoncer les engagements européens de la France ni de remettre en cause notre crédibilité sur la scène internationale, mais de vous présenter le montant attendu de la contribution française pour l'année 2025 et de vous alerter sur les perspectives de hausses futures dès l'année 2026.

Pour mémoire, le financement de l'Union européenne repose sur trois piliers.

Le premier est celui des ressources propres traditionnelles, c'est-à-dire les droits de douane collectés par les États membres.

Le deuxième est celui des contributions des États membres, qui sont fondées sur une assiette harmonisée de TVA, sur une assise sur le revenu national brut (RNB) de chaque État membre et sur une troisième ressource qui est fonction du taux de recyclage des déchets plastiques.

Le troisième pilier est constitué de diverses autres ressources plus marginales, telles que le produit des amendes ou le report du solde de l'exercice antérieur.

L'année dernière, le montant du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne avait été évalué, en loi de finances initiale (LFI), à 21,6 milliards d'euros. L'adoption de plusieurs budgets rectificatifs européens a ajusté ce montant à la hausse et le prélèvement sur recettes devrait donc finalement atteindre 22,3 milliards d'euros en 2024.

L'année 2024 a aussi vu une révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel (CFP), afin de tenir compte de la hausse des dépenses découlant de la guerre en Ukraine, de la recrudescence du phénomène migratoire, des besoins de la transition énergétique et numérique et de la reprise de l'inflation. L'addition s'élève à 64,6 milliards d'euros pour les années 2024-2027, dont 33 milliards sous forme de prêts. Après divers redéploiements de crédits, les nouveaux fonds à lever se chiffrent à 21 milliards d'euros. En matière de priorités, 50 milliards d'euros constituent un soutien additionnel à l'Ukraine et un peu moins de 10 milliards d'euros portent sur les migrations et sur les défis extérieurs.

J'en viens maintenant au coeur de mon rapport.

Le premier point à évoquer est, sans surprise, celui du montant de la contribution de la France au budget européen pour 2025.

Au travers de l'article 40 du PLF pour 2025, le montant du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne est évalué à 23,321 milliards d'euros. Ce montant représente une hausse de 1,065 milliard d'euros par rapport à la prévision actualisée pour 2024.

En ajoutant au montant du prélèvement les droits de douane nets versés par la France au budget européen, la contribution totale s'élèverait à 25,3 milliards d'euros. Cette hausse est expliquée principalement par deux facteurs.

Le premier, conjoncturel, est la légère reprise des paiements de la cohésion : la mise en oeuvre de la politique en la matière pour la période 2021-2027 a, en effet, connu d'importants retards. Ces derniers ont conduit à une diminution conjoncturelle des besoins de paiement en 2024 et expliquent le faible niveau de la contribution française cette année-là.

Le second facteur, plus structurel, est la hausse limitée des droits de douane en 2025, après une année 2024 difficile. Le niveau fluctue en suivant celui du commerce international et, lorsqu'il est inférieur aux prévisions, l'écart est comblé par les États membres.

Par ailleurs, il m'appartient de rappeler que la France reste l'un des principaux bénéficiaires en volume des dépenses de l'Union européenne, et même le premier en 2023, dépassant la Pologne, même si la performance est moins flatteuse rapportée au nombre d'habitants, où notre pays n'est plus classé qu'à la 22e position, avec 242 euros par habitant.

Enfin, je rappelle, comme il est d'usage, que le montant évaluatif de ce prélèvement sur recettes pourra être actualisé par amendement du Gouvernement au cours de l'examen du projet de loi de finances, lorsque le budget de l'Union européenne sera définitivement adopté.

En effet, la Commission européenne a présenté son projet de budget pour 2025 en juin dernier en proposant un niveau de dépenses s'élevant à 199,7 milliards d'euros en crédits d'engagement et à 152,7 milliards d'euros en crédits de paiement. Suivant la coutume, le Conseil a adopté une position légèrement plus faible tandis que le Parlement européen s'est exprimé en faveur d'un niveau plus ambitieux. Les négociations se poursuivront dans les prochaines semaines pour aboutir, normalement, au cours du mois de novembre prochain.

Le second point à évoquer est le niveau attendu pour les années futures de la contribution de la France. Des défis de taille se présentent à nous.

En premier lieu, le sujet le plus urgent et le plus brûlant est celui de la forte progression de la contribution française qui est attendue pour les deux prochaines années, avec un montant estimé par la direction du budget à 30,4 milliards d'euros en 2026 et à 32,4 milliards d'euros en 2027. La raison de cette hausse est double.

