N° 384

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 mars 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales,

Par M. Michel CANÉVET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) :

1817, 2067 et T.A. 230

Sénat :

283 et 385 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Réunie le 6 mars 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, la commission des finances a examiné le rapport de M. Michel Canévet sur le projet de loi n° 283 (2023-2024) autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales. Le présent projet de loi a été adopté en première lecture à l'Assemblée nationale le 25 janvier 2024.

I. UNE CONVENTION QUI VIENT COMPLÉTER UN PARTENARIAT FRANCO-MOLDAVE EN PLEIN ESSOR

A. LA FRANCE ET LA MOLDAVIE ENTRETIENNENT DES LIENS ÉCONOMIQUES ET COMMERCIAUX CERTES LIMITÉS MAIS CROISSANTS

Rassemblant une population de 2,6 millions d'habitants sur un territoire de 34 843 kilomètres carrés, limitrophe de l'Ukraine et de la Roumanie, la Moldavie dispose d'un produit intérieur brut (PIB) de 14,4 milliards de dollars en 2022. Elle s'inscrit dans la tranche inférieure des pays à revenu intermédiaire.

Depuis 2017, les échanges commerciaux et financiers entre la France et la Moldavie connaissent une croissance significative.

Sur le plan commercial, le montant total des échanges entre les deux pays s'élevait à 176,3 millions d'euros en 2022. Si la France n'était en 2022 que le 11e fournisseur de la Moldavie et son 18e client, le commerce entre les deux pays connaît une croissance annuelle moyenne de 13 % depuis 2018. Une telle évolution s'explique essentiellement par une hausse des exportations françaises en Moldavie depuis 2017.

Les relations financières entre les deux pays sont également marquées par un soutien accru de la France en termes d'aide au développement depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Carte de la République de Moldavie

Source : ministère de l'Europe et des affaires étrangères

La France dirige, avec l'Allemagne et la Roumanie, la Plateforme de soutien à la Moldavie, qui vise à coordonner l'assistance internationale.

B. LA FRANCE ET LA MOLDAVIE NE SONT PLUS LIÉES PAR AUCUNE CONVENTION FISCALE DEPUIS 1998

La Moldavie est actuellement un des seuls États européens, avec la Suède et jusqu'il y a peu, le Danemark, à ne pas disposer de convention fiscale bilatérale avec la France. Elle a déclaré le 2 mars 1998 son intention de ne plus être liée par la convention fiscale franco-soviétique du 4 octobre 1985.

En l'absence de convention, les deux États appliquent concurremment leur droit interne en matière fiscale. Ce vide conventionnel est propice à l'émergence de situations de double imposition.

Un premier projet de convention fiscale bilatérale a été signé le 30 octobre 2006 et un projet de loi autorisant l'approbation de cette convention, déposé au Parlement. Toutefois, en 2007, la France a décidé d'interrompre le processus d'approbation. Cette décision est intervenue en réponse à l'adoption par la Moldavie d'un taux de droit commun de 0 % pour l'impôt sur les sociétés.

Dans un contexte de rapprochement entre les deux pays, la négociation d'une nouvelle convention a été ouverte à l'été 2019. Le projet de convention a été signé le 15 juin 2022 à Chisinau, capitale de la Moldavie. Cet État a par ailleurs rétabli un taux d'impôt sur les sociétés à 12 %, rejoint le forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements et a adhéré à la convention mutuelle d'assistance administrative en matière fiscale (MAAC) de l'OCDE et engagé des réformes structurelles de son système judiciaire et de son administration.

II. UNE CONVENTION ALIGNÉE SUR LES DERNIERS STANDARDS DE L'OCDE ET SUR LA PRATIQUE CONVENTIONNELLE FRANÇAISE

A. LA NOUVELLE CONVENTION FRANCO-MOLDAVE S'APPUIE TRÈS LARGEMENT SUR LE MODÈLE DE CONVENTION DE L'OCDE...

La convention signée entre la France et la Moldavie le 15 juin 2022 s'inscrit dans une démarche de modernisation du réseau conventionnel français suite à la ratification par la France de l'instrument multilatéral de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2018.

Par conséquent, la convention franco-moldave intègre les derniers standards établis par l'OCDE dans son modèle de convention fiscale concernant l'imposition du revenu et de la fortune (projet BEPS) ainsi que dans l'instrument multilatéral.

Il s'agit notamment d'une définition modernisée de l'établissement stable, des notions d'agent dépendant et d'agent indépendant, d'une clause générale anti-abus, de l'application du principe de pleine concurrence aux entreprises associées et d'un mécanisme de règlement des différends.

B. ... ET CONTIENT PAR AILLEURS DES STIPULATIONS QUI PARAISSENT CONFORMES À LA PRATIQUE CONVENTIONNELLE FRANÇAISE

Au cours des négociations, la France a obtenu l'inscription dans la convention de stipulations reprenant des pratiques conventionnelles constantes de notre politique fiscale.

Il s'agit notamment d'un abaissement des taux de retenue à la source. La retenue à la source sur les dividendes est plafonnée à 10 % tandis que celles appliquées aux intérêts et aux redevances sont abaissées à 5 %. Compte tenu du déséquilibre dans la répartition des investissements entre la France et la Moldavie, il en résultera un partage plus avantageux des recettes fiscales pour le Trésor public français. En effet, la retenue à la source est éliminée par l'État de résidence, qui vient minorer l'impôt perçu sur ces mêmes revenus.

La convention prévoit également une imposition dans l'État de source des rémunérations publiques, une clause relative au volontariat international et une imposition dans l'État d'exercice de l'activité des revenus correspondant à des prestations non indépendantes de la notoriété professionnelle.

S'agissant de l'élimination des doubles impositions, la France a opté pour la méthode d'imputation. L'article 21 de la convention prévoit que la France octroie un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français pour éliminer les cas de double imposition. Ce crédit d'impôt est, selon les situations, égal à l'impôt français ou à l'impôt moldave. La Moldavie a également retenu cette méthode pour les revenus faisant l'objet d'une imposition partagée.

III. SI CETTE CONVENTION SIMPLIFIE LA SITUATION FISCALE DES PARTICULIERS ET DES ENTREPRISES, UNE ÉVALUATION PLUS APPROFONDIE DE SON IMPACT APPARAÎT NÉCESSAIRE

A. UN FACTEUR DE SIMPLIFICATION POUR LES PARTICULIERS ET LES ENTREPRISES

L'absence de convention fiscale avec la Moldavie constituait une anomalie pour notre réseau conventionnel en Europe. La conclusion d'une telle convention permet à la fois de combler ce manque et d'encourager la démarche d'intégration européenne amorcée par ce pays depuis plusieurs années.

Notre réseau conventionnel porte notamment un objectif de protection des contribuables face aux risques de double imposition de leurs revenus dans l'État de source de ces derniers et dans leur État de résidence.

L'entrée en vigueur de la convention du 15 juin 2022 viendra renforcer la sécurité juridique des 65 ressortissants français en Moldavie et des 90 000 citoyens moldaves installés en France. Du côté des entreprises, l'entrée en vigueur d'une nouvelle convention fiscale permettra aussi de stimuler les flux d'investissements entre les deux pays.

De plus, l'intégration des derniers standards OCDE constitue un facteur de modernisation de la lutte contre l'évitement fiscal des entreprises et de simplification de leur régime d'imposition.

Par conséquent, le rapporteur recommande d'adopter le présent projet de loi pour permettre une entrée en vigueur au plus vite de la convention fiscale bilatérale. L'Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi autorisant l'approbation de la convention le 25 janvier 2024.

B. UN APPROFONDISSEMENT DES ÉVALUATIONS RELATIVES AUX EFFETS DES CONVENTIONS FISCALES PERMETTRAIT DE RENFORCER L'INFORMATION DU PARLEMENT

L'étude d'impact annexé au présent projet de loi opère une analyse de la situation actuelle mais ne se penche que brièvement sur les conséquences de l'entrée en vigueur de la convention. Elle consacre de longs développements aux relations économiques et commerciales entre la France et la Moldavie, sans toutefois comporter aucune estimation chiffrée des conséquences de la mise en oeuvre de cette convention sur nos recettes fiscales.

Il apparait nécessaire de renforcer l'expertise économique mobilisée pour les négociations fiscales internationales. Ce renforcement doit s'opérer a priori, lors de la négociation de la convention et de sa présentation pour approbation ou ratification au Parlement mais également a posteriori. Un travail de suivi dans le temps de l'impact de l'entrée en vigueur des nouvelles conventions permettrait de constater avec précision les effets de ces nouveaux accords et d'éclairer l'élaboration de notre politique fiscale dans les années à venir.

