EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Contrôle du pluralisme dans les médias audiovisuels

Cet article vise à sanctuariser la décision du Conseil d'État du 13 février 2024 qui précise la manière dont l'Arcom doit apprécier le respect de l'obligation de pluralisme interne des médias audiovisuels.

I. - Le dispositif de la proposition de loi

a) Le respect du pluralisme dans les médias audiovisuels

Le pluralisme des courants de pensées et d'opinions dans les médias repose sur deux ensembles complémentaires qui doivent rendre possible la vitalité du débat démocratique : le pluralisme externe, qui suppose que plusieurs médias peuvent exprimer plusieurs points de vue et le pluralisme interne, qui permet d'assurer les différentes expressions sur un même support.

Le pluralisme externe repose sur la pluralité des titres de presse écrite, dont la diversité est supposée garantir un débat public équilibré. Les journalistes qui rejoignent un titre de presse n'ignorent pas la ligne éditoriale et politique du journal, et agissent ainsi « en leur âme et conscience ». Aujourd'hui encore, les titres de presse écrite, en particulier la presse quotidienne nationale, disposent très souvent d'une « couleur » politique parfaitement connue des lecteurs et qui oriente d'ailleurs leur choix. Le pluralisme externe ne suppose donc aucun contrôle spécifique autre que les garanties propres au statut de journaliste.

Tout en visant le même objectif de diversité des opinions, le régime applicable à l'audiovisuel est par nature très différent.

La rareté des fréquences du spectre hertzien a en effet conduit à inscrire dans la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication une forme différente de pluralisme dit interne réputé garantir la diversité des opinions sur chaque antenne. Il était en effet inenvisageable d'accorder un canal de communication si dominant à une entreprise privée qui aurait pu y traiter l'information sans aucune contrainte autre qu'économique.

L'Arcom est chargée de faire respecter le pluralisme interne des médias audiovisuels, sur la base de deux fondements :

Ø d'une part, l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit que « l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique assure le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d'information politique et générale » ;

Ø d'autre part, les conventions passées entre les chaînes et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) listent leurs engagements et responsabilités, définis de manière identique en préambule, entre autres, le respect de la dignité de la personne humaine, le caractère pluraliste des courants de pensée et d'opinion, la qualité et diversité des programmes. Elles sont publiques et font l'objet d'une attention particulière du régulateur.

Concrètement, le contrôle du respect du pluralisme est effectué suivant les modalités définies par la délibération du CSA du 22 novembre 2017 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision6(*).

Le II de l'article 1er de ladite délibération précise ainsi que « les éditeurs veillent à assurer aux partis et groupements politiques qui expriment les grandes orientations de la vie politique nationale un temps d'intervention équitable au regard des éléments de leur représentativité, [...] ». L'article 2 indique que « le temps d'intervention mentionné à l'article 1er s'entend comme le seul temps pendant lequel une personnalité s'exprime. » L'Arcom peut ainsi contrôler le respect de l'équilibre politique des débats de manière relativement simple, en additionnant le temps de paroles des personnalités politiques affiliées à tel ou tel parti en le mettant en rapport avec leur représentativité.

b) Un champ de contrôle qui fait débat

Ce mécanisme a cependant suscité des critiques, dont s'est largement fait écho le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la concentration dans les médias, qui a rendu ses conclusions le 29 mars 20227(*).

Au-delà du strict respect des temps de parole, un média possède en effet une identité, que l'on peut qualifier de « ligne éditoriale ». Elle est le fruit de l'ensemble des choix rédactionnels effectués par les journalistes. Complexe à définir, elle ne peut pas être pleinement objectivée. Elle est connue, voire revendiquée dans la presse écrite, mais pas dans l'audiovisuel, qui est précisément supposé accueillir une pluralité d'opinions et de points de vue. En la matière, toute reconnaissance par les éditeurs d'une télévision « d'opinion » serait contraire à leurs engagements et entraînerait des conséquences pouvant aller jusqu'à suppression de l'autorisation d'émettre. La « ligne éditoriale » n'est en elle-même ni définie, ni contrôlée par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

L'arrivée des chaînes d'information en continu et le développement des émissions dites de plateaux, où des éditorialistes, experts, journalistes, témoins sont invités à s'exprimer sur l'actualité, a cependant brouillé les frontières entre information et débats. Il est en effet complexe d'attribuer une opinion politique à des intervenants qui ne représentent pas ouvertement un parti politique. Roch-Olivier Maistre, président du CSA, devenu Arcom, lors de son audition le 7 décembre 2021 devant la commission d'enquête sur la concentration des médias, avait ainsi souligné : « Il faut bien peser ce que voudrait dire une autorité administrative indépendante qui commencerait à se faire le juge du beau et du bien, qui dirait quels journalistes ou quels éditorialistes ont leur place dans tel ou tel débat. Je ne connais pas de démocratie qui fonctionne ainsi. [...] Le CSA n'est donc pas défaillant, mais il ne contrôle pas la ligne éditoriale des chaînes. Il contrôle leur format, mais il ne compose pas les plateaux des émissions de télévision ni ne choisit les journalistes ou les éditorialistes. Nous intervenons quand nous constatons des manquements clairement identifiés, mais nous ne sommes pas les juges de la ligne éditoriale d'une chaîne. »

Certains médias ont été accusés, sous couvert de liberté d'expression, de développer une ligne éditoriale favorable à tel ou tel bord politique, ou mettant en avant des thématiques de nature à en promouvoir certains. Le rapport précité de la commission d'enquête du Sénat a ainsi largement analysé les enjeux autour de la chaîne d'information en continu CNews.

C'est précisément ce média qui allait être à l'origine d'une décision particulièrement novatrice du Conseil d'État.

c) La saisine de l'association Reporters sans frontières et la décision « révolutionnaire » du Conseil d'État

Par un courrier du 30 novembre 2021, l'association Reporters sans frontières (RSF) a demandé au CSA, désormais Arcom, d'adresser à la société d'exploitation de la chaîne CNews, diffusée par voie hertzienne terrestre en mode numérique, une mise en demeure, sur le fondement des dispositions de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986, de se conformer à ses obligations relatives à sa qualité de « service consacré à l'information » prévue par sa convention d'autorisation ainsi qu'aux principes d'honnêteté de l'information, de pluralisme et d'indépendance de l'information.

