ESPACE SANTÉ TRANS (PARIS)

Questions générales

1. À votre connaissance, dans quelles conditions les mineurs en questionnement de genre sont-ils aujourd'hui pris en charge (en établissement de santé ou en ambulatoire, spécialités médicales consultées, thérapies prescrites, conditions d'accès aux soins, etc.) ?

Pour ce qui concerne les mineurs en questionnement de genre à proprement parler, ils et elles n'ont pas vocation à être pris en charge : le questionnement de genre en tant que tel n'appelle en effet aucune intervention systématique. La terminologie employée dans le rapport du groupe de travail mené par la sénatrice Eustache-Brinio et dans le texte de la proposition de loi entretient en ce sens une confusion : il faut en effet distinguer les personnes en questionnement de genre des personnes trans. Dans la majorité des cas, les mineurs trans ne font pas non plus l'objet d'une prise en charge spécifique, dans la mesure où la grande majorité d'entre elles et eux réalisent des transitions sociales : exploration cosmétique, vestimentaire, changement éventuel de prénoms et pronoms, qui ne demandent pas d'intervention médicale ou thérapeutique. Il est estimé en France qu'entre 0.8 et 2 % des mineurs trans bénéficient d'un accès effectif au soin, principalement auprès d'unités spécialisées et via la plateforme Trajectoires Jeunes Trans

2. L'Académie nationale de médecine appelait, en 2022, à une « grande prudence médicale » dans la prise en charge des enfants et adolescents, compte tenu de leur vulnérabilité psychologique et des effets indésirables importants des traitements disponibles.

a. Quel regard portez-vous sur ces recommandations ?

L'Académie suppose dans son texte l'existence de formes “transitoires” de dysphorie de genre. Elle se base sur ce point sur une hypothèse non-documentée d'une médecin américaine, sur la base d'un sondage d'opinions auprès d'une organisation anti-trans. Notre expérience sur le terrain, ainsi que l'écrasante majorité des données scientifiques, vont à l'encontre de cette hypothèse. La prudence incite à la rejeter, dans la mesure où elle n'a pas été documentée.

Pour ce qui concerne le sujet des vulnérabilités psychologique, nous ne pouvons pas cautionner les postulats de l'Académie nationale de médecine sur ce sujet. Le document de l'Académie nationale de médecine réalisait cet appel sur la base de ce qui nous apparaît comme une confusion entre comorbidité et causalité. Depuis de nombreuses années, les organisations et experts de la santé trans ont rappelé l'existence de comorbidités entre plusieurs formes de neuroatypie et de problèmes liés à la santé mentale d'une part, et de transidentité de l'autre. Dans le premier cas, le lien entre autisme, parmi d'autres formes de neuroatypie, et transidentité, est publiquement décrit par les associations et experts depuis longtemps.

Dans d'autres cas, contrairement à ce que laissait entendre l'Académie, c'est bien par l'effet de maltraitances envers les personnes trans que se développent certaines pathologies, comme la dépression, l'angoisse, etc. Nous ne voyons pas en quoi prévenir la transition fait autre chose dans ces cas-là que de rajouter de la répression à de la répression, et donc du trauma au trauma. La prudence inciterait dès lors à ne pas rejeter la transition par principe, comme le fait le texte.

Les textes cités par l'Académie se basent ici sur une autre mécompréhension, issu notamment de la psychanalyse : l'autisme, comme d'autres formes de neuroatypie, n'est pas une “pathologie” à “soigner”, c'est une forme de la cognition, qui ne devrait pas intrinsèquement être utilisé comme prétexte à une mise sous tutelle des personnes concernées. Les thérapies dites “exploratoires”, qui visent à promouvoir le fait d'identifier et déconstruire le “trauma” supposé à l'origine de l'incongruence de genre, n'ont jamais fait leurs preuves, contrairement aux thérapies consistant à accompagner les personnes trans dans la détermination de leurs identités, souffrances et besoins, tout en accompagnant et en traitant leurs traumas et problèmes existants. La prudence incite ici encore à rejeter les méthodes expérimentales au profit de méthodes ayant fait leurs preuves empiriquement. Ces dernières sont généralement comprises sous l'étiquette “méthodes affirmatives”.

b. Les conditions actuelles de prise en charge et de prescription vous paraissent-elles respecter ce principe de prudence ? Pourriez-vous détailler votre réponse ?

