B. UN CADRE LÉGISLATIF NÉCESSAIRE

1. Liberté individuelle ou entrisme islamiste ?

Comme l'école, le sport doit être un terrain par excellence de neutralité politique et religieuse, où les seules règles et appartenances sont de nature sportive, sans autres sources de différenciations.

Le Conseil d'État a souligné, dans son avis sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République, la relation entre sport et citoyenneté :

« Comme d'autres domaines de la vie sociale, le sport est affecté par des phénomènes de repli communautaire, de prosélytisme religieux et de radicalisation, ainsi que cela résulte de plusieurs rapports parlementaires récents. Comme le Conseil d'État l'avait souligné dans son étude de 2019, « Le sport : quelle politique publique ? » : ces phénomènes sont étrangers aux valeurs fondamentales du sport » « ... le sport constitue un fait social complet, qui ouvre sur l'ensemble des questions de la société contemporaine, telles que l'égalité des sexes, la laïcité, l'intégration, le vivre-ensemble... », « ... il peut agir comme un facteur de cohésion nationale. En cela, il entretient un rapport direct avec la citoyenneté »14(*).

Le port du voile soulève des interrogations particulières. Certains ont vu dans l'autorisation du port du voile, au niveau des fédérations internationales, un moyen d'inciter des femmes de toutes origines à se tourner vers la pratique sportive. Pour d'autres, il s'agit d'une forme de légitimation accordée à une conception inégalitaire des rapports entre sexes. Si certaines jeunes filles revendiquent le port du voile, son autorisation sur les terrains de sport risque d'être synonyme, pour d'autres, d'une obligation, sous la pression de l'entourage.

Par ailleurs, rendre la religion plus visible dans l'espace public fait partie des stratégies de l'entrisme islamiste, qui se manifeste dans le sport comme dans d'autres secteurs de la société.

D'après Gilles Kepel, politologue spécialiste de l'islam et du monde arabe contemporain, « après l'écrasement de Daech au printemps 2019, la tactique utilisée par les entrepreneurs culturels de l'islamisme, agissant en ordre assez dispersé à la suite des revers subis, a consisté à faire front en adoptant une posture de victimisation (...). Aujourd'hui, les salafistes font du contrôle des femmes, de leur nuptialité intracommunautaire, la clé de la logique séparatiste visant à fragmenter la société, à établir des enclaves culturalo-sociales qu'ils veulent dominer, en se référant à la hchouma, le sentiment de honte dû à la transgression de la norme (...) »15(*).

2. Une réponse nécessaire

Le passé montre qu'une réponse législative ou réglementaire ferme est un facteur d'apaisement.

On l'a vu dans le domaine de l'enseignement avec la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 qui dispose que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »

C'est également l'un des enseignements de la circulaire du 31 août 2023 sur le respect des valeurs de la République qui a répondu à la multiplication des abayas et des qamis dans les établissements d'enseignement, en établissant que « le port de telles tenues, qui manifeste ostensiblement en milieu scolaire une appartenance religieuse, ne peut y être toléré ».

Ces dispositions ont conforté les acteurs de terrain dans leurs décisions, alors qu'ils étaient confrontés à des contestations et à des dérives, qui se prolongent sur les réseaux sociaux. Dans ce contexte, l'appui indéfectible de l'État est nécessaire.

Avec l'école, le sport est un autre espace d'apprentissage des valeurs de la République. Dans l'exercice de leurs missions de service public, les fédérations sportives ont, elles aussi, un rôle éducatif auprès de publics jeunes : 58 % des licenciés ont moins de vingt ans.

Sur 15,4 millions de licenciés en 2022, 6,3 millions ont entre 1 et 13 ans (41 %) et 2,6 millions (17 %) ont entre 14 et 20 ans.

Des dispositions claires et unifiées sont donc nécessaires.

Le Sénat a déjà proposé, à plusieurs reprises, d'avancer en ce sens.