D'une part, le facteur principal est la progression en volume de la contribution française, qui s'élevait en moyenne à 20,1 milliards d'euros par an dans le cadre financier pluriannuel précédent et qui est attendue à 26,2 milliards d'euros par an pour les exercices 2021-2027. Cela reflète la hausse de 14 % en euros courants du niveau du CFP pluriannuel voté, hausse fortement accentuée pour la France par le départ du Royaume-Uni, qui était l'un des principaux contributeurs au budget de l'Union européenne.

D'autre part, à cet effet volume s'ajoute un effet cycle. Ainsi, la consommation des crédits s'accentue systématiquement à mesure que le CFP progresse et les rattrapages sont fréquents en fin d'exercice. Cet effet est renforcé pour le CFP 2021-2027 par l'ampleur du plan Next Generation EU, dont les crédits ne seront déboursés que jusqu'à 2026, ce qui a pu renforcer la sous-consommation de fonds structurels dans certains pays.

L'Union européenne affiche ainsi un niveau préoccupant de restes à liquider, qui correspond aux crédits d'engagement non couverts par des crédits de paiement. L'allongement du décalage entre l'engagement des dépenses et le versement des crédits de paiement s'est traduit par une augmentation progressive de leur niveau, qui équivaut désormais aux crédits de paiement de deux exercices complets, ce qui n'est pas soutenable dans le contexte budgétaire actuel et engendrera pour plusieurs années un besoin important de crédits de paiement qui pèsera sur le montant du prélèvement sur recettes.

En second lieu, dans une perspective de plus long terme, la mise en oeuvre du plan de relance Next Generation EU affectera durablement les finances de l'Union européenne.

Pour mémoire, les États ont convenu d'une enveloppe de 750 milliards d'euros à l'issue du Conseil européen de juillet 2020, répartie entre 360 milliards de prêts et 390 milliards de subventions. La grande majorité de ces fonds disponibles sont ceux de la nouvelle facilité pour la reprise et la résilience (FRR), pour un montant de 672,5 milliards d'euros. Cet instrument vise à proposer des subventions et des prêts aux États membres pour soutenir les réformes et les investissements.

Ce plan a été ajusté en mars 2023 avec l'adoption du plan REPower EU, qui vise à assurer l'indépendance de l'Union européenne à l'endroit des énergies fossiles russes d'ici à 2027 et à accélérer notre transition énergétique.

La France s'est mise en ordre de bataille pour tirer profit de ces plans successifs. Elle a conçu son plan national de relance et de résilience de manière à pouvoir maximiser les retours du plan de relance européen. Dès avril 2023, une mise à jour de ce plan était présentée pour tirer les conséquences du plan REPower EU.

Grâce à cette mobilisation, la France est le troisième pays bénéficiaire de la facilité pour la reprise et la résilience, derrière l'Espagne et l'Italie, avec une enveloppe de subventions d'un montant total de 40,3 milliards d'euros.

La France bénéficie d'un retour favorable sur ce mécanisme. Ramené au nombre d'habitants, le montant perçu, de 181 euros par habitant, est ainsi supérieur à la moyenne européenne, de 144 euros par habitant.

Enfin, depuis 2021 et à la suite d'un versement de 7,5 milliards d'euros reçu en juin 2024, la France a déjà reçu 30,9 milliards d'euros de subventions au titre de cette facilité, soit plus de 75 % des fonds auxquels elle a droit, ce qui la place en première position dans l'UE.

Néanmoins, à plan exceptionnel, financement exceptionnel. L'Union européenne s'est dotée d'une capacité d'emprunt pour financer le plan de relance Next Generation EU. La Commission émet des obligations sur les marchés financiers internationaux au nom de l'UE pour un montant qui pourra s'élever à 750 milliards d'euros.

Dans la continuité des conclusions du Conseil européen de juillet 2020, précisées par un accord interinstitutionnel en décembre 2020, il a été convenu que de nouvelles ressources propres seraient introduites pour assurer le remboursement de cet emprunt, l'accord de décembre 2020 contenant notamment une feuille de route pour l'introduction de ces ressources.

La Commission européenne a ainsi présenté le 20 juin 2023 une proposition relative à la nouvelle génération de ressources propres.

D'abord, elle prévoit une ressource fondée sur le marché carbone européen : 30 % des recettes générées par le système européen d'échange de quotas d'émission seraient affectées au budget européen.

Ensuite, la Commission suggère une ressource fondée sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Elle propose que 75 % des revenus issus de la vente des certificats du mécanisme d'ajustement deviennent une ressource propre de l'Union.

