TITRE VII
FACILITE
L'ESSOR DE PROJETS INDUSTRIELS
ET D'INFRASTRUCTURES
Article 15
Faciliter l'implantation de centres de données
d'envergure
L'article 15 vise à qualifier de projets d'intérêt national majeur pour la transition numérique, la transition écologique ou la souveraineté nationale les centres de données de dimension industrielle, dans la continuité du dispositif applicable aux projets industriels d'envergure tel qu'introduit par l'article 19 de la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte.
Soutenant cette mesure de simplification procédurale visant à faciliter le déploiement de grands centres de données sur le territoire national, corollaire inévitable de la numérisation de notre économie, et à susciter de nouveaux investissements en la matière, la commission spéciale a adopté cinq amendements visant notamment à :
- préciser que l'envergure des centres de données s'apprécie en termes d'investissements mais aussi de puissance installée ;
- améliorer la rédaction de la définition d'un centre de données, en substituant notamment le terme « d'installation » par celui « d'infrastructure » ;
- effectuer plusieurs coordinations juridiques et rédactionnelles.
1. Dans un contexte où la France doit se doter d'infrastructures numériques supplémentaires pour accélérer sa numérisation et atteindre une plus grande souveraineté numérique, le cadre juridique actuel semble peu adapté à l'implantation de centres de données d'envergure
1.1. Une hausse progressive du nombre de centres de données en France, corollaire inévitable de l'accélération de la numérisation de notre économie et de nos usages
Au regard des informations transmises à la commission spéciale, la France accueillerait au moins 250 centres de données et 5 000 salles informatiques sur son territoire pour une puissance installée d'environ 560 mégawatts (MW), se classant ainsi à la huitième place au niveau mondial et à la quatrième au niveau européen, derrière le Royaume-Uni, l'Allemagne et les Pays-Bas et à quasi-égalité avec l'Irlande.
De tailles et de puissances très variables, ces centres de données sont très majoritairement situés en Île-de-France et aux alentours de Marseille, l'un des grands « hubs Internet » mondiaux. Aujourd'hui, les centres de données les plus importants implantés sur le territoire ont une emprise foncière de moins de 10 hectares, une puissance installée de 10 à 20 MW et sont principalement gérés par une dizaine d'exploitants recensés114(*).
Le nombre et la puissance des centres de données installés en France ont vocation à augmenter dans les prochaines années, à la faveur du développement de l'informatique en nuage (cloud) et de l'intelligence artificielle, qui requièrent des capacités massives de calcul, de stockage et de traitement de données.
1.2. Un cadre juridique peu adapté à l'implantation de centres de données de dimension industrielle
i. Le cadre applicable à la mise en compatibilité des documents de planification et d'urbanisme
Par principe, le droit commun prévoit que l'évolution des documents régionaux de planification s'effectue à l'initiative de la collectivité concernée, selon une procédure de révision ou de modification selon les révisions envisagées. Toutefois, une procédure de révision est susceptible d'aboutir dans un délai de 3 à 6 ans, tandis qu'une procédure de modification dans un délai de 2 à 4 ans, ce qui semble difficilement compatible avec un objectif de réindustrialisation et la conduite de grands projets. Par ailleurs, selon l'étude d'impact du projet de loi, le coût de la révision d'un document d'urbanisme pour permettre l'implantation d'un projet industriel d'envergure est en moyenne estimé à 30 000 euros pour une commune et à 190 000 euros pour une intercommunalité.
Par dérogation, des procédures spécifiques existent afin d'accélérer l'évolution de ces documents, en particulier lorsqu'il s'agit de projets industriels ou d'infrastructures publiques : la qualification de projet d'intérêt national (OIN), la qualification de projet d'intérêt général (PIG), la déclaration d'utilité publique (DUP), la déclaration de projet (DP) ou encore la procédure intégrée.
Toutefois, toutes ces procédures ont été jugées peu adaptées à la réalisation de grands projets industriels dans le cadre de l'examen de la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte115(*). C'est pourquoi cette loi a créé une nouvelle procédure pour les projets d'intérêt national majeur116(*) permettant, après accord du maire ou du président de l'EPCI accueillant le projet industriel, une mise en compatibilité par l'État des documents de planification et d'urbanisme, ainsi que l'accélération de plusieurs procédures.
ii. Le cadre applicable au raccordement au réseau de transport d'électricité
Dans la mesure où les infrastructures électriques ont une longue durée de vie et nécessitent des investissements et des travaux importants, leur établissement s'appuie sur des documents de planification nationaux et régionaux, en particulier le schéma décennal de développement du réseau (SDDR) qui doit être élaboré tous les deux117(*), et les schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR)118(*) qui doivent être élaborés par RTE en concertation avec les acteurs du secteur119(*).
Par conséquent, il a été estimé que cadre permet difficilement l'installation rapide d'équipements fortement consommateurs d'énergie et dont le fonctionnement est subordonné au raccordement au réseau de transport d'électricité, tels que les grands projets industriels. C'est pourquoi la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables a instauré un régime procédural simplifié pour l'électrification des grands sites industriels lorsqu'ils concourent de manière directe à une réduction significative des émissions de gaz à effet de serre120(*).
iii. Le cadre applicable à l'obligation de protection stricte des espèces protégées
Aujourd'hui, des projets peuvent bénéficier d'une dérogation à l'obligation de protection stricte des espèces protégées, à condition de démontrer l'existence d'une raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) telles que l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques, la protection de la faune et de la flore sauvages ou encore des fins de recherche et d'éducation. Une telle démonstration n'est pas toujours aisée pour les projets industriels et énergétiques de grande ampleur et peut prendre plusieurs années.
En effet, conformément aux dispositions de la directive européenne du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels, dite « directive Habitats »121(*), cette reconnaissance n'est accordée qu'à condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante, que la dérogation ne nuise pas au maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.
C'est pourquoi les projets d'installations de production d'énergies renouvelables et les projets industriels qualifiés de PINM sont réputés répondre à une RIIPM122(*).
2. La qualification de centres de données de dimension industrielle de projets d'intérêt national majeur devrait permettre d'en faciliter l'implantation et d'attirer des investissements nouveaux
L'article 15 du projet de loi prévoit d'étendre le périmètre de la procédure de qualification de projets d'intérêt national majeur (PINM) aux centres de données d'envergure, notamment en termes d'investissement, revêtant une importance particulière pour la transition numérique, la transition écologique ou la souveraineté nationale. Selon l'étude d'impact du projet de loi, ces centres de données auraient une emprise foncière comprise entre 30 et 50 hectares et une consommation d'au moins 400 mégawattheures, sachant qu'aucun projet de cette envergure n'existe actuellement en France.
Par conséquent, l'article 15 définit également un centre de données comme « une installation ou un groupe d'installations servant à héberger, connecter et exploiter des systèmes et des serveurs informatiques et du matériel connexe pour le stockage, le traitement de données, la distribution des données, ainsi que pour les activités qui y sont directement liées ». Cette définition s'inspire notamment d'une définition figurant en annexe du règlement européen du 22 octobre 2008 relatif aux statistiques de l'énergie123(*).
Il est également prévu qu'un décret en Conseil d'État précise les conditions dans lesquelles la raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) peut être reconnue par l'autorité administrative compétente afin de bénéficier d'une dérogation à l'obligation de protection stricte des espèces protégées.
Enfin, l'article 15 précise que les articles 27 et 28 de la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération des énergies renouvelables, permettant de faciliter les raccordements aux réseaux de transport d'électricité, s'appliquent aux centres de données qualifiés de PINM.
3. La commission spéciale estime indispensable de soutenir l'implantation de centres de données de dimension industrielle dont l'envergure devrait plutôt s'apprécier en termes d'investissement et de puissance installée
3.1. Un objectif louable de simplification procédurale qui vise surtout à créer un « appel d'air » pour de nouveaux investissements dans des grandes infrastructures numériques stratégiques pour l'avenir
Au regard des informations transmises à la commission spéciale, il s'avère qu'actuellement aucun projet d'implantation de centre de données d'envergure ne remplit les critères d'emprise foncière ou de puissance énergétique tels que présentés dans l'étude d'impact du projet de loi.
Par contre, la commission spéciale est consciente que l'adoption de telles simplifications procédurales s'inscrit dans une volonté d'attirer de nouveaux projets et de nouveaux investissements sur notre territoire, comme en témoigne la très récente annonce de Microsoft, lors du sommet Choose France du 13 mai 2024, d'investir près de 4 milliards d'euros en France pour développer ses centres de données, avec l'ouverture annoncée d'un nouveau centre de données près de Mulhouse, et ses activités dans l'informatique en nuage et l'intelligence artificielle.
La commission spéciale relève également que les simplifications procédurales proposées correspondent à des dispositifs déjà existants introduits en 2023 à la suite de l'adoption des lois relatives à l'accélération de la production d'énergies renouvelables et à l'industrie verte.
Tout en souscrivant à la finalité attendue de cet article, la commission spéciale tient néanmoins à rappeler que l'extension du périmètre du dispositif PINM doit être strictement réservée à des projets de dimension industrielle revêtant une importance avérée pour la souveraineté nationale, car l'une des conséquences de ce dispositif est la reprise en main temporaire et circonscrite par l'État de compétences attribuées aux collectivités territoriales en matière d'évolution des documents de planification et d'urbanisme.
Enfin, la commission spéciale souligne que l'équipement du pays en grandes infrastructures numériques est une étape indispensable mais insuffisante pour atteindre une souveraineté numérique ambitieuse car, en plus des infrastructures, les investissements dans les logiciels et les compétences sont primordiaux124(*) pour permettre à la France de saisir pleinement les révolutions technologiques à l'oeuvre en matière d'informatique en nuage (cloud) et d'intelligence artificielle.