La commission des finances a adopté le projet de loi sans modification.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. UN PARTENARIAT ENTRE LA FRANCE ET LA MOLDAVIE EN FORTE CROISSANCE ET QUI MÉRITE D'ÊTRE COMPLÉTÉ PAR UNE CONVENTION FISCALE BILATÉRALE

A. UNE RELATION ÉCONOMIQUE ET COMMERCIALE ENTRE LES DEUX PAYS QUI RESTE LIMITÉE MAIS EN FORTE CROISSANCE

1. La Moldavie est un pays à revenus intermédiaires dont l'économie pâtit de faiblesses structurelles et conjoncturelles

Rassemblant une population de 2,6 millions d'habitants sur un territoire de 34 843 kilomètres carrés, limitrophe de l'Ukraine et de la Roumanie, la Moldavie dispose d'un produit intérieur brut (PIB) de 14,4 milliards de dollars en 2022. Elle s'inscrit dans la tranche inférieure des pays à revenu intermédiaire.

Carte de la République de Moldavie

Source : ministère de l'Europe et des affaires étrangères

À la suite de son indépendance en 1991, le pays a connu une croissance soutenue, de l'ordre de 4,5 % par an en moyenne entre 1995 et 2022. Sur la même période, la pauvreté a chuté de 65 %. En outre, le pays a su maitriser son endettement public, qui s'élevait à 159,4 % du PIB en 1998, en le réduisant à 35,1 % en 2023.

Par ailleurs, lors du Conseil européen du 23 juin 2022, la Moldavie s'est vu accorder le statut de pays candidat à l'Union européenne (UE). Les négociations d'adhésion ont été ouvertes par le Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023.

En dépit de ces évolutions, la Moldavie demeure l'un des pays les plus pauvres d'Europe. Elle se situait, en 2021, au 79e rang mondial en termes d'indice de développement humain (IDH) selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Cette situation s'explique par la persistance de faiblesses structurelles et conjoncturelles de son économie.

S'agissant, en premier lieu, des faiblesses structurelles, elles sont héritées de la période soviétique et découlent de la situation géographique du pays.

Ainsi, l'économie est, tout d'abord, encore largement étatisée. La Banque mondiale estime que 19 secteurs productifs sont dominés par une entreprise publique contre 13,17 pour la moyenne OCDE1(*). Or, les entreprises publiques moldaves sont caractérisées par une productivité inférieure de 80 % aux entreprises étrangères présentes en Moldavie. De plus, l'environnement des affaires est perçu comme peu incitatif par les organisations internationales du fait d'une forte instabilité politique et d'une corruption encore importante. Les problématiques de fraude ont culminé avec la crise bancaire de 2014-2015 lorsque des banques moldaves ont accordés un milliard d'euros de crédits frauduleux, soit l'équivalent de 15 % du PIB de l'époque, à des acteurs non identifiés localisés en Russie. En outre, la population moldave est en constante diminution depuis l'indépendance en 1991, phénomène accentué par la crise bancaire de 2014. Cette évolution s'explique par une très forte émigration du travail.

Ensuite, l'économie moldave est vulnérable sur le plan externe. Le pays connait en effet un déficit commercial structurel, en partie compensé par les entrées de devises issues des transferts de la diaspora. En 2023, le FMI estimait le solde du compte courant à - 12,1 % du PIB.

Enfin, la persistance d'un conflit gelé dans la région orientale de Transnistrie ampute la Moldavie d'une partie de son potentiel de croissance. La permanence de cette entité autoproclamée en 1992 prive la Moldavie d'une partie de ses recettes fiscales et perturbe ses relations commerciales avec ses voisins du fait d'une forte économie souterraine qui y prospère.

En second lieu, la Moldavie connaît depuis 2020 des difficultés conjoncturelles qui fragilisent son économie, parmi lesquelles :

- la crise sanitaire, qui a entraîné une contraction du PIB de l'ordre de 7,4 % en 2020, compensée par une reprise rapide au cours de l'année 2021 qui s'est caractérisée par une croissance de 13,9 % ;

- la sécheresse de 2020, qui a fait chuter la production agricole de près de 30 %, dans un pays où le secteur primaire représente environ 15 % du PIB ;

- une forte inflation, y compris avant la guerre en Ukraine, stimulée par des coûts d'approvisionnement énergétiques conséquents ;

- les conséquences du conflit en Ukraine et notamment le fort afflux de réfugiés dans le pays depuis février 2022.

2. Depuis 2017, les échanges commerciaux et financiers entre la France et la Moldavie connaissent une croissance significative

Sur le plan commercial, le montant total des échanges entre les deux pays s'élevait à 176,3 millions d'euros en 2022, selon les données du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Ce montant demeure limité par rapport à d'autres partenaires commerciaux. Les échanges de la Moldavie sont principalement orientés vers les pays émergents et ses voisins européens proches. La France n'était en 2022 que le 11e fournisseur de la Moldavie et son 18e client, selon le Fonds monétaire international (FMI). La même année, les quatre principaux fournisseurs de la Moldavie étaient la Roumanie, la Russie, la Chine et l'Ukraine et ses quatre principaux clients la Roumanie, l'Ukraine, l'Italie et la Turquie.

Dans le même sens, la Moldavie n'était en 2022 que le 110e fournisseur de la France et son 113e client. L'excédent commercial de la France avec ce pays ne représentait que 0,018 % du total de nos exportations.

Le faible niveau des échanges commerciaux franco-moldaves peut expliquer, en partie, le caractère tardif de la négociation d'une convention fiscale avec ce pays. Répondant à une question écrite de notre collègue sénateur Olivier Cadic, le ministère de l'économie et des finances a estimé le 3 octobre 2019 que « négocier une convention avec la Moldavie revêt un caractère moins urgent qu'avec d'autres partenaires »2(*).

Toutefois, si le montant des échanges commerciaux de la France avec la Moldavie demeure limité par rapport à d'autres partenaires européens, le commerce entre les deux pays connaît une croissance annuelle moyenne de 13 % depuis 2018. Une telle évolution s'explique essentiellement par une hausse des exportations françaises en Moldavie depuis 2017. Elle s'est récemment accentuée. Au premier semestre 2022, selon les dernières données disponibles, les exportations françaises avaient progressé de 52 % par rapport à l'année précédente.

Le renforcement de l'excédent commercial français avec la Moldavie est principalement porté par les exportations de machine industrielles et agricoles et de produits chimiques, parfums et cosmétiques.

Évolution des échanges entre la France et la Moldavie

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les données du ministère des affaires étrangères

Le tableau suivant détaille les principaux postes d'exportation et d'importation, hors matériel militaire, entre la France et la Moldavie.

Structure des échanges entre la Moldavie et la France en 2022
(hors matériel militaire)

(en millions d'euros et en % du total)

Premiers postes d'exportation
vers la Moldavie

Premiers postes d'importation
depuis la Moldavie

Matériels de transport

26 (24,6 %)

Habillement, cuir et chaussures

19 (27,3 %)

Machines industrielles et agricoles, machines diverses

19 (17,9 %)

Produits des industries agroalimentaires (IAA)

11,9 (16,7 %)

Produits chimiques, parfums et cosmétiques

13 (12,4 %)

Manufacturés divers

11,8 (16,6 %)

Produits des industries agroalimentaires (IAA)

13 (12,3 %)

Produits agricoles, sylvicoles, de la pêche et de l'aquaculture

8,2 (11,6 %)

Source : commission des finances, d'après les données du ministère des affaires étrangères

Sur le plan financier, la France figure au quatrième rang des investisseurs étrangers en Moldavie. Selon l'étude d'impact annexée au présent projet de loi, vingt filiales françaises sont présentes dans le pays. Le stock d'investissements français en Moldavie s'élevait à 124 millions d'euros en 2019. Selon les données de la direction générale du Trésor, environ 240 sociétés françaises étaient implantées en Moldavie en 2021, parmi lesquelles Orange, Sanofi, Lafarge ou Lactalis. Ces sociétés gèrent environ 4 000 emplois directs.

Réciproquement, il n'y a pas d'entreprise moldave implantée en France. Toutefois, des entreprises françaises ont pu être fondées par des ressortissants moldaves.