Des conditions basées sur le principe de prudence seraient fixées sur plusieurs critères minimaux : le respect du consentement éclairé et de la bonne information des patients, un suivi individualisé, une exclusion de considérations idéologiques dans la décision de prescription, une formation et des ressources suffisantes de la part des médecins. En ce qui concerne le consentement, la bonne information, et le suivi individualisé, nous observons sur le terrain des progrès notables, via notamment la compréhension des diversités de besoins et de profils de personnes trans. Les deux derniers points nous semblent cependant compromis : d'abord la multiplication de groupes de pression directe et indirecte sur les médecins conduit à un risque d'idéologisation de leurs pratiques. Grâce au travail des organisations trans et de journaux comme Mediapart, il est documenté que des groupes comme Ypomoni ou l'Observatoire de la Petite Sirène mobilisent des méthodes proches de celles des mouvements anti-avortement pour mettre publiquement et en privé les praticiens sous pression, afin de les contraindre à rediriger les personnes vers des thérapies expérimentales, dites “exploratoires”, proches ou assimilables aux pratiques de conversion interdites par la loi. En ce qui concerne la formation et les ressources, nous constatons un risque de dérive proche de celui existant par exemple au Royaume-Uni : actuellement la durée d'attente pour une première consultation à la Pitié-Salpêtrière est d'un an et demi, que le traitement recherché soit hormonal ou psychologique. La réalité de la prise en charge ne peut pas dans de telles conditions être déterminée par les besoins individuels des patients, mais aussi par le manque de ressources.

Nous ne sommes pas aux niveaux de dérives existantes chez nos voisins britanniques (où elles peuvent en certains endroits atteindre vingt ans d'attente estimée), mais la situation est préoccupante dans la mesure où des cas de suicide de mineurs en situation d'attente ont été rapportés dans ce pays dès avant que la situation n'y atteigne ses niveaux actuels. De ce fait, il nous semble que les conditions de prise en charge et de prescription ne remplissent pas le principe de prudence actuellement. Nous rappelons que la Haute Autorité de Santé, comme le Défenseur des Droits, ont déjà alerté sur le fait que de nombreuses personnes trans étaient victimes de déni de soin ou en rupture avec le système de santé, entre autres de ce fait.

3. La place de l'évaluation psychiatrique dans la prise en charge des personnes en questionnement de genre semble soulever des questions.

Alors que l'Académie recommande « un accompagnement psychologique aussi long que possible des enfants et adolescents exprimant un désir de transition », la Haute Autorité de santé (HAS) conduit actuellement des travaux destinés à « revoir la place de l'évaluation psychiatrique dans le processus de la réassignation sexuelle hormono-chirurgicale », pour tenir compte de sa « dépsychiatrisation ».

a. Quel regard portez-vous sur ces débats ?

En ce qui concerne l'Espace Santé Trans, il ne peut pas y avoir de “débat”, dans la mesure où le niveau de sérieux des travaux menés au sein des deux positions ne saurait être comparable. La note rendue par l'Académie nationale de médecine a été le résultat d'un travail rapide et, si l'on en croit la revue de la littérature citée par ce document, à la fois mal mené et biaisé : le manque de prise en compte des études scientifiques et l'incorporation sans regard critique de travaux comme celui de la Dr Littman, largement critiqués par la communauté scientifique, nous alertent. Par contraste, la Haute autorité de santé travaille au long cours avec une variété d'experts du sujet.

b. Une évaluation et un suivi psychologiques vous paraissent-ils devoir précéder toute transition médicale ? Leur importance vous semble-t-elle renforcée face à un patient mineur ?