3.2. Un dispositif qui nécessite plusieurs ajustements rédactionnels et de coordination juridique
Afin de compléter et de préciser le dispositif proposé à l'article 15, la commission spéciale a adopté cinq amendements du rapporteur visant notamment à :
- l'amendement COM-329 pour préciser que l'envergure des centres de données s'apprécie aussi en termes de puissance installée. Cette notion, en plus d'être régulièrement employée pour qualifier les projets de construction d'infrastructures énergétiques, est pertinente dans la mesure où l'amélioration de l'efficacité des centres de données conduit à augmenter leur production, et donc leur consommation énergétique, sans pour autant augmenter leur surface totale, et donc leur emprise foncière ;
- l'amendement COM-330 pour améliorer la définition d'un centre de données, en substituant notamment le terme « d'installation » par celui « d'infrastructure », à la fois plus proche de la définition fixée à l'annexe A du règlement européen du 22 octobre 2008 concernant les statistiques de l'énergie et correspondant davantage à la réalité de la construction des centres de données de grande envergure ;
- l'amendement COM-331 pour effectuer les ajustements rédactionnels rendus nécessaires par l'ajout des centres de données de grande envergure au dispositif prévu par l'article L. 300-6-2 du code de l'urbanisme ;
- l'amendement COM-332 pour plutôt modifier directement la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables pour rendre les centres de données qualifiés de projets d'intérêt national majeur éligibles aux articles 27 et 28 de ladite loi ;
- l'amendement COM-333 de coordination juridique pour prendre en compte la réforme des procédures d'autorisation environnementale introduite par la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte.
La commission a adopté l'article 15 ainsi modifié.
Article 16
Faculté pour les acheteurs publics de
déroger à l'obligation
d'allotissement des marchés de
travaux, de fournitures ou de services
et pour leurs sous-traitants de
renoncer expressément au bénéfice
du paiement direct
pour les projets de production d'éolien en mer
et de création
ou de modification des ouvrages des réseaux publics
de transport ou
de distribution d'électricité
Cet article vise à permettre aux acheteurs publics de déroger à l'obligation d'allotissement pour les marchés de travaux, de fournitures ou de services pour certains projets d'éolien en mer ou ouvrages des réseaux publics de transport ou de distribution d'électricité, et à permettre à leurs sous-traitants de renoncer expressément au bénéfice du paiement direct.
Tout en soutenant, sur le principe, les dérogations proposées, qui concourent à l'accélération des projets liés à la transition énergétique, la commission spéciale a souhaité en corriger les « effets de bord ».
Aussi a-t-elle adopté un amendement (COM-334), présenté par le rapporteur, pour cibler l'article 16 du projet de loi, en précisant que :
- les projets de production et réseaux publics de transport et de distribution sont ceux d'électricité ;
- les ouvrages ou postes de ces réseaux sont ceux associés à la réalisation de l'installation de production ;
- les pouvoirs adjudicateurs comme les entités adjudicatrices peuvent recourir au dispositif ;
- les marchés publics englobent ceux de travaux, de fournitures et de services ;
- ces marchés publics doivent être supérieurs à 10 millions d'euros hors taxes (HT).
De plus, l'amendement supprime la possibilité, pour les sous-traitants, de renoncer expressément au paiement direct dans le cadre de tels projets.
1. La situation actuelle - Des obligations d'allotissement des marchés publics et de paiement direct des sous-traitants prévues par le code de la commande publique.
1.1. L'allotissement des marchés publics est une obligation appliquée par le code de la commande publique aux pouvoirs adjudicateurs et aux entités adjudicatrices avec toutefois des dérogations.
Depuis l'ordonnance « Marchés publics », du 23 juillet 2015125(*), prise en application de la loi de « Simplification », du 20 décembre 2014126(*), l'article L. 2113-10 du code de la commande publique dispose que les marchés sont passés sous forme séparée, sauf si leur objet ne permet pas l'identification de prestation distincte.
Cette obligation est applicable aux acheteurs publics : pouvoirs adjudicateurs, depuis 2006, et aux entités adjudicatrices, depuis 2016.
L'article L. 1210-1 du même code dispose que les acheteurs publics127(*) sont les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices.
L'article L. 1211-1 du même code définit les pouvoirs adjudicateurs comme :
- les personnes morales de droit public ;
- les personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial128(*) ;
- les organismes de droit privé dotés de la personnalité juridique constitués par des pouvoirs adjudicateurs en vue de réaliser certaines activités en commun.
L'article L. 1212-1 du même code définit les entités adjudicatrices comme :
- les pouvoirs adjudicateurs qui exercent une des activités d'opérateur de réseaux définies aux articles L. 1212-3129(*) et L. 1212-4130(*) ;
- lorsqu'elles ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs, les entreprises publiques qui exercent une des activités d'opérateur de réseaux définies aux articles L. 1212-3 et L. 1212-4 ;
- lorsqu'ils ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs ou des entreprises publiques, les organismes de droit privé qui bénéficient, en vertu d'une disposition légalement prise, de droits spéciaux131(*) ou exclusifs ayant pour effet de leur réserver l'exercice de ces activités et d'affecter substantiellement la capacité des autres opérateurs économiques à exercer celle-ci.
1.2. Plusieurs dérogations à l'obligation d'allotissement des marchés publics sont reconnues par le code de la commande publique.
Ainsi, depuis sa création, l'article L. 2213-11 permet à l'acheteur, dès lors qu'il motive son choix en énonçant des considérations de droit et de fait, de ne pas allotir un marché, dans plusieurs cas :
- il n'est pas en mesure d'assurer par lui-même les missions d'organisation, de pilotage et de coordination ;
- la dévolution en lots séparés est de nature à restreindre la concurrence ou risque de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l'exécution des prestations.
Depuis la loi « Industrie verte », du 23 octobre 2023132(*), les entités adjudicatrices peuvent décider de ne pas allotir lorsque la dévolution en lots séparés risque de conduire à une procédure infructueuse.
Dans le cadre de la loi « Sûreté nucléaire », du 21 mai 2024133(*), les pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices, peuvent décider de ne pas allotir un marché de travaux, de fournitures ou de services qui est relatif :
- à la réalisation, au sens du I de l'article 7 de la loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations nucléaires existantes, d'un projet relevant des II ou III du même article 7 ;
- à la réalisation d'une installation mentionnée aux 1° à 4° de l'article L. 593-2 du code de l'environnement, à l'article L. 512-1 du même code ou à l'article L. 512-7 dudit code qui est destinée à assurer des activités de recherche relatives aux utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire ou à la maîtrise de ses effets ;
- à la réalisation d'une installation mentionnée aux 2°, 3° ou 5° de l'article L. 593-2 ou à l'article L. 512-1 du même code qui est destinée à assurer :
a) des activités de gestion de déchets radioactifs ou de combustibles usés issus d'installations nucléaires de base énumérées à l'article L. 593-2 du même code ;
b) la fabrication ou la maintenance d'emballages de transport de substances radioactives issues d'installations nucléaires de base énumérées au même article L. 593-2 ;
- à la réalisation de travaux relatifs à une installation mentionnée à l'article L. 542-4 du même code ou d'opérations de réhabilitation du site après l'arrêt définitif d'une telle installation ;
- à la réalisation d'opérations de démantèlement d'une installation mentionnée à l'article L. 593-2 du code de l'environnement qui abrite ou a abrité des matières nucléaires dont la détention est soumise à autorisation ou à déclaration en application de l'article L. 1333-2 du code de la défense ou d'opérations de démantèlement d'une installation mentionnée au 1° de l'article L. 1333-15 du même code ;
- à la réalisation d'opérations de réhabilitation du site après l'arrêt définitif d'une installation mentionnée à l'article L. 511-1 du code de l'environnement qui abrite ou a abrité des matières nucléaires dont la détention est soumise à autorisation ou à déclaration en application de l'article L. 1333-2 du code de la défense.
1.3. Le paiement direct du sous-traitant pour les marchés dont le montant est supérieur à 600 euros toutes taxes comprises (TTC) est une obligation du code de la commande publique.
Depuis l'ordonnance « Commande publique », du 26 novembre 2018134(*), prise en application de la loi de « Transparence », du 9 décembre 2016135(*), l'article L. 2193-10 du code de la commande publique dispose que le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par l'acheteur est payé pour la part du marché dont il assure l'exécution :
- dans les conditions prévues à la section 2 du chapitre III du titre IX du livre Ier de la deuxième partie du code de la commande publique, lorsque le montant du contrat de sous-traitance est égal ou supérieur à un seuil fixé par voie réglementaire qui peut évoluer en fonction des variations des circonstances économiques ;
- dans les conditions prévues au titre III de la loi « Sous-traitance », du 31 décembre 1975136(*), lorsque le montant du contrat de sous-traitance est inférieur au seuil précité fixé par voie réglementaire.
Cet article précise qu'un seuil différent peut être fixé par voie règlementaire en ce qui concerne les marchés de travaux, de services et de fournitures comportant des services ou des travaux de pose ou d'installation passés par le ministère de la défense.
L'article R. 2193-10 du code de la commande publique a fixé le seuil à 600 euros toutes taxes comprises (TTC) ou 10 % du montant total du marché s'agissant des marchés de travaux, de services et de fourniture comportant des services ou des travaux de pose ou d'installation passés par le ministère de la défense.
Les règles prévues par la section 2 du chapitre III du titre IX du livre Ier de la deuxième partie du code de la commande publique sont les suivantes :
- l'article 2193-11 dispose que le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par l'acheteur est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution. Il ajoute que toute renonciation au paiement direct est réputée non écrite ;
- l'article L. 2193-12 prévoit que le paiement direct est obligatoire, même si le titulaire du marché est en état de liquidation judiciaire, de redressement judiciaire ou de procédure de sauvegarde.
- l'article L. 2193-3 précise que les modalités de paiement du sous-traitant bénéficiant du paiement direct, notamment les pièces justificatives à transmettre au titulaire du marché, les délais et conditions d'acceptation de ce paiement sont définis par voie réglementaire.