Par une décision du 5 avril 2022, l'Arcom a refusé de faire droit à cette demande, ce qui a entrainé une saisine du juge administratif par RSF.

Le Conseil d'État a rendu sa décision le 13 février 2024. Il condamne la pratique de l'Arcom de contrôle du respect du pluralisme sur la seule base du décompte des temps de parole :

« Pour refuser de mettre en demeure l'éditeur de ce service de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme, l'Arcom s'est bornée à apprécier le respect du pluralisme au seul regard du temps d'antenne accordé aux personnalités politiques, en considérant, comme cela ressort de sa réponse à la demande de mise en demeure ainsi que de ses écritures en défense, que le non-respect allégué de la diversité des courants de pensée et d'opinion exprimés par l'ensemble des participants aux programmes diffusés n'était pas susceptible, par lui-même, de constituer un manquement à cette exigence. En s'en tenant ainsi à la seule prise en compte du temps d'antenne accordé aux personnalités politiques pour l'appréciation des obligations du service en matière de pluralisme de l'information, l'Arcom a fait une inexacte application des dispositions de la loi du 30 septembre 1986 ».

La décision du Conseil d'État, qui a suscité de très nombreuses réactions médiatiques, invitait le régulateur à faire évoluer ses modalités de contrôle, en abandonnant le strict décompte arithmétique du temps de parole au profit d'une approche plus large.

L'Arcom a acté son nouveau cadre dans sa délibération du 17 juillet 20248(*) relative au respect du principe de pluralisme des courants de pensée et d'opinion par les éditeurs de services. Son article 1er indique que l'Arcom « prend en compte dans cette appréciation les interventions de l'ensemble des participants aux programmes diffusés. » L'article 2 liste les éléments qui permettent d'éclairer le choix du régulateur.

Les critères d'appréciation de l'Arcom

« Dans son appréciation du respect du pluralisme de l'expression des courants de pensée et d'opinion, l'Arcom tient compte :

« a) de la variété des sujets ou thématiques abordés à l'antenne ;

« b) de la diversité des intervenants dans les programmes ;

« c) de l'expression d'une pluralité de points de vue dans l'évocation des sujets abordés à l'antenne.

« L'Arcom tient également compte :

« d) du respect de l'obligation d'assurer l'expression des différents points de vue dans la présentation des questions prêtant à controverse, conformément au dernier alinéa de l'article 1er de la délibération susvisée du 18 avril 2018 ;

« e) du respect de la délibération susvisée du 22 novembre 2017 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision et, au cours des périodes électorales, de la délibération susvisée du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale.

II. - L'objectif du présent article : élever au niveau législatif la jurisprudence du Conseil d'État

L'article 1er de la présente proposition de loi vise à sanctuariser la décision du Conseil d'État.

L'article 3-1 de la loi précitée de 1986 serait ainsi complété par un paragraphe qui affirmerait la faculté de l'Arcom à apprécier le respect des courants de pensée et d'opinion, en tenant compte :

ü de la diversité des sujets et des points de vue exprimés ;

ü des interventions de l'ensemble des participants. Ils incluent deux catégories spécifiquement mentionnées :

· les personnalités politiques,

· et tout intervenant « dès lors qu'il influe sur le débat et la vie politique ».

L'Arcom serait libre de définir les modalités de son contrôle sur cette base.

Ce nouveau paragraphe est de facto compatible avec la délibération du 17 juillet 2024, dont il constituerait une forme de base législative prise a posteriori.

III. - La position de la commission

À l'initiative de la rapporteure, la commission a adopté un amendement COM-1 reprenant de manière plus fidèle la jurisprudence du Conseil d'État.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 2

Renforcement du régime de sanctions de l'Arcom

Cet article vise à renforcer les pouvoirs de l'Arcom dans le cadre de la procédure de mise en demeure pour les éditeurs de services de communication audiovisuelle qui ne respecteraient pas leurs obligations.

I. - La situation actuelle

L'attribution d'une fréquence hertzienne, bien public rare, est soumise à un certain nombre d'obligations, comme on a pu le voir dans le commentaire de l'article 1er de la présente proposition de loi.

Elles sont formulées, d'une part, aux articles 1er et 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 et, d'autre part, dans les conventions passées par les éditeurs avec l'Arcom au moment de l'attribution de la fréquence. Le régulateur a développé un corpus de normes destiné à guider les éditeurs dans le respect des règles, avec par exemple la délibération du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale9(*).

Afin d'assurer le respect de ces obligations, l'Arcom dispose de pouvoirs propres qui lui permettent de sanctionner les éditeurs qui ne respecteraient pas leurs engagements.

L'article 42 de la loi précitée de 1986 précise ainsi que « les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle, les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1. » L'éditeur mis en demeure a l'obligation de s'y conformer.

Dans le cas contraire, c'est-à-dire si l'éditeur choisit de ne pas appliquer la décision du régulateur, l'article 42-1 prévoit un arsenal de sanctions. Cette procédure a évolué suite à l'arrêt du Conseil d'État « Société Lebanese Communication Group » du 6 janvier 2006, au nom du droit à un procès impartial. La loi du 15 novembre 2013 a ainsi modifié l'article en précisant que la procédure de sanction devant le CSA ne pouvait être engagée qu'à raison de faits postérieurs à la mise en demeure : « [...] si la personne faisant l'objet de la mise en demeure ne se conforme pas à celle-ci, l'Arcom peut prononcer à son encontre, compte tenu de la gravité du manquement, une sanction reposant sur des faits distincts ou couvrant une période distincte de ceux ayant fait l'objet d'une mise en demeure ».

La mise en demeure apparait donc comme une forme de « premier avertissement » qui n'entraine pas immédiatement de conséquences pour l'éditeur.