De plus, elle imagine une ressource fondée sur le pilier 1 de l'accord multilatéral de l'OCDE sur la fiscalité internationale.

Enfin, la Commission prévoit une nouvelle ressource propre statistique qui serait temporaire et fondée sur l'excédent brut des entreprises.

Force est toutefois de constater que les négociations s'enlisent, la feuille de route initiale contenant la mise en oeuvre d'un premier paquet dès le 1er janvier 2023. L'introduction de ces nouvelles ressources propres nécessite en effet la révision de la Décision Ressources propres, qui doit être approuvée à l'unanimité et ratifiée dans tous les États membres selon leur procédure nationale.

Aucun accord n'est anticipé à court terme. Les États membres dits frugaux redoutent en effet que de nouvelles ressources propres incitent les autres États à multiplier les dépenses. La situation devrait toutefois se débloquer l'an prochain dans le cadre de l'ouverture des négociations sur le prochain CFP, sous la présidence danoise.

Il est crucial pour la France qu'un accord soit trouvé à cette occasion. L'engagement financier de notre pays au titre de Next Generation EU est de l'ordre de 75 milliards d'euros et un défaut de réalisation du projet de nouvelles ressources propres entraînerait la hausse de 2,5 milliards d'euros de la contribution française à partir de 2028.

Concernant le prélèvement sur recettes, en l'état actuel des données disponibles, je recommande à la commission l'adoption, sans modification, de l'article 40 du projet de loi de finances pour 2025.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Par ses éclairages, le rapport nous met devant nos responsabilités sur le besoin de solidarité entre États membres, au-delà du discours de fond sur l'utilité de l'Union européenne. Il nous permet de nous pencher sur la capacité de l'Europe à trouver les voies et moyens de faire aboutir ses politiques en posant la question compliquée des ressources propres, d'autant que la France et l'Allemagne n'occupent plus tout à fait la position qui était historiquement la leur. Faute de trouver un accord, du fait de l'opposition des pays d'Europe du Nord, le remboursement du plan de relance se ferait à partir de notre participation au budget.

Je partage l'avis proposé pour cette mission par le rapporteur spécial.

Mme Nathalie Goulet. - Travaillant sur les questions de sécurité, j'ai éprouvé des difficultés à trouver le détail de subventions européennes accordées, à hauteur de plusieurs centaines de millions d'euros, à certaines entités étonnantes : université de Gaziantep, Université de sciences islamiques de Skopje, Islamic Relief Worldwide, organisation connue pour ses liens avec les Frères musulmans... Pouvons-nous contrôler ces subventions et leur affectation ? Le Parlement européen a failli voter un amendement en ce sens cette semaine. Je suis extrêmement inquiète : au nom de la diversité, nous finançons des ennemis de la République.

M. Jean-François Rapin. - La commission des affaires européennes partage les chiffres de ce rapport : nous nous dirigeons vers une inflation du budget européen. Même si une telle institution est difficile à gérer, il est nécessaire de mieux contrôler les politiques de l'Union. Concernant les ressources propres, condition sine qua non à tout nouvel emprunt européen, nous nous répétons tous les ans...

Je reviens de Budapest. Par le biais d'un amendement proposé par la France, les formulations de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires insistent sur la continuation perpétuelle de l'aide à l'Ukraine. Nous parvenons, grâce aux intérêts produits par les actifs russes bloqués, à fournir des prêts à ce pays même si nous ne nous leurrons pas sur le fait qu'ils ne seront jamais remboursés et que nous pouvons être appelés à apporter plus de financements.

Les répercussions des politiques communes sur le budget national sont le sujet central. Pour parvenir à rattraper le retard européen sur les États-Unis et la Chine en matière de recherche et d'innovation, le rapport Draghi chiffre dans ses conclusions les niveaux d'investissements nécessaires à 850 milliards d'euros par an, alors que le CFP est de 2 000 milliards sur six ans ! Un tel investissement ne pourra passer que par un emprunt qu'il faudra bien rembourser un jour. L'absence de ressources propres représenterait donc une catastrophe.

Comme chaque année, la France est contributrice nette au budget européen. Nous en sommes fiers, car nous faisons tourner la machine à l'image des Allemands. Il faut toutefois s'interroger : allons-nous chercher suffisamment de crédits qui pourraient de droit nous revenir ou vivons-nous au contraire dans une forme de « cocooning » financier ? Je ne dis pas qu'à terme nous ne serons plus contributeurs nets, mais, pour en avoir discuté avec les autorités nationales et européennes, la France pourrait récupérer environ 2 milliards d'euros, dont 600 millions au titre de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». Étant donné la situation qui est la nôtre, ces 2 milliards ne sont pas anodins !