Les règles prévues par le titre III de la loi « Sous-traitance », du 31 décembre 1975, sont les suivantes :
- l'article 12 dispose que le sous-traitant a une action directe contre le maître de l'ouvrage si l'entrepreneur principal ne paie pas, un mois après en avoir été mis en demeure, les sommes qui sont dues en vertu du contrat de sous-traitance. Il ajoute que toute renonciation à l'action directe est réputée non écrite, cette action directe subsiste même si l'entrepreneur principal est en état de liquidation des biens, de règlement judiciaire ou de suspension provisoire des poursuites et que les dispositions du deuxième alinéa de l'article 1799-1 du code civil137(*) sont applicables au sous-traitant ;
- l'article 13 prévoit que l'action directe ne peut viser que le paiement correspondant aux prestations prévues par le contrat de sous-traitance et dont le maître de l'ouvrage est effectivement bénéficiaire et que les obligations du maître de l'ouvrage sont limitées à ce qu'il doit encore à l'entrepreneur principal à la date de la réception de la copie de la mise en demeure ;
- l'article 13-1 précise que l'entrepreneur principal ne peut céder ou nantir les créances résultant du marché ou du contrat passé avec le maître de l'ouvrage qu'à concurrence des sommes qui lui sont dues au titre des travaux qu'il effectue personnellement mais qu'il peut céder ou nantir l'intégralité de ces créances sous réserve d'obtenir, préalablement et par écrit, le cautionnement personnel et solidaire vis-à-vis des sous-traitants ;
- l'article 14 précise que sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l'entrepreneur d'un établissement qualifié, agréé dans les conditions fixées par décret, les paiements de toutes les sommes dues par l'entrepreneur au sous-traitant, à peine de nullité du sous-traité, mais que cette caution n'a pas lieu d'être fournie si l'entrepreneur délègue le maître de l'ouvrage au sous-traitant dans les termes de l'article 1338 du code civil138(*), à concurrence du montant des prestations exécutés par le sous-traitant et que cette caution peut être obtenue d'un établissement figurant sur une liste fixée en application de la loi « Garanties de paiement », du 16 juillet 1971139(*), à titre transitoire.
- enfin, l'article 14-1 ajoute que, pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics140(*) :
- le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations prévue par la loi « Sous-traitance », du 31 décembre 1975, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ces obligations ;
- si le sous-traitant accepté, et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage, ne bénéficie pas de la délégation de paiement, le maître de l'ouvrage exige de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni la caution.
1.4. Le droit de l'Union européenne fait de l'allotissement des marchés publics et du paiement direct des sous-traitants une faculté, et non obligation, à la disposition des États membres.
S'agissant de l'allotissement des marchés publics, le paragraphe 1 de l'article 46 de la directive « Marchés publics », du 26 février 2014141(*), dispose que « les États membres peuvent rendre obligatoire la passation de marchés sous la forme de lots distincts dans des conditions qui seront définies conformément à leur droit national et dans le respect du droit de l'Union. » Dans le même esprit, le paragraphe 4 de l'article 65 de la directive « Marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux », du 26 février 2014142(*) applique les mêmes dispositions dans ces secteurs.
Concernant le paiement direct des sous-traitants, le paragraphe 3 de l'article 71 de la directive « Marchés publics », du 26 février 2014143(*), dispose que « les États membres peuvent prévoir que, à la demande du sous-traitant et si la nature du marché le permet, le pouvoir adjudicateur effectue directement au sous-traitant les paiements dus pour les services, fournitures ou travaux qu'il a fournis à l'opérateur économique auquel le marché public a été attribué (le contractant principal) » et le paragraphe 7 que « les États membres peuvent édicter des règles de responsabilité plus strictes en droit national ou des dispositions plus larges en matière de paiements directs aux sous-traitants dans la législation nationale, par exemple en prévoyant de tels paiements sans que les sous-traitants aient besoin d'en faire la demande. » Dans le même ordre d'idées, les paragraphes 3 et 76 de l'article 88 de la directive « Marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux », du 26 février 2014144(*) prévoient les mêmes dispositions dans ces secteurs.
2. Le dispositif envisagé - La faculté pour les acheteurs publics de déroger à l'obligation d'allotissement des marchés de travaux, de fournitures ou de services et pour leurs sous-traitants de renoncer expressément au bénéfice du paiement direct pour les projets de production d'éolien en mer et de création ou de modification des ouvrages des réseaux publics de transport ou de distribution d'électricité.
2.1. L'article 16 du projet de loi prévoit que, lorsqu'un marché concerne un projet d'installation de production d'énergie renouvelable en mer d'une puissance supérieure à un seuil fixé par décret ou une étude associée à la réalisation d'une telle installation145(*) ou lorsqu'un marché d'un montant supérieur à un seuil fixé par décret concerne un projet de création ou de modification d'un ouvrage du réseau public de transport ou d'un poste de transformation entre les réseaux publics de transport et de distribution :
- l'acheteur peut, par dérogation aux dispositions de l'article L. 2113-10 du code de la commande publique, décider de ne pas l'allotir ;
- le sous-traitant direct de son titulaire peut, par dérogation aux dispositions de l'article L. 2193-11 du même code, renoncer expressément au bénéfice du paiement direct.
L'article précise que, dans le second cas, les dispositions des articles 12 et 14 de la loi « Sous-traitance », du 31 décembre 1975, sont applicables.
2.2. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État n'a pas soulevé de difficulté d'ordre constitutionnel ou conventionnel s'agissant de la dérogation au principe d'allotissement et a qualifié d'inédite celle au principe de paiement direct : « 39. Sur le fond, le Conseil d'État considère que la dérogation au principe d'allotissement des marchés ne soulève pas de difficulté d'ordre constitutionnel ou conventionnel. Il estime que la dérogation, inédite, au principe de paiement direct se justifie, en l'espèce, par les contraintes administratives que ce principe fait peser sur les acheteurs principalement concernés, à savoir l'État et la société RTE, alors que les titulaires des marchés en cause présentent généralement des garanties financières importantes. Le Conseil d'État propose d'étendre l'application des dispositions des articles 12 et 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance qui prévoient, respectivement, une action directe à l'encontre du maître de l'ouvrage et un dispositif de caution ou à défaut une délégation de paiement. »
3. La position de la commission - Des dérogations à l'obligation d'allotissement des marchés publics et au principe du paiement direct des sous-traitants, pour les projets de production d'éolien en mer et de création ou de modification des ouvrages des réseaux publics de transport ou de distribution d'électricité, devant être davantage encadrées.
3.1. Les dérogations proposées au code de la commande publique sont justifiées par la nécessité d'accélérer les projets liés à l'éolien en mer.
Le développement des projets d'éolien en mer fait partie des axes importants de la politique énergétique du Gouvernement. Pour preuve, le projet de plan national intégré en matière d'énergie climat (PNIEC) prévoit un objectif de 3,6 GW en 2030 et 18 GW en 2035, dans le même esprit, le projet de stratégie française pour l'électricité et le climat (SFEC) prévoit un objectif de 18 GW en 2035 et 45 GW en 2050.
Le Sénat est par principe favorable à l'accélération des projets liés à la transition énergétique, dont l'éolien en mer. Sa commission des affaires économiques a fixé un objectif d'au moins 1 GW par an, avec les lois « Energie-Climat », du 8 novembre 2019146(*), et « Climat-Résilience », du 22 août 2021147(*). Elle a également autorisé les dérogations au code de la commande publique pour les projets industriels, dans la loi « Industrie verte », du 23 octobre 2023148(*), et ceux nucléaires, dans la loi « Sûreté nucléaire », en attente de promulgation.
Selon l'étude d'impact, l'article proposé est susceptible d'accélérer les projets et d'abaisser les prix, de renforcer l'attractivité des marchés et d'alléger la charge administrative sur les sous-traitants, ce que le Sénat ne peut qu'approuver.
3.2. Les dérogations proposées au code de la commande publique sont conformes au cadre constitutionnel et conventionnel.
D'une part, dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État a rappelé que la dérogation à l'obligation d'allotissement ne soulevait pas de difficulté d'ordre constitutionnel ou conventionnel et que celle au paiement direct était justifiées par les contraintes administratives pesant sur les acheteurs publics.
D'autre part, si la dérogation à l'obligation d'allotissement prévue pour les projets industriels par la loi « Industrie verte », du 23 octobre 2023, n'a pas été déférée au Conseil constitutionnel, celle prévue pour les projets nucléaires par la loi « Sûreté nucléaire », du 21 mai 2024149(*), l'a été : dans sa décision du 17 mai 2024150(*), le Conseil constitutionnel ne l'a pas censurée.
Enfin, s'agissant du droit de l'Union européenne, les deux directives précitées du 26 février 2014 font de l'obligation d'allotissement et le paiement direct des facultés à la disposition des États membres.
3.3. Les dérogations proposées au code de la commande publique ont été diversement accueillies par les acteurs économiques intéressées.
Plusieurs acteurs économiques ont fait part de leur point de vue sur l'article proposé.
Tout d'abord, Réseau de transport d'électricité (RTE) et le Syndicat des énergies renouvelables (SER) se sont dits favorables aux deux évolutions proposées. Le groupe EDF a aussi demandé à pouvoir bénéficier de la seconde évolution.
En revanche, le Mouvement des entreprises de France (Medef) et la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) se sont dit opposés à cette seconde évolution.
Quant à la Fédération des collectivités concédantes et régies (FNCCR), qui regroupe les collectivités territoriales en tant qu'autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE), elle a estimé que l'article proposé n'a pas d'impact sur les réseaux de distribution d'électricité.
3.4. D. Pour répondre aux observations ainsi formulées par les acteurs économiques, les dérogations proposées au code de la commande publique nécessitent d'être ajustées.
Tout d'abord, les ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution visés doivent être précisés. D'une part, il est nécessaire d'indiquer qu'il s'agit de ceux d'électricité, et non de gaz, de chaleur ou encore d'hydrogène. D'autre part, il est utile de préciser que ces ouvrages doivent être associés à la réalisation du projet de production d'éolien en mer, comme cela est déjà prévu dans le cas de l'étude.
Plus encore, les acheteurs publics concernés doivent également être précisés. Les notions de pouvoirs adjudicateurs et d'entités adjudicatrices devraient être préférées à celles d'acheteur public afin de garantir l'éligibilité au dispositif, tant de l'État (qui entre dans la première catégorie), que de RTE (qui entre dans la seconde catégorie).
S'agissant des marchés publics concernés, ils doivent aussi être explicités. D'une part, il est utile d'expliciter leur objet (de travaux, de fournitures ou de services) pour éviter tout risque d'a contrario. D'autre part, plutôt que de renvoyer à un seuil règlementaire, le montant de 10 millions d'euros hors taxes, évoqué dans l'étude d'impact, pourrait être inscrit dans la loi ; cela permettrait d'éviter de banaliser un tel dispositif dérogatoire.