Les conséquences d'une absence de prise en compte de la mise en demeure sont précisées dans la suite de l'article 42-1, avec la possibilité pour l'Arcom de suspendre l'antenne pour un mois, de réduire la durée de l'autorisation, d'infliger une sanction pécuniaire et enfin de résilier l'autorisation d'émettre.

En pratique, l'Arcom n'a usé du pouvoir de retrait de l'autorisation qu'une seule fois, pour la chaîne Numéro 23 en 2015, décision cependant annulée par le Conseil d'État en 2016.

La mise en demeure critiquée devant la commission d'enquête
de l'Assemblée nationale

La commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère nationale sur la télévision numérique terrestre, qui a rendu ses conclusions le 7 mai 202410(*), s'est penchée sur l'effectivité de la procédure de mise en demeure.

« S'agissant de son pouvoir de sanction, Mme Agnès Granchet11(*), a fait valoir devant la commission d'enquête que qualifier l'Arcom de « gendarme de l'audiovisuel » était inadapté, face à une action répressive assez timorée et très peu lisible par le grand public : « ce gendarme fait un usage assez modéré de son pouvoir de sanction. Alors que la loi prévoit une mise en demeure préalable à toute sanction, le CSA puis l'Arcom ont ajouté la lettre simple, la lettre ferme et la mise en garde. Cette gradation offre une souplesse dans la mise en oeuvre du pouvoir de sanction, mais elle est source de confusion pour le public. Il arrive que des sanctions pécuniaires - d'un montant parfois élevé - soient prononcées. L'Arcom peut également demander l'insertion de communiqués au sein des programmes, une pratique fondée sur le principe de la mise au pilori ou name and shame, sans doute moins onéreuse mais plus efficace. Les autres sanctions possibles sont assez peu utilisées. C'est le cas notamment de la suspension du programme pour une durée maximale d'un mois, qui serait pourtant envisageable dans certains cas - sachant que le Conseil constitutionnel avait validé cette sanction, au regard de la séparation des pouvoirs comme de la liberté de communication. »

« Mme Camille Broyelle12(*) s'est pour sa part montrée plus nuancée en indiquant « je ne suis pas sûre que l'Arcom exerce son pouvoir de sanction de manière timorée. Il est vrai, en revanche, qu'il est amorti par cette exigence constitutionnelle de mise en demeure, laquelle doit être interrogée. En effet, elle n'est pas inscrite dans la Constitution mais elle a été posée par le Conseil constitutionnel afin de mieux expliciter les obligations pesant sur l'éditeur. Or, les mises en demeure ne disent rien de plus que ce qui est très précisément écrit dans les conventions. Elles sont supposées expliciter l'obligation pesant sur l'éditeur, en partant du principe que la loi était trop générale et que les comportements interdits n'étaient pas listés. Or, les délibérations et les conventions décrivent fort bien ces comportements. La mise en demeure n'a aucune plus-value, si ce n'est de retarder la sanction. De plus, l'Arcom ne peut ensuite sanctionner que ce qui a été explicitement visé dans la mise en demeure. »

« À la question de savoir si la stratégie de réponse graduée du régulateur était efficace pour inciter une chaîne à respecter ses obligations, M. Olivier Schrameck13(*) a déclaré sans ambages : « j'estime qu'elle est inefficace. Il s'agit tout d'abord d'une procédure extrêmement complexe, qui résulte en grande partie de son cadre constitutionnel et législatif [...] la période de mise en demeure, par ailleurs désormais limitée à cinq années, ne peut donner lieu à une sanction, en cas de récidive, que si le manquement est exactement de même nature que celui qui a été censuré par la mise en demeure. Il existe par conséquent, pour les juristes habiles qui conseillent les éditeurs, un éventail de possibilités pour y échapper [...] la lourdeur et la durée des procédures expliquent ainsi leur nombre réduit en comparaison du nombre de manquements observés. »

En matière audiovisuelle, depuis 1989, le CSA, devenu Arcom, a émis 208 sanctions pécuniaires, 94 pour les services de télévision et 114 pour les radios.

II. - Le dispositif de la proposition de loi

Alors que l'article 42-1 prévoit une forme de réponse « graduée », dans l'hypothèse où l'éditeur ne se conformerait pas à la première mise en demeure, l'article 2 de la présente proposition de loi envisage, d'une part, un nouveau cas de figure. L'éditeur pourrait ainsi être soumis à sanction s'il cumule les trois éléments suivants :

ü deux mises en demeure :

ü sur une période de trois ans ;

ü pour un manquement à ses obligations ou aux principes mentionnés aux articles 1er et 3-1 de la loi de 1986.

L'Arcom ne serait cependant pas tenue d'exercer le mécanisme de sanctions, qui demeure en tout état de cause une faculté.

L'article ouvre, d'autre part, la possibilité d'une forme aggravée de sanction en insérant un nouvel alinéa après le 4°. Cet ajout prévoit que si l'Arcom a prononcé :

ü trois mises en demeure ;

ü sur une période de trois ans ;

ü pour des manquements à ses obligations ou aux principes mentionnés aux articles 1er et 3-1 de la loi de 1986 ;

ü et qu'elle porte [la personne visée] manifestement et gravement atteinte à la vie démocratique de la Nation.

alors l'Arcom peut prononcer la résiliation de l'autorisation d'émettre.

Enfin, l'article prévoit l'automaticité de la publication de la sanction, qui n'apparait dans le droit en vigueur que comme une sanction complémentaire.

La commission a adopté cet article sans modification.

Article 3

Renforcement du Comité relatif à l'honnêteté, à l'indépendance
et au pluralisme de l'information et des programmes (CHIPIP)

Cet article vise à renforcer les comités relatifs à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes (CHIPIP).

I. - La situation actuelle : des comités trop peu actifs

a) Les comités relatifs à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes

L'article 11 de la loi du 14 novembre 2016, dite « loi Bloche », prévoit qu' « un comité relatif à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes (CHIPIP), composé de personnalités indépendantes, soit institué auprès de toute personne morale éditrice d'un service de radio généraliste à vocation nationale ou de télévision qui diffuse, par voie hertzienne terrestre, des émissions d'information politique et générale ».

