- PREMIÈRE PARTIE
L'OPTIMISME MACROÉCONOMIQUE DU GOUVERNEMENT MASQUE SA NÉGLIGENCE DANS LE REDRESSEMENT DES COMPTES PUBLICS
- I. LA POLITIQUE MONÉTAIRE ET LA
MULTIPLICATION DES INCERTITUDES RISQUENT DE FREINER UNE CROISSANCE QUI SERAIT
PLUS FAIBLE QUE NE LE PRÉVOIT LE GOUVERNEMENT
- A. LA RICHESSE NATIONALE, QUI A RETROUVÉ SON
NIVEAU D'AVANT-CRISE, NE CROÎTRAIT QUE MODÉRÉMENT EN 2024,
A L'INVERSE DES PRÉVISIONS DU GOUVERNEMENT
- 1. Si la richesse nationale a retrouvé son
niveau d'avant crise, tous les leviers ne sont pas actionnés pour
soutenir la croissance potentielle
- 2. La croissance pour 2023 a été
freinée par une forte inflation et une politique monétaire
restrictive mais a été plus élevée que prévu
en raison de la « surprise » du deuxième
trimestre
- 3. Les prévisions de croissance du
Gouvernement pour 2024 manquent de prudence
- 1. Si la richesse nationale a retrouvé son
niveau d'avant crise, tous les leviers ne sont pas actionnés pour
soutenir la croissance potentielle
- B. L'OPTIMISME DU GOUVERNEMENT, DONT LE
SCÉNARIO MACROÉCONOMIQUE REPOSE SUR DES HYPOTHÈSES TOUTES
FAVORABLES, EST À CONTRE-TEMPS DES INCERTITUDES GRANDISSANTES
- 1. La baisse de l'inflation devrait permettre de
relancer la consommation, malgré une incertitude sur le comportement
d'épargne des ménages
- 2. L'investissement serait plus faible que ne
l'envisage le Gouvernement, en raison d'une politique monétaire
particulièrement restrictive et du retrait des aides publiques
- 3. Les réformes structurelles du
marché de l'emploi, qui pourraient avoir un effet à long terme,
ne suffiraient pas à contenir le taux de chômage en 2024
- 4. La forte instabilité de l'environnement
international ainsi que la faiblesse de la croissance mondiale pourraient peser
sur la croissance française
- 1. La baisse de l'inflation devrait permettre de
relancer la consommation, malgré une incertitude sur le comportement
d'épargne des ménages
- A. LA RICHESSE NATIONALE, QUI A RETROUVÉ SON
NIVEAU D'AVANT-CRISE, NE CROÎTRAIT QUE MODÉRÉMENT EN 2024,
A L'INVERSE DES PRÉVISIONS DU GOUVERNEMENT
- II. UN DÉFICIT
« EXTRÊME », À L'HEURE OÙ LES TAUX
D'INTÉRÊT ET LA CHARGE DE LA DETTE AUGMENTENT : EN FINIR AVEC
LA POLITIQUE DE LA DETTE
- A. LE DÉFICIT PUBLIC DE LA FRANCE,
MALGRÉ LE RETRAIT DES DÉPENSES EXCEPTIONNELLES, RESTE PARMI LES
PLUS ÉLEVÉS DE LA ZONE EURO EN 2024
- B. ENTRE UN ÉTAT SUR QUI REPOSE L'ESSENTIEL
DU DÉFICIT ET UNE SÉCURITÉ SOCIALE EN EXCÉDENT, LES
COLLECTIVITÉS TERRITORIALES RELÈVENT LE DÉFI DE
L'ÉQUILIBRE BUDGÉTAIRE
- C. UN SURSAUT EST INDISPENSABLE POUR
MAÎTRISER NOS COMPTES PUBLICS ET PARVENIR À UN REGAIN DE
CRÉDIBILITÉ
- A. LE DÉFICIT PUBLIC DE LA FRANCE,
MALGRÉ LE RETRAIT DES DÉPENSES EXCEPTIONNELLES, RESTE PARMI LES
PLUS ÉLEVÉS DE LA ZONE EURO EN 2024
- I. LA POLITIQUE MONÉTAIRE ET LA
MULTIPLICATION DES INCERTITUDES RISQUENT DE FREINER UNE CROISSANCE QUI SERAIT
PLUS FAIBLE QUE NE LE PRÉVOIT LE GOUVERNEMENT
- DEUXIÈME PARTIE
LE BUDGET DE L'ÉTAT
- I. LE DÉFICIT BUDGÉTAIRE
« EXTRÊME », QUI S'INSTALLE SUR UN PLATEAU
HISTORIQUEMENT HAUT, À 45,7 % DES RESSOURCES
- A. 2023 : UNE AGGRAVATION DU DÉFICIT
DE 20 MILLIARDS D'EUROS
- 1. Le solde est dégradé en cours
d'année par l'accroissement de la charge de la dette et par des recettes