Le suivi psychologique est utile et bénéfique aux patients trans de tout âge, comme à tout groupe social minoritaire et ayant tendance à être marqué par des expériences traumatiques. Il est essentiel que cette option soit accessible à tous et toutes. Il est non seulement superflu, mais contraire à cet objectif d'accès, que ce suivi soit une condition d'accès aux soins de transition, ne serait-ce que parce qu'historiquement les situations dans lesquelles cela a été le cas ont conduit à des pratiques de dissimulation des traumas de la part des patients trans vis-à-vis de leurs thérapeutes.

4. Plusieurs pays occidentaux ont récemment limité l'accès à l'hormonothérapie pour les mineurs, à l'initiative de leurs autorités sanitaires (Finlande, Suède, Royaume-Uni...) ou du législateur (nombreux États américains).

La voie de l'encadrement législatif de la prise en charge de la dysphorie de genre chez les mineurs vous semble-t-elle souhaitable ?

Il est factuellement incorrect de considérer que les restrictions britanniques, suédoise, et finlandaise n'ont pas été influencées par des considérations au moins aussi idéologiques que celles prises aux Etats-Unis, et nous rejetons cette distinction. Le législateur a vocation à être présent dans les questions de santé, mais nous craignons que ce fait soit prétexte à une politisation de la santé : le politique ne peut pas déterminer ce qui est scientifiquement vrai ou faux. Il ne peut pas, dès lors, supprimer l'existence des mineurs trans. L'intervention proposée par ce texte ne conduirait qu'à réprimer leurs droits, créant ainsi de nombreux effets pervers : incitation au développement de marchés noirs porteurs de risque, à la dissimulation de comorbidités et de pathologies, maintien au placard et développement des risques, notamment suicidaires, accompagnant une telle situation. Ce faisant, pour résoudre un problème imaginaire (une “épidémie sociale” de transitions non-documentée), cette décision reviendrait à en créer un réel. Par respect du principe de prudence, cette solution n'est pas souhaitable.

5. L'existence de regrets, de mal-être persistant voire de « détransition » peut poser la question du consentement éclairé des jeunes s'engageant dans le traitement médical d'un changement de genre. Constatez-vous dans vos réseaux une hausse de ces cas ou de ces questionnements parmi les personnes accompagnées et si oui quelles réponses y apportez-vous ?

La prise en compte des personnes en détransition est inscrite dans les statuts de l'EST depuis sa création, et nous avons récemment entrepris de renforcer nos actions et travaillons à créer des groupes de parole et de suivi spécifiques aux personnes détransitionneuses. Nous ne constatons cependant pas d'augmentation notable du nombre de détransitions chez les mineurs, pas plus que chez les majeurs, et constatons que la quasi-totalité des cas ne concerne pas des regrets, mais l'effet de pressions sociales. Ces considérations ne sont pas propres à l'EST : elles sont confirmées par les équipes de la Pitié Salpêtrière, qui n'ont enregistré qu'une détransition sur 239 cas suivis en trois ans, et par les études qui établissent entre 0.2 et 1 % de détransitions, majoritairement causées par des pressions et pas par des regrets. Nous constatons que les organisations anti-trans partagent, même si elles n'en parlent pas publiquement, notre constat : d'après les informations révélées par Mediapart, le groupe Ypomoni n'est par exemple en contact avec aucune personne en détransition en France.

Sur l'interdiction de prescription des bloqueurs de puberté et traitements hormonaux (article 1er)

6. Vous semble-t-il pertinent d'interdire, dans le cadre de la prise en charge de la dysphorie de genre, la prescription aux patients de moins de 18 ans :

a. De bloqueurs de puberté ?

Non. Cette décision serait contre-productive, irait contre le principe de prudence, et créerait comme l'a rappelé le Défenseur des droits une inégalité de traitement injustifiable vis-à-vis de la majorité des personnes à qui ces traitements sont prescrits (c'est-à-dire des mineurs cisgenres).

b. Des hormones du sexe opposé ?

Non. Cette décision serait contre-productive, irait contre le principe de prudence, et créerait comme l'a rappelé le Défenseur des droits une inégalité de traitement injustifiable vis-à-vis de la majorité des personnes à qui ces traitements sont prescrits (c'est-à-dire des mineurs cisgenres).