Enfin, la dérogation au principe du paiement direct doit être supprimée. Il s'agit actuellement d'un principe d'ordre public, auquel les sous-traitants ne peuvent donc renoncer. En permettant qu'ils y renoncent expressément, l'article réduirait leur protection, en matière de garantie de paiement, notamment en cas de défaillance de l'entreprise principale. De plus, il instituerait une dérogation inédite pour les seuls projets d'éolien en mer, alors que bien d'autres projets liés à la transition énergétiques y recourent. Au total, la simplification normative ne doit pas être pensée du seul point de vue de l'État et des grandes entreprises, mais aussi du point de vue des petites et moyennes entreprises et très petites entreprises (PME-TPE).
Dans ce contexte, le rapporteur a présenté un amendement (COM-334), pour cibler l'article 16 du projet de loi, en précisant que :
- les projets de production et réseaux publics de transport et de distribution sont ceux d'électricité ;
- les ouvrages ou postes de ces réseaux sont ceux associés à la réalisation de l'installation de production ;
- les pouvoirs adjudicateurs comme les entités adjudicatrices peuvent recourir au dispositif ;
- les marchés publics englobent ceux de travaux, de fournitures et de services ;
- ces marchés publics doivent être supérieurs à 10 millions d'euros HT.
De plus, l'amendement supprime la possibilité, pour les sous-traitants, de renoncer expressément au paiement direct dans le cadre de tels projets.
La commission a adopté l'article ainsi modifié.
Article 16 bis
(nouveau)
Actualisation de l'étude d'impact pour les projets
éoliens en mer
Cet article additionnel, inséré par la commission spéciale sur proposition de Nadège Havet et des membres du groupe « Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants » (COM-214 rect.), vise à clarifier les modalités d'actualisation d'une étude d'impact pour les projets éoliens en mer situés à proximité et soumis à des autorisations distinctes.
Les projets éoliens en mer et leurs ouvrages de raccordement, lorsqu'ils sont situés à proximité, peuvent être considérés comme un seul projet au sens de l'évaluation environnementale (article L. 122-1 du code de l'environnement). Ils font donc l'objet d'une étude d'impact unique, quand bien même ils sont soumis à plusieurs autorisations.
Selon le code de l'environnement, les incidences sur l'environnement d'un projet doivent être appréciées lors de la délivrance de son autorisation. Lorsqu'un projet est soumis à la délivrance de plusieurs autorisations, ces incidences sont appréciées lors de la délivrance de la première autorisation. Néanmoins, dans le cas où ces incidences sur l'environnement n'auraient pas pu être « complètement identifiées ni appréciées avant l'octroi de l'autorisation », l'étude d'impact doit être actualisée par le maître d'ouvrage après la délivrance de la première autorisation, ainsi que le prévoit l'article L. 122-1-1 (III).
Dans le cas des projets éoliens en mer, le porteur de projet d'un parc dont l'implantation est prévue à proximité d'un autre parc en cours de déploiement peut être amené à mettre à jour l'étude d'impact réalisée dans le cadre de la première demande d'autorisation. Or, si cette autorisation n'a pas encore été délivrée, en l'état actuel du droit, le maître d'ouvrage ne peut s'appuyer sur les dispositions du III de l'article L. 122-1-1 du code de l'environnement pour procéder à cette actualisation.
Cet article vise donc à remédier à cette lacune juridique en ajoutant à l'article L. 181-28-1 du code de l'environnement qui concerne la procédure d'autorisation des projets éoliens en mer un alinéa prévoyant que l'étude d'impact initiale est mise à jour lors des demandes d'autorisations sollicitées ultérieurement. Le dispositif précise en outre les modalités de cette actualisation, en indiquant qu'elle est limitée au périmètre de l'opération pour laquelle l'autorisation est sollicitée, tout en devant appréhender les incidences sur l'environnement à l'échelle globale du projet, conformément aux règles prévues à l'article L. 122-1-1 du même code.
La commission a adopté l'article 16 bis ainsi rédigé.
Article
17
Accélérer et simplifier les déploiements de
réseaux mobiles
Cet article vise à accélérer et simplifier l'installation d'antennes-relais en prévoyant la suppression de la possibilité, pour l'autorité administrative de retirer une décision d'urbanisme favorable à l'installation d'une antenne-relais et en luttant contre la spéculation foncière relative aux emplacements accueillant les infrastructures de téléphonie mobile.
La commission a adopté 13 amendements pour :
- revenir sur la suppression de la possibilité laissée à l'autorité administrative de retirer une décision favorable à l'installation d'une antenne-relais, faute de bilan de l'expérimentation menée à ce sujet ;
- consolider et étendre le champ d'application du dispositif de lutte contre la spéculation foncière sur les emplacements accueillant des infrastructures de téléphonie mobile ;
- prévoir que l'Arcep recueille des informations relatives aux prix pratiqués sur le marché de la location d'emplacements d'infrastructures de téléphonie mobile ;
- créer une expérimentation autorisant les communes littorales visées par le dispositif du New Deal Mobile à déroger à l'application du principe de continuité du bâti pour installer des antennes-relais.
1. Les dispositifs de sécurisation de l'implantation d'antennes mobiles et de lutte contre les « pylônes orphelins » sont perfectibles
1.1. Le régime de retrait des décisions d'urbanisme autorisant ou ne s'opposant pas à l'implantation d'antennes de radiotéléphonie mobile
En application de l'article L. 240-1 du code des relations entre le public et l'administration, le retrait d'un acte administratif emporte sa disparition juridique pour l'avenir comme pour le passé. Ses effets sont équivalents à ceux d'une annulation prononcée par le juge administratif à l'issue d'un recours contentieux.
Le retrait d'un acte administratif peut donc poser des difficultés comparables à ceux d'une telle annulation : l'effacement rétroactif de la décision ne peut gommer les effets qu'elle a réellement produits alors qu'elle était applicable. Historiquement, Raymond Odent notait à cet égard que « la règle selon laquelle un acte annulé est censé n'avoir jamais existé présente ce caractère contradictoire d'être à la fois une nécessité et une fiction. C'est un idéal nécessaire pour tracer à l'Administration et au juge leurs directives. Mais c'est une pure fiction car il n'appartient à aucune puissance humaine d'empêcher que ce qui a existé ait existé et d'effacer les inévitables effets qu'ont produits des actes annulés pendant toute la durée précédant leur annulation »151(*).
Le retrait est également contraire au principe de non-rétroactivité des actes administratifs défini par la jurisprudence administrative (CE 25 juin 1948, Société du journal « L'Aurore »). C'est la raison pour laquelle le retrait d'un acte administratif est strictement encadré par le droit administratif. Hors cas de fraude -- le retrait est alors possible à tout moment --, l'administration ne peut retirer un acte administratif que s'il est illégal et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision.
Ce double encadrement tend à assurer une protection de la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789152(*) : reconnaître à l'administration un pouvoir sans limites temporelles et discrétionnaire de retirer ses décisions porterait atteinte aux situations légalement acquises par les administrés.
Pour les décisions créatrices de droits, l'enjeu d'assurer une sécurité juridique renforcée des décisions est particulièrement marqué. Toutefois, il est impératif d'assurer un équilibre entre cette exigence et le principe de légalité. Ces enjeux sont forts pour les autorisations d'urbanisme, dont les effets peuvent être irréversibles. En application de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme, le retrait d'une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d'un permis de construire ou d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peut donc avoir lieu que s'ils sont illégaux et dans un délai de trois mois suivant la date de ces décisions.
L'article 222 de la loi n° 2018-1021 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique du 23 novembre 2018 (loi dite « ELAN ») avait créé un cadre dérogatoire pour les antennes de radiotéléphonie mobile avec leurs systèmes d'accroche et leurs locaux et installations techniques : à titre expérimental, jusqu'au 31 décembre 2022, les décisions d'urbanisme autorisant ou ne s'opposant pas à leur installation ne pouvaient pas être retirées. L'objectif de cette mesure était de réduire les risques de remise en cause de la décision favorable d'installation.
Le Conseil d'État a refusé153(*) de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative à cette expérimentation. Il a en particulier considéré que ce cadre dérogatoire ne portait pas atteinte au principe d'égalité dans la mesure où « le législateur a entendu tenir compte de l'intérêt général qui s'attache à la couverture rapide de l'ensemble du territoire par les réseaux de téléphonie mobile à haut débit et à très haut débit » et que « la différence de traitement, résultant des dispositions critiquées, entre les installateurs d'antennes de radiotéléphonie mobile et ceux d'autres équipements tels que les parcs photovoltaïques et les éoliennes, est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ». De même, il ne porte pas atteinte au droit à exercer un recours juridictionnel.
Un bilan de cette expérimentation devait être réalisé au plus tard le 30 juin 2022. Il n'a pas été publié à ce jour. Ce bilan devait permettre d'étudier si ce nouveau cadre juridique n'avait pas d'effets pervers, en particulier en ce qu'en rendant impossibles les recours gracieux auprès de l'administration -- qui ne peut plus retirer sa décision, même illégale -- il favoriserait la multiplication des recours contentieux devant les juridictions administratives. L'impossibilité du retrait de l'acte peut également pousser l'administration à être plus hésitante à accorder des décisions favorables irréversibles.
Cette expérimentation s'est achevée le 31 décembre 2022 ; le régime de droit commun s'applique donc de nouveau depuis le 1er janvier 2023. Actuellement, une décision autorisant ou ne s'opposant pas à l'implantation d'antennes de radiotéléphonie mobile peut donc être retirée pendant un délai de 3 mois si elle est illégale.
1.2. La réglementation relative aux emplacements d'infrastructures mobiles passives
On compte aujourd'hui en France environ 64 000 emplacements accueillant des antennes mobiles (terrains pour installer des pylônes et points hauts -- comme des toits-terrasses -- sur lesquels sont réalisés des mâts). Ces infrastructures sont aujourd'hui les propriétés d'opérateurs d'infrastructures de télécommunications (ou tower companies).
Les Tower companies
La demande croissante à laquelle font face les réseaux numériques impose aux opérateurs d'acquérir davantage de fréquences et de sites dédiés à accueillir des antennes de télécommunications mobiles.
Dans ce contexte, ils font de plus en plus souvent appel à des intermédiaires d'infrastructures mobiles passives, appelés « tower companies ». Ces sociétés spécialisées dans l'hébergement d'équipements édifient des infrastructures passives (pylônes, notamment) qu'elles mettent à disposition des opérateurs. Les principales tower companies en France sont Cellnex France, TDF, Phoenix Tower International, Totem (filiale d'Orange) et ATC France.