Les relations financières entre la France et la Moldavie portent également sur le plan de la politique de développement. Suite à la crise sanitaire, l'agression russe contre l'Ukraine a entraîné une crise à la fois humanitaire, avec un afflux de réfugiés ukrainiens dans le pays, et énergétique, avec une forte perturbation de ses approvisionnements. Le FMI a révisé à la hausse les besoins de financement de l'État moldave à 1,6 milliard d'euros pour 2022 et 2023.

Dans ce contexte, la France dirige avec l'Allemagne et la Roumanie la Plateforme de soutien à la Moldavie, qui vise à coordonner l'assistance internationale. Les conférences ministérielles de Berlin, en avril 2022, et de Bucarest, en juillet de la même année, ont permis de mobiliser 800 millions d'euros d'assistance financière. La conférence interministérielle de Paris en novembre 2022 a conduit au déblocage de 100 millions d'euros additionnels.

En outre, le mandat de l'Agence française de développement (AFD) a été étendu à la Moldavie afin d'apporter une réponse financière et humanitaire à ces difficultés.

L'intervention du groupe AFD en Moldavie

Le mandat de l'Agence française de développement (AFD) a été étendu à la République de Moldavie en juin 2021. Initialement cantonnée aux actions d'Expertise France, l'intervention du groupe AFD a été renforcée en février 2022 avec l'ouverture d'un bureau de l'AFD à Chisinau, capitale de la Moldavie.

Le mandat d'intervention de l'AFD en Moldavie cible l'adaptation du pays aux standards de l'Union européenne et aux objectifs de l'accord de Paris. Depuis février 2022, une grande partie de l'activité du groupe AFD vise également à soutenir financièrement l'État moldave dans sa réponse aux conséquences de la guerre en Ukraine.

Ainsi, depuis 2022, ce sont près de 172 millions d'euros qui ont été engagés en Moldavie par le groupe AFD qui se répartissent entre plusieurs secteurs.

Premièrement, en matière de transports, l'AFD soutient par un programme d'assistance technique la compagnie nationale de chemins de fer CFM afin de promouvoir le transport ferroviaire comme alternative à la route. Par ailleurs, l'AFD a accordé en 2022 un prêt budgétaire de politique publique à hauteur de 60 millions d'euros en cofinancement avec la Banque mondiale (150 millions de dollars) afin de soutenir la réforme du secteur ferroviaire et du secteur de l'énergie.

Deuxièmement, en matière énergétique, l'AFD fournit une assistance technique, en coopération avec le gestionnaire du réseau électrique français RTEi, afin d'assurer le rattachement de la Moldavie au réseau électrique européen. Jusqu'alors, la Moldavie demeurait largement dépendante de ses importations d'électricité depuis la Transnistrie. En outre, le prêt budgétaire de l'AFD susmentionné devrait permettre d'encourager le développement des énergies renouvelables.

Troisièmement, sur le plan humanitaire, l'État français a accordé, via l'AFD, un prêt de soutien budgétaire de 15 millions d'euros à l'État moldave pour assurer le bon fonctionnement des services essentiels, en premier lieu les dépenses sociales, à la population. De plus, l'agence assure, aux côtés de la Fondation de France, le financement à hauteur de 2 millions d'euros d'un consortium de trois ONG françaises (Solidarités International, Handicap International et Médecins du Monde) pour soutenir l'accueil des réfugiés venus d'Ukraine.

Quatrièmement, sur le plan financier, Proparco, filiale du groupe AFD dédiée au secteur privé, a accordé un prêt de 8 millions d'euros à l'institution de microfinance Microinvest. Cette dernière assure une activité de prêts à des micro-entrepreneurs et exploitants agricoles, dans un pays où le secteur primaire représente 15 % du PIB et 27 % des emplois.

Cinquièmement, concernant le développement de l'État de droit, Expertise France intervient, essentiellement sur financement européen, pour renforcer la transparence et moderniser le fonctionnement des institutions moldaves. À titre d'exemple, Expertise France met en oeuvre, en partenariat avec la Lituanie, un projet de soutien au système judiciaire (ETAAJS) et participe au projet Statistiques pour le partenariat oriental (STEP) visant à améliorer la qualité des données statistiques dans le pays.

Source : commission des finances d'après le rapport d'activité 2022 et le site internet de l'AFD

B. LA CONVENTION DU 15 JUIN 2022 VIENT COMBLER L'ABSENCE DE CADRE FISCAL BILATÉRAL

1. Depuis la dénonciation par la Moldavie de la convention franco-soviétique, les deux pays ne sont plus liés par aucun cadre conventionnel en matière fiscale

La Moldavie est actuellement un des seuls États européens, avec la Suède et jusqu'il y a peu, le Danemark3(*), à ne pas disposer de convention fiscale bilatérale avec la France.

Suite à la dissolution de l'URSS, la convention fiscale signée le 4 octobre 1985 entre la France et l'ex-URSS a continué à produire ses effets à l'égard de la fédération de Russie et des ex-républiques soviétiques, à l'exception des pays baltes. Actuellement, la doctrine fiscale précise que cette convention est encore applicable à la Biélorussie4(*), au Kirghizistan5(*) et au Turkménistan6(*).

La Moldavie a déclaré le 2 mars 1998 son intention de ne plus être liée par la convention fiscale franco-soviétique du 4 octobre 1985.

Un premier projet de convention fiscale bilatérale a été signé le 30 octobre 2006 et un projet de loi autorisant l'approbation de cette convention, déposé au Parlement. Toutefois, en 2007, la France a décidé d'interrompre le processus d'approbation. Cette décision est intervenue en réponse à l'adoption par la Moldavie d'un taux de droit commun de 0 % pour l'impôt sur les sociétés.

Par suite, la France a fixé une double condition préalable à la reprise des négociations sur une nouvelle convention :

- d'une part, le rétablissement du taux de droit commun pour l'impôt sur les sociétés antérieur à la réforme fiscale moldave ;

- d'autre part, un plus fort investissement de la Moldavie dans la lutte contre la fraude et notamment son adhésion au forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements mis en place par l'OCDE.

En l'absence de convention, les deux États appliquent concurremment leur droit interne en matière fiscale. Ce vide conventionnel est propice à l'émergence de situations de double imposition.

2. Dans un contexte de rapprochement franco-moldave, la convention du 15 juin 2022 vient combler un vide conventionnel

Dans un contexte de rapprochement entre les deux pays, la négociation d'une nouvelle convention a été ouverte à l'été 2019. Les relations franco-moldaves ont, en effet, connu une nouvelle impulsion avec l'élection à la présidence de la République de la candidate pro-européenne Maia Sandu en 2020. Les discussions se sont fondées sur un projet de texte proposé par la partie française.

La rédaction d'une nouvelle convention s'est inscrite dans la suite du respect par la Moldavie des conditions préalables posées par la France.

D'une part, dès 2012, la Moldavie a rétabli un taux de droit commun de 12 % pour l'impôt sur les sociétés.

D'autre part, elle a accentué ses efforts de lutte contre la fraude. Non seulement le pays a rejoint le forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements, mais il a aussi adhéré à la convention mutuelle d'assistance administrative en matière fiscale (MAAC) de l'OCDE au 1er mars 2012. Selon les réponses écrites au questionnaire du rapporteur, si les flux de demandes en matière d'échange de renseignements à des fins fiscales ont été très faibles sur la période 2021-2023, les réponses des autorités moldaves sont considérées comme satisfaisantes par l'administration fiscale.

Outre son adhésion à la MAAC, la Moldavie a également mené une série de réformes dans le cadre de son accord d'association avec l'Union européenne, en particulier dans le domaine judiciaire et la lutte contre la corruption, dans le domaine de l'administration et de la gestion des finances publiques, ainsi que dans le domaine économique et financier.

La convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale

Élaborée conjointement par le Conseil de l'Europe et l'OCDE, la convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale du 25 janvier 1988 (dite MAAC) est entrée en vigueur le 1er septembre 2005. Elle a été amendée par un protocole signé le 27 mai 2010 afin de l'aligner sur la norme internationale d'échange de renseignements sur demande.

La convention vise à renforcer la coopération internationale en matière fiscale afin d'améliorer l'application des législations fiscales internes. Encouragé par les États du G20, cet instrument a vocation à devenir le cadre international de référence en matière de coopération fiscale.