7. À votre connaissance, dans quelles conditions ces traitements sont-ils prescrits aujourd'hui aux mineurs en questionnement de genre ? Par quels professionnels de santé ?

À notre connaissance, ces traitements ne sont pas prescrits aux mineurs en questionnement de genre, dans la mesure où comme nous l'indiquions plus haut ces mineurs ne nécessitent aucun suivi spécifique. Ils peuvent être prescrits aux mineurs trans, par les mêmes endocrinologues qui prescrivent ces mêmes traitements aux mineurs cisgenres qui en ont besoin dans le cadre par exemple d'une puberté précoce, et pour les mêmes raisons : éviter à un enfant de vivre une puberté endogène à un moment indésiré.

8. Quels sont les principaux effets indésirables de chacun de ces traitements ? Dans quelle mesure leurs effets sont-ils réversibles ?

Les effets secondaires varient selon les traitements. Dans le cadre des traitements de suspension de la puberté, l'effet indésirable principal peut être un léger changement dans le développement de l'ossature, nécessitant des apports alimentaires en calcium, une pratique régulière du sport, et un suivi médical de contrôle. Les publics concernés par ces traitements ne souffrent d'ailleurs pas d'un taux de fractures supérieur à la moyenne des mineurs. Dans le cadre des traitements hormonaux, l'effet principal concerne la fertilité, qui peut aisément être mis sous contrôle grâce aux méthodes de préservation de la fertilité existantes. Un effet présenté comme “indésiré” des traitements de suspension de la puberté souvent cité est qu'ils conduiraient majoritairement à une transition. C'est une incompréhension de la situation : prescrits à des enfants trans, ces enfants réalisent en majorité une transition hormonale par la suite.

Nous constatons que dans les cas où ces traitements sont prescrits à des enfants cis (dans le cadre d'une puberté précoce) ils ne conduisent à aucune transition hormonale. Rien dans la prise de ces traitements n'encourage à la transition intrinsèquement.

Nous souhaitons rappeler que ces effets secondaires sont connus des médecins qui les prescrivent, et mis dans la balance avec les effets indésirables d'une puberté endogénique chez une personne trans, qui sont bien connus : augmentation des besoins d'intervention médicale en aval (par exemple, nécessité de réaliser une torsoplastie sur des garçons trans ayant vécu un développement mammaire du fait d'une puberté endogénique, opérations de féminisation du visage, de la silhouette, augmentation mammaire chez les - - 7 filles), des besoins de suivi en orthophonie, en épilation définitive, pour les filles trans, et poids de l'angoisse causée par les nombreux aspects ne pouvant être changés par des interventions médicales plus tard dans la vie. Ces éléments s'ajoutent aux problèmes liés au fait de refuser une enfance et une adolescence dans le genre de destination aux enfants ayant exprimé un besoin de transition : multiplication des problèmes psychologiques, plus grande fréquence des pratiques d'automutilation et des troubles du comportement alimentaire, plus grande suicidalité, etc.

Nous constatons enfin que les effets désirés de certains traitements hormonaux sont régulièrement cités comme des effets secondaires : la pousse des poils, la mue de la voix, le changement de répartition des graisses, par exemple, ne sont pas des effets indésirables d'une thérapie à la testostérone, mais ses effets recherchés par les personnes qui réalisent une telle thérapie.

9. D'autres mesures législatives visant à encadrer la prescription de bloqueurs de puberté et de traitements hormonaux vous paraîtraientelles souhaitables (âge minimal du patient différent de celui actuellement prévu par la proposition de loi, conditions tenant à l'existence de consultations ou de décisions collégiales préalables, etc.) ?

L'accès à ces traitements doit être le même entre les enfants cis et enfants trans.

Sur l'interdiction des opérations chirurgicales de réassignation sexuelle (article 1er)

10. L'expression « opérations chirurgicales de réassignation sexuelle » vous paraît-t-elle suffisamment précise ? Selon vous, quelles interventions vise-t-elle ?