L'évaluation des crédits européens doit se faire à l'échelle européenne comme française. Nous devons pouvoir réagir sur certaines politiques, comme je l'ai fait à Budapest en appelant à la vigilance. J'ai eu des réunions bilatérales dans cette ville avec nos collègues allemands, polonais, espagnols et italiens : tous mes homologues ont conscience que l'Europe doit être un outil maîtrisable, sans quoi sa marche en avant incontrôlée retombera sur les budgets nationaux.

Mme Florence Blatrix Contat. - Les intérêts de Next Generation EU vont progresser à hauteur de 9 milliards à 10 milliards d'euros. La question des ressources propres est donc au coeur des enjeux, d'autant que Christine Lagarde, à la suite du rapport Draghi appelant à retrouver de la compétitivité, insistait encore ce matin sur le problème du décrochage de l'Union européenne. Il faut être capable de drainer de l'épargne. La présidence polonaise avancera peut-être au moins sur le mécanisme carbone aux frontières.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Notre rapporteur spécial indique que l'Union européenne s'est dotée d'une « capacité d'emprunt ». L'expression sonne bien ! Notre addiction nationale à l'emprunt est-elle contagieuse ? Qui détient la dette européenne ?

M. Arnaud Bazin. - Le plan de relance comprend 40 milliards d'euros de subventions pour la France, les trois quarts étant déjà mobilisés. En parallèle, la participation française au budget européen pourrait augmenter de 2,5 milliards d'euros pour les années à venir. Que nous auraient coûté ces 40 milliards d'euros si, au lieu de les obtenir du budget européen, nous les avions empruntés sur les marchés ?

M. Michel Canévet. - L'absence de recours aux fonds des initiatives européennes ne s'explique-t-elle pas par la lourdeur administrative ? Cette dernière provient-elle d'exigences de Bruxelles ou de la suradministration française ?

L'aide au développement jusqu'à présent était financée par le Fonds européen de développement, que nous abondons à hauteur de 144 millions d'euros en 2025. Dorénavant, cette aide passe par le NDICI - Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument - Global Europe -, une initiative financée par la mission que nous examinons. J'ai pourtant constaté au contact d'organisations internationales que les actions menées par les États membres et celles qui sont conduites par l'Union européenne n'étaient pas convergentes. Il faudrait au contraire que l'action de l'UE soit complémentaire de celle des pays.

M. Claude Raynal, président. - J'y ajoute une remarque de M. Rapin : l'évaluation financière de la politique d'élargissement est une nécessité absolue.

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial. - La Commission est contrôlée par le Parlement européen tout comme le gouvernement français est contrôlé par le Parlement. Face aux erreurs inévitables, il est difficile d'agir à l'échelle française, même si je déplore moi aussi si des financements sont alloués à des mouvements « ennemis de la République ». Il revient à nos représentants dans les institutions européennes, tant au Parlement qu'au Conseil, de réagir.

Même si le cadre financier pluriannuel actuel est supérieur de plus de 200 milliards d'euros au précédent, l'exécution de la politique de cohésion n'est pas linéaire. Les maîtres d'ouvrage ou les autorités de gestion sont toujours préoccupés en fin de programmation par le fait de faire aboutir les politiques, sans quoi les crédits sont perdus. Ainsi, de 2021 à 2023, l'effort s'est essentiellement concentré sur les programmes qui s'achevaient plutôt que sur les programmes qui démarraient en 2021. J'évoquais des prélèvements de l'ordre de 32 milliards d'euros pour les années qui viennent en raison de certaines accélérations prévisibles à partir de 2025.

Mme Blatrix Contat et moi avons eu la chance d'accompagner notre président à Budapest, lequel a discuté de la pertinence d'emprunter davantage en commun. On ne peut pas dire qu'il ait reçu une réponse enthousiaste !

Nous sommes contributeurs nets depuis l'origine, mais nous devons essayer de ne pas gaspiller des crédits qui nous sont ouverts, par exemple en matière de politique de cohésion. Le secrétariat général des affaires européennes a ainsi créé la cellule de mobilisation des fonds européens pour sensibiliser les acteurs à l'intérêt qu'ils ont à s'inscrire dans des programmes communautaires, comme l'initiative Horizon Europe, pour financer les projets qui sont les leurs.

