EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 7 février 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport de Mme Laurence Rossignol, rapporteure, sur la proposition de loi n° 537 (2022-2023) visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail.
M. Philippe Mouiller, président. - Notre ordre du jour appelle maintenant l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail. Cette proposition de loi, déposée par notre collègue Hélène Conway-Mouret, dont je salue la présence parmi nous, sera examinée en séance publique jeudi 15 février, au sein de la niche du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - La proposition de loi de notre collègue Hélène Conway-Mouret cherche à mettre en place les conditions d'une meilleure prise en compte de la santé des femmes au travail, et prévoit de créer un arrêt maladie plus adapté à la situation des femmes souffrant de dysménorrhées.
Cette proposition de loi s'inscrit en partie dans le sillage du rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sur la santé des femmes au travail, auquel j'ai eu la chance de participer avec ma collègue Marie-Pierre Richer. Nous ne sommes pas parvenues, cependant, à adopter une position unanime en faveur de la mise en place d'un « congé menstruel » en France, ou contre cette mesure, mais nous nous sommes accordées sur le constat suivant : les pathologies menstruelles constituent un enjeu d'égalité professionnelle encore insuffisamment investi dans le monde du travail.
Avant de procéder à l'examen de ce texte, je voudrais d'abord souligner un double problème de vocabulaire, concernant les termes de « dysménorrhée » et de « congé menstruel ».
Tout d'abord, le champ de la proposition de loi s'étend aux femmes victimes de dysménorrhées incapacitantes, un terme qui peut paraître inutilement compliqué, mais qui désigne en réalité simplement les douleurs menstruelles assez aiguës pour perturber les activités quotidiennes, et donc conduire à des absences dans le milieu scolaire ou professionnel. Ces dysménorrhées peuvent être qualifiées de « secondaires », lorsqu'elles sont liées à une pathologie - c'est le cas de l'endométriose, des fibromes utérins, du syndrome des ovaires polykystiques ou du syndrome prémenstruel - ou bien de « primaires » lorsqu'elles ne le sont pas.
Évidemment, les données sur ce sujet sont délicates à produire, mais le phénomène est loin d'être anecdotique. Les estimations qui font foi parmi le corps médical indiquent qu'une femme sur dix en âge de procréer souffrirait d'endométriose, auxquelles s'ajoutent les femmes touchées par les autres pathologies menstruelles et par des dysménorrhées primaires. Dans un sondage de l'Institut français d'opinion publique (Ifop) de mai 2021, 16 % des femmes interrogées rapportent souffrir de menstruations très douloureuses, au point de voir leur activité professionnelle ou scolaire impactée.
J'en viens maintenant au terme de « congé menstruel ». Celui-ci a le mérite d'avoir été repris dans l'espace public et d'être relativement bien identifié, mais c'est sans doute là sa seule vertu. En effet, il permet à tort le rapprochement avec les congés payés et donne l'image d'une période de confort et d'oisiveté à destination des femmes durant leur période de menstruation. Il n'en est rien, évidemment.
D'abord, mais faut-il le rappeler, parce qu'il ne vise pas l'ensemble des femmes, mais seulement celles dont les douleurs sont incapacitantes, le terme de « congé menstruel » n'est pas adapté. Je vous épargne le recueil de description des douleurs physiques, et je ne reviens pas non plus sur les errances thérapeutiques qui s'y rattachent le plus souvent, mais je vous assure qu'à choisir, aucune d'entre elles ne souhaiterait avoir besoin de cet arrêt.
Par ailleurs, j'y reviendrai, la proposition de loi ne vise pas à créer un congé menstruel accordé par l'employeur, mais bien un arrêt maladie spécifique, délivré par un professionnel médical à la suite d'un examen rigoureux, et donc sur des bases cliniques indiscutables. Ces précautions liminaires étant exposées, j'en viens au coeur de notre sujet.
Depuis quelques années, l'action des associations et des militantes a permis d'offrir une meilleure visibilité à l'endométriose dans l'espace public, et il faut s'en féliciter.
Cette visibilité peine en revanche à passer les portes du monde du travail. Si de réels progrès ont été faits concernant la prévention et la santé en travail dans les entreprises depuis l'accord national interprofessionnel (ANI) du 9 décembre 2020, les employeurs peinent encore à identifier les dysménorrhées subies par les femmes comme un enjeu d'égalité professionnelle.