Nous ne savons pas à quelle catégorie spécifique le législateur fait référence quand il évoque cette expression, et nous ne pensons pas que les professionnels de santé le sauront non plus. Nous pensons que les textes ne devraient pas être aussi interprétables. Parle-t-on de torsoplastie, de vaginoplastie, de frontoplastie, de phalloplastie, de métoidioplastie, d'augmentation mammaire... ? Ultimement, un tel flou ne peut conduire qu'à une judiciarisation de la santé et à des réponses déterminées par autre chose que l'intérêt et le bénéfice des patients.

Si l'on prend toutes les opérations d'affirmation de genre réalisées sur des mineurs en France, il s'agit d'opérations de torsoplastie, estimées à une quarantaine par an, sur des personnes ayant 17 ans. Le Défenseur des droits alerte d'ailleurs sur les risques qu'une loi de ce type soit un texte d'exception.

11. Vous semble-t-il pertinent d'interdire, dans le cadre de la prise en charge de la dysphorie de genre, les opérations chirurgicales de réassignation sexuelle aux moins de 18 ans ?

Nous ne comprenons pas l'intérêt d'interdire des opérations qui n'ont, à notre connaissance, pas lieu. Il faudrait que le législateur documente de quelle façon ces opérations ont été réalisées de manière abusive pour que nous puissions donner un avis sur la nécessité de se doter d'un texte les interdisant. Une piste envisageable concerne les enfants intersexes, qui sont effectivement d'après les organisations les représentant, régulièrement soumis à des interventions chirurgicales à des âges où le consentement éclairé ne peut pas être garanti.

12. Dans les faits et à votre connaissance, ces opérations sont-elles aujourd'hui réalisées sur des mineurs en questionnement de genre ? Le cas échéant, dans quelles conditions le sont-elles ?

À notre connaissance, le questionnement de genre n'est pas en tant que tel une situation conduisant à des interventions chirurgicales.

13. Quels sont les principaux effets indésirables et risques attachés à ces interventions ? Dans quelle mesure sont-elles réversibles ?

Pour les personnes cis comme trans, les effets indésirables principaux concernent un manque de formation et de présence des équipes chirugicales sur le territoire. Cela peut dans de rares cas conduire à un regret concernant le mauvais déroulement d'une opération. Des hommes trans en surpoids ont par exemple rapporté une déception quant aux standards esthétiques imposés par certains praticiens, ainsi que par des refus de soins. Pour pallier ces risques, il semble nécessaire de mieux former les équipes et de se doter aux échelles nationales et locales de davantage de praticiens. Cependant, nous rappelons que les opérations chirurgicales réalisées dans le cadre d'une transition sont parmi celles comptant d'après les statistiques disponibles le plus haut taux de satisfaction, comparées à d'autres chirurgies électives.

14. D'autres mesures législatives visant à encadrer les opérations chirurgicales de réassignation sexuelle vous semblent-elles souhaitables (âge minimal du patient différent de celui actuellement prévu par la proposition de loi, conditions tenant à l'existence de consultations ou de décisions collégiales préalables, etc.) ?

Non.

Sur le régime de sanction associé à ces interdictions (article 2)

15. Les peines prévues en cas de violation des dispositions encadrant la prise en charge des mineurs s'élèvent à deux ans d'emprisonnement, 30 000 euros d'amende et, le cas échéant, une interdiction d'exercice de dix ans au plus.

Ces peines vous semblent-elles justement proportionnées ?

Sur le plan matériel, nous constatons qu'aucune justification de la proportionnalité de ces sanctions n'a été fournie par le législateur. Nous constatons que ces sanctions sont symboliquement similaires à celles sanctionnant les pratiques dites de conversion. Il s'agit ici d'un parallèle erroné et dangereux, porté par une sénatrice qui s'est d'ailleurs opposée à l'interdiction des pratiques de conversion en 2022.

16. L'insertion de ces peines dans le chapitre du code pénal relatif à l'éthique biomédicale vous semble-t-elle pertinente ?