Les stipulations de la convention couvrent l'ensemble des impositions obligatoires, exception faite des droits de douane. La convention prévoit un ensemble d'instruments de coopération en matière fiscale. Il s'agit notamment de dispositifs d'échanges de renseignements sur demande, d'échange automatique de renseignements, d'échange spontané de renseignements, de contrôles fiscaux simultanés et de contrôles fiscaux à l'étranger, d'aide au recouvrement des créances fiscales et d'assistance dans la notification de documents.

La mise en oeuvre et le développement de la MAAC sont supervisés par un organe de coordination composé des autorités compétentes désignées par les États parties. Cet organe constitue notamment un forum d'étude sur des recommandations d'évolutions de la MAAC et fournit des avis sur l'interprétation de la convention.

Au 1er septembre 2023, la convention regroupait 147 juridictions parmi lesquelles l'ensemble des membres du G20, des BRIICS et de l'OCDE. Un nombre croissant de pays en développement ont également rejoint ce mécanisme.

Source : commission des finances, d'après le site internet de l'OCDE et le guide d'adhésion à la convention

Compte tenu du contexte sanitaire, le premier tour de négociation en juillet 2022 s'est déroulé en visioconférence. Un second tour de négociations a conduit à la conclusion d'un accord technique.

Le projet de convention a été signé le 15 juin 2022 à Chisinau par le vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères et de l'intégration européenne Nicolae Popescu et la ministre de l'Europe et des affaires étrangères Catherine Colonna. Elle a fait l'objet d'une ratification par le Parlement de la République de Moldavie, réuni en session plénière le 15 juillet 2022.

La convention du 15 juin 2022 poursuit le triple objectif d'éliminer les doubles impositions, d'améliorer la sécurité juridique et de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales.

Du côté moldave, le gouvernement de la République de Moldavie a notifié les autorités françaises de l'accomplissement de ses procédures internes d'approbation de la convention.

Du côté français, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi autorisation l'approbation de la convention le 25 janvier 2024.

II. LA CONVENTION DU 15 JUIN 2022 REPREND LES DERNIERS STANDARDS DE L'OCDE ET S'INSCRIT EN COHÉRENCE AVEC LA PRATIQUE CONVENTIONNELLE FRANÇAISE

À titre liminaire, il importe de préciser qu'en l'absence d'exercice effectif de la souveraineté moldave sur ce territoire, la Transnitrie n'entrera pas dans le champ d'application de la convention du 15 juin 2022. L'article 3 de la convention définit l'expression « République de Moldavie » comme le territoire sur lequel la République de Moldavie exerce sa souveraineté et sa juridiction, en conformité avec sa législation et le droit international.

En cas de rétablissement complet de la souveraineté moldave sur le territoire séparatiste, la convention s'appliquerait alors à la Transnistrie.

A. LE TEXTE DE LA CONVENTION REPREND, POUR UNE TRÈS LARGE PARTIE, LE MODÈLE DE CONVENTION FISCALE DE L'OCDE

La convention signée entre la France et la Moldavie le 15 juin 2022 s'inscrit dans une démarche de modernisation du réseau conventionnel français suite à la ratification par la France de l'instrument multilatéral de l'OCDE en 2018. Par conséquent, la convention franco-moldave intègre les derniers standards établis par l'OCDE tant dans son modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune que dans l'instrument multilatéral.

À l'inverse de conventions fiscales récemment négociées par la France, la convention signée avec la Moldavie vient combler un vide conventionnel et ne s'appuie conséquemment pas sur un texte en vigueur, qu'elle viendrait moderniser. Dans le cas de la Grèce7(*), la convention du 11 mai 2022 avait ainsi intégré certaines stipulations issues de la convention du 21 août 1963.

Il convient également de noter que si la convention du 15 juin 2022 s'aligne majoritairement sur les standards OCDE, la nouvelle convention ne sera pas couverte par l'instrument multilatéral (IM). En effet, la Moldavie figure parmi les États n'ayant pas ratifié cette convention.

L'absence de ratification de l'IM par la Moldavie n'emporte cependant pas de conséquences sur la présente convention, dès lors que cette dernière reprend les standards minimums de l'OCDE.

L'instrument multilatéral de l'OCDE

La convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (dite CML ou BEPS), également désignée comme « instrument multilatéral » (IM), a pour objet de modifier les conventions fiscales bilatérales des États-parties en matière d'impôt sur le revenu et d'élimination des doubles impositions, en application du plan BEPS de l'OCDE.

Il a été ratifié par la France le 26 septembre 2018 après en avoir obtenu l'autorisation par une loi du 12 juillet 2018. Les conventions fiscales bilatérales sont automatiquement modifiées, par le biais de « clauses de compatibilité », une fois que les parties ont notifié leur intention de voir ces conventions couvertes. La France a ainsi déposé une notification complémentaire le 22 septembre 2020 pour l'ensemble de son réseau conventionnel.

Source : commission des finances

1. Une transposition littérale de la notion d'établissement stable et de l'imposition des bénéfices

L'article 5 de la convention du 15 juin 2022 reprend la définition de l'établissement stable issue de l'article 5 du modèle OCDE. L'établissement stable « désigne une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité ». Cette notion permet de déterminer si une activité industrielle, commerciale ou libérale est imposable dans l'État où elle est exercée ou dans l'État de résidence de l'entreprise. L'État d'exercice de l'activité ne peut, en effet, imposer les bénéfices d'une entreprise résidente que si cette activité s'exerce par l'intermédiaire d'un établissement stable.

Deux spécificités de rédaction peuvent être notées au sein des stipulations de l'article 5 de la convention.

D'une part, le paragraphe 3 de l'article 5 précise qu'un établissement stable de chantier de construction ou de montage est caractérisé si sa durée excède neuf mois sur une période de douze mois. Cette condition de durée diffère de celle du modèle OCDE qui prévoit une caractérisation au-delà d'une durée de douze mois. La rédaction de la convention résulte d'un compromis entre les deux parties. La Moldavie demandait en effet une application du modèle de convention fiscale de l'ONU qui permet de caractériser l'existence d'un établissement stable de chantier dès que l'activité exercée sur place est supérieure à 6 mois et qui inclut les activités de supervision et d'assemblage.

D'autre part, concernant les exceptions à la caractérisation d'un établissement stable, le paragraphe 4 de l'article 5 retient, conformément à la pratique conventionnelle française, l'option B proposée par le modèle OCDE à son article 13 en ne précisant pas que les activités concernées doivent revêtir un caractère préparatoire ou auxiliaire.

S'agissant de la caractérisation de l'établissement stable, au cours des négociations, la Moldavie avait souhaité intégrer une clause permettant de caractériser les établissements stables de prestations de services pour une durée de plus de six mois dans l'autre État. La France s'est toutefois opposée avec succès à l'intégration d'une clause permettant de caractériser un établissement stable de prestation de services. Une telle clause, prévue dans le modèle de convention fiscale de l'ONU, permet de qualifier d'identifier un établissement stable et, partant, d'imposer l'activité de prestation de services dans l'État d'exercice de cette activité.

L'article 5 intègre également, en complément de la définition de l'établissement stable et conformément au modèle OCDE, les notions d'agent dépendant et d'agent indépendant. En l'absence d'installation fixe d'affaires, une entreprise peut disposer d'un établissement stable dans un autre État, à la condition qu'elle y soit représentée par un agent dépendant.

L'agent dépendant est défini comme une personne physique ou morale qui agit pour le compte d'une entreprise dans un État contractant et « conclut habituellement des contrats ou joue habituellement le rôle principal menant à la conclusion de contrats qui, de façon routinière, sont conclus sans modification importante par l'entreprise » et sont, soit au nom de l'entreprise, soit concernent une prestation de service ou le transfert de la propriété de biens de l'entreprise (article 5 du modèle OCDE).

Toutefois, l'établissement stable n'est pas caractérisé lorsque l'entreprise est représentée par un agent indépendant agissant dans le cadre ordinaire de son activité.

Ce même article comporte, enfin, une clause dite « anti-fragmentation », issue du modèle OCDE, permettant d'éviter qu'une entreprise fragmente ses activités dans un État afin d'éluder la qualification d'établissement stable dans cet État.

L'article 7 de la convention stipule que les bénéfices réalisés par une entreprise sont imposables dans l'État de résidence de l'entreprise qui les réalise, hormis les cas où l'activité est réalisée dans l'autre État contractant au travers d'un établissement stable.