Ce comité est chargé du respect des principes énoncés au troisième alinéa de l'article 3-1 de la loi de 1986. Il peut être consulté à tout moment par les dirigeants de l'entreprise, un médiateur ou toute autre personne.

Ses membres sont indépendants, l'indépendance étant considérée comme l'absence d'un intérêt quelconque dans l'éditeur, à l'égard d'un de ses actionnaires ou dans une société avec laquelle ils sont liés financièrement ou commercialement. Les fonctions sont exercées à titre bénévole.

Les membres sont nommés par le conseil d'administration ou le conseil de surveillance de la personne morale ou, à défaut, pour les associations, par l'assemblée générale. La composition du comité est paritaire et doit être notifiée à l'Arcom. Les modalités de fonctionnement du comité sont fixées par la convention conclue entre l'Arcom et les éditeurs privés ou par le cahier des charges des sociétés nationales de programme. Ainsi, le nombre de membres du comité peut varier, de même que la fréquence des réunions (semestrielle à TF1, trimestrielle à France Télévisions...).

Les CHIPIP peuvent se saisir de n'importe quel sujet, ou être saisis par les organes dirigeants, le médiateur ou par toute personne.

Ces comités sont donc destinés à jouer au sein des groupes de médias un rôle de régulation interne, protecteur de l'indépendance des rédactions et en mesure de traiter les questions déontologiques.

b) Des résultats encore peu probants

Presque 10 ans après leur création, les CHIPIP peinent à trouver leur place au sein des médias. Dépourvus de moyens propres, peu connus y compris en interne, dénués de pouvoirs d'intervention, ils affichent un bilan encore modeste. En 2021 et 2022, seul le comité de Radio France semble avoir exercé une réelle activité, avec 13 réunions et 154 saisines. À titre de comparaison, celui de Canal Plus n'a pu se prononcer que sur deux saisines en 2022, et celui de TF1 n'a pas été saisi.

Le rapport précité de la commission d'enquête du Sénat sur la concentration dans les médias a analysé de manière approfondie leur rôle et leurs modalités de fonctionnement. Plusieurs de ses recommandations portaient sur leur renforcement, estimant que les objectifs de la loi de 2016, qui en avait fait des éléments essentiels de l'indépendance des médias, n'avaient pas été remplis.

Ce constat peu favorable a été confirmé par le rapport de la commission d'enquête précitée de l'Assemblée nationale sur la TNT. Elle a cependant estimé qu'ils n'étaient en l'état pas utiles et a en conséquence proposé de les supprimer14(*) « au profit d'un renforcement des capacités d'agir en matière de déontologie des institutions représentatives du personnel, des syndicats, des sociétés de journalistes et du Conseil de déontologie journalistique et de médiation. »

II. - Le dispositif de la proposition de loi

En cohérence avec les travaux du Sénat, l'article 3 de la présente proposition de loi vise à renforcer le rôle des CHIPIP par trois canaux distincts.

Tout d'abord, permettre une meilleure information et exposition des comités.

Ainsi, leur saisine par toute personne devrait pouvoir être réalisée « au moyen d'un mécanisme de saisine en ligne facilement accessible », par exemple, sous la forme d'un onglet dédié sur le site Internet du média. Afin d'améliorer leur reconnaissance, la liste des membres serait également rendue publique et facilement accessible. Ces modifications reprennent largement la proposition n° 6 du rapport de la commission d'enquête du Sénat, qui cherchait à « assurer une réelle visibilité aux comités, [...], en particulier par une exposition sur le site Internet des entités ».

Ensuite, les CHIPIP devraient compléter la publication de leur bilan annuel15(*) par celle de l'ensemble de leurs avis. Cette modification reprend la proposition n° 7 de la commission d'enquête du Sénat.

Enfin, un membre du comité assisterait au conseil d'administration, ce qui lui permettrait de faire état auprès des administrateurs des difficultés dont il aurait eu connaissance en matière d'éthique et de déontologie. Cette proposition constitue une forme de déclinaison des propositions 1, 2 et 3 de la commission d'enquête du Sénat, qui visaient à créer un poste d'administrateur indépendant en charge de l'éthique et doté d'un pouvoir d'évocation devant le conseil d'administration.

III. - La position de la commission

À l'initiative de la rapporteure, la commission a adopté trois amendements sur le présent article.

Un amendement COM-2 impose que le mécanisme de saisine du CHIPIP garantisse l'anonymat des personnes à l'origine de la demande ainsi que la confidentialité des échanges.

L'amendement COM-3 apporte une précision rédactionnelle.

L'amendement COM-4 vise à renforcer les garanties d'indépendance et de compétence des membres des CHIPIP, en confiant à l'Arcom le soin de valider la liste des membres qui lui sera adressée par l'entité. Cette mesure est de nature à conforter l'indépendance des comités et à créer les conditions d'un dialogue plus abouti avec le régulateur.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 4

Renforcement des chartes déontologiques des journalistes

Cet article vise à préciser et améliorer le contenu des chartes de déontologie des journalistes créées en application de la loi du 14 novembre 2016.

I. - Le droit en vigueur : des chartes déontologiques pour les journalistes

Garants de la qualité et de la diversité de l'information, éléments essentiels du débat démocratique, les journalistes exercent une profession parmi les plus exposées aux pressions et aux interrogations déontologiques.

Afin de mener à bien leurs missions, les journalistes bénéficient de protections spéciales, comme la clause de cession, qui permet de démissionner tout en bénéficiant de l'assurance chômage lorsque l'entreprise pour laquelle il travaille change d'actionnaires, ou la clause de conscience, qui applique le même dispositif dans les cas où le journaliste apporte la preuve d'un « changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal » , ayant pour conséquence de créer « une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d'une manière générale, à ses intérêts moraux », selon les termes de l'article L. 7112-5 du code du travail.