moindres que prévu, avec des incertitudes sur le niveau final du
déficit
- 2. Malgré l'éloignement de la crise
sanitaire, la poursuite du « quoi qu'il en coûte »
ramène le déficit budgétaire aux sommets atteints pendant
la crise sanitaire
- 1. Le solde est dégradé en cours
d'année par l'accroissement de la charge de la dette et par des recettes
moindres que prévu, avec des incertitudes sur le niveau final du
déficit
- B. 2024 : CINQUIÈME ANNÉE
CONSÉCUTIVE DE DÉFICIT HORS NORME
- 1. La réduction du déficit par
rapport à 2023 provient pour l'essentiel de l'extinction des
dépenses liées à la crise de l'inflation
- 2. Le solde des comptes spéciaux est
dégradé par la situation du compte d'affectation spéciale
« Pensions »
- 3. Le déficit stagne au niveau atteint
pendant la crise sanitaire, aboutissant à un stock supplémentaire
de déficit budgétaire de 400 milliards d'euros en cinq
ans
- 1. La réduction du déficit par
rapport à 2023 provient pour l'essentiel de l'extinction des
dépenses liées à la crise de l'inflation
- C. UN COÛT DE L'ENDETTEMENT AGGRAVÉ
PAR LA HAUSSE DES TAUX D'INTÉRÊT
- D. DES PRATIQUES PEU TRANSPARENTES QUI
ÉLOIGNENT LES CRÉDITS RÉELLEMENT MIS À DISPOSITION
DE L'ÉTAT DU BUDGET SOUMIS AU PARLEMENT
- A. 2023 : UNE AGGRAVATION DU DÉFICIT
DE 20 MILLIARDS D'EUROS
- II. LES RECETTES DE L'ÉTAT S'ACCROISSENT EN
2024 DE 1,4 % EN VOLUME ET DÉPENDENT DE PLUS EN PLUS DE RECETTES
VOLATILES
- A. LA DÉPENDANCE CROISSANTE DU BUDGET DE
L'ÉTAT AUX RECETTES DE L'IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS
- 1. L'impôt sur les sociétés
occupe une place deux fois plus importante dans les recettes fiscales que dans
les années 2010...
- 2. ... et prend une part de la place de la TVA
dans le financement de l'État
- 3. L'impôt sur le revenu augmente de
façon modérée et les autres recettes fiscales sont
réduites par la suppression progressive de la cotisation sur la valeur
ajoutée des entreprises
- 1. L'impôt sur les sociétés
occupe une place deux fois plus importante dans les recettes fiscales que dans
les années 2010...
- B. UN CHANGEMENT DE MÉTHODOLOGIE NON
JUSTIFIÉ RÉDUIT DE 10 MILLIARDS D'EUROS LE COÛT
APPARENT DES DÉPENSES FISCALES
- C. LES RECETTES NON FISCALES DÉPENDRONT EN
PARTICULIER DU FINANCEMENT EUROPÉEN DU PLAN DE RELANCE
- A. LA DÉPENDANCE CROISSANTE DU BUDGET DE
L'ÉTAT AUX RECETTES DE L'IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS
- III. LE BUDGET 2024 OU LA DÉRIVE TOXIQUE DU
« QUOI QU'IL EN COÛTE »
- A. PANORAMA DES DÉPENSES DE
L'ÉTAT
- B. LE BUDGET 2024 CONFIRME UN MAINTIEN DURABLE DES
DÉPENSES AU NIVEAU HAUT ATTEINT PENDANT LA CRISE SANITAIRE
- 1. Les crédits de la grande majorité
des missions augmentent en 2024 ...
- 2. ... et les 16 milliards d'euros
d'économies affichées relèvent d'une présentation
en trompe-l'oeil
- 3. Sur la période 2017-2024, des politiques
dites prioritaires ont été privilégiées sans
que, en compensation, soient définies des politiques non
prioritaires
- 4. À la fin 2022, l'État
s'était déjà engagé pour
215 milliards d'euros de dépenses futures, hors
dépenses de personnel
- 5. L'État doit exercer un contrôle
plus strict sur ses opérateurs, dont la trésorerie a
augmenté de plus de 20 milliards d'euros en trois ans
- 1. Les crédits de la grande majorité
des missions augmentent en 2024 ...