En complément, l'article 9 de la convention prévoit un mécanisme d'ajustement corrélatif des bénéfices, visant à corriger les situations de double imposition des entreprises associées. Cet article reprend ainsi les lignes directrices de l'OCDE en matière de prix de transfert, traduites dans l'article 9 du modèle OCDE et dans l'article 17 de l'instrument multilatéral.

Il permet l'application du principe de pleine concurrence aux entreprises associées. Concrètement, lorsqu'un État contractant décide d'inclure dans les bénéfices d'une entreprise des bénéfices réalisés par une entreprise associée dans l'autre État contractant, ce dernier peut opérer un ajustement approprié du montant de l'impôt qu'il perçoit sur ces bénéfices.

2. L'intégration des standards anti-abus de l'OCDE

En l'état actuel du droit et en l'absence de convention bilatérale, il n'existe pas de procédure de règlement des différends en matière fiscale entre la France et la Moldavie.

À l'inverse du projet de convention de 2006, la convention du 15 juin 2022 intègre les derniers standards de l'OCDE en matière de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales.

L'article 27 de la convention reprend la clause générale anti-abus (Principal Purpose Test) issue de l'Instrument multilatéral (article 7 de la convention multilatérale et article 29 du modèle OCDE). Cet article permet ainsi, de refuser l'octroi d'un avantage conventionnel lorsqu'il apparait que celui-ci est l'un des objets principaux d'un montage ou d'une transaction ayant permis, directement ou indirectement, de l'obtenir.

Si cette clause se rapproche de la procédure d'abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, son application est plus large. La procédure d'abus de droit apparaît ainsi plus restrictive, dans la mesure où le motif doit être exclusivement fiscal, et non pas principalement fiscal. Il appartient à l'administration fiscale de concilier ces différents principes.

Contrairement à d'autres conventions conclues ces dernières années par la France, à l'image de la convention bilatérale avec Andorre, la convention du 15 juin 2022 ne comprend pas de clauses anti-abus spécifiques. Il s'agit notamment de stipulations restreignant la notion de résident ou réservant un avantage conventionnel au bénéficiaire effectif des revenus. Ces clauses sont cumulatives avec la clause générale d'abus de droit.

Seul l'article 9, susmentionné, relatif aux prix de transfert peut être assimilé à une clause anti-abus spécifique.

B. LA CONVENTION FIXE DE NOUVELLES RÈGLES DE PARTAGE DES IMPOSITIONS ET D'ÉLIMINATION DES DOUBLES IMPOSITIONS CONFORMES À LA PRATIQUE CONVENTIONNELLE FRANÇAISE

1. La convention s'aligne sur la pratique conventionnelle française s'agissant du partage des impositions
a) Un abaissement des taux de retenue à la source sur les revenus passifs

La convention du 15 juin 2022 fixe les règles de partage d'imposition pour les revenus passifs que sont les dividendes, intérêts et redevances. La France a obtenu, au cours des négociations, un abaissement des taux de retenue à la source sur ces revenus.

S'agissant des dividendes, l'article 10 de la convention prévoit un principe d'imposition partagée de ce type de revenus. Il fixe un taux de retenue à la source plafonné à 10 % du montant brut de ces revenus. Ce taux est cependant abaissé à 5 % si le bénéficiaire effectif des dividendes est une société qui détient directement au moins 10 % du capital de la société qui paie les dividendes tout au long d'une période de 365 jours. Cette dernière stipulation vise les paiements au sein d'un groupe dans le cadre du régime « mère-fille ».

Concrètement, le plafonnement à 10 % du taux de retenue à la source sur les dividendes devrait permettre :

- pour un résident moldave percevant des dividendes de source française, de voir son taux de retenue à la source abaissé à 10 %, le taux de droit commun actuellement applicable étant supérieur à ce plafond ;

- pour un résident français percevant des dividendes de source moldave, de continuer à se voir appliquer le taux de retenue à la source de 6 % prévu en droit interne moldave.

S'agissant des intérêts, l'article 11 prévoit également un principe d'imposition partagé. Il fixe un plafond de 5 % pour le taux de retenue à la source applicable aux intérêts. Actuellement, les intérêts perçus par des résidents français font l'objet d'une retenue à la source de 12 % en Moldavie. Le paragraphe 3 de ce même article fixe cependant un principe d'imposition exclusive dans l'État de résidence des intérêts :

- selon la qualité du bénéficiaire, à savoir lorsque la personne qui perçoit les intérêts est l'un des États contractants, une de ses collectivités territoriales ou personnes morales de droit public ou la Banque centrale de l'un des États parties ;

- selon la nature de l'opération, c'est-à-dire lorsque les intérêts concernés sont payés au titre de créances ou prêts garantis, assurés ou financés par un État contractant.

Cette exemption du taux conventionnel de retenue à la source sur les intérêts vise notamment les investissements réalisés ou garantis par les personnes publiques. Dans le cas de la France, il s'agirait des divers prêts et dispositifs d'assistance financière accordés ces dernières années à la Moldavie.

Par ailleurs, conformément à la pratique conventionnelle française, le protocole annexé à la convention stipule à son point 2 que les organismes de placement collectif peuvent bénéficier du plafonnement des taux de retenue à la source sur les dividendes et les intérêts prévus aux articles 10 et 11 de la convention. Une telle stipulation, également présente dans les conventions avec le Luxembourg, le Danemark ou la Grèce bénéficie aux porteurs de parts et permet de favoriser les investissements issus de la gestion d'actifs en France.

S'agissant des redevances, l'article 12 fixe, comme pour les intérêts et les dividendes, un principe d'imposition partagée des redevances. Le taux de retenue à la source est plafonné à 5 % contre 12 % actuellement dans le droit interne moldave.

À noter que les redevances font l'objet, dans la présente convention, et conformément au modèle de l'OCDE, d'une définition restrictive.

Compte tenu du déséquilibre dans la répartition des investissements entre la France et la Moldavie, il en résultera un partage plus avantageux des recettes fiscales pour le Trésor public français. En effet, la retenue à la source est éliminée par l'État de résidence8(*), qui vient minorer l'impôt perçu sur ces mêmes revenus.

Si le modèle de convention de l'OCDE prévoit une suppression des retenues à la source sur les intérêts et les redevances, la plupart des conventions passées avec des pays moins développés comportent un partage d'imposition sur ce type de revenus.

b) Les autres revenus

S'agissant des autres catégories de revenus, la convention s'aligne sur le modèle OCDE et sur l'instrument multilatéral. Plusieurs éléments peuvent toutefois être soulignés.

Premièrement, s'agissant des rémunérations et pensions de source publique, la France a obtenu l'application d'un principe d'imposition exclusive dans l'État de source de ces revenus, inscrite à l'article 21 de la convention. Une exception à ce principe est toutefois prévue, conformément à la pratique conventionnelle française. Ainsi, un principe d'imposition exclusive dans l'État de résidence s'applique si les rémunérations publiques sont versées par l'État A à un résident de l'État B, dont il possède la nationalité, pour des activités exercées dans cet État.

À noter que l'article 21 de la convention vient déroger, pour les pensions publiques, au principe d'imposition exclusive des pensions dans l'État de résidence du bénéficiaire, prévu à l'article 17.

Deuxièmement et en cohérence avec la pratique conventionnelle de la France, le protocole annexé à la convention comporte un point 3 qui aligne le régime des personnes effectuant un volontariat international en entreprise (VIE) sur celui des étudiants, apprentis et stagiaires prévu à l'article 19, qui exonère ces derniers d'imposition.

Troisièmement, l'article 16 de la convention diffère en deux points du modèle OCDE, selon la volonté de la France. D'une part, le paragraphe 1 de cet article prévoit une imposition dans l'État de source des revenus qu'un contribuable tire de ses activités de mannequins, au même titre qu'en tant qu'artiste ou sportif. D'autre part, ce même article stipule que les revenus correspondant à des prestations non indépendantes de sa notoriété professionnelle sont imposés dans l'État d'exercice de ces activités.

2. La convention clarifie les règles d'élimination des doubles impositions

Pour rappel, le modèle de convention fiscale de l'OCDE concernant le revenu et la fortune propose deux modèles pour éliminer les doubles impositions :

la méthode dite d'exonération ou d'exemption (article 23 A du modèle). Si le résident de l'État A perçoit ou possède des revenus imposables dans l'État B, l'État A exempte d'impôt ces revenus. Il peut toutefois les prendre en compte pour déterminer le montant de l'impôt à percevoir sur le reste des revenus ;

la méthode d'imputation, via une déduction d'impôt (article 23 B). Si le résident de l'État A perçoit ou possède des revenus imposables dans l'État B, l'État A accorde, sur l'impôt qu'il perçoit du contribuable et calculé sur la base du montant total des revenus, une déduction d'un montant égal à l'impôt sur le revenu payé dans l'État B.