En l'absence de disposition spécifique dans le droit français et de prise en charge par la sécurité sociale, seuls quelques employeurs ont mis en place un accompagnement et, parfois, une adaptation du régime de travail de leurs salariées souffrant de dysménorrhées.
Comme souvent, les collectivités territoriales ont été pionnières : la commune de Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, a par exemple mis en oeuvre une autorisation spéciale d'absence de deux jours par mois sur présentation d'un justificatif médical, avant que la commune de Bagnolet et les métropoles de Lyon et Strasbourg ne l'imitent. Certaines entreprises ont également prévu des adaptations : si l'exemple très médiatique de Carrefour ne concerne qu'un champ restreint aux salariées ayant une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), d'autres entreprises, des grandes comme L'Oréal, ou des plus petites comme la coopérative La Collective, sont également expérimentatrices.
Face à cette forme de prise de conscience, les initiatives législatives se multiplient au Sénat comme à l'Assemblée nationale, dans l'ensemble du spectre politique, actant ainsi que le besoin d'agir est réel. Pour ce qui concerne plus spécifiquement le Sénat, la proposition de loi visant à lutter contre l'endométriose d'Alexandra Borchio Fontimp, qui a récemment été déposée, concerne le financement de l'innovation dans la prise en charge thérapeutique, le dépistage et la diffusion de la connaissance autour de cette maladie. Cette initiative est donc pleinement compatible avec la proposition de loi que nous examinons ce matin, qui concerne principalement l'adaptation du régime des arrêts de travail et de leur indemnisation aux douleurs menstruelles.
Les douleurs menstruelles revêtent en effet certaines spécificités : les dysménorrhées sont récurrentes, elles sont concentrées dans le temps, et elles sont, dans la grande majorité des cas, bénignes. Les grands principes de l'indemnisation des arrêts de travail de droit commun, à savoir la prescription médicale de chaque arrêt et l'application d'un délai de carence, ne s'accommodent qu'imparfaitement de ces particularités. La conséquence est un important non-recours, facteur d'un certain mal-être au travail.
Les statistiques le confirment : 40 % des femmes souffrant de dysménorrhées disent, par exemple, mal supporter les stations debout et assise les plus courantes sur leur poste. S'y ajoutent de la fatigue et des difficultés à se concentrer du fait de la douleur pour 48 % d'entre elles. Comment ignorer, dans ces conditions, les risques accrus d'accidents du travail que les douleurs menstruelles font peser sur les femmes ?
Il est aujourd'hui nécessaire de dépasser enfin la recette que se transmettent les femmes de génération en génération : « Prends tes médicaments et serre les dents ». Cette invisibilisation des douleurs menstruelles n'est plus tenable.
Six pays ont déjà pris à bras-le-corps l'enjeu de la santé menstruelle au travail, et adopté des « congés menstruels ». Dans quatre d'entre eux, le Japon, la Corée du Sud, l'Indonésie et la Zambie, il s'agit bien d'un jour de congé accordé et, le cas échéant, rémunéré par l'employeur. Dans les deux autres, Taïwan et l'Espagne, il s'agit plutôt d'un arrêt de travail menstruel, médicalement constaté et pris en charge par la solidarité nationale.
La proposition de loi que nous examinons ce matin a pour principal objet de faire de la France le septième pays de la liste et de créer un nouveau régime d'arrêt maladie spécifiquement dédié aux femmes souffrant de dysménorrhées, arrêt maladie à la charge de la sécurité sociale et non de l'employeur.
L'article 1er constitue le coeur du dispositif. Il prévoit que l'assurée souffrant de dysménorrhées puisse se voir prescrire par un médecin ou une sage-femme un arrêt de travail cadre, d'une durée d'un an. Cette prescription ouvrirait à l'assurée le droit de bénéficier au plus de deux jours d'arrêt de travail par mois chaque fois que la douleur le rend nécessaire, sans avoir à consulter à nouveau un professionnel médical.
Il s'agit là d'une dérogation au droit commun, justifiée par la récurrence et la cyclicité des douleurs menstruelles, ainsi que par leur caractère le plus souvent bénin. Cela allégerait les démarches médicales de l'assurée, qui n'aurait plus à consulter à chaque période de menstruation douloureuse, et libérerait du temps médical dans un contexte de tension sur l'offre de soins.