L'exercice de ces protections, et de manière générale, de la profession de journaliste justifie donc la définition d'un cadre déontologique à même de guider les journalistes. Ces derniers ont d'ailleurs mené de longue date une réflexion, qui a pris la forme de trois textes fondateurs :

· la Charte d'éthique professionnelle des journalistes de 1918, remaniée en 1938 et 2011 ;

· la Déclaration des droits et devoirs des journalistes, dite « Déclaration de Munich » de 1971 ;

· la Charte d'éthique mondiale des journalistes de la Fédération internationale des journalistes, adoptée en 2019 à Tunis.

Au-delà de ces références, qui n'ont pas de valeur normative, plusieurs rédactions se sont dotées en interne de chartes, comme le quotidien Ouest France dans l'hebdomadaire Le Point dans les années 90.

Introduit par l'article 1er de la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, l'article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse a visé à généraliser cette pratique des chartes internes, en imposant la rédaction de chartes déontologiques dans chaque média, élaborées conjointement par la direction du titre et les journalistes. Cette charte doit être remise au journaliste lors de son embauche et servir de référence à son travail. À défaut, en cas de litige, les « déclarations et les usages professionnels relatifs à la profession de journaliste » peuvent être invoqués.

Selon le rapport de la mission d'évaluation de la loi du 14 novembre 2016 publié le 7 mars 202416(*), 75 chartes auraient été élaborées depuis la loi de 2016, même si elles demeurent pour beaucoup encore mal connues, y compris des principaux intéressés, et encore moins recensées avec précision.

II. - Donner un nouveau souffle aux chartes déontologiques

L'article 4 de la présente proposition de loi prévoit deux mécanismes destinés à améliorer le contenu et l'effectivité des chartes de déontologie.

D'une part, et suivant en cela les propositions de la mission d'information précitée de l'Assemblée nationale, il préciserait les fondements de ces chartes, en faisant référence aux trois grands textes fondateurs de 1971, 2019 et 2011 rappelés supra. La négociation, si elle n'a pas encore eu lieu, ou si elle venait à être renouvelée, pourrait ainsi reposer sur des bases explicites et largement partagées par la profession.

D'autre part, et en réponse à l'interrogation sur le contenu même de ces chartes, parfois accusées d'être moins protectrices que les textes reconnus par la profession, le 2° du présent article 4 prévoit que le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) en contrôle le contenu, au regard des trois grands textes fondateurs.

Le Conseil de déontologie journalistique et de médiation

La ministre de la culture Françoise Nyssen avait confié le 11 octobre 2018 à Emmanuel Hoog, ancien président de l'AFP, une mission visant à « la création d'une instance de déontologie de la presse et des médias ». Les conclusions de la mission « Confiance et liberté - Vers la création d'une instance d'autorégulation et de médiation de l'information »17(*), remise le 26 mars 2019, ont permis la constitution du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), créé le 2 décembre 2019 sous forme d'association reconnue d'intérêt général à vocation culturelle.

Selon son site Internet :

« Le conseil de déontologie journalistique a vocation à regrouper l'ensemble des éditeurs et des journalistes, tous médias confondus (presse écrite, radio, télévision, numérique, agences) à l'échelle nationale, ainsi que des représentants du public.

« Il est un organe professionnel d'autorégulation, indépendant de l'État, une instance de médiation et d'arbitrage entre les médias, les rédactions et leurs publics, enfin, une instance de réflexion et de concertation pour les professionnels et de pédagogie envers les publics.

« Ce n'est ni un conseil de l'ordre, ni un « tribunal de la pensée » ; il n'est pas une instance étatique ou administrative.

« Ce conseil est tripartite, composé de représentants des journalistes, des éditeurs et des publics. »

III. - La position de la commission

La commission soutient pleinement le principe de chartes négociées entre les éditeurs et les journalistes. Il est cependant essentiel que cet outil puisse prendre toute sa place, notamment grâce à une meilleure visibilité.

Dès lors, la commission a adopté à l'initiative de la rapporteure deux amendements.

Un premier amendement COM-5 vise à rendre accessible de manière aisée les chartes sur le site internet des éditeurs.

Un second amendement COM-6 tire les enseignements des auditions menées par la rapporteure. Il y est en effet apparu que le fait de confier la mission de contrôle de conformité des chartes au CDJM ne faisait pas l'unanimité, cette fonction étant de surcroit éloignée de ses attributions qui l'orientent vers des fonctions de médiation plus que de jugement.

Dès lors, la commission a adopté un amendement COM-6 qui remplace le contrôle de conformité par une transmission des chartes au CDJM, qui devra les rendre accessibles au public sur son site Internet. Cela devrait permettre de constituer une forme de « base de données » qui sera utile pour les rédactions comme pour le grand public.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 5

Secret des sources

Cet article vise à réformer les protections dont bénéficient les journalistes et les collaborateurs dans l'exercice de leur profession, en renforçant le secret des sources.

L'examen de cet article a été délégué au fond à la commission des lois.

Lors de sa réunion, la commission des lois a adopté l'amendement COM-12 de Lauriane Josende, rapporteure pour avis.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 6

Approbation du directeur de la rédaction par ses membres

Cet article vise à instaurer, dans la presse écrite et audiovisuelle, l'approbation de la nomination du directeur de la rédaction par une majorité qualifiée de ses membres.

I. - Un débat ancien : comment assurer l'indépendance d'un média ?

Si l'article 1er de la loi du 29 juillet 1881 a consacré la liberté de la presse et de l'imprimerie, elle n'a pas pour autant souhaité aller jusqu'à créer un statut spécifique pour les entreprises de presse, qui sont donc des acteurs économiques à part entière, soumis à leur actionnariat et dont l'existence dépend des ressources qu'elles peuvent dégager.

La presse, qu'elle soit écrite ou audiovisuelle, joue cependant un rôle essentiel dans une démocratie, qui va bien au-delà de son poids économique.

Les pouvoirs publics ont cherché à tenir compte de cette ambiguïté fondamentale, et ce de trois manières :

- par des aides budgétaires spécifiques, estimées par le rapporteur pour avis de la commission de la culture, Michel Laugier, à 570 millions d'euros en 202418(*) ;

- par un dispositif contraignant en matière de concentration des médias, établi par la loi du 30 septembre 1986 ;

- enfin, par des protections spécifiques accordées aux journalistes, comme vu dans le commentaire de l'article 4 de la présente proposition de loi.