En l'état actuel du droit et en l'absence de convention bilatérale, les deux États appliquent concurremment leur droit fiscal interne.

Concernant la France, l'établissement de l'impôt ne prend généralement pas en compte les revenus d'activités d'une entreprise opérant hors de France, en application du principe de territorialité restreinte de l'impôt sur les sociétés9(*). De plus, il n'est pas prévu de crédit d'impôt pour les impôts payés à l'étranger sur les revenus passifs dont bénéficient les entreprises résidentes en France. Toutefois, les impositions prélevées par des pays non-couverts par notre réseau conventionnel sont déductibles du résultat imposable, au même titre que les autres dépenses10(*).

S'agissant des personnes physiques, les résidents sont imposés sur leurs revenus mondiaux. Notre droit fiscal ne prévoit pas de dispositions visant à éliminer les doubles impositions en l'absence de convention bilatérale.

Concernant la Moldavie, conformément au droit interne, les résidents sont assujettis à l'impôt sur une base mondiale. En l'absence de cadre conventionnel, l'administration fiscale accorde, sous certaines conditions, un crédit d'impôt pour les impôts sur le revenu acquittés à l'étranger. Le montant de ce crédit d'impôt est plafonné au montant de l'impôt national sur ces mêmes revenus.

À la connaissance du rapporteur, aucune situation de double imposition ou difficultés issues des règles de partage des impositions et concernant des ressortissants des deux États n'a été signalée aux autorités françaises dans le cadre actuel. En cela, la convention franco-moldave se distingue des conventions signées avec la Grèce et le Danemark qui avaient notamment pour objectifs de mettre fin à des situations particulières11(*).

À l'occasion de la négociation de la convention du 15 juin 2022, la France a opté pour la méthode d'imputation. Cette dernière présente, par rapport à l'exemption, plusieurs avantages. Ainsi, l'imputation permet un maintien de l'équité fiscale entre les contribuables percevant uniquement des revenus de source française et les contribuables percevant des revenus issus d'un État étranger. Elle garantit que les revenus de source moldave soient pris en compte de la même manière que les revenus de source française dans la détermination du taux marginal d'imposition. De plus, la méthode de l'imputation permet d'éviter les situations de double exonération, correspondant à un impôt nul dans l'État de source du revenu.

Par ailleurs, le choix de la méthode d'imputation est cohérent avec la pratique conventionnelle française depuis les années 1990 et se retrouve au sein des conventions récemment négociées ou renouvelées par la France.

Par conséquent, l'article 21 de la convention prévoit que la France octroie un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français pour éliminer les cas de double imposition. Ce crédit d'impôt est :

- soit égal à l'impôt étranger plafonné à l'impôt français, pour les revenus soumis à l'impôt sur les sociétés, les dividendes, les intérêts, les redevances, les gains en capital ainsi que pour les rémunérations des administrateurs de sociétés et revenus des artistes, sportifs et mannequins ;

- soit égal à l'impôt français, pour les autres types de revenus, notamment les salaires. Dans ce cas, les revenus concernés sont intégrés dans l'assiette taxable, dans l'objectif de préserver la progressivité de l'impôt.

Du côté moldave, la convention prévoit également l'application de la méthode de l'exemption pour les revenus faisant l'objet d'une imposition partagée. Le paragraphe 2 de l'article 21 stipule ainsi que la Moldavie accorde une déduction d'impôt d'un montant égal à l'impôt français mais plafonné à l'impôt moldave pour les revenus faisant l'objet d'une imposition partagée entre les deux États.

Néanmoins, l'article 21 ne mentionne pas le traitement des revenus faisant l'objet d'une imposition exclusive en France. Dans le silence de la convention, l'exposé des motifs du présent projet de loi indique que la Moldavie accorde, sur ces revenus, une exemption totale d'impôt.

III. SI LA NOUVELLE CONVENTION FRANCO-MOLDAVE CONSTITUE UN FACTEUR DE SIMPLIFICATION POUR LES CONTRIBUABLES, UNE ÉVALUATION PLUS APPROFONDIE DE SON IMPACT APPARAIT NÉCESSAIRE

A. L'ENTRÉE EN VIGUEUR DE LA CONVENTION DU 15 JUIN 2022 DEVRAIT PERMETTRE DE SIMPLIFIER ET DE SÉCURISER LA SITUATION FISCALE DES PARTICULIERS ET DES ENTREPRISES

1. Des avantages à attendre de la nouvelle convention pour les particuliers...

Notre réseau conventionnel porte notamment un objectif de protection des contribuables face aux risques de double imposition de leurs revenus dans l'État de source de ces derniers et dans l'État de résidence. À cet égard, la conclusion d'une convention fiscale bilatérale est de nature à renforcer la sécurité juridique des ressortissants étrangers installés en France comme de nos compatriotes résidant à l'étranger.

L'absence de convention fiscale avec la Moldavie constituait une anomalie pour notre réseau conventionnel en Europe. La conclusion d'une telle convention permet à la fois de combler ce manque et d'encourager la démarche d'intégration européenne amorcée par ce pays depuis plusieurs années.

L'entrée en vigueur de la convention du 15 juin 2022 viendra renforcer la sécurité juridique des ressortissants des deux États qui seraient expatriés dans l'autre État contractant. Du côté français, 65 ressortissants sont inscrits au registre consulaire de l'ambassade de France en Moldavie et le nombre total de Français dans le pays est estimé à une centaine. Du côté moldave, 29 900 ressortissants établis en France ont voté lors des dernières élections présidentielles et les services de l'ambassade de Moldavie évaluent le total de leurs ressortissants en France à 90 000 personnes.

2. ...comme pour les entreprises

Si la Moldavie n'a pas ratifié l'instrument multilatéral de l'OCDE, la convention du 15 juin 2022 reprend les derniers standards développés par l'OCDE et présents dans son modèle de convention fiscale et dans l'instrument multilatéral. Cette intégration constitue un facteur de modernisation de la lutte contre l'évitement fiscal des entreprises et de simplification de leur régime d'imposition.

Par ailleurs, la convention vient clarifier le régime d'imposition des revenus passifs (dividendes, intérêts et redevances) qui trouve largement à s'appliquer aux entreprises.

Les articles 10, 11 et 12 de la convention viennent ainsi, comme indiqué précédemment, abaisser les taux de retenue à la source sur les dividendes, intérêts et redevances, dont l'imposition est partagée. Cette évolution devrait conduire à une répartition des recettes fiscales plus favorables à la France, d'une part, et stimuler les investissements croisés, d'autre part. Néanmoins, ni l'étude d'impact annexée au présent projet de loi, ni l'audition des commissaires du Gouvernement n'ont permis au rapporteur d'obtenir une estimation chiffrée de l'incidence fiscale de cette mesure.

B. L'EXAMEN DE LA CONVENTION DU 15 JUIN 2022 CONSTITUE UNE ILLUSTRATION D'UNE ÉVALUATION INSUFFISANTE DES CONVENTIONS FISCALES PAR L'ADMINISTRATION

1. Au stade de l'étude d'impact, les conséquences économiques et fiscales de l'entrée en vigueur de la convention devraient être davantage détaillées

Il est devenu d'usage, au cours de l'examen des projets de loi portant approbation ou ratification d'une convention fiscale par la commission des finances, de déplorer le caractère lacunaire des études d'impact fournies au Parlement. Force est de constater que l'étude d'impact relative à l'approbation de la convention du 15 juin 2022 n'y déroge pas.

Si de longs développements sont consacrés aux relations économiques et commerciales entre la France et la Moldavie, certaines informations essentielles sont pourtant manquantes ou datées. L'étude d'impact n'indique ainsi aucun chiffre sur le nombre de ressortissants français résidant en Moldavie et de ressortissants moldaves en France, ni sur le nombre d'entreprises présentes dans les deux pays. Les réponses écrites au questionnaire du rapporteur et l'audition des commissaires du Gouvernement ont toutefois permis de combler ces manques.

De plus, le rapporteur regrette que ce document n'opère qu'une analyse de la situation actuelle et ne se penche que brièvement sur les conséquences de l'entrée en vigueur de la convention. À titre d'exemple, s'agissant de l'impact économique et commercial de la convention, l'étude d'impact indique sobrement que « la convention permettra de renforcer les échanges économiques et les investissements entre la France et la Moldavie ».