Je suis d'accord sur le fait que les ressources propres représentent une arlésienne. À la suite de mes auditions, j'ai cru comprendre que la situation devrait se débloquer au second semestre de l'an prochain durant la présidence danoise du conseil de l'Union européenne.

La dette émise est détenue par l'Europe. Il faudra toutefois la rembourser !

M. Jean-Raymond Hugonet. - Les Chinois interviennent-ils ?

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial. - Je ne sais même pas qui détient la dette française. D'après le ministre, cela change tout le temps...

Passer par les marchés pour financer le plan de relance aurait coûté plus cher, même si un emprunt par la France seule aurait été moins coûteux. Le financement européen doit aussi être vu comme un acte politique : s'endetter ensemble montre que nos pays se font confiance.

La Cour des comptes européenne convient elle-même de la lourdeur des procédures et de l'accumulation de difficultés dans l'accès aux fonds. Elle demande la mise en place de systèmes d'obtention des subventions plus à même d'être acceptés par les États membres.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 40 du projet de loi de finances pour 2025.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Secrétariat général des affaires européennes

- Mme Morgane BASTARDIE, conseillère financière ;

- Mme Emma CHAINHO, adjointe au bureau FIN.

Direction du Budget - 7ème sous-direction Budgets de l'agriculture, de l'alimentation, de la forêt, des affaires rurales, de l'aide publique au développement, de l'action extérieure de l'État, de l'immigration, de l'asile et de l'intégration

- M. Louis PASQUIER DE FRANCLIEU, sous-directeur ;

- Mme Orianne PENNY-LEPASTIER, cheffe du bureau des finances et politique de l'Union européenne.

Direction générale du Trésor

- M. Mikhaël AYACHE, sous-directeur des affaires européennes ;

- M. Emmanuel CHAY, adjoint au sous-directeur ;

- M. Pierre-Marie VOEGELI, chef du bureau des relations bilatérales et instruments financiers ;

- Mme Méline HARDY-PUIG, adjointe au chef du bureau des relations bilatérales et instruments financiers.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjlf2025.html


* 1 COM (2023) 336 final.

* 2 Les derniers 6 % recouvrent les dépenses administratives.

* 3 Cet instrument permet de financer des dépenses clairement définies qui ne peuvent pas être couvertes par le budget de l'UE sans dépasser le plafond annuel de dépenses fixé dans le CFP.

* 4 Le Fonds de solidarité a été créé en 2002 pour répondre aux graves inondations qui ont touché l'Europe centrale cet été-là. Depuis lors, il a permis d'apporter un soutien à plus de 130 reprises. Depuis 2021, le Fonds de solidarité et la réserve d'aide d'urgence sont financés en tant qu'instrument unique, appelé réserve de solidarité et d'aide d'urgence.

* 5 Prix de 2018.

* 6 Prix de 2018.

* 7 La FRR fait l'objet d'une une gouvernance spécifique. En effet, l'allocation des crédits de la FRR nécessite que les États membres présentent à la Commission européenne des plans nationaux détaillant leurs programmes de réformes et d'investissement pour les années 2021 à 2023 (le « plan national de relance et de résilience », PNRR). La Commission européenne dispose ensuite d'un délai de deux mois pour évaluer ces plans, et examiner leur cohérence avec les recommandations par pays réalisées dans le cadre du Semestre européen. L'évaluation des plans est ensuite approuvée par le Conseil statuant à la majorité qualifiée, dans un délai de quatre semaines après la proposition de la Commission européenne.

* 8 L'agrément du Conseil était bloqué depuis avril 2021, du fait des tensions liées au respect de l'état de droit.

* 9 Direction générale du Trésor, Trésor, « A quoi servent les plans de relance mis en place à la crise covid-19 ? », Trésor-Eco n° 324, mars 2023.

* 10 Cour de justice de l'Union européenne, décisions C-156/21 et C-157/21 rendues le 16 février 2022.

* 11 En 2023, cinq projets relavant du PIIEC hydrogène devraient être financés.

* 12 Prix de 2018.

* 13 Réabondé à hauteur de 2 milliards d'euros lors de la révision du CFP.

* 14 Business in Europe : Framework for Income Taxation.

* 15 Ce projet consiste à déterminer une assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (ACCIS) au sein de l'Union. Le régime d'imposition des sociétés figurerait ainsi dans un règlement unique, relatif à la répartition, et s'appuierait sur une assiette fiscale commune. Ce système réduirait les charges administratives et les coûts de conformité. Il viserait également à limiter l'évasion fiscale et à soutenir l'emploi, la croissance et les investissements.

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