L'article 2 prévoit qu'aucun délai de carence ne s'applique aux arrêts de travail prescrits en cas de dysménorrhée, tant pour les salariées que pour les agentes publiques. Les arrêts de travail seraient donc indemnisés dès le premier jour. Il ne s'agit pas là d'une mesure pour encourager le recours à l'arrêt de travail, mais bien d'une mesure pour cesser de le décourager.
En effet, les douleurs liées aux règles peuvent être aiguës, mais elles sont le plus souvent concentrées sur une durée insuffisante pour ouvrir droit à indemnisation pour les salariées du privé, compte tenu du délai de carence.
Les femmes souffrant de dysménorrhées sont donc aujourd'hui contraintes à un choix entre deux issues insatisfaisantes : s'arrêter et perdre jusqu'à 10 % de leur salaire, parfois chaque mois ; ou souffrir au travail. Dans un contexte d'inflation, l'arrêt de travail devient un luxe que peu peuvent se permettre. La suppression du délai de carence est alors une condition nécessaire pour que l'arrêt de travail puisse servir son but originel : permettre à celles et ceux qui ne peuvent momentanément pas travailler de ne pas le faire.
La suppression d'un délai de carence n'a d'ailleurs rien d'incongru. Vous avez, mes chers collègues, adopté en 2023 la suppression du délai de carence pour les arrêts de travail consécutifs à une interruption spontanée de grossesse ou à une interruption médicale de grossesse, pour les mêmes raisons. Le délai de carence ne s'applique pas davantage pour les affections de longue durée (ALD) à compter du deuxième arrêt de travail, une dérogation justifiée par la récurrence et la chronicité de ces pathologies. Ces caractéristiques, les ALD les partagent avec de nombreuses pathologies menstruelles, à commencer par l'endométriose.
L'article 3 prévoit, quant à lui, que les arrêts de travail, dans le cadre du « congé menstruel », soient pris en charge à 100 % par la sécurité sociale, un traitement dérogatoire plus favorable que les arrêts de travail de droit commun, pris en charge à 50 %.
Malgré la spécificité des douleurs menstruelles, je vous proposerai de supprimer cet article dans un esprit d'équité. Il ne me semble en effet pas justifié d'instaurer des différences de traitement entre les différentes pathologies dans le niveau de prise en charge par la solidarité nationale.
Si les administrations centrales n'ont pas été en mesure de nous proposer un chiffrage, la direction générale de l'offre de soins (DGOS) avait estimé à une centaine de millions d'euros le coût annuel pour la sécurité sociale d'un dispositif similaire, mais centré sur l'endométriose.
Cet arrêt menstruel ne manquera pas, je le sais, de susciter des interrogations. J'aimerais revenir sur les principales observations qui m'ont été transmises lors des auditions.
J'écarte d'emblée le sempiternel argument du risque de discrimination, que même la direction générale du travail (DGT) ne revendique pas et qui n'a jamais servi qu'à prôner l'immobilisme pour les droits des femmes.
À ceux qui craignent que ce dispositif ne désorganise les entreprises, je veux répondre que le premier facteur de désorganisation n'est pas l'arrêt menstruel, mais la douleur menstruelle. Il me semble illusoire de croire que l'employée d'usine qui se tord de douleur à son poste, parce qu'elle n'a pas d'autre choix, puisse exercer un travail productif qui ne perturbe pas l'organisation du travail.
D'autres, comme la DGOS, craignent qu'un arrêt de travail cadre comme celui que prévoit de créer ce texte ne conduise les femmes à moins consulter pour leurs dysménorrhées. Je pense au contraire qu'en simplifiant la procédure et en garantissant une juste indemnisation, ce texte sera de nature à inciter les femmes qui souffrent aujourd'hui en silence et hors de tout parcours de soins, faute d'alternative, à consulter un médecin à ce sujet.
J'aimerais, enfin, avancer deux arguments à mes collègues qui pensent que la solution réside dans la catégorisation comme ALD de certaines pathologies menstruelles.
Premièrement, en supprimant le délai de carence, la proposition de loi que nous examinons rapproche le régime applicable aux dysménorrhées de celui qui est applicable aux ALD. Cette proposition de loi va donc dans le sens que vous encouragez.
Deuxièmement, seulement 10 000 femmes sont parvenues à faire reconnaître leur endométriose comme ALD, un chiffre à comparer aux 2,5 millions de femmes concernées par cette maladie. Nous ne pouvons plus continuer d'agir au compte-gouttes, il faut désormais une approche plus globale.