Surtout, l'étude d'impact ne comporte aucune estimation chiffrée des conséquences de la mise en oeuvre de cette convention sur nos recettes fiscales. Malgré la complexité d'un tel exercice, la transmission de ces données au Parlement paraît indispensable à sa bonne information.

La Cour des comptes, dans un référé daté du 31 mai 2019 et relatif aux conventions fiscales internationales, avait pourtant souligné que l'expertise économique consacrée aux négociations fiscales internationales pouvait être renforcée pour conforter notre capacité de négociation et enrichir les dossiers législatifs transmis aux parlementaires. La Cour recommandait, par ailleurs, de constituer une « cellule de veille stratégique » ad hoc, associant la direction générale des finances publiques (DGFiP), la direction générale du Trésor et la Banque de France. En dépit de son utilité certaine, une telle cellule n'a pas été constituée à ce jour.

2. Une évaluation a posteriori des conventions récemment entrées en vigueur permettrait d'éclairer notre politique en matière de conventions fiscales internationales

En sus du renforcement de l'évaluation a priori de l'impact économique et fiscal des nouvelles conventions, le rapporteur reprend la recommandation de notre collègue Vincent Delahaye12(*) sur la nécessité d'envisager une évaluation a posteriori de notre réseau conventionnel.

D'une part, il apparait essentiel d'évaluer la rénovation de notre réseau conventionnel sous les effets des avancées des standards de l'OCDE. Un tel travail permettrait d'éclairer utilement notre politique en matière de convention fiscales internationales. Nous disposons à cet effet d'un recul de quatre ans depuis l'entrée en vigueur de l'instrument multilatéral de l'OCDE et d'un recul de plus d'un an depuis la décision de la France de l'appliquer à toutes les conventions fiscales de son réseau conventionnel.

D'autre part, l'évaluation des effets de l'instrument multilatéral ne devrait pas nous dispenser d'assurer un suivi a posteriori des conséquences économiques et fiscales de la convention du 15 juin 2022 entre la France et la Moldavie. Un travail de suivi dans le temps de l'impact de l'entrée en vigueur des nouvelles conventions permettrait de constater avec précision les effets de ces nouveaux accords et d'éclairer l'élaboration de notre politique fiscale dans les années à venir.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 6 mars sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de M. Michel Canévet sur le projet de loi n° 283 (2023-2024) autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales.

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons le rapport de Michel Canévet sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Le projet de loi qu'il nous revient d'examiner a pour objet d'autoriser l'approbation de la nouvelle convention fiscale signée avec la République de Moldavie le 15 juin 2022, et ratifiée par le Parlement moldave en juillet 2022. Le présent texte, adopté par l'Assemblée nationale le 29 janvier 2024, sera examiné au Sénat en séance publique la semaine prochaine.

La Moldavie, qui se trouve à la frontière de l'Union européenne, entre la Roumanie et l'Ukraine, a été reconnue officiellement pays candidat à l'adhésion européenne en juin 2022.

Les relations franco-moldaves connaissent un regain important depuis l'élection à la présidence de la République moldave de la pro-européenne Maia Sandu en 2020. À la suite de l'agression russe contre l'Ukraine, pays frontalier de la Moldavie, la France s'est engagée comme l'un des premiers soutiens financiers de ce pays, qui figure parmi les États les plus pauvres d'Europe. Elle dirige notamment avec l'Allemagne et la Roumanie la Plateforme de soutien à la Moldavie (PSM), qui vise à coordonner l'assistance internationale apportée à ce pays. Elle accompagne également la Moldavie dans sa démarche d'intégration européenne.

La France et la Moldavie ne sont plus liées par aucune convention fiscale depuis la décision de la Moldavie de dénoncer la convention fiscale franco-soviétique du 4 octobre 1985, qui s'appliquait jusqu'alors. Un premier projet de convention bilatérale avait été signé en 2006, mais il ne s'était pas concrétisé, la Moldavie ayant décidé par ailleurs de supprimer son impôt sur les sociétés. Un nouveau projet de convention fiscale avait échoué en 2012.

La France avait fixé deux conditions à la reprise des négociations : d'une part, le retour d'un taux standard d'imposition sur les sociétés ; d'autre part, un engagement accru de la Moldavie en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

Ces deux conditions ont été remplies par l'adoption d'un taux d'impôt sur les sociétés à 12 % en 2012, puis par l'adhésion de la Moldavie au Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements, et à la Convention d'assistance administrative mutuelle en matière fiscale (Maac) de l'OCDE, la même année. Compte tenu de ces évolutions, des négociations sur une nouvelle convention fiscale bilatérale ont été ouvertes à l'été 2019, et la présente convention a été signée le 15 juin 2022.

J'en viens au contenu de la convention et voudrais, à cet égard, insister sur deux points.

Premier point : la rédaction de cette convention s'est largement appuyée sur les derniers travaux de l'OCDE. Pour rappel, deux instruments de cette organisation orientent désormais la politique conventionnelle française en matière fiscale. Il s'agit tout d'abord du modèle de convention fiscale de l'OCDE, mis à jour en 2017. Ce modèle a été complété par l'instrument multilatéral de l'OCDE, issu du plan d'action pour lutter contre l'évitement fiscal et moderniser le droit fiscal international, plus connu sous l'acronyme anglais Beps (Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices).

La convention franco-moldave intègre, par conséquent, les principaux standards des travaux de l'OCDE.

Il s'agit, à titre d'exemple, de la définition modernisée de l'établissement stable. Cette notion permet de déterminer si une activité industrielle, commerciale ou libérale est imposable dans l'État où elle est exercée ou dans l'État de résidence de l'entreprise. L'État d'exercice de l'activité peut imposer les bénéfices de l'entreprise à partir du moment où elle dispose d'un établissement stable dans cet État.

La convention intègre également une clause générale anti-abus qui permet de refuser l'octroi d'un avantage conventionnel lorsqu'il apparaît que celui-ci est l'un des objets principaux d'un montage ou d'une transaction ayant permis, directement ou indirectement, de l'obtenir. Elle prévoit un mécanisme d'élimination des doubles impositions. La France a opté pour la méthode dite de l'imputation, qui consiste à accorder au contribuable un crédit d'impôt imputable sur son impôt français. La Moldavie a choisi, de son côté, une méthode similaire pour les revenus dont l'imposition est partagée avec la France.

Second point : la France a réussi à inclure dans la convention des stipulations conformes à la pratique conventionnelle française.

La France a pu intégrer au sein de la convention une clause relative au volontariat international, une clause relative à l'imposition dans l'État de source des revenus des mannequins et une stipulation relative aux prestations relevant de la notoriété personnelle. Ces différentes clauses sont conformes à la politique conventionnelle de notre pays.

La France a également obtenu au cours des négociations un abaissement des taux de retenue à la source sur les revenus passifs que sont les dividendes, intérêts et redevances. La convention fixe ainsi un taux de retenue à la source de 10 % pour les dividendes et de 5 % pour les intérêts et les redevances. Un principe d'imposition exclusive dans l'État de résidence est toutefois prévu pour les intérêts relatifs aux investissements réalisés ou garantis par les personnes publiques, compte tenu de l'importance de l'aide au développement française apportée à ce pays.

Compte tenu du déséquilibre dans la répartition des investissements entre la France et la Moldavie, il résultera de cet abaissement généralisé des taux de retenue à la source un partage plus avantageux des recettes fiscales pour le Trésor public français. En effet, la retenue à la source est éliminée par l'État de résidence, qui vient minorer l'impôt perçu sur ces mêmes revenus. L'accord trouvé entre la France et la Moldavie me paraît équilibré et de nature à renforcer la sécurité juridique des contribuables, tout en stimulant les échanges avec ce pays d'Europe orientale.

La nouvelle convention fiscale viendra en effet sécuriser la situation des particuliers comme des entreprises, en prévoyant un cadre clair d'élimination des doubles impositions. En l'absence de cadre conventionnel, la France et la Moldavie appliquent actuellement et concurremment leur droit fiscal interne. Ce vide conventionnel est propice à l'apparition de situations de doubles impositions.