Ainsi, l'article 1er de la proposition de loi reprend une disposition déjà adoptée au Sénat en 2021 puis en 2022 - avant les deux décisions précitées du Conseil d'État.

Lors de l'examen de la future loi du 24 août 2021 confortant les principes de la République, le Sénat a en effet adopté plusieurs amendements allant dans le sens de la présente proposition de loi, notamment :

- un amendement de notre collègue Michel Savin disposant que « le port de signes religieux ostensibles est interdit pour la participation aux événements sportifs et aux compétitions sportives organisés par les fédérations sportives et les associations affiliées » ;

- un amendement du même auteur disposant que « le règlement d'utilisation d'une piscine ou baignade artificielle publique à usage collectif garantit le respect des principes de neutralité des services publics et de laïcité » ;

- un amendement du rapporteur de la présente proposition de loi, sous-amendé en commission, prévoyant que « toute activité cultuelle, politique ou syndicale est interdite dans un équipement sportif public, sauf accord du maire, du président de la collectivité territoriale ou du président de l'établissement public de coopération intercommunale propriétaire de cet équipement ».

Des dispositions du même type ont été de nouveau discutées lors de l'examen de la future loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, s'agissant de l'interdiction du port de signes religieux ostensibles en compétition et du respect des principes de neutralité et de laïcité.

3. Des mesures bienvenues

Les dispositions précitées sont devenues plus nécessaires encore, depuis deux ans, pour clarifier le cadre juridique alors que les fédérations sportives ont mis en place des règles divergentes, ce qui est source de confusion.

L'interprétation des principes de la République ne saurait différer d'une discipline à l'autre sans susciter de l'incompréhension et des contestations récurrentes.

Pour les jeunes d'âge scolaire, l'existence de règles différentes dans les établissements scolaires et dans les clubs de sport est difficilement compréhensible, d'autant plus que les activités sportives scolaires et extrascolaires sont souvent pratiquées dans les mêmes locaux ou sur les mêmes terrains.

La jurisprudence du Conseil d'État est, par ailleurs, venue confirmer que des extensions au principe de neutralité sont possibles en direction des usagers du service public, dans le souci d'assurer le bon fonctionnement du service public, d'éviter toute tension sans lien avec le sport et de garantir l'égalité de traitement.

Dans ce contexte, la proposition de loi comporte des mesures bienvenues :

Ø L'article 1er vise à interdire le port de signes religieux dans les compétitions organisées par les fédérations sportives et leurs associations affiliées.

Sur proposition du rapporteur, la commission a adopté cet article en apportant des précisions quant aux entités et aux compétitions concernées par l'interdiction.

Ø L'article 2 interdit tout détournement de l'usage d'un équipement sportif mis à disposition par une collectivité territoriale, en vue de la pratique sportive.

Ø Sur proposition du rapporteur, afin de prévenir plus efficacement les atteintes à la laïcité, la commission a adopté un article additionnel prévoyant la possibilité pour le préfet de suspendre l'agrément d'une association sportive qui se soustrairait délibérément aux obligations mises en place par les articles 1er et 2.

Ø L'article 3 impose le respect des principes de neutralité et de laïcité dans les piscines.

La commission a précisé la formulation de cet article afin d'éviter toute ambiguïté sur la notion « d'égalité de traitement ». Cette notion implique, en l'espèce, qu'aucune adaptation aux règles communes ne puisse résulter de revendications de nature politique ou religieuse. Elle signifie, en particulier, que le port de tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique ou religieuse est prohibé.

Ø Enfin, sur proposition du rapporteur, la commission a adopté un article additionnel visant à permettre la réalisation d'enquêtes administratives préalables à la délivrance de la carte professionnelle d'éducateur sportif.

Il s'agit de compléter le droit existant, en matière de contrôle de l'honorabilité, afin de traiter de façon plus adaptée les problématiques de radicalisation.


* 14 Avis du Conseil d'État sur le projet de loi confortant le respect, par tous, des principes de la République (décembre 2020).

* 15 Gilles Kepel, Le Point, 21 septembre 2023.

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