Enfin, l'article 4 prévoit que l'accord collectif applicable, ou à défaut la charte de l'employeur, précise les modalités d'accès des salariées souffrant de dysménorrhée invalidante à une organisation en télétravail. Il précise également que l'employeur s'assure de « l'égalité d'accès au télétravail entre les femmes et les hommes ». En effet, même si toutes les salariées ne peuvent y prétendre, le télétravail peut constituer un aménagement de poste particulièrement adéquat pour les femmes souffrant de dysménorrhées.
Cette proposition de loi est prometteuse et nécessite certainement un débat nourri pour préciser certains de ses éléments. Les auditions conduites ont d'ores et déjà permis d'identifier le risque qui existerait à porter à 100 % l'indemnisation des arrêts maladie des femmes souffrant de dysménorrhées, ce qui nous a conduits à la suppression de l'article 3. Plus largement, des évolutions sont imaginables concernant les modalités de la prise en charge par la sécurité sociale de ces arrêts, que ce soit au niveau du périmètre, ou de la nature de l'arrêt délivré.
Pour conclure, ce texte répond à une conviction profonde : quand le système d'indemnisation de l'assurance maladie ne répond pas à la situation particulière d'un salarié, c'est parfois une injustice, souvent une tragédie individuelle, mais cela n'appelle pas forcément de réponse du législateur. En revanche, quand un système exclut plus d'un salarié sur vingt, il me semble que la légitimité du législateur à agir est grande. C'est pourquoi je demande à la commission de bien vouloir adopter ce texte.
Pour finir, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives au régime des arrêts de travail s'appliquant aux personnes souffrant de dysménorrhées et aux aménagements des conditions et du temps de travail pour les personnes souffrant de dysménorrhées.
En revanche, ne me semblent pas présenter de lien - même indirect - avec le texte déposé, et seraient donc considérés comme irrecevables, des amendements relatifs à la prise en charge thérapeutique des personnes souffrant de dysménorrhées, aux compétences générales des professionnels de santé, aux conditions générales d'indemnisation des arrêts de travail ou aux règles générales d'organisation du travail.
Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la proposition de loi. - Merci de m'accueillir pour présenter cette proposition de loi. Ce texte repose sur des observations de terrain et vise à répondre aux attentes de millions de femmes, qui espèrent voir reconnaître le fait que les dysménorrhées peuvent être incapacitantes et avoir des répercussions négatives sur la qualité de leur travail, comme sur la qualité de leurs relations professionnelles pendant la journée ou les deux jours concernés, situation qu'elles doivent jusqu'à présent gérer seules en invisibilisant leurs souffrances. Leurs collègues peuvent cependant observer que la qualité de leur travail n'est pas optimale pendant ces périodes.
Ces femmes souhaitent travailler dans un environnement professionnel serein et pouvoir bénéficier d'un peu de repos le jour où le besoin s'en fait ressentir. Précisons qu'il ne s'agit pas de proposer un jour de congé supplémentaire par mois aux femmes - comme l'a justement souligné la rapporteure, le terme de « congé » est inadapté -, mais de créer un nouveau type d'arrêt maladie, octroyé sur la base d'une consultation médicale. Les auditions nous ont permis de constater que les femmes ne consultent que rarement pour ce motif dans la mesure où elles ont l'habitude de s'entendre dire que ces douleurs sont normales et qu'il faut patienter, même si celles-ci peuvent revenir le mois suivant avec plus ou moins d'intensité.
Cette consultation médicale pourrait, selon nous, déboucher sur un suivi et un accompagnement qui permettraient aux femmes de mieux gérer les douleurs comme les symptômes. Cet accompagnement médical pourrait d'ailleurs leur permettre de ne pas recourir à cet arrêt, qui pourra être demandé lorsque les femmes estiment qu'elles sont incapables de travailler. Nous avons recueilli des témoignages assez frappants de femmes qui éprouvaient des douleurs telles qu'elles ne pouvaient pas conduire pour rentrer de leur travail et devaient être ramenées à leur domicile par un collègue.
Faire confiance aux femmes me semble essentiel, afin qu'elles puissent gérer au mieux ce moment du mois très pénible pour elles. Des collectivités et des entreprises ont spontanément pris l'initiative de mettre en place cet arrêt menstruel : estimant que leurs employés et salariés recherchent un cadre professionnel dans lequel ils peuvent s'épanouir, les entreprises y voient un élément d'attractivité. À rebours de l'argument selon lequel ce nouvel arrêt maladie créerait de la discrimination, il s'agit au contraire de pouvoir attirer davantage les femmes, tout en gagnant en productivité.