- C. LES EFFECTIFS DE L'ÉTAT AUGMENTENT, EN
CONTRADICTION AVEC LES ENGAGEMENTS PRIS DANS LE PROJET DE LOI DE PROGRAMMATION
DES FINANCES PUBLIQUES
- A. PANORAMA DES DÉPENSES DE
L'ÉTAT
- I. LE DÉFICIT BUDGÉTAIRE
« EXTRÊME », QUI S'INSTALLE SUR UN PLATEAU
HISTORIQUEMENT HAUT, À 45,7 % DES RESSOURCES
- TRAVAUX DE LA COMMISSION
- I. AUDITION DE MM. BRUNO LE MAIRE, MINISTRE DE
L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE LA SOUVERAINETÉ INDUSTRIELLE ET
NUMÉRIQUE, ET THOMAS CAZENAVE, MINISTRE DÉLÉGUÉ
AUPRÈS DU MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE LA
SOUVERAINETÉ INDUSTRIELLE ET NUMÉRIQUE, CHARGÉ DES COMPTES
PUBLICS (27 SEPTEMBRE 2023)
- II. AUDITION DE M. PIERRE MOSCOVICI,
PRÉSIDENT DU HAUT CONSEIL DES FINANCES PUBLIQUES
(27 SEPTEMBRE 2023)
- III. TABLE RONDE SUR LES PERSPECTIVES DE
L'ÉCONOMIE FRANÇAISE ET SES CONSÉQUENCES SUR LES FINANCES
PUBLIQUES (18 OCTOBRE 2023)
- IV. EXAMEN DU RAPPORT
(8 NOVEMBRE 2023)
- I. AUDITION DE MM. BRUNO LE MAIRE, MINISTRE DE
L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE LA SOUVERAINETÉ INDUSTRIELLE ET
NUMÉRIQUE, ET THOMAS CAZENAVE, MINISTRE DÉLÉGUÉ
AUPRÈS DU MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE LA
SOUVERAINETÉ INDUSTRIELLE ET NUMÉRIQUE, CHARGÉ DES COMPTES
PUBLICS (27 SEPTEMBRE 2023)
- LA LOI EN CONSTRUCTION
N° 128 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2023 |
RAPPORT GÉNÉRAL FAIT au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2024, |
Par M. Jean-François HUSSON, Rapporteur général, Sénateur LE BUDGET DE 2024 ET SON CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET FINANCIER |
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel. |
Voir les numéros : Assemblée nationale (16ème législ.) : 1680, 1715, 1719, 1723, 1745, 1778, 1781, 1805, 1808, 1820 et T.A. 178 Sénat : 127 et 128 à 134 (2023-2024) |
PREMIÈRE
PARTIE
L'OPTIMISME MACROÉCONOMIQUE DU GOUVERNEMENT
MASQUE SA NÉGLIGENCE DANS LE REDRESSEMENT DES COMPTES PUBLICS
I. LA POLITIQUE MONÉTAIRE ET LA MULTIPLICATION DES INCERTITUDES RISQUENT DE FREINER UNE CROISSANCE QUI SERAIT PLUS FAIBLE QUE NE LE PRÉVOIT LE GOUVERNEMENT
A. LA RICHESSE NATIONALE, QUI A RETROUVÉ SON NIVEAU D'AVANT-CRISE, NE CROÎTRAIT QUE MODÉRÉMENT EN 2024, A L'INVERSE DES PRÉVISIONS DU GOUVERNEMENT
1. Si la richesse nationale a retrouvé son niveau d'avant crise, tous les leviers ne sont pas actionnés pour soutenir la croissance potentielle
L'économie française a subi, depuis début 2020, une série de chocs successifs qui, malgré les efforts - parfois mal ciblés - de l'État pour les amortir, ont appauvri le pays. La crise sanitaire de 2020 et les divers confinements associés ont entraîné une récession historique, le PIB reculant cette année-là de 7,5 %, et le rattrapage qu'on aurait pu croire vigoureux de la croissance pour l'année 2021 a été plus timide que prévu, du fait de nouvelles vagues de Covid- 19, d'une politique chinoise de lutte contre la crise sanitaire très restrictive, et d'une désorganisation des chaînes de valeur mondiales : malgré une croissance de 6,4 % en 2021, le niveau de production de 2019 n'était pas atteint.
