B. UN CHANGEMENT DE MÉTHODOLOGIE NON JUSTIFIÉ RÉDUIT DE 10 MILLIARDS D'EUROS LE COÛT APPARENT DES DÉPENSES FISCALES
Les dépenses fiscales sont des dérogations à la norme fiscale instaurées par des dispositions législatives ou réglementaires.
Si certaines sont utiles pour stimuler certains secteurs économiques ou favoriser des comportements contribuant à l'intérêt général, elles rendent la règle fiscale plus complexe et réduisent les recettes d'un montant estimé par le présent projet de loi de finances à 78,7 milliards d'euros en 2024.
La définition même des dépenses fiscales est problématique, car la « norme » à laquelle elles dérogent peut faire l'objet d'interprétations. L'administration fiscale fait part de sa doctrine en la matière dans le tome 2 du document « Voies et moyens » annexé au projet de loi de finances.
La Cour des comptes notait ainsi en juillet dernier79(*) que plus de la moitié des taux réduits de TVA ne sont pas comptabilisés comme des dépenses fiscales. Selon la doctrine du « Voies et moyens », en effet, seuls sont classés en dépenses fiscales les taux réduits qui tendent à soutenir économiquement un secteur ; ceux qui favorisent la consommation de certains produits de base sont considérés comme des règles générales faisant partie de la « norme » fiscale.
En outre, peu de dépenses fiscales font l'objet d'une évaluation. Comme l'a constaté le rapporteur général en examinant les articles du présent projet de loi de finances80(*), le Gouvernement propose la prorogation de nombreuses dépenses fiscales qui n'ont fait l'objet d'aucune évaluation.
L'ambition d'un grand programme pluriannuel d'évaluation des dépenses fiscales, annoncé dans le projet de loi de finances pour 202081(*), a été manifestement oubliée. Il arrive même qu'une disposition prévoyant la prorogation d'une dépense fiscale repousse également la réalisation de l'évaluation qui avait été demandée par le Parlement82(*). Le « Voies et moyens » atteste de ce manque d'intérêt pour l'évaluation des dépenses fiscales : contraint par la loi organique relative aux lois de finances83(*) de présenter une liste des dépenses fiscales qui doivent être évaluées dans l'année, il ne prévoit d'évaluer en 2024 que quatre dépenses fiscales sur 467. L'une de ces évaluations arrivera trop tard puisque le texte transmis au Sénat propose d'ores déjà la prorogation de la « niche » en question, à savoir l'éco-PTZ.
Si les lois de finances contiennent généralement des articles tendant à supprimer des dépenses fiscales84(*), elles se contentent la plupart du temps de supprimer des dispositifs très peu utilisés, ce qui n'accroît pas significativement les ressources publiques. Ces dispositions ne parviennent même pas à diminuer réellement le nombre des dépenses fiscales, qui est passé de 451 en 2017 à 467 en 2024.
Par-delà le caractère imprécis et mouvant de la définition des dépenses fiscales, le présent projet de loi de finances procède à une révision à la baisse de leur coût qui ne peut que soulever l'incompréhension.
Revenant sur la pratique admise jusque-là, il fait le choix de ne comptabiliser les dépenses fiscales relatives à la TVA qu'à hauteur de la part de la TVA revenant à l'État parmi les recettes de TVA nette85(*). Cette modification méthodologique divise par deux le coût affiché des dépenses fiscales liées à la TVA, réduisant artificiellement de 10 milliards d'euros le coût des dépenses fiscales.
Ce choix est contestable en premier lieu parce que les dépenses fiscales en question sont instituées par l'État, qui devrait en conséquence en indiquer le coût complet dans les documents budgétaires.
En second lieu, la « règle de trois » ainsi réalisée relève d'une vision sommaire de la manière dont les recettes de TVA sont affectées aux administrations qui en bénéficient.
Certaines de ces affectations sont définies en valeur et non en pourcentage86(*) et peuvent donc difficilement être affectées par l'évolution des dépenses fiscales. Même celles qui sont définies en pourcentage, comme les parts de TVA affectées aux administrations de sécurité sociale et à l'audiovisuel public, font l'objet d'une révision chaque année qui permet le cas échéant de les adapter aux besoins, voire, comme c'est le cas pour la TVA affectée à l'Unédic, de ponctionner leurs ressources jugées par le Gouvernement excédentaires.
En tout état de cause, l'affectation massive de parts de TVA aux administrations de sécurité sociale et aux collectivités territoriales (ainsi que, pour une moindre part, à l'audiovisuel public), comme on l'a vu précédemment, est un phénomène récent. Elles ne peuvent donc pas subir le poids des nombreuses dépenses fiscales qui préexistaient à cette affectation.
Au total, ce choix méthodologique malheureux, qui empêche toute comparaison pluriannuelle rétrospective, trouble la vision que l'on peut avoir du niveau et de l'évolution des dépenses fiscales et il est nécessaire que le Gouvernement y renonce dans le prochain projet de loi de finances.
* 79 Cour des comptes, Piloter et évaluer les dépenses fiscales, contribution à la revue des dépenses publiques, juillet 2023.
* 80 Voir le tome II du présent rapport, consacré à l'examen des articles de la première partie du projet de loi de finances.
* 81 Ce programme est indiqué aux pages 123 et suivantes de l'évaluation préalable des articles du projet de loi de finances pour 2020.
* 82 Voir l'article 3 sexies du présent projet de loi de finances.
* 83 Article 51 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, modifié par la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.
* 84 Voir l'article 17 dans le présent projet de loi de finances.
* 85 Les recettes de TVA et leur répartition entre les différentes catégories d'administrations publiques sont présentées infra.
* 86 Voir par exemple le IV de l' article 8 de la loi de finances initiale pour 2021, qui prévoit le reversement aux régions d'un montant de taxe sur la valeur ajoutée égal au produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises perçu en 2020.