Pour ce qui concerne les collectivités, une tribune signée par des maires et des présidents de départements de toutes tendances politiques a été publiée hier dans Libération : si notre groupe porte ce texte, une démarche transpartisane pourrait déboucher sur la généralisation d'un acquis social, dans le prolongement de l'amélioration de l'accompagnement des femmes après une interruption spontanée de grossesse. Entrée en vigueur le 1er janvier 2024, celle-ci leur permet de percevoir des indemnités journalières (IJ) sans délai de carence.
Cette proposition de loi vise à mettre en place un accompagnement médical et à favoriser l'intégration au travail des femmes concernées. Une certaine appétence pour ce sujet s'est exprimée dans la mesure où des textes ont déjà été déposés à l'Assemblée nationale, les députés m'ayant indiqué qu'ils utiliseraient une niche transpartisane si le Sénat venait à ne pas adopter cette proposition de loi. Je pense que nous raterions alors collectivement l'occasion de montrer que nous sommes capables de faire des propositions concrètes pour renforcer les droits des femmes et faire avancer l'égalité des chances. Une fois encore, une femme souffrant de ces douleurs verra ses performances professionnelles affectées et pourrait en pâtir lorsqu'une promotion est en jeu : avec ces nouvelles dispositions, elle se retrouverait sur un pied d'égalité avec ses collègues masculins.
Si la France n'a pas été un pays précurseur dans ce domaine, ce décalage permet de s'assurer que ce dispositif n'entraîne pas d'abus. Nous avons réalisé des sondages dans les entreprises et les collectivités ayant déjà mis en place cette mesure ; ces enquêtes montrent l'absence d'abus : les chiffres sont, au contraire, en deçà des prévisions, étant donné que 10 % des femmes pourraient avoir recours à cet arrêt maladie.
Ledit arrêt, valable un an afin de pas avoir à retourner consulter un médecin chaque mois, s'accompagnerait d'un accompagnement et d'un suivi médical, ainsi que de la levée du délai de carence afin ne pas pénaliser les femmes occupant les emplois les plus précaires.
En conclusion, je reste ouverte à des adaptations du texte qui permettraient de répondre à l'ensemble des questionnements et d'aller dans le sens d'un véritable acquis social. Je pense notamment à l'article 4 relatif au télétravail. Cette possibilité et, de manière plus générale, des adaptations du poste de travail permettraient de répondre, par exemple, aux besoins de cette policière qui m'avait indiqué que si ses douleurs rendaient sa présence sur la voie publique malaisée, elle pouvait néanmoins s'occuper de tâches administratives le jour en question.
Le Sénat est en mesure de porter ces avancées : s'il n'est pas question d'entrer en compétition avec l'Assemblée nationale, les attentes de la société existent bien et la société française est prête à accepter ce progrès.
Mme Marie-Pierre Richer. - Ce débat fait en effet suite au rapport d'information sur la santé des femmes au travail. Trois des quatre rapporteures n'étaient pas d'accord quant à la mise en place d'un congé menstruel, à savoir Laurence Cohen, Annick Jacquemet et moi-même. Nous partagions en revanche le souhait d'ajouter l'endométriose à la liste des ALD, car cette maladie ne se limite pas aux douleurs menstruelles et va bien au-delà. La problématique de la reconnaissance de l'endométriose dépend d'un travail clinique qui reste à accomplir pour établir toutes les conséquences de cette maladie.
Tandis que nous procédions à nos auditions, trois textes ont été déposés à l'Assemblée nationale, l'un évoquant le congé menstruel et les deux autres l'arrêt maladie, avec un contenu finalement assez proche si l'on met à part les considérations sémantiques. La recommandation n° 17 du rapport visait à privilégier l'incitation, en laissant les entreprises et les collectivités locales décider en liberté d'un congé menstruel.
Je resterai pour ma part cohérente avec mes positions précédentes et ne soutiendrai donc pas un tel dispositif.
Mme Frédérique Puissat. - Le sujet, d'importance, a fait l'objet de travaux de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat. Les différentes propositions de loi déposées doivent nous conduire à prêter attention à ces enjeux qui concernent la vie des femmes et le droit du travail.