Les tensions d'approvisionnement ont pesé sur l'offre, et ont été à la source d'un regain d'inflation. Celle-ci s'est trouvée démultipliée à la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie à partir du 24 février 2022, alimentée par la dynamique des prix de l'énergie puis de l'alimentation. La croissance s'est ainsi fortement affaissée entre 2021 et 2022, passant de 6,4 % à 2,5 %, puis diminuerait franchement pour l'année 2023 : 1,0 % selon les prévisions du Gouvernement et entre 0,8 % et 0,9 % selon le Consensus Forecasts, la Banque de France et l'OFCE.
Au total, et si l'on retient les prévisions de croissance du Gouvernement pour 2024, le PIB croîtrait entre 2019 et 2024 de seulement 3,3 %, ce qui représente une moyenne annuelle de 0,7 %.
Évolution du PIB français en volume entre 2019 et 2024
(en pourcentage)
Source : Insee et PLF 2024 pour les prévisions 2023 et 2024
La perte de richesse subie sur la période par rapport à la croissance qui aurait pu avoir lieu sans les diverses crises à l'oeuvre depuis 2020 est donc importante. La question de savoir si le sentier de croissance sur lequel est désormais située l'économie française est plus ou moins vigoureux qu'avant la crise sanitaire reste entière.
Scénarios de croissance possibles à la suite d'un choc économique
Source : commission des finances du Sénat
Représentation schématisée de la trajectoire de croissance française récente
Source : commission des finances du Sénat
Une note de l'OFCE d'octobre 20231(*) fournit toutefois quelques éléments de réponse, et indique un déficit d'activité dans la plupart des principaux pays par rapport à une situation « sans crise ».
Les économies des principaux pays ne semblent globalement ni moins ni plus performantes que celle de la France, puisque pour l'immense majorité d'entre elles, comme pour la France, la tendance est détériorée par rapport à la trajectoire de croissance pré-crise. Parmi les économies européennes, seules l'Italie et le Danemark auraient dépassé leur trajectoire pré-crise. Toutefois, tant sur l'écart de croissance entre le deuxième trimestre 2023 et le dernier trimestre 2019 que sur l'écart par rapport à la trajectoire de croissance qui était la sienne avant la crise, la France se trouve plutôt dans la moyenne basse des pays d'Europe occidentale. Concernant l'écart de croissance par rapport au dernier trimestre 2019, seule l'Allemagne fait moins bien que la France en Europe occidentale.
Le PIB des principaux pays au deuxième trimestre 2023
(en points de %)
Source : OFCE
Note de lecture : la trajectoire de référence pour l'année 2020 est calculée à partir des prévisions du FMI réalisées à l'automne 2019. Ensuite, la croissance de référence post-2020 est calculée soit à partir de la croissance potentielle estimée par le FMI, soit à partir d'une tendance linéaire.
Le bilan du ministre de l'économie en poste depuis six ans est donc pour le moins mitigé et, en tout cas, éloigné des promesses affichées par la « politique de l'offre ». Si les réformes structurelles menées depuis 2017 - assouplissement du marché du travail, baisse de fiscalité des entreprises et du capital, développement de la formation professionnelle et de l'apprentissage, allongement de la durée du travail - vont dans le sens requis, elles n'auront pas suffi à remettre l'économie française sur les rails d'une croissance durable et forte.
Ce bilan n'est sans doute pas sans rapport avec l'évolution de la productivité, fortement dégradée par rapport à l'avant-crise. Comme le signale l'OFCE2(*), entre la fin 2019 et le deuxième trimestre 2023, dans le secteur marchand non agricole, l'emploi salarié a augmenté de 6,5 % alors que la valeur ajouté n'a crû que de 2 %, révélant des pertes de productivité du travail importantes. Ce constat est largement partagé : le Conseil national de la productivité reprend dans son quatrième rapport3(*) des chiffres de la Dares indiquant qu'au troisième trimestre 2022, la productivité par tête dans le secteur marchand non agricole se situe en deçà de son niveau pré-crise de 3 % et serait en recul de 6,4 % par rapport à sa tendance pré-crise. Cette évolution s'expliquerait, selon l'OFCE, par divers facteurs. La diminution de la durée du travail, résultant de l'augmentation de l'absentéisme, elle-même due à une forme de perte de sens dans le travail4(*), réduirait ainsi la productivité apparente des salariés, de même que le recours à l'apprentissage - un apprenti est, par définition, moins productif qu'un salarié plus expérimenté. Les aides accordées aux entreprises dans le cadre de la crise sanitaire pourraient également avoir soutenu artificiellement certaines d'entre elles en activité alors qu'elles auraient dû faire faillite. Ces causes structurelles sont difficilement ajustables dans le court et moyen-terme.