Le modèle des tower companies s'appuie sur d'importantes cessions d'infrastructures afin de générer des flux de trésorerie et de financer d'autres investissements à court terme. Il s'agit de dégager des financements importants et de valoriser les infrastructures, notamment en les mutualisant entre plusieurs opérateurs.
Ces pratiques induisent un phénomène de spéculation foncière qui génère d'importantes difficultés au niveau local : il arrive que des tower companies préemptent des terrains sans avoir conclu d'engagement avec un opérateur visant à exploiter une installation. Cela induit une artificialisation des sols inutile, au détriment de l'environnement et de l'acceptation sociale de ce type d'équipements.
Or, les emplacements sur lesquels sont réalisées ces infrastructures sont touchés depuis plusieurs années par un phénomène de spéculation foncière. Certains acteurs reprennent en effet des baux d'emplacements destinés à accueillir des infrastructures de téléphonie mobile à échéance, ce qui peut amener l'occupant à démonter les infrastructures qu'il a réalisées. Selon les informations communiquées par la direction générale des entreprises (DGE) au rapporteur, environ 2 400 emplacements - soit 3,75 % du total - seraient concernés par cette problématique.
Cette spéculation peut amener des situations dites de « pylônes orphelins ». Ce phénomène apparaît selon la DGE lorsqu'un nouveau preneur de bail s'installe sur un terrain sur lequel étaient déjà installées des infrastructures. Dans ce cas, le prédécesseur est tenu de démonter l'antenne mobile, et le nouveau preneur construit de « nouveaux pylônes [qui] restent ensuite inexploités sur le terrain ». L'Arcep a également soulevé cette difficulté : « il peut exister un risque d'interruption de la couverture mobile, au moins temporaire, lorsqu'un opérateur ne souhaite pas entrer en relation contractuelle avec le repreneur du bail et doit donc faire procéder au démontage d'une infrastructure et à son déménagement sur un nouveau terrain. »
Cette situation est problématique à deux titres :
- les pylônes inutilisés sont une nuisance paysagère et une source d'artificialisation des sols inutile ;
- il peut en résulter une baisse de la qualité de la couverture mobile, voire l'apparition d'une « zone blanche », souvent en zone rurale. En effet, selon l'Arcep : « Plusieurs cas de perte de couverture ont ainsi été signalés par les élus locaux à l'Autorité ces derniers mois ».
Ce phénomène n'a pas encore fait l'objet d'une évaluation précise. Des cas ont néanmoins été précisément identifiés. Ainsi, selon DGE, un pylône monté à Heiligenberg dans le Bas-Rhin est resté inexploité, ce qui a privé des usagers, situés sur environ 18 communes, de connectivité à la suite du démontage de l'antenne de téléphonie mobile existante à l'arrivée à échéance du bail de location du terrain. Un cas similaire a été identifié en milieu urbain à Brest, où un opérateur d'infrastructures a perdu 10 emplacements situés sur des toits d'immeubles.
Dans un contexte de rareté foncière, il n'est pas à exclure que ce phénomène puisse s'intensifier et devienne plus fréquent à l'avenir.
Face à cette situation, l'article 33 de la loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France (dite loi « REEN ») a créé un dispositif pour répondre à cet enjeu de la spéculation codifié à l'article L. 34-9-1-1 du code des postes et des communications électroniques.
En application de cet article, l'acquéreur ou le preneur d'un contrat de bail ou de réservation d'un terrain qu'il destine à l'édification de poteaux, pylônes ou de toute autre construction supportant des antennes d'émission ou de réception de signaux radioélectriques est tenu d'en informer le maire ou le président de l'EPCI et de fournir un document attestant d'un mandat d'un opérateur.
Cet encadrement devait permettre de rationaliser l'utilisation de foncier et de parer au risque de spéculation sur les terrains sur lesquels des infrastructures de télécommunications allaient être construites ainsi qu'à la possibilité que des infrastructures restent vacantes, car aucun utilisateur n'aurait été identifié au moment du lancement du projet.
En outre, l'article L. 245-17 du code de l'urbanisme prévoit que les travaux destinés à l'aménagement de terrains, à l'édification de poteaux, de pylônes ou de toute autre construction supportant des antennes d'émission ou de réception de signaux radioélectriques aux fins de fournir au public un service de communications électroniques ne peuvent être réalisés avant, s'il y a lieu, l'information du maire ou du président de l'EPCI compétent, en application de l'article L. 34-9-1-1 du code des postes et des communications électroniques.
Ces dispositions nécessaires ont une efficacité perfectible. En effet, elles visent les terrains et non les emplacements des infrastructures, ce qui exclut celles qui sont réalisées sur les toits de bâtiments. En outre, les terrains mentionnés sont généralement compris comme étant uniquement les terrains nus destinés à l'installation de pylônes, ce qui ne prend pas en compte les cas de renouvellement de bail. La rédaction actuelle de l'article L. 34-9-1-1 du code des postes et des communications électroniques ne prend pas en compte non plus tous les types de relations contractuelles entre les propriétaires de terrain et l'opérateur d'infrastructures. Enfin, selon la DGE, la notion de mandat de l'opérateur de téléphonie mobile ayant vocation à exploiter ces installations ne renvoie « à aucune réalité juridique concrète », ce qui rendrait nécessaire une clarification du dispositif.
2. Le texte proposé : supprimer le droit de retrait des décisions d'urbanisme favorables à la construction d'antennes-relais et renforcer le dispositif de lutte contre la spéculation foncière sur leurs emplacements
La première partie (I à III) de l'article 17 tend à supprimer la possibilité pour l'autorité administrative compétente, à savoir les maires ou, selon les cas, les présidents d'EPCI, de retirer les décisions d'urbanisme autorisant ou ne s'opposant pas à l'implantation d'antennes de radiotéléphonie mobile avec leurs systèmes d'accroche et leurs locaux et installations techniques.
Le I de l'article 17 insère un article L. 424-5-1 au sein du code de l'urbanisme afin de rétablir de façon pérenne l'impossibilité pour l'autorité administrative compétente de retirer une décision d'autorisation ou de non-opposition à l'implantation d'une antenne mobile, qui a été en vigueur de la fin de l'année 2018 au 31 décembre 2022 en application de l'article 222 de la loi ÉLAN. Le II abroge ledit article 222 de la loi ÉLAN. Le III précise que le I s'applique aux autorisations d'urbanisme délivrées ou obtenues à compter du premier jour du deuxième mois suivant la publication de la présente loi.
Ces dispositions ont pour objectif d'assurer une sécurité juridique renforcée des projets d'implantation d'antennes mobiles, dans la mesure où les autorisations et les décisions de non-opposition ayant été prises par l'autorité administrative compétente ne pourraient être retirées. Seul un recours contentieux contre ces décisions resterait donc possible.
La seconde partie de l'article 17 (IV) propose une nouvelle rédaction de l'article L. 34-9-1-1 du code des postes et des communications électroniques. Cette formulation redéfinit le champ d'application de l'article, qui concernerait toute personne qui, sans être elle-même opérateur de téléphonie mobile, se porte acquéreur ou conclut un contrat de bail, un contrat de cession de droits réels démembrés, une convention d'occupation du domaine public ou devient titulaire d'un droit personnel portant sur la jouissance ou la réservation de tout emplacement accueillant ou destiné à accueillir une infrastructure supportant des antennes d'émission ou de réception de signaux radioélectriques aux fins de fournir au public un service de communications électroniques.
Cette rédaction tend à inclure l'ensemble des modalités juridiques liant le propriétaire d'un terrain à la tower company. Elle étend l'application à l'ensemble des emplacements -- et non seulement des terrains -- sur lesquels sont installées des antennes téléphoniques, qu'ils accueillent déjà une infrastructure ou qu'ils sont destinés à l'accueillir.
Cette rédaction préserve bien l'information par écrit du maire ou du président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent avant la conclusion de contrat ou de la convention relative à l'emplacement dans le cas d'un emplacement qui accueille une telle infrastructure ou, dans le cas d'un emplacement destiné à accueillir une nouvelle infrastructure, au plus tard au moment du dépôt, par l'acquéreur, la partie à ce contrat ou à cette convention ou le titulaire de ces droits, de la demande d'autorisation d'urbanisme ou, lorsque cette dernière n'est pas requise, avant le commencement des travaux. L'opérateur d'infrastructure est également tenu de joindre à cette information une attestation par laquelle un opérateur de téléphonie mobile s'engage à exploiter cette infrastructure d'accueil.
Le texte proposé prévoit enfin la nullité du contrat ou de la convention conclue si l'opérateur d'infrastructures ne respecte pas ses obligations. Cette disposition est d'ordre public.
3. La position de la commission : une volonté bienvenue de simplification, mais dont il est nécessaire de mieux connaître les impacts et qui doit être approfondie
3.1. Une suppression précipitée du pouvoir de retirer la décision autorisant ou ne s'opposant pas à l'implantation d'antennes de radiotéléphonie mobile faute de bilan de l'expérimentation menée à ce sujet
La commission partage l'objectif du Gouvernement d'assurer la sécurité juridique des projets d'implantation d'antennes-relais, et ainsi d'en réduire le coût et d'en accélérer le déploiement sur le territoire.
Elle n'est cependant pas favorable à la suppression de la possibilité pour l'autorité administrative compétente, à savoir les maires ou, selon les cas, les présidents d'EPCI, de retirer les décisions d'urbanisme autorisant ou ne s'opposant pas à l'implantation d'antennes de radiotéléphonie mobile avec leurs systèmes d'accroche et leurs locaux et installations techniques.
En effet, cette disposition vise à pérenniser une expérimentation, introduite par l'article 222 de la loi « ÉLAN », qui était applicable jusqu'au 31 décembre 2022.
Certes, ce dispositif va dans le sens de la sécurisation du déploiement des réseaux mobiles, mais, contrairement à ce que la loi ÉLAN prévoyait, aucun bilan de l'expérimentation n'a été réalisé par le Gouvernement et remis au Parlement. La commission regrette vivement que ce bilan n'ait pas été effectué. Comme l'a indiqué l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca) au rapporteur, « les modifications apportées dans le projet de loi ébranlent une démarche qui semblait de nature à mieux appréhender l'impact réel d'une telle simplification, en permettant éventuellement de revenir sur un tel régime dérogatoire si les résultats n'apportaient pas les gains avancés ».