Cela étant, nous pouvons nous interroger sur le fait que les sujets soient abordés en silo, au prix d'un déficit de vision globale. En l'occurrence, un rapport avait replacé ce débat dans le cadre du dialogue social et nous constatons que les entreprises s'en emparent. Notre groupe estime que des discussions au niveau des branches et des entreprises seraient une voie préférable à celle qui est portée par la proposition de loi, laquelle consiste à imposer les dispositifs.
Mme Pascale Gruny. - Personne ne contestera l'ampleur de ces problèmes, que j'ai rencontrés à titre personnel. Pour autant, l'enjeu de la désorganisation du travail mérite d'être soulevé, et je pense par exemple aux enseignantes, aux juges ou aux infirmières. L'une des amies d'une de mes filles, infirmière à l'hôpital, est atteinte d'endométriose et est en proie à d'intenses douleurs au travail, mais m'a indiqué ne pas souhaiter s'arrêter afin de ne pas reporter sa charge de travail sur ses collègues. Je ne peux donc pas voter ce texte en l'état, en rappelant d'ailleurs que l'hôpital est confronté à ces difficultés depuis la mise en place des 35 heures.
Mme Marion Canalès. - La santé des femmes au travail n'est pas un mince sujet : nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer la très forte augmentation des accidents du travail chez les femmes en comparaison de la diminution constatée chez les hommes. J'entends la demande de mes collègues visant à renvoyer la mise en place de ce dispositif à la liberté des entreprises ou des collectivités territoriales, mais je rappelle que c'est la loi qui a fini par graver dans le marbre l'extension du congé parental de 14 jours à 28 jours face à des initiatives d'entreprises ou de collectivités, afin de garantir l'égalité de tous les salariés.
Expérimenté dans d'autres pays, notamment l'Espagne, le congé menstruel n'a rien d'un arrêt de convenance. À Saint-Ouen, aucun appel d'air n'a été constaté, ce qui devrait rassurer les collectivités territoriales quant au risque de dérapage de leurs dépenses de fonctionnement en raison d'arrêts à répétition.
Il me semble que la loi devrait porter cette avancée sociale en s'appuyant sur ces expériences vertueuses, qui ont démontré l'intérêt de la mesure pour les femmes. En outre, l'amélioration du bien-être au travail renforce l'attractivité d'entreprises soumises, depuis le 1er janvier 2024, à la directive (UE) 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises, dite directive CSRD et à l'obligation d'intégrer des indicateurs écologiques et sociaux.
Ce texte reste à l'évidence perfectible, mais il n'est plus possible de passer sous silence cette inégalité hommes-femmes à l'oeuvre dans le monde du travail.
Mme Anne Souyris. - Je soutiens cette proposition de loi, l'endométriose n'ayant pas été reconnue pendant longtemps alors qu'elle est un lourd handicap dans le travail des femmes. L'adoption d'une telle loi protégerait de fait les entreprises en leur fournissant un cadre, même si chaque branche pourrait discuter d'un certain nombre de modalités pratiques. Afin de garantir aux femmes le droit de travailler sans ce handicap, le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires soutiendra cette proposition de loi.
Mme Brigitte Devésa. - Nous évoquons un problème fort ancien, les femmes étant confrontées à ces difficultés depuis des milliers d'années. S'il faut garantir leur santé et leur bien-être au travail, les différentes propositions de loi sont assez réductrices, et je regrette l'absence d'une perspective plus large. Je suis gênée, en outre, par la potentielle atteinte au secret médical qui pourrait découler de ce dispositif au sein des entreprises. Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste ne votera pas en faveur de ce texte.
Mme Silvana Silvani. - Les mesures proposées représenteraient une incontestable avancée dans la prise en compte des conditions de travail des femmes. À première vue, l'entrée via les dysménorrhées et les pathologies liées à ces périodes pourrait paraître réductrice, mais elle me semble être en fin de compte adaptée, car elle est incontestable.
Allons-nous, oui ou non, progresser dans la reconnaissance des différences entre les femmes et les hommes, et prendre conscience que l'absence de prise en compte de ces spécificités est source de discrimination ? Je soutiendrai toute initiative permettant une meilleure reconnaissance de pathologies pouvant toucher la moitié de l'humanité, mais trop longtemps passées sous silence.
Mme Nadia Sollogoub. - Il ne s'agit justement pas de reconnaître la moitié de l'humanité puisqu'il est fait abstraction des professions libérales et que l'on semble considérer que toutes les femmes sont salariées. Au lieu d'apporter une aide à cette seule catégorie, nous gagnerions à améliorer la prise en charge d'une pathologie.