Il n'en reste pas moins que des interrogations demeurent sur l'indépendance du travail des rédactions, notamment au regard de leur actionnariat. Les travaux de la commission d'enquête du Sénat précitée sur la concentration des médias ont largement témoigné de débats nombreux à ce sujet.

Parmi les problèmes soulevés figure au premier rang la place centrale du directeur de la rédaction. Son rôle est essentiel dans la vie d'un média, à la fois pour organiser le travail de la rédaction, mais également pour sélectionner ou appuyer tel ou tel sujet. Cependant, nommé par l'actionnaire, il est parfois soupçonné d'être son « cheval de Troie », et d'intervenir pour orienter la ligne des journalistes, sous couvert de ligne éditoriale.

II. - Donner à la rédaction un droit d'agrément sur son directeur

Une solution envisagée et longuement débattue par la commission d'enquête sur la concentration des médias consisterait à instaurer une forme de contrôle de la rédaction sur son directeur.

Certains médias comme Le Monde ont ainsi instauré un mécanisme d'agrément du directeur de la rédaction par une majorité des membres de la rédaction. Cette pratique permet de garantir une confiance mutuelle entre le directeur et son équipe, et serait supposée éviter une mainmise d'un actionnaire désireux d'imposer, à travers le choix de son directeur, telle ou telle pensée politique. Elle traduit également une limitation des droits du propriétaire du média en question, qui devrait partager sa faculté à nommer qui il souhaite à ce poste.

Le présent article s'inscrit dans cette logique. Il propose de modifier la loi du 29 juillet 1881 pour la presse écrite et la loi du 30 septembre 1986 pour l'audiovisuel. Dans tous ces cas, la nomination du directeur de la rédaction devrait être approuvée par un vote d'au moins la moitié des membres de la rédaction et rassemblant 60 % des voix.

Le respect de cette obligation serait assuré de manière différenciée en fonction du média :

- pour la presse écrite et en ligne, le titre perdrait son inscription à la Commission paritaire des publications et des agences de presse (CPPAP), qui donne accès au régime économique favorable de la presse, notamment les aides et le taux réduit de TVA ;

- pour les médias audiovisuels qui bénéficient d'une autorisation d'émettre attribuée par l'Arcom, le retrait de l'autorisation ;

- pour les médias distribués sur les réseaux, par l'imposition d'une amende égale à 7 % du chiffre d'affaires de l'année précédente.

III. - La position de la commission

Les questions posées par le droit d'agrément sont nombreuses. Ce droit peut être vu, d'un côté, comme un gage de confiance et la garantie d'un travail serein au sein de l'entreprise, comme ont pu le souligner de nombreuses personnes entendues à l'occasion des travaux sur la proposition de loi. D'un autre côté, le droit d'agrément s'apparente à une limitation des droits de propriété et pourrait, pour d'autres personnes entendues, fragiliser l'équilibre économique des titres.

Un objectif partagé par tous est cependant de renforcer l'indépendance de l'information, condition nécessaire à la restauration de la confiance entre l'opinion publique et les médias.

La commission a adopté cet article sans modification.

Article 7

Droits voisins des éditeurs et des agences de presse

Cet article vise à améliorer l'effectivité des droits voisins des éditeurs et des agences de presse.

I. - Les droits voisins : rémunérer justement les éditeurs et les agences de presse dans le monde numérique

a) Un dispositif ambitieux...

Le 24 janvier 2019, le Sénat adoptait à l'unanimité une proposition de loi de David Assouline prévoyant la création de droits voisins au profit des agences et des éditeurs de presse19(*). Cette initiative constituait alors un pari sur l'adoption, à l'époque loin d'être acquise, de la directive européenne du 17 avril 2019 sur les droits d'auteur. L'Assemblée nationale et le ministre de la culture ont appuyé cette position.

Le 23 juillet 2019, la proposition de loi a donc pu être définitivement adoptée en seconde lecture par l'Assemblée nationale et promulguée dans la foulée le 24 juillet.

La France est ainsi devenue le premier État de l'Union européenne à transposer dans son droit national l'article 15 de la directive sur les droits d'auteur, finalement adoptée le 17 avril 2019.

La loi est destinée à doter, enfin, les éditeurs et les agences de presse de la capacité juridique et des moyens de négocier avec les plateformes pour faire valoir leurs droits et parvenir à une répartition des revenus plus équilibrée pour eux, pour les journalistes et pour les photographes.

Le secteur de la presse souffre en effet depuis plusieurs années d'une captation massive de ses productions par les grands acteurs de l'Internet. Cette situation contribue à assécher ses sources de financement et a plongé le secteur entier dans une crise d'une ampleur sans précédent. Les seuls Google et Facebook s'accaparent ainsi près de 70 % des ressources publicitaires en ligne et 90 % pour le mobile, contre 13 % seulement pour tous les éditeurs de presse.

La loi du 24 juillet 2019 constitue une tentative de rééquilibrer le partage de la valeur entre les agences de presse, les éditeurs et les plateformes.

(i) L'élément déclencheur : la publication de presse

Les plateformes ne peuvent plus utiliser sans autorisation et rémunération les publications de presse produites par les agences et les éditeurs. Ainsi, l'article L. 218-2 du code de la propriété intellectuelle indique que « l'autorisation de l'éditeur de presse ou de l'agence de presse est requise avant toute reproduction ou communication au public totale ou partielle de ses publications de presse sous une forme numérique par un service de communication au public en ligne. »

La base des droits voisins est donc l'acte de publication par un service de communication au public en ligne. Il s'agit d'un droit, qui ne peut être ignoré par les plateformes concernées. Des exceptions limitées ont cependant été introduites pour préserver la liberté et l'attractivité de la navigation sur Internet.

(ii) Des critères de rémunération fruits d'un compromis

L'usage par les services de communication au public en ligne doit faire l'objet d'une rémunération, assise sur les recettes d'exploitation, ou, à défaut, évaluée forfaitairement.