Des leviers demeurent pourtant pour soutenir le potentiel de croissance de notre pays. Si les priorités économiques sont nécessairement multiples, les travaux du rapporteur général ont permis d'identifier des pistes d'amélioration importantes en matière de politique du logement.
Des prix trop élevés conduisent à des inefficacités économiques, telles que l'éloignement entre domicile et travail, l'investissement dans des biens surévalués ou encore la perte de compétitivité lorsque le coût du logement se répercute sur les salaires ou dans l'immobilier d'entreprise5(*). Ainsi, les difficultés d'accès au logement contribuent à renforcer les tensions de recrutement sur le marché du travail. Entendu par la commission, Patrick Artus, conseiller économique de Natixis, estime ainsi qu'un recrutement sur deux échoue parce que la personne ne peut pas déménager6(*).
Au total, la politique du logement serait, selon Éric Heyer, directeur du département Analyse et Prévision de l'OFCE, « la grande absente de la politique du Gouvernement »7(*). La baisse très probable des prix de l'immobilier dans un contexte de hausse des taux ne doit pas exonérer le Gouvernement d'une réflexion stratégique et d'une action d'ampleur sur le sujet, à l'heure où les besoins sont estimés entre 400 000 et 500 000 logements par an8(*), compte-tenu de la dynamique démographique et du nombre de sans-abri.
2. La croissance pour 2023 a été freinée par une forte inflation et une politique monétaire restrictive mais a été plus élevée que prévu en raison de la « surprise » du deuxième trimestre
La croissance de l'activité, en 2023, a été freinée par plusieurs facteurs.
Tout d'abord, l'inflation toujours élevée a pesé sur le pouvoir d'achat des ménages, ce qui ferait diminuer leur consommation en 2023. Selon le Gouvernement, l'inflation, calculée sur la base de l'indice des prix à la consommation, s'élèverait à 4,9 %. L'OFCE envisagerait 5,2 %, le FMI 5,6 % et la Banque de France - sur la base de l'indice des prix à la consommation harmonisé - 5,8 %.
Cette inflation a progressivement changé de nature : d'importée et essentiellement énergétique - les prix de l'énergie ont augmenté de 23,1 % en 2022 -, elle s'est progressivement répercutée dans les prix de l'alimentation qui, après une hausse de 6,8 % en 2022, augmenteraient de 11,6 % en 2023, tandis que les prix de l'énergie augmenteraient de 5,1 % en 20239(*). Les prix des principaux postes énergétiques connaissent cependant une évolution soutenue, avec une hausse de 15 % des prix des tarifs réglementés du gaz et de 25 % de ceux de l'électricité. L'évolution du prix du pétrole est par ailleurs très incertaine en cette fin d'année 2023, en raison notamment de l'accroissement des tensions géopolitiques au Moyen-Orient. L'inflation se diffuse enfin désormais dans les services.
Selon la Banque de France10(*), malgré la mise en place de la prime de partage de la valeur (PPV) et des versements venant soutenir les salaires, le salaire moyen par tête (SMPT), malgré une augmentation nominale de 5,1 %, diminuerait en termes réels en 2023, comme en 2022, en raison d'une inflation supérieure aux hausses salariales nominales.
Au demeurant, la nature de l'inflation, avec une composante énergétique puis alimentaire forte, a affecté davantage les paniers de biens des ménages les plus défavorisés, qui épargnent peu. La hausse des budgets contraints a par ailleurs freiné les possibilités de report vers les autres produits.
Le dynamisme de l'emploi, avec un taux de chômage atteignant un point bas à 7,2 % de la population active au deuxième trimestre 2023, a toutefois permis, au niveau macroéconomique, de compenser en partie la baisse du salaire réel.
Au total, selon le Gouvernement, la consommation des ménages devrait reculer de 0,2 % en 202311(*).
Les mesures budgétaires coûteuses prises par le Gouvernement ont toutefois permis d'amortir l'effet de l'inflation sur la consommation, mais également sur les coûts supportés par les entreprises. L'évolution des prix du gaz et de l'électricité a été contenue par des boucliers tarifaires : le bouclier sur l'électricité en a limité la hausse du prix en 2023, l'amortisseur électricité prévoyant la prise en charge de la moitié du surcoût sur les factures énergétiques a bénéficié aux petites et moyennes entreprises et aux très petites entreprises, de même que le « suramortisseur », plafond garanti sur les prix de l'électricité pour les très petites entreprises. La sortie progressive de ces mesures a toutefois atténué leur effet macroéconomique : l'indemnité carburant, versée aux travailleurs des cinq premiers déciles qui utilisent leur véhicule pour aller travailler, a remplacé la remise carburant, non ciblée, en 2023, tandