N° 384
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024
Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 mars 2024
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales,
Par M. Michel CANÉVET,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (16ème législ.) : |
1817, 2067 et T.A. 230 |
Sénat : |
283 et 385 (2023-2024) |
L'ESSENTIEL
Réunie le 6 mars 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, la commission des finances a examiné le rapport de M. Michel Canévet sur le projet de loi n° 283 (2023-2024) autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales. Le présent projet de loi a été adopté en première lecture à l'Assemblée nationale le 25 janvier 2024.
I. UNE CONVENTION QUI VIENT COMPLÉTER UN PARTENARIAT FRANCO-MOLDAVE EN PLEIN ESSOR
A. LA FRANCE ET LA MOLDAVIE ENTRETIENNENT DES LIENS ÉCONOMIQUES ET COMMERCIAUX CERTES LIMITÉS MAIS CROISSANTS
Rassemblant une population de 2,6 millions d'habitants sur un territoire de 34 843 kilomètres carrés, limitrophe de l'Ukraine et de la Roumanie, la Moldavie dispose d'un produit intérieur brut (PIB) de 14,4 milliards de dollars en 2022. Elle s'inscrit dans la tranche inférieure des pays à revenu intermédiaire.
Depuis 2017, les échanges commerciaux et financiers entre la France et la Moldavie connaissent une croissance significative.
Sur le plan commercial, le montant total des échanges entre les deux pays s'élevait à 176,3 millions d'euros en 2022. Si la France n'était en 2022 que le 11e fournisseur de la Moldavie et son 18e client, le commerce entre les deux pays connaît une croissance annuelle moyenne de 13 % depuis 2018. Une telle évolution s'explique essentiellement par une hausse des exportations françaises en Moldavie depuis 2017.
Les relations financières entre les deux pays sont également marquées par un soutien accru de la France en termes d'aide au développement depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.
Carte de la République de Moldavie
Source : ministère de l'Europe et des affaires étrangères
La France dirige, avec l'Allemagne et la Roumanie, la Plateforme de soutien à la Moldavie, qui vise à coordonner l'assistance internationale.
B. LA FRANCE ET LA MOLDAVIE NE SONT PLUS LIÉES PAR AUCUNE CONVENTION FISCALE DEPUIS 1998
La Moldavie est actuellement un des seuls États européens, avec la Suède et jusqu'il y a peu, le Danemark, à ne pas disposer de convention fiscale bilatérale avec la France. Elle a déclaré le 2 mars 1998 son intention de ne plus être liée par la convention fiscale franco-soviétique du 4 octobre 1985.
En l'absence de convention, les deux États appliquent concurremment leur droit interne en matière fiscale. Ce vide conventionnel est propice à l'émergence de situations de double imposition.
Un premier projet de convention fiscale bilatérale a été signé le 30 octobre 2006 et un projet de loi autorisant l'approbation de cette convention, déposé au Parlement. Toutefois, en 2007, la France a décidé d'interrompre le processus d'approbation. Cette décision est intervenue en réponse à l'adoption par la Moldavie d'un taux de droit commun de 0 % pour l'impôt sur les sociétés.
Dans un contexte de rapprochement entre les deux pays, la négociation d'une nouvelle convention a été ouverte à l'été 2019. Le projet de convention a été signé le 15 juin 2022 à Chisinau, capitale de la Moldavie. Cet État a par ailleurs rétabli un taux d'impôt sur les sociétés à 12 %, rejoint le forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements et a adhéré à la convention mutuelle d'assistance administrative en matière fiscale (MAAC) de l'OCDE et engagé des réformes structurelles de son système judiciaire et de son administration.
II. UNE CONVENTION ALIGNÉE SUR LES DERNIERS STANDARDS DE L'OCDE ET SUR LA PRATIQUE CONVENTIONNELLE FRANÇAISE
A. LA NOUVELLE CONVENTION FRANCO-MOLDAVE S'APPUIE TRÈS LARGEMENT SUR LE MODÈLE DE CONVENTION DE L'OCDE...
La convention signée entre la France et la Moldavie le 15 juin 2022 s'inscrit dans une démarche de modernisation du réseau conventionnel français suite à la ratification par la France de l'instrument multilatéral de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2018.
Par conséquent, la convention franco-moldave intègre les derniers standards établis par l'OCDE dans son modèle de convention fiscale concernant l'imposition du revenu et de la fortune (projet BEPS) ainsi que dans l'instrument multilatéral.
Il s'agit notamment d'une définition modernisée de l'établissement stable, des notions d'agent dépendant et d'agent indépendant, d'une clause générale anti-abus, de l'application du principe de pleine concurrence aux entreprises associées et d'un mécanisme de règlement des différends.
B. ... ET CONTIENT PAR AILLEURS DES STIPULATIONS QUI PARAISSENT CONFORMES À LA PRATIQUE CONVENTIONNELLE FRANÇAISE
Au cours des négociations, la France a obtenu l'inscription dans la convention de stipulations reprenant des pratiques conventionnelles constantes de notre politique fiscale.
Il s'agit notamment d'un abaissement des taux de retenue à la source. La retenue à la source sur les dividendes est plafonnée à 10 % tandis que celles appliquées aux intérêts et aux redevances sont abaissées à 5 %. Compte tenu du déséquilibre dans la répartition des investissements entre la France et la Moldavie, il en résultera un partage plus avantageux des recettes fiscales pour le Trésor public français. En effet, la retenue à la source est éliminée par l'État de résidence, qui vient minorer l'impôt perçu sur ces mêmes revenus.
La convention prévoit également une imposition dans l'État de source des rémunérations publiques, une clause relative au volontariat international et une imposition dans l'État d'exercice de l'activité des revenus correspondant à des prestations non indépendantes de la notoriété professionnelle.
S'agissant de l'élimination des doubles impositions, la France a opté pour la méthode d'imputation. L'article 21 de la convention prévoit que la France octroie un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français pour éliminer les cas de double imposition. Ce crédit d'impôt est, selon les situations, égal à l'impôt français ou à l'impôt moldave. La Moldavie a également retenu cette méthode pour les revenus faisant l'objet d'une imposition partagée.
III. SI CETTE CONVENTION SIMPLIFIE LA SITUATION FISCALE DES PARTICULIERS ET DES ENTREPRISES, UNE ÉVALUATION PLUS APPROFONDIE DE SON IMPACT APPARAÎT NÉCESSAIRE
A. UN FACTEUR DE SIMPLIFICATION POUR LES PARTICULIERS ET LES ENTREPRISES
L'absence de convention fiscale avec la Moldavie constituait une anomalie pour notre réseau conventionnel en Europe. La conclusion d'une telle convention permet à la fois de combler ce manque et d'encourager la démarche d'intégration européenne amorcée par ce pays depuis plusieurs années.
Notre réseau conventionnel porte notamment un objectif de protection des contribuables face aux risques de double imposition de leurs revenus dans l'État de source de ces derniers et dans leur État de résidence.
L'entrée en vigueur de la convention du 15 juin 2022 viendra renforcer la sécurité juridique des 65 ressortissants français en Moldavie et des 90 000 citoyens moldaves installés en France. Du côté des entreprises, l'entrée en vigueur d'une nouvelle convention fiscale permettra aussi de stimuler les flux d'investissements entre les deux pays.
De plus, l'intégration des derniers standards OCDE constitue un facteur de modernisation de la lutte contre l'évitement fiscal des entreprises et de simplification de leur régime d'imposition.
Par conséquent, le rapporteur recommande d'adopter le présent projet de loi pour permettre une entrée en vigueur au plus vite de la convention fiscale bilatérale. L'Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi autorisant l'approbation de la convention le 25 janvier 2024.
B. UN APPROFONDISSEMENT DES ÉVALUATIONS RELATIVES AUX EFFETS DES CONVENTIONS FISCALES PERMETTRAIT DE RENFORCER L'INFORMATION DU PARLEMENT
L'étude d'impact annexé au présent projet de loi opère une analyse de la situation actuelle mais ne se penche que brièvement sur les conséquences de l'entrée en vigueur de la convention. Elle consacre de longs développements aux relations économiques et commerciales entre la France et la Moldavie, sans toutefois comporter aucune estimation chiffrée des conséquences de la mise en oeuvre de cette convention sur nos recettes fiscales.
Il apparait nécessaire de renforcer l'expertise économique mobilisée pour les négociations fiscales internationales. Ce renforcement doit s'opérer a priori, lors de la négociation de la convention et de sa présentation pour approbation ou ratification au Parlement mais également a posteriori. Un travail de suivi dans le temps de l'impact de l'entrée en vigueur des nouvelles conventions permettrait de constater avec précision les effets de ces nouveaux accords et d'éclairer l'élaboration de notre politique fiscale dans les années à venir.
La commission des finances a adopté le projet de loi sans modification.