Les critères de rémunération ont été l'objet de vifs débats entre les professionnels, la directive laissant aux États de larges marges de manoeuvre. L'idée la plus naturelle aurait été de prendre en compte le critère simple et objectif de la fréquentation des sites. Elle a cependant été écartée face à la crainte de privilégier les « usines à click », soit les publications de faible qualité aux titres volontairement « accrocheurs » ou des sites attractifs mais connus pour leur pratique biaisée de l'information.

La solution retenue reste donc volontairement large et résulte d'un compromis, fixé au deuxième alinéa de l'article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle (CPI), qui distingue sans les hiérarchiser trois catégories :

Ø les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse ;

Ø la contribution des publications de presse à l'information politique et générale ;

Ø l'importance de l'utilisation des publications de presse par les services de communication au public en ligne. 

Le critère « IPG20(*) » est donc explicitement mentionné, mais de manière non exclusive, ce qui permet de conserver dans le champ des droits voisins en particulier la presse magazine non IPG et la presse professionnelle.

La loi prévoit expressément que les journalistes et les photographes, à l'origine de la création de valeur, bénéficieraient d'une part « appropriée et équitable » des revenus générés par les droits voisins. Le montant de cette part doit être déterminé dans le cadre des accords collectifs.

(iii) Un mécanisme de négociation laissé aux acteurs

La loi encourage une gestion collective des droits voisins. Cependant, la possibilité évoquée en cours de discussion de la rendre obligatoire s'est avérée impossible à mettre en place pour des raisons juridiques, cette idée ne faisant au demeurant pas consensus entre les parties prenantes. En cas d'absence d'accord, les plateformes ne doivent plus diffuser de publications, mais aucune sanction n'est prévue dans ce cas.

b) ... qui peine à s'affirmer pleinement

Le rapporteur pour avis de la commission de la culture sur le programme « Presse » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » réalise chaque année à l'occasion du budget la « chronique » de la mise en oeuvre des droits voisins. La commission de la culture a organisé le 14 avril 2021 une table ronde « Premier bilan » de l'application de la loi21(*), et le rapport précité de la commission d'enquête sur la concentration des médias de 2022 a lui-même consacré de larges développements, toujours d'actualité, à ce texte. Enfin, l'Assemblée nationale a rendu publiques cette même année les conclusions d'une mission d'information sur le sujet22(*). C'est donc peu dire que les droits voisins suscitent un engagement fort des pouvoirs publics.

Le bilan en 2024 est cependant encore insatisfaisant. La plupart des éditeurs de presse et l'AFP ont pu parvenir à un accord avec Google, mais les montants en demeurent confidentiels, ce qui interdit toute évaluation. Ces accords auraient eux-mêmes été littéralement arrachés à la société américaine, deux fois condamnée par l'Autorité de la concurrence.

Sans rentrer dans une évaluation exhaustive des difficultés rencontrées, trois sujets sont très régulièrement revenus dans les débats.

Tout d'abord, le manque de transparence des plateformes dans la communication d'informations destinées à donner une base solide à l'évaluation des droits voisins.

Ensuite, la question du droit à rémunération des agences de presse, qui, bien qu'explicitement prévu dans le texte de loi, peine à obtenir le règlement de leurs obligations par les plateformes. Ce sujet a suscité des interrogations lors des débats qui ont conduit à l'adoption de la directive européenne et à l'adoption de la loi de 2019. Les plateformes ont estimé que les agences de presse ne pouvaient prétendre à la perception d'un revenu sur les publications que dans la mesure où elles étaient directement responsables de la publication. Or, très largement, les agences de presse travaillent pour les rédactions, qui utilisent, et parfois reprennent in extenso les dépêches.

Dans sa décision du 9 avril 2020, l'Autorité de la concurrence a confirmé qu'une rémunération propre devait être accordée à tous les ayants droit, et ce proportionnellement à la contribution apportée par chacun à la production du contenu. Par une deuxième décision du 12 juillet 2021, l'Autorité a précisé que « l'existence de plusieurs ayants droit sur un contenu de presse n'implique pas que ces derniers soient rémunérés pour la même chose, mais qu'une rémunération propre leur soit accordée au titre de leur contribution respective, même si toutes ces contributions sont rassemblées au sein d'une même oeuvre journalistique ».

Il reste cependant encore à mieux déterminer les modalités de cette rémunération, par exemple en identifiant dans la publication de presse les éléments provenant du travail des agences. Si le mécanisme à mettre en oeuvre est complexe, il est pourtant permis de penser que les grands acteurs d'Internet, qui déploient actuellement pour des dizaines de milliards d'euros des technologies d'intelligence artificielle, auraient été en mesure, avec un peu de bonne volonté, de proposer des solutions techniques.

Enfin, l'application des droits voisins souffre de l'absence de mécanisme de médiation réellement efficace et « d'arbitre en dernier ressort » en cas d'échec des négociations. Cela a pu conduire à une multiplication des contentieux, alors même que les éditeurs et les grandes plateformes ne disposent à l'évidence pas des mêmes moyens financiers pour soutenir des procédures longues et coûteuses. L'Autorité de la concurrence a mis en place un complexe système de médiation, confié à un cabinet d'avocats privé, qui est chargé de rendre des arbitrages dans les nombreux cas litigieux. Ce mécanisme est cependant loin de faire l'unanimité dans la profession.

On peut in fine relever que, bien qu'une directive ait été adoptée au niveau européen et des lois votées dans les pays de l'Union, les plateformes ont longtemps, et pour certaines d'entre elles, persistent, à contester les droits voisins. L'Autorité de la concurrence a ainsi infligé à Google deux amendes, pour un montant cumulé de 750 millions d'euros. On peut s'étonner au passage de la disproportion manifeste entre cette somme et les montants des droits voisins dont aurait dû s'acquitter la société. Par ailleurs, comme de nombreux interlocuteurs de la rapporteure ont pu le faire remarquer, une fraction au moins des 750 millions d'euros aurait très avantageusement pu être affectée au secteur de la presse.

II. - Améliorer l'effectivité des droits voisins

L'article 7 vise à combler certaines lacunes révélées 5 ans après l'adoption de la loi de 2019. Deux modifications sont ainsi proposées.