Cette expérimentation, mise en oeuvre entre 2018 et 2022, a entraîné un changement de régime juridique, suivi d'un deuxième au 1er janvier 2023, avec le retour au cadre juridique en vigueur avant l'expérimentation. Ce projet de loi pourrait aboutir à un troisième changement : il en résulte une instabilité de la norme de droit -- contradictoire avec l'objectif de simplification --, qui aurait pu être évitée si le Gouvernement avait mené un bilan de l'expérimentation dans les temps et en avait tiré les conséquences nécessaires avant le 31 décembre 2022.
La commission s'interroge donc sur la pertinence d'avoir recouru à une expérimentation si les résultats de cette dernière n'ont pas été analysés. L'Avicca a ainsi indiqué au rapporteur qu'elle « n'est malheureusement absolument pas en mesure de mesurer l'impact du dispositif expérimental de la loi ÉLAN, faute de données objectivement exploitables communiquées ».
Il n'est pas de bonne pratique de supprimer de façon pérenne une prérogative dont bénéficient les élus locaux, sans que les effets de cette mesure n'aient fait l'objet d'une véritable évaluation. Pour l'Avicca, « il appartient au pouvoir exécutif de donner à ses services centraux et déconcentrés les moyens pour mener à bien les travaux nécessaires à un rapport demandé par le Parlement, surtout quand celui-ci touche à une prérogative participant à un principe constitutionnel, la libre administration des collectivités territoriales ».
La commission souligne par ailleurs le caractère incomplet de l'étude d'impact, qui, comme le Conseil d'État l'a noté dans son avis au présent projet de loi, ne précise pas le nombre de retraits susceptibles d'être empêchés par cette mesure.
En outre, la commission doute de la portée de ce dispositif introduit par la loi ÉLAN, au regard des éléments communiqués lors des travaux préparatoires des rapporteurs : depuis le 1er janvier 2023, seuls 3 % des décisions de non-opposition ou d'autorisation concernant des antennes de téléphonie mobile auraient fait l'objet d'un retrait.
Ainsi, alors qu'il est nécessaire, dans le cadre d'un projet de loi de simplification, de légiférer avec la plus grande prudence afin que les mesures prises n'aient pas l'effet inverse des objectifs voulus, le Gouvernement demande au Parlement de légiférer dans l'urgence et sans bénéficier d'une information suffisante, faute de disposer d'un bilan de l'expérimentation et d'une étude d'impact complète.
Par conséquent, en l'espèce et, à titre conservatoire, tant que le bilan de l'expérimentation n'a pas été formellement remis au Parlement, il n'est donc pas opportun de pérenniser le dispositif qui était prévu par la loi ÉLAN, visant à empêcher le retrait des décisions d'urbanisme favorables à l'implantation d'antennes-relais.
Suivant les orientations du rapporteur, la commission a donc adopté cinq amendements identiques (COM-233, COM-335, COM-129, COM-365, COM-370) supprimant les quatre premiers alinéas de l'article 17.
3.2. Un renforcement bienvenu du dispositif de lutte contre la spéculation foncière liée aux antennes-relais sous réserve de nécessaires ajustements
Pour la commission, le dispositif proposé, qui a pour objectif d'assurer une meilleure effectivité de l'article L. 34-9-1-1 du code des postes et des communications électroniques, répond à l'objectif d'intérêt général d'assurer une couverture numérique exhaustive du territoire et de lutter contre les « zones blanches » tout en évitant l'apparition d'infrastructures redondantes.
Une telle redondance porterait en effet atteinte à la préservation de l'environnement et irait en particulier à l'encontre de l'objectif de « zéro artificialisation nette » des sols. L'Arcep a indiqué au rapporteur que ce dispositif « contribuera à s'assurer d'un maintien de la couverture numérique en cas de changement de l'occupant de l'emplacement ».
La commission a adopté quatre amendements du rapporteur clarifiant et renforçant l'effectivité du dispositif prévu au IV de l'article 17.
Pour la commission, il est nécessaire de renforcer l'effectivité de l'article 17, afin qu'il prenne en compte la situation existante, et pas uniquement les contrats futurs. La commission a donc adopté deux amendements identiques du rapporteur et de Patrick Chaize (COM-339 et COM-138) qui prévoient que les maires sont bien informés de l'existence des contrats et conventions conclus avant l'entrée en vigueur du texte, mais qui n'ont pas encore pris effet.
Certains contrats portant sur des emplacements accueillant actuellement des infrastructures de téléphonie mobile ont en effet été conclus en avance de phase par rapport à l'échéance du contrat actuellement en vigueur et ne prendront effet que dans plusieurs mois, voire plusieurs années. Il est donc essentiel de veiller à ce que les maires et présidents d'EPCI concernés soient bien informés de la conclusion de ces contrats ainsi que de l'engagement d'un opérateur mobile d'exploiter cette infrastructure. Une telle garantie permettrait de mieux prévenir la survenance de nouvelles zones blanches de téléphonie mobile dans les prochaines années.
La commission a précisé que la nullité des contrats ou des conventions liant l'opérateur d'infrastructures au propriétaire de l'emplacement en cas de non-respect du dispositif est absolue et de plein droit pour les contrats ou conventions portant sur des terrains accueillant actuellement des infrastructures mobiles passives (amendement COM-342 du rapporteur). L'objectif d'intérêt général de cette précision est d'éviter des démontages évitables d'infrastructures, et donc l'apparition de nouvelles zones blanches.
La commission a également cherché à simplifier le dispositif en prévoyant que l'attestation d'engagement d'un opérateur de téléphonie mobile n'a pas à être fournie systématiquement par cet opérateur lui-même (amendement COM-341 du rapporteur). Si l'opérateur d'infrastructures dispose d'un tel document (par exemple un contrat le liant avec un opérateur mobile), il n'apparaît pas nécessaire de solliciter un autre document auprès de l'opérateur mobile.
Afin d'assurer la clarté et la proportionnalité du dispositif, la commission a adopté un amendement (COM-337) précisant son champ d'application, qui porte uniquement sur les infrastructures destinées à la téléphonie mobile, et non à l'ensemble des communications électroniques. La commission a également clarifié la rédaction du dispositif en remplaçant la notion d'« emplacement destiné à accueillir une nouvelle infrastructure » par celle, plus précise, d' « emplacement n'accueillant plus et n'ayant pas déjà accueilli une telle infrastructure et destiné à en accueillir une nouvelle ».
3.3. La nécessité de mieux appréhender la réalité des conditions tarifaires liant les opérateurs d'infrastructures et les propriétaires des terrains
Les conditions tarifaires dans lesquelles les opérateurs d'infrastructures louent des terrains sur lesquels sont déployées les antennes mobiles sont hétérogènes en fonction des territoires. Des situations dans lesquelles le prix est anormalement bas, fréquemment au détriment de collectivités territoriales qui possèdent l'emplacement, ont été portées à la connaissance du rapporteur.
Afin de répondre à cette problématique, la commission a adopté deux amendements identiques du rapporteur et de Patrick Chaize (COM-139, COM-345) qui prévoient que l'Arcep recueille des informations à ce sujet, de sorte que les propriétaires, notamment les collectivités territoriales, disposent d'informations sur le montant du loyer qu'elles peuvent légitimement attendre en fonction de l'état du marché.
3.4. La nécessité de simplifier le cadre d'installation des antennes-relais en zone littoral
L'installation d'antennes-relais en zone littorale est soumise au principe de continuité du bâti. En application de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, en effet, « L'extension de l'urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement ».
Le Conseil d'État a considéré que cette disposition était applicable aux antennes-relais : « le législateur a entendu ne permettre l'extension de l'urbanisation dans les communes littorales qu'en continuité avec les agglomérations et villages existants et a limitativement énuméré les constructions, travaux, installations ou ouvrages pouvant néanmoins y être implantés sans respecter cette règle de continuité. L'implantation d'une infrastructure de téléphonie mobile comprenant une antenne-relais et ses systèmes d'accroche ainsi que, le cas échéant, les locaux ou installations techniques nécessaires à son fonctionnement n'est pas mentionnée au nombre de ces constructions. Par suite, elle doit être regardée comme constituant une extension de l'urbanisation soumise au principe de continuité avec les agglomérations et villages existants »154(*).
Or, ce cadre spécifique peut rendre complexe -- et même parfois impossible -- l'installation d'antennes, ce qui peut empêcher d'assurer la couverture mobile de certaines zones. Par conséquent, la couverture de certaines « zones blanches » identifiées dans le cadre du dispositif du New Deal Mobile ne peut pas être assurée, en contradiction avec les objectifs de ce plan. La Fédération française des télécoms (FFT) a indiqué au rapporteur que la construction d'installations est bloquée sur environ 200 sites à la suite de la prise par l'autorité administrative d'arrêtés s'opposant à la déclaration préalable en vue de l'implantation des infrastructures en application de la loi littoral. Elle a également indiqué que les déclarations préalables n'ont pas été déposées sur 584 sites pour les mêmes raisons. En comparaison, selon la FFT, 1064 sites en cours de déploiement rencontreraient des difficultés d'implantation non liées à la loi littoral.
Afin de répondre à cette difficulté, la commission a adopté un amendement (COM-140) déposé par Patrick Chaize tendant mettre en oeuvre une expérimentation de dérogation au principe de continuité du bâti défini par la loi littoral dans les communes volontaires dont tout ou partie du territoire est situé dans une zone identifiée dans le cadre du New Deal Mobile jusqu'au 31 décembre 2028. Un bilan de cette expérimentation devra être réalisé avant le 1er septembre 2028.
La commission a adopté l'article 17 ainsi modifié.
Article 18
Simplifier la
mise en oeuvre des mesures de compensation
des atteintes à la
biodiversité
Cet article vise à simplifier la mise en oeuvre des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité prévues dans le cadre de la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC), dans l'objectif de favoriser un démarrage plus rapide des projets. Le code de l'environnement exige à l'heure actuelle une mise en oeuvre effective de ces mesures pendant toute la durée des atteintes, c'est-à-dire dès le démarrage des travaux. Or, dans les cas de figure où la mise en oeuvre des compensations environnementales s'avère longue et complexe, cette règle peut conduire à retarder la réalisation des projets, notamment industriels. En conséquence, le présent article propose de permettre, lorsque cela est approprié, un décalage temporel de la mise en oeuvre de ces mesures. Sur proposition du rapporteur, la commission spéciale a sécurisé le dispositif en encadrant plus précisément le recours à cette dérogation.