Mme Annie Le Houerou. - L'invisibilisation de la douleur doit céder le pas à la reconnaissance d'un état de fait et d'une réalité dans l'entreprise. En prenant en compte ces situations, les entreprises pourraient justement améliorer la planification et l'organisation du travail au sein de leurs équipes, au lieu d'être confrontées à des absences non déclarées ou imprévisibles.
M. Daniel Chasseing. - Merci d'avoir porté un sujet ancien, mais jusqu'à présent peu reconnu, les douleurs menstruelles pouvant en effet être très handicapantes, même si un diagnostic précis fait parfois défaut. Comme l'a suggéré Mme Sollogoub, il vaudrait sans doute mieux s'appuyer sur une pathologie et sur la reconnaissance de l'endométriose comme ALD, ce qui justifierait d'autant plus la possibilité de recourir à un arrêt de travail sur une période d'un an.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Nous devrions nous interroger sur l'entrée la plus efficace pour traiter ce sujet important : est-il question d'une prise en charge médicale ou de l'affirmation d'un droit social ? L'institutionnalisation d'un congé menstruel ou d'un arrêt maladie spécifique pourrait induire un effet de bord et exposer durablement les jeunes femmes à des difficultés dans leur intégration professionnelle.
Je pense en effet que les discriminations à l'embauche existent dans les faits : les jeunes femmes qui ont des projets familiaux peinent ainsi à se maintenir dans les cabinets d'avocats, leur charge mentale liée à leur activité professionnelle s'ajoutant à celle qui découle des problèmes domestiques et familiaux.
Plus généralement, les discriminations à l'embauche des jeunes femmes risqueraient d'être renforcées : à compétences égales, certains employeurs pourraient être tentés de privilégier les candidatures masculines afin d'éviter la gestion de ces difficultés récurrentes. Ces problématiques relèvent davantage, de mon point de vue, d'une prise en charge médicale.
M. Dominique Théophile. - Je me pose la question d'une autre voie. Pourrait-il exister un lien entre une dysménorrhée invalidante et la RQTH, au bénéfice des droits du salarié ?
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - L'argument de la création d'un facteur supplémentaire de discrimination à l'embauche pour les jeunes femmes doit être d'emblée écarté : tout employeur recrutant une femme sait qu'elle peut être enceinte entre 20 ans et 45 ans, puis affectée par la ménopause ensuite. Être une femme expose en soi à la discrimination à l'embauche, et la création d'un nouveau congé n'aggravera pas cet état de fait.
J'en viens aux différentes alternatives à la proposition de loi que vous avez envisagées. La première consiste en la reconnaissance de la pathologie comme ALD, que ce soit en ALD 30 ou ALD 31. Dans la mesure où seulement 0,3 % des femmes atteintes d'endométriose ont aujourd'hui accès à cette dernière catégorie tant les critères sont restrictifs, il ne peut pas s'agir de la réponse adéquate à apporter aux jeunes femmes.
Les ALD 30 seraient, quant à elles, plus coûteuses pour la sécurité sociale que la solution que nous proposons. De surcroît, j'ai évoqué non pas une, mais plusieurs pathologies, les dysménorrhées incapacitantes ne se limitant pas à l'endométriose. D'une part, certaines femmes atteintes d'endométriose ne souffrent pas de règles incapacitantes ; d'autre part, des jeunes femmes, affectées par des règles douloureuses et des migraines, peuvent très bien avoir passé la totalité des examens possibles et imaginables et se retrouver in fine dépourvues du diagnostic d'une pathologie spécifique, si ce n'est le symptôme d'avoir des règles douloureuses. La solution de l'ALD 30 exclurait donc toutes ces femmes.
Concernant le lien avec la RQTH, ces femmes ne se perçoivent pas comme des handicapées, le handicap supposant par ailleurs un taux d'incapacité permanent et constant. De plus, je ne crois pas qu'une orientation vers les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) serait appropriée tant les procédures qui y existent sont longues et complexes.
Je répondrai aux collègues qui ont beaucoup insisté sur le dialogue social en évoquant les négociations d'entreprise et de branche que la définition des arrêts maladie - comme celle des IJ - est totalement exclue du champ du dialogue social, ces sujets relevant de la sécurité sociale. Cette piste ne peut donc pas être retenue.