Toutefois, contrairement à des conventions fiscales récentes que notre commission a eu l'occasion d'examiner ces derniers mois - je pense à la convention franco-grecque et à la convention franco-danoise -, la convention bilatérale franco-moldave ne vient pas répondre à des situations particulières de double imposition. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le ministère de l'économie et des finances ne nous ont pas fait remonter de cas spécifiques. En outre, l'abaissement des taux de retenue à la source sur les revenus passifs devrait permettre de soutenir la croissance des échanges commerciaux et financiers bilatéraux. Si la Moldavie n'est que le cent treizième client de la France, le commerce entre les deux pays connaît une croissance annuelle moyenne de 13 % depuis 2018. Environ 240 entreprises françaises sont implantées en Moldavie, notamment Orange et Lafarge ; en revanche, il n'y a pas d'entreprises moldaves connues implantées en France.

En dehors des considérations fiscales et économiques, l'entrée en vigueur de cette convention fiscale bilatérale dans le contexte géopolitique complexe de la Moldavie est de nature à encourager ce partenaire dans sa démarche d'intégration européenne.

Je vous propose d'émettre un avis favorable à l'entrée en vigueur de la convention franco-moldave du 15 juin 2022, c'est-à-dire d'adopter le présent projet de loi sans le modifier.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - M. Michel Canévet est également vice-président du groupe d'amitié France-Moldavie et donc bien au fait du sujet.

Cette convention fiscale répond aux standards de l'OCDE et s'inscrit dans la continuité de conventions que nous avons adoptées récemment. Il est toujours bon de prévoir des règles juridiques communes avec l'ensemble de nos partenaires, même s'ils ne sont pas majeurs en volume, et de les adapter.

Je souscris aux conclusions du rapporteur mais nous devrons examiner d'un peu plus près les études d'impact, car il nous faut disposer d'assises juridiques fortes.

M. Emmanuel Capus. - Une partie du territoire moldave, la Transnistrie, se trouve dans une situation de non-droit. Qu'en sera-t-il, dans ces conditions, de l'application de cette convention ?

D'autres États qui relevaient autrefois de la zone d'influence soviétique, comme la Géorgie, pourraient-ils signer une telle convention bilatérale ?

D'autres États européens ont-ils signé une convention bilatérale avec la Moldavie ? Si oui, ces conventions présentent-elles les mêmes avantages et inconvénients que celle-ci ?

M. Rémi Féraud. - Ce petit pays est européen. Pourquoi la signature de cette convention a-t-elle tant tardé depuis la dénonciation de la convention fiscale franco-soviétique de 1985, voire depuis sa ratification par le Parlement moldave, alors même que la situation géopolitique est très sensible et qu'il nous faut envoyer des signaux à ces pays ?

Pourquoi y a-t-il si peu d'études d'impact attachées à ces conventions bilatérales ? Une cellule de suivi avait été prévue, mais elle n'est toujours pas créée. Bercy s'y est-il engagé ? La corruption étant importante en Moldavie, une telle convention fiscale est-elle porteuse de risques ? Le suivi de sa mise en oeuvre semble essentiel, tout comme celui de ses conséquences sur les recettes publiques.

Mme Nathalie Goulet. - La semaine dernière, la Russie a proféré des menaces fortes contre la Transnistrie, ce qui peut avoir une influence sur le conflit avec l'Ukraine. Il s'agit d'une zone de grandes turbulences, d'autant que la Moldavie est intégrée au partenariat oriental de l'Union européenne. Il est positif de signer une convention avec ce pays, mais il faut des garanties. En effet, la Moldavie et la Roumanie figurent au « hit-parade » de tous les réseaux de fraudes sociales et fiscales. Des dispositifs de suivi sont-ils mis en place ? J'engage les fonctionnaires de Bercy à se rendre sur place avant de rédiger des conventions !

M. Bernard Delcros. - Quid de l'application de cette convention dans les territoires moldaves pro-russes ?

M. Éric Bocquet. - Le rapporteur a cité les sociétés Orange et Lafarge, qui sont installées en Moldavie. Quel taux d'impôt sur les sociétés s'applique à ces entreprises françaises dans ce pays ? On sait que, de façon générale, ce taux qui était de 0 % voilà quelques années est passé à 12 % ; il reste donc bien inférieur à celui applicable en France. Quant au salaire minimum, il y est de 46,29 euros par mois. Enfin, les retenues à la source sur les dividendes sont plafonnées à 10 %, ce qui est loin de notre plafonnement forfaitaire unique (PFU)...

M. Michel Canévet, rapporteur. - L'évolution récente des relations entre la présidente Maia Sandu et les autorités de la Transnistrie est en effet préoccupante. La Transnistrie ne respectant pas les règles fixées par l'Union européenne et par l'OCDE, cette entité de 465 000 habitants n'est pas incluse dans le périmètre de la convention fiscale. La convention s'appliquera à ce territoire à compter du retour de la pleine souveraineté moldave.

La Biélorussie, le Kirghizstan et le Turkménistan sont les trois derniers États concernés par la convention de 1985 entre l'Union soviétique et la France.

La plupart des pays européens ont déjà signé une convention fiscale avec la Moldavie, dans le respect des normes fixées par l'OCDE. Il est vrai, monsieur Féraud, que les délais de conclusion et de ratification de cette convention fiscale sont très longs. Les négociations ont débuté en 2019 et n'ont abouti qu'en 2022, une première tentative ayant échoué dès 2006. Nous sommes dans l'attente depuis deux ans. Le Parlement moldave a pourtant fait preuve de célérité et lorsque le groupe d'amitié France-Moldavie s'était rendu sur place en 2022, la signature et la mise en oeuvre de la convention étaient au coeur des discussions. Même si nous devions la ratifier dès maintenant, elle n'entrerait toutefois en vigueur qu'à compter du 1er janvier 2025. Tout cela est inquiétant : dès lors qu'un accord avait été conclu, nous aurions pu le valider plus rapidement.

Monsieur Bocquet, le taux d'impôt sur les sociétés est en effet de 12 % en Moldavie. Toutefois, puisque nous avons choisi la méthode de l'imputation, les entreprises bénéficieront d'un crédit d'impôt pour les sommes payées en Moldavie et seront imposées en France sur le complément. Il en va de même pour les redevances. Cet accord est donc avantageux également pour le Trésor français. Parmi les 240 sociétés qui avaient été identifiées en 2021 sur le territoire moldave, Orange, Sanofi, Lafarge et Lactalis représentent environ 4 000 emplois.

Enfin, je précise qu'une élection présidentielle à enjeu aura lieu à l'automne prochain. Le mandat de Maia Sandu, qui se représente, arrive en effet à échéance. La situation politique moldave pourrait donc évoluer.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Ministère de l'Europe et des affaires étrangères

- Mme Fanny ROLLAND, rédactrice, pôle conventions, mission des conventions et de l'entraide judiciaire, service des conventions, des affaires civiles et de l'entraide judiciaire, direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire ;

- M. Alexandre JOAO, rédacteur Moldavie, sous-direction de la Russie et de l'Europe continentale, direction de l'Europe continentale.

Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

- M. Florian DE FILIPPO, chef du bureau E1, direction de la législation fiscale ;

- Mme Nathalie GOSSEMENT, adjointe au chef du bureau E1, direction de la législation fiscale ;

- M. Quentin FEUGA, chef de section, bureau E1, direction de la législation fiscale ;

- M. Victor CASSAN, rédacteur, bureau E1, direction de la législation fiscale.


* 1 Banque Mondiale, Moldova Country Economic Memorandum, 2019.

* 2 Réponse du Ministère de l'économie et des finances à la question écrite n° 08323 - 15e législature, publiée le 3 octobre 2019.

* 3 La France et le Danemark ont signé le 4 février 2022 une convention pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales, approuvée par la loi n° 2023-1232 du 22 décembre 2023.

* 4 Cf. BOI-INT-CVB-BLR.

* 5 Cf. BOI-INT-CVB-TJK.

* 6 Cf. BOI-INT-CVB-TKM.

* 7 Convention du 11 mai 2022 entre la République française et la République hellénique pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales, ratifiée par la loi n° 2023-1232 du 22 décembre 2023.

* 8 Dans le cas de la France, généralement par la voie d'un crédit d'impôt.

* 9 Défini à l'article 209 du code général des impôts.

* 10 Article 39 du code général des impôts.

* 11 Cf. le rapport n° 35 (2023-2024) de M. Vincent DELAHAYE, déposé le 18 octobre 2023, au nom de la commission des finances sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Danemark pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales et la ratification de la convention entre la République française et la République hellénique pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales.

* 12 Op. cit.

Partager cette page