Non.

Sur la mise en place d'une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie (article 3)

17. Alors que la dernière mise à jour de la classification internationale des maladies (CIM) exclut l'incongruence de genre des troubles mentaux et qu'un récent rapport de l'Igas sur la santé et le parcours des personnes trans préconisait une « dépsychiatrisation » de la prise en charge, l'insertion de cet article au sein de cette proposition de loi vous semble-t-elle pertinente ?

Dans quelle mesure la santé mentale des jeunes atteints de dysphorie de genre vous paraît-elle constituer un enjeu important ?

La terminologie employée par le législateur nous semble peu claire : le terme de “dysphorie” relève en effet du langage commun, et plus médical. Les transitions, de mineurs comme de majeurs, ne constituent pas un problème psychiatrique. Dans le cadre d'une loi portant sur les mineurs trans, il ne nous semble dès lors pas adéquat de développer une stratégie de soutien à la pédopsychiatrie, indépendamment de la nécessité ou non d'une telle stratégie.

18. La mise en place d'une « stratégie nationale pour la pédopsychiatrie » vous parait-elle constituer une réponse adéquate dans le suivi des mineurs souffrant de dysphorie de genre ? Quel regard portez-vous aujourd'hui sur l'accompagnement et la prise en charge de ces mineurs ?

Les enjeux qui concernent les transitions ne sont pas des enjeux psychiatriques. Toutefois, un certain nombre de personnes trans bénéficieraient d'un accompagnement psychiatrique adapté et personnalisé, se basant sur leurs besoins réels.

Tout en saluant la dépsychiatrisation de la transidentité, nous alertons sur le fait que les enjeux provoqués par la transphobie et le climat de militantisme anti-trans actuel, notamment sur le développement non seulement de stress minoritaire, c'est-à-dire les pathologies causées par une situation de marginalisation sociale, mais aussi par les agressions et discriminations transphobes qui se multiplient à mesure que la transidentité fait l'objet de stigmatisation, vont certainement à terme nécessiter des suivis accrus.

19. La dysphorie de genre s'accompagne fréquemment de souffrances psychiques qui peuvent être liées à l'environnement social et aux difficultés associées à un processus de transition générateur de stress.

Dans ce cadre, quel accompagnement proposer aux mineurs dans cette situation ?

Le travail des association comme l'EST est basé sur la nécessité d'une prise en charge et d'une accompagnement holistique : nous avons travaillé à développer des permanences d'écoute psychologique, de médiation auprès des professionnels de santé, de formation et de suivi auprès des professionnels de santé, d'alerte sur les situation de discrimination, de prévention en matière de santé mentale, reproductive, sexuelle, de contact avec les familles, les environnements scolaires et professionnels, d'activités de groupe permettant une sociabilité saine et un effacement des stigmates liés à la transidentité, d'activités sportives, festives, et artistiques, qui contribuent au bien-être de nos bénéficiaires... Nous pensons qu'un environnement compréhensif, transparent, formé, permettant l'autonomie des prises de décision et la déstigmatisation des identités quelles qu'elles soient sont les fondements nécessaires des actions envers ces publics. S'il faut le préciser, nous ne pensons pas que la valorisation de pratiques de conversion permette un tel environnement.

20. Le Conseil national de l'ordre des médecins estime que le nombre de pédopsychiatres avait diminué de 34 % entre 2010 et 2022 passant ainsi de 3 113 à 2 039 sur tout le territoire. Dans un rapport de mars 2023, la Cour des comptes alertait sur les difficultés du secteur et les inégalités de prise en charge des mineurs sur le territoire.

Quelles réponses pourraient être, selon vous, apportées pour remédier à ces difficultés ?

Nous ne pensons pas qu'il soit de notre mandat de répondre à cette question. Notre priorité concerne en effet les personnes trans, indépendamment de leurs éventuels besoins en matière de suivi psychiatrique. Si le législateur constate un déficit en matière de couverture sanitaire dans ce domaine, il est de son domaine d'arbitrer les décisions permettant d'y pallier.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page