Madame Gruny, je peine à admettre l'idée qu'on refuserait un droit nouveau à des femmes souffrant de graves incapacités quelques jours par mois au motif que leur organisation du travail est déjà maltraitante, sauf à ajouter de la maltraitance à une situation déjà dégradée. De plus, la jeune femme que vous citiez ne recourrait sans doute pas à cet arrêt maladie, qui correspondra à un nombre de jours limités, n'aura rien d'obligatoire et relèvera du choix des femmes.
Quant aux collectivités territoriales, celles-ci nous demandent justement de légiférer, car la validité juridique de leurs expérimentations les préoccupe. Parmi les directions des administrations centrales que nous avons rencontrées, la direction générale de l'administration et de la fonction publique a d'ailleurs été la plus allante, se demandant déjà comment elle allait accompagner les administrations et les collectivités qui ont pris un temps d'avance par rapport au secteur privé dans cette voie.
En ce qui concerne les expériences menées par les entreprises, aucune ne nous semble véritablement probante en l'absence de maintien de salaire dans la plupart des cas : il s'agit plutôt d'un droit d'absence non rémunéré.
L'argument selon lequel les professions libérales ne sont pas concernées à ce stade est exact, mais peut être avancé pour de nombreuses autres mesures de protection sociale et relatives aux congés. De surcroît, je suis sûre que le Gouvernement réfléchirait rapidement à une extension du dispositif auxdites professions libérales si cette proposition de loi venait à être adoptée au bénéfice des salariées et des fonctionnaires.
Concernant le secret médical - ou plus précisément l'intimité de la salariée -, des moyens techniques existent puisque l'arrêt de travail pourrait être généré informatiquement sur Ameli par l'assuré. Ce document serait automatiquement signé par le médecin ayant établi la prescription d'arrêt maladie pour l'année.
En conclusion, je vous invite à tenir compte de l'aspect générationnel de ce débat : pour nombre d'entre nous, les douleurs liées aux règles n'étaient pas un sujet de conversation et étaient passées sous silence dans le monde du travail, dans lequel il fallait faire fi d'une santé sexuelle et reproductive spécifique exposant à une série de désagréments. La jeune génération a une tout autre approche et n'hésite pas à aborder franchement ces problèmes, dans le cadre familial comme professionnel. Accompagnons-la dans la levée de ce tabou, avant, je l'espère, d'accompagner la levée du tabou de la ménopause.
D'un point de vue stratégique, des propositions de loi ont été déposées à l'Assemblée nationale et seront examinées dans le cadre de niches transpartisanes, le Gouvernement ayant compris qu'il ne pourrait y être hostile compte tenu de l'importance de ce sujet de société. Selon moi, le Sénat rejettera la proposition de loi, puis l'Assemblée nationale reprendra toute la lumière en accompagnant les évolutions sociétales, tandis que notre chambre aura traîné des pieds. Chers collègues, vous disposez de six jours pour amender ce texte : faites-le et améliorons ce texte ensemble, afin que l'image du Sénat - que je n'incarne pas totalement, je le concède - ne soit pas dégradée par l'absence de propositions.
M. Philippe Mouiller, président. - Je ne sais pas s'il faut interpréter la fin de votre intervention comme une menace ou un constat, mais je pense que vous ne rendez pas service au texte que vous défendez en vous exprimant sur ce ton excessif, madame la rapporteure.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Je n'ai menacé personne, monsieur le président, mais simplement décrit ce qui allait se passer selon moi.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - L'amendement COM-1 est un amendement de coordination visant à prendre en compte les conséquences sur l'article 1er de la suppression de l'article 3 de la proposition de loi, prévue par l'amendement suivant.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
L'article 1er n'est pas adopté.
Article 2
L'article 2 n'est pas adopté.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - L'amendement COM-2 vise à supprimer cet article, qui prévoit une indemnisation à 100 % des arrêts de travail pris dans le cadre du « congé menstruel ». J'estime que cette mesure exorbitante du droit commun n'a pas lieu d'être et qu'il convient d'aligner le montant des IJ sur le droit commun.
L'amendement COM-2 n'est pas adopté.
L'article 3 n'est pas adopté.
Article 4
L'article 4 n'est pas adopté.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposé sur le Bureau du Sénat.
TABLEAU DES SORTS
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 1er |
|||
Mme ROSSIGNOL, rapporteure |
1 |
Amendement de coordination |
Rejeté |
Article 3 |
|||
Mme ROSSIGNOL, rapporteure |
2 |
Suppression de la prise en charge intégrale par la sécurité sociale des arrêts de travail menstruels |
Rejeté |