1. Compensation des atteintes à la biodiversité : une mise en oeuvre strictement encadrée dans le temps, susceptibles de ralentir la réalisation des projets d'aménagement
1.1. La compensation des atteintes à la biodiversité : le « dernier maillon » de la séquence « éviter, réduire, compenser »
En 2016, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages155(*) - dite « loi biodiversité » - a introduit dans le code de l'environnement une obligation de prévention et de correction des atteintes à la biodiversité. Ce principe, inscrit à l'article L. 110-1, se décline en trois temps (2° du II) : il implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées. Il est précisé qu'il « doit viser un objectif d'absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité ».
Ces trois étapes composent la séquence « éviter, réduire, compenser » (dite séquence « ERC ») ainsi consacrée, selon laquelle la compensation des atteintes à la biodiversité ne doit intervenir qu'en dernier recours, après avoir mis en oeuvre toutes les mesures d'évitement et de réduction envisageables.
Ainsi que le rappelle l'étude d'impact du projet de loi, le droit de la compensation environnementale, consacré dès 1976, résulte de l'agrégation de différents régimes de protection de l'environnement, introduits à partir des années 1990 sous l'influence du droit européen. Ainsi, les projets d'aménagement concernés par l'obligation de compensation sont ceux soumis à évaluation environnementale (article L. 122-1 du code de l'environnement), au régime Natura 2000 (articles L. 414-4 à L. 414-7 du même code), aux régimes relatifs aux espèces protégées (articles L. 411-1 à L. 411-3), à l'eau (L. 214-1 à 214-11), au défrichement (articles L. 341-1 à L. 342-1) et, plus généralement, les projets soumis au principe d'action préventive et de correction prévu à l'article L. 110-1 du code de l'environnement.
En pratique, lorsqu'un projet est soumis à la réalisation d'une étude d'impact, la séquence « ERC » doit être anticipée dès cette étape. L'étude d'impact produite par le maître d'ouvrage doit en effet comporter « une description des caractéristiques du projet et des mesures envisagées pour éviter les incidences négatives notables probables sur l'environnement, réduire celles qui ne peuvent être évitées et compenser celles qui ne peuvent être évitées ni réduites » (article L. 122-3 du code de l'environnement). La décision de l'autorité compétente d'autoriser un projet prend en considération cette étude d'impact et « précise les prescriptions que devra respecter le maître d'ouvrage ainsi que les mesures er caractéristiques du projet destinées à éviter les incidences négatives notables, réduire celles qui ne peuvent être évitées et compenser celles qui ne peuvent être réduites » (article L. 122-1-1 du même code).
1.2. Un encadrement temporel strict : l'obligation de mettre en oeuvre les mesures de compensation dès le début des travaux
Les règles encadrant la mise en oeuvre des mesures de compensation environnementale sont fixées par le chapitre III du titre VI du livre Ier du code de l'environnement (articles à 163-1 A à L. 163-5).
Le I de l'article L. 163-1 dispose que les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité :
- visent un objectif d'absence de perte nette, voire de gain de biodiversité ;
- doivent se traduire par une obligation de résultats ;
- ne peuvent pas se substituer aux mesures d'évitement et de réduction.
Surtout, il est indiqué que ces mesures doivent être effectives pendant toute la durée des atteintes à la biodiversité.
Le II de cet article précise les trois modalités de mise en oeuvre de ces mesures :
- une mise en oeuvre directement par la personne soumise à cette obligation ;
- une mise en place par un opérateur de la compensation - qui peut être une personne publique ou privée, à travers la conclusion d'un contrat avec la personne soumise à l'obligation ;
- l'acquisition d'unités de compensation, de restauration ou de renaturation dans le cadre d'un site naturel de compensation, de restauration et de renaturation, définis à l'article L. 163-1 A introduit par la loi de 2023 relative à l'industrie verte156(*).
Ces modalités de compensation environnementales peuvent être mises en oeuvre de façon alternative ou cumulative.
Il est également précisé que les mesures de compensation doivent respecter un principe de proximité : leur mise en oeuvre doit se faire en priorité sur le site endommagé ou, à défaut, « en proximité fonctionnelle avec celui-ci afin de garantir ses fonctionnalités de manière pérenne ».
1.3. En l'état actuel des choses, un cadre juridique jugé trop rigide, à l'origine de retards dans la réalisation des projets
Le principe selon lequel les mesures de compensation environnementale doivent être « effectives pendant toute la durée des travaux » impose qu'elles soient mises en oeuvre dès le début des travaux d'aménagement, afin d'éviter toute perte nette de biodiversité.
Or, ainsi que le souligne l'étude d'impact, une mise en oeuvre anticipée des mesures de compensation est souvent difficile, en particulier pour les projets d'aménagement d'envergure. Les projets d'ampleur sont en effet souvent soumis à plusieurs régimes de compensation, ce qui induit une accumulation de procédures d'autorisation, le plus souvent auprès d'autorités administratives différentes.
À cette complexité administrative s'ajoute la tension foncière, qui rend souvent difficile l'identification des terrains nécessaires à la réalisation des mesures de compensation par les porteurs de projet. L'étude d'impact indique que cette situation « peut entraîner des retards importants dans la mise en oeuvre des projets, plans ou programmes concernés », et que ces retards sont « susceptibles d'entraîner un coût économique important pour les porteurs et de ce fait impactent la réalisation des projets et l'attractivité française ».
Remis en janvier 2022, le rapport de Laurent Guillot intitulé « Simplifier et accélérer les implantations d'activités économiques en France »157(*) souligne la difficulté, pour les porteurs de projet, d'anticiper les enjeux de compensation environnementale.
D'une part, il indique que « les porteurs de projet n'obtiennent qu'à un stade avancé du projet l'assurance de l'acceptation par l'administration des mesures compensatoires qu'ils proposent » et qu'ils font face à « une certaine hétérogénéité en matière d'élaboration des règles de compensation (en particulier des ratios de compensation) d'un service instructeur à l'autre, limitant la prévisibilité de l'arbitrage rendu ».
D'autre part, le principe de proximité fonctionnelle accroît la concurrence entre les usages, dans un contexte de raréfaction du foncier disponible.
Partant de ces constats, le rapport Guillot formule plusieurs propositions pour mieux anticiper, harmoniser et flexibiliser les mesures de compensation environnementale, notamment :
- renforcer la séquence « ERC » afin de rendre les mesures de compensation plus résiduelles, en mettant à disposition du porteur de projet une information détaillée sur les risques environnementaux auxquels l'expose son projet et en lui proposant, le cas échéant, des sites d'implantation alternatifs ;
- développer les possibilités de mise en oeuvre anticipée des mesures de compensation environnementale, en accroissant l'offre des sites naturels de compensation, devenus depuis la loi « industrie verte » de 2023 des sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation ;
- harmoniser les méthodes de calcul des mesures de compensation, en diffusant davantage le guide visant à « Mettre en oeuvre une approche standardisée du dimensionnement de la compensation élaboré par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), le commissariat général au développement durable (CGDD) et l'office français de la biodiversité (OFB) en juin 2021 ;
- privilégier une approche souple du principe de « proximité » pour les grands ports maritimes, en autorisant la mise en oeuvre de mesures de compensation dans un périmètre plus large que le foncier détenu par le port, afin de préserver leur capacité de développement et de mieux tirer parti de l'attractivité industrielle et logistique de ces sites. Sur ce point, la loi « industrie verte » de 2023 a apporté une évolution bienvenue en précisant, à l'article L. 163-1 du code de l'environnement, que le principe de proximité s'entend d'un point de vue fonctionnel : le caractère approprié d'un site de compensation s'apprécie donc au regard du fonctionnement des composantes des milieux naturels qui sont affectés158(*), et non selon un strict critère de distance géographique.
2. L'assouplissement du calendrier de mise en oeuvre des compensations environnementales pour les maîtres d'ouvrage
L'article 18 du projet de loi vise à modifier l'article L. 163-1 du code de l'environnement, de manière à permettre un assouplissement des délais de mise en oeuvre des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité par les porteurs de projets d'aménagement.
Il est proposé de modifier le second alinéa de l'article L. 163-1 du code de l'environnement pour autoriser des « pertes nettes intermédiaires » à titre dérogatoire, lorsqu'il n'est pas possible de les éviter dès le début des atteintes. Cette dérogation est toutefois encadrée :
- d'une part, ces pertes nettes intermédiaires éventuelles ne pourront être que temporaires et devront être compensées « dans un délai raisonnable ». L'étude d'impact du projet de loi précise que ce délai sera défini « par voie d'instruction aux services ». Le Commissariat général au développement durable (CGDD) a indiqué, lors des travaux préparatoires, que ce délai « devra prendre en compte l'état initial du site qui accueillera la compensation, la difficulté de mise en oeuvre des mesures envisagées et le temps de maturation de celles-ci. » ;
- d'autre part, l'objectif d'absence de perte nette, voire de gain de biodiversité, inscrit à l'article L. 100-1 du code de l'environnement, devra toujours être respecté, tout en étant appréhendé à une échelle temporelle plus souple (« à terme »).
Ainsi que le précise l'étude d'impact, l'objectif est « un démarrage plus rapide des projets dans le cas où la mise en place préalable des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité [...] s'avère complexe en termes de disponibilité ou de maîtrise foncière et longue à mettre en oeuvre ». La direction générale des entreprises (DGE) indique que « la mesure vise à permettre que la compensation se fasse effectivement mais dans un cadre temporel raisonnable adapté aux besoins du projet comme aux enjeux de biodiversité. »
En tout état de cause, le plan de compensation devra quant à lui toujours être présenté et validé avant le début des travaux, dans la mesure où il s'attache à l'autorisation administrative nécessaire au lancement du projet.
Bien que cela ne soit pas mentionné dans l'étude d'impact du projet de loi, la rédaction proposée par l'article 18 vise en outre à supprimer « l'obligation de résultats » qui figure aujourd'hui à l'article L. 163-1 du code de l'environnement.
3. Une mesure de simplification bienvenue qui permettra d'accélérer la réalisation des projets, en maintenant les exigences de qualité de la compensation environnementale
La commission spéciale a accueilli favorablement le dispositif proposé par cet article, qui devrait permettre d'accélérer la réalisation des projets, plans ou programmes par les entreprises, notamment industrielles.