La première (1°) consiste en une nouvelle rédaction de l'article L. 218-1 du code de la propriété intellectuelle, qui définit de manière plus large la publication de presse.

La seconde (2°) vise à créer les conditions d'une négociation plus équilibrée de la rémunération entre éditeurs, agences de presse et plateformes. Elle reprend en partie la proposition n° 18 des États généraux de l'information, qui ont rendu leurs conclusions le 12 septembre 2024.

Ce rééquilibrage serait opéré par deux canaux.

D'une part, et pour mettre un terme à l'absence de transparence des plateformes, qui a fait l'objet de deux condamnations par l'Autorité de la concurrence, le dernier alinéa de l'article 218-4 serait complété pour indiquer que serait fixée par décret, après consultation des éditeurs, des agences de presse et des services de communication en ligne, la liste des éléments devant faire l'objet d'une transmission par les plateformes pour permettre d'éclairer les négociations. Il serait ainsi mis un terme à l'asymétrie d'informations qui préside actuellement aux relations entre les parties, où l'une d'entre elles dispose de la totalité des informations et peut sélectionner les données qu'elle communique. Le refus de communication, même partiel, de ces éléments serait sanctionné d'une amende ne pouvant excéder 4 % du chiffre d'affaires mondial des services concernés.

D'autre part, en cas d'échec des négociations six mois après leur ouverture, les éditeurs ou les agences de presse peuvent saisir l'Autorité de la concurrence qui dispose à son tour de six mois pour trouver un accord, avant, en cas de nouvel échec, de fixer unilatéralement les modalités de rémunération.

La possibilité de fixer le montant des droits voisins en l'absence d'accord
soumis à la justice européenne

La Cour de Justice de l'Union européenne a été saisie le 12 décembre 2023 d'une demande de décision préjudicielle par la société Meta, propriétaire notamment de Facebook.

Parmi d'autres mesures, Meta conteste les dispositions de la décision du 19 janvier 2023 de Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni (Agcom), le régulateur italien des communications qui fixe les critères et les modalités d'application des droits voisins.

En particulier, la société Meta conteste la mise en place d'une procédure d'arbitrage à caractère obligatoire qui permettrait, en cas d'échec des négociations entre les éditeurs et les plateformes, de fixer le montant de la compensation.

La Cour n'a pas encore arrêté de date pour examiner cette requête.

III. - La position de la commission

La commission soutient pleinement toutes les mesures permettant d'améliorer, dans le respect du cadre européen, l'effectivité des droits voisins.

À l'initiative de la rapporteure, la commission a adopté trois amendements sur l'article 7 :

L'amendement COM-7 précise que le décret pris afin de déterminer les éléments nécessaires à la négociation doit être pris en Conseil d'État.

L'amendement COM-8 complète le contenu du décret en indiquant qu'il doit également comporter les éléments de nature à permettre de s'assurer de la fiabilité des données transmises. Cet audit, qui pourrait être exercé par un tiers de confiance, doit permettre de créer les conditions d'un dialogue plus confiant entre les parties prenantes.

L'amendement COM-9 vise enfin à mieux définir la procédure à suivre en cas d'absence de communication des éléments. Le suivi serait assuré par l'Autorité de la concurrence, qui a déjà eu à traiter de ces sujets dans le cadre du contentieux avec Google, et qui suivrait la procédure d'astreinte journalière prévue à l'article 464-2 du code de commerce.

Enfin, l'amendement COM-10 supprime la faculté donnée à l'Autorité de la concurrence de déterminer, en cas d'échec des négociations, les modalités de la rémunération des éditeurs. Il n'entre en effet pas dans les attributions de l'Autorité de fixer un prix. Pour autant, la commission estime essentiel de se pencher sur cette question, par exemple en mettent en place le mécanisme présenté dans les États généraux de l'information, qui repose sur la nomination d'un médiateur conjointement désigné par l'Autorité de la Concurrence et le ministère de la culture, et rémunéré par un financement indépendant et pérenne.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 7 bis (nouveau)

Application aux collectivités d'outre-mer

Le présent article additionnel vise à assurer l'application de la présente proposition de loi dans les collectivités d'outre-mer.

Introduit à l'initiative de la rapporteure, le présent article additionnel modifie l'article 108 de la loi du 30 septembre 1986 et l'article 69 de la loi du 29 juillet 1881 pour permettre l'application de la présente proposition de loi dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises.

La commission a adopté cet article additionnel.

Article 8

Gage

Cet article fixe le montant du gage financier pour l'ensemble de la proposition de loi.

La commission a adopté cet article sans modification.

*

* *

La commission de la culture, de l'éducation, de la communication
et du sport a adopté la proposition de loi ainsi modifiée
.


* 6 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000036115146/

* 7 https://www.senat.fr/rap/r21-593-1/r21-593-1_mono.html#toc793

* 8 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000050029025

* 9 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000023492991

* 10 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cetnt/l16b2610_rapport-enquete#.

* 11 Maître de conférences à l'Institut français de presse (IFP) de l'université Paris-Panthéon-Assas.

* 12 Professeure de droit public à l'université Paris-Panthéon-Assas.

* 13 Ancien président du Conseil supérieur de l'audiovisuel.

* 14 Proposition n° 28.

* 15 La commission d'enquête du Sénat n'avait jamais trouvé trace de ces bilans.

* 16 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-cedu/l16b2295_rapport-information#_Toc256000012

* 17 https://www.culture.gouv.fr/espace-documentation/Rapports/Confiance-et-liberte-Vers-la-creation-d-une-instance-d-autoregulation-et-de-mediation-de-l-information

* 18 https://www.senat.fr/rap/a23-133-42/a23-133-421.pdf

* 19 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl17-705.html

* 20 Critère d'information politique et générale.

* 21 https://videos.senat.fr/video.2251700_60768eec9efcb.table-ronde--premier-bilan-sur-l-application-en-france-de-la-loi-relative-aux-droits-voisins-des-a

* 22 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/dv/l15b4902_rapport-information.pdf

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