L'étude d'impact évalue à « plusieurs mois » le temps ainsi gagné pour la réalisation de projets à fort impact économique. Plus encore, sur certains sites sur lesquels la mise en oeuvre des mesures de compensation peut s'avérer particulièrement complexe du fait de l'enchevêtrement des régimes de compensation et de la rareté du foncier notamment dans les zones industrialo-portuaires , cet assouplissement « éviterait la dissuasion de l'installation de nombreux projets par crainte d'enlisement des délais dans la mise en oeuvre des plans de compensation, sans pour autant réduire la qualité de celle-ci ».
Ce dispositif, dans son objectif, pourrait s'avérer complémentaire de l'article 15 de la loi « Industrie verte » de 2023, qui a remplacé les « sites naturels de compensation » (SNC) par des « sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation » (SNCRR). Le dispositif des SNC, qui permettent de réaliser des compensations environnementales de manière anticipée159(*), était jusqu'à alors très peu mis en oeuvre (seul un SNC était agréé en 2023 selon le Gouvernement). Tout en conservant l'esprit de ce dispositif, la loi « industrie verte » a élargi les fonctionnalités de ces sites au-delà de la mise en oeuvre de la séquence « ERC » afin de renforcer leur modèle financier et, ainsi, d'encourager leur déploiement.
L'article 18 du projet de loi devrait permettre, hors SNCRR, de ne pas retarder le lancement des projets lorsque les mesures de compensation ne peuvent être mises en oeuvre de façon immédiate. Cela semble d'autant plus opportun que le développement de l'offre de SNCRR nécessitera certains délais et qu'elle ne couvrira vraisemblablement pas toute la demande de compensation.
Au cours des travaux préparatoires, la suppression de l'obligation de résultats des mesures de compensation environnementale, prévue par l'article 18, a suscité des interrogations voire des inquiétudes auprès de certains acteurs.
L'Office français de la biodiversité (OFB) considère notamment que cette obligation « s'impose au regard des incertitudes qu'accompagnent toujours la mise en oeuvre de travaux de génie écologique. Le risque d'échec est bien connu des experts en charge de la restauration ou renaturation des milieux naturels, au point qu'il est intégré dans la majorité des méthodes internationales de dimensionnement de la compensation » et que « supprimer cette obligation de résultat empêcherait toute possibilité d'ajuster le génie écologique mis en oeuvre en cas d'absence de résultat ou d'objectifs non atteints ou partiellement atteints. »
Interrogé à ce sujet, le CGDD a néanmoins précisé que ce retrait visait à apporter de la souplesse dans la mise en oeuvre des mesures de compensation, notamment quand celle-ci est étalée dans le temps et que, en tout état de cause, « ce retrait ne vise en aucune façon à permettre que ces mesures ne soient pas pleinement et de manière satisfaisante mises en oeuvre ». La DGE souligne en outre la difficulté à anticiper les résultats des mesures de compensation environnementale, compte tenu de la complexité des travaux de génie écologique. Dans ce contexte, l'obligation de résultats peut être source de rigidités et d'incertitudes pour les porteurs de projet. Elle précise que « l'écriture ne vise en aucune façon à permettre que ces mesures ne soit pas effectivement mises en oeuvre de manière satisfaisante et dans le respect des obligations de compensation prescrites au porteur de projet. »
La commission a validé l'article 18, assorti d'un amendement, sur la proposition du rapporteur, visant à mieux encadrer le dispositif proposé.
Si le dispositif initial prévoit que les mesures de compensation environnementale visent à éviter les pertes nettes de biodiversité pendant toute la durée des atteintes, il ouvre la possibilité, « à défaut », de compenser dans un délai raisonnable d'éventuelles pertes nettes intermédiaires. Or, les critères pouvant justifier de retarder la mise en oeuvre des mesures de compensation ne sont pas précisés dans l'article, ce qui peut induire une large marge d'appréciation pour les porteurs de projet. Ainsi que l'a relevé l'OFB, la rédaction initiale pourrait ainsi conduire à réduire « la portée normative de l'obligation de compensation en admettant qu'elle puisse être repoussée pour des motifs autres que ceux liés à la faisabilité des mesures de compensation ».
Dès lors, l'amendement COM-347 vise à préciser les motifs permettant de justifier un décalage dans le temps de la mise en oeuvre des mesures de compensation : il s'agit de ceux, mentionnés dans l'étude d'impact, liés à la longueur et à la complexité de la mise en oeuvre des mesures de compensation, notamment du fait de difficultés à mobiliser du foncier. Cette modification permet de mieux sécuriser juridiquement le dispositif et de faciliter le travail des services instructeurs, tout en préservant l'objectif de simplification visé.
La commission a adopté l'article 18 ainsi modifié.
* 114 Cogent Communications, Covage, Data4, OVHCloud, Interxion, Equinix, IBM, Euclyde, SFR, Opcore, Telehouse et Orange Business Services, etc.
* 115 Rapport n° 736 (2022-2023) relatif au projet de loi relatif à l'industrie verte, déposé le 14 juin 2023 au nom de la commission des affaires économiques.
* 116 Article L. 300-6-2 du code de l'urbanisme.
* 117 Article L. 321-6 du code de l'énergie.
* 118 Article L. 342-3 du code de l'énergie.
* 119 Article L. 321-7 du code de l'énergie.
* 120 Articles 27 et 28 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables.
* 121 Article 16 de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages.
* 122 Article L. 411-2-1 du code de l'environnement.
* 123 Annexe A, point 2.6.3.1.16 du règlement (CE) No 1099/2008 du Parlement et du Conseil, du 22 octobre 2008, concernant les statistiques de l'énergie.
* 124 Rapport d'information n° 755 (2021-2022), déposé le 6 juillet 2022 par Mmes Sophie Primas, Amel Gacquerre et par M. Franck Montaugé, au nom de la commission des affaires économiques du Sénat.
* 125 Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics (article 33).
* 126 Loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises (articles 42 et 58).
* 127 Ainsi que les autorités concédantes.
* 128 Soit leur activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur ; soit leur gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur ; soit leur organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur.
* 129 L'article L. 1212-3 du code de la commande publique fait figurer parmi les activités de réseaux « la mise à disposition, l'exploitation ou l'alimentation de réseaux fixes destinés à fournir un service au public dans le domaine de la production, du transport ou de la distribution d'électricité ».
* 130 L'article L. 1212-4 du code de la commande publique exclut des activités de réseaux « l'alimentation en électricité des réseaux destinés à fournir un service au public par une entreprise publique ou un organisme de droit privé bénéficiant de droits spéciaux ou exclusifs, lorsque sont réunies les deux conditions suivantes : a) la production d'électricité par l'entité concernée est rendue nécessaire par une activité autre que celles mentionnées à l'article L. 1212-3 ; b) la quantité d'électricité utilisée pour l'alimentation du réseau public ne dépasse pas 30 % de la production totale d'énergie de l'entité en prenant en considération la moyenne de l'année en cours et des deux années précédentes ».
* 131 Ne sont pas considérés comme des droits spéciaux ou exclusifs les droits d'exclusivité accordés à l'issue d'une procédure permettant de garantir la prise en compte de critères objectifs, proportionnels et non discriminatoires.
* 132 Loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte (article 26).
* 133 Loi n° 2024-450 du 21 mai 2024 relative à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire (article 22).
* 134 Ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018 portant partie législative du code de la commande publique (annexe).
* 135 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (article 38).
* 136 Loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance (articles 11 à 14-1).
* 137 Cet alinéa dispose : « Lorsque le maître de l'ouvrage recourt à un crédit spécifique pour financer les travaux, l'établissement de crédit ne peut verser le montant du prêt à une personne autre que celles mentionnées au 3° de l'article 1779 tant que celles-ci n'ont pas reçu le paiement de l'intégralité de la créance née du marché correspondant au prêt. Les versements se font sur l'ordre écrit et sous la responsabilité exclusive du maître de l'ouvrage entre les mains de la personne ou d'un mandataire désigné à cet effet. »
* 138 Cet article dispose : « Lorsque le délégant est débiteur du délégataire mais que celui-ci ne l'a pas déchargé de sa dette, la délégation donne au délégataire un second débiteur. Le paiement fait par l'un des deux débiteurs libère l'autre, à due concurrence. »
* 139 Loi n° 71-584 du 16 juillet 1971 tendant à réglementer les retenues de garantie en matière de marchés de travaux définis par l'article 1779-3° du code civil.
* 140 Il est précisé que les dispositions « ne s'appliquent pas à la personne physique construisant un logement pour l'occuper elle-même ou le faire occuper par son conjoint, ses ascendants, des descendants ou ceux de son conjoint » mais qu'elles « s'appliquent aux contrats de sous-traitance industrielle ».
* 141 Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE.
* 142 Directive 2014/25/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE.
* 143 Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE.
* 144 Directive 2014/25/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE.
* 145 L'article 58 de la loi n°2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance a soumis les installations de production d'énergie renouvelable en mer et leurs ouvrages de raccordement aux réseaux publics d'électricité à étude d'impact (article L. 181-28-1 du code de l'environnement).
* 146 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat (article 1er).
* 147 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (article 93).
* 148 Loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte (article 26).
* 149 Loi n° 2024-450 du 21 mai 2024 relative à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire (article 22).
* 150 Décision n° 2024-868 DC du 17 mai 2024.
* 151 Conclusions sous CE 27 mai 1949, Véron-Réville
* 152 Décision n° 2011-141 QPC du 24 juin 2011
* 153 CE, 11 décembre 2019, Commune de Locronan
* 154 Conseil d'État, décision n° 449840, 11 juin 2021.
* 155 Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
* 156 Loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte.
* 157 Rapport de Laurent Guillot intitulé « Simplifier et accélérer les implantations d'activités économiques en France ».
* 158 En pratique, les mesures de compensation doivent bénéficier aux populations d'espèces ou remplir des fonctions dans la même entité écologique (réseau d'habitats naturels ou bassin versant par exemple) que le site concerné par le projet.
* 159 Ces sites étaient dédiés à la réalisation d'opérations de restauration de la biodiversité ; le gain écologique induit devait ensuite être identifié par des unités de compensation, susceptibles d'être acquises par des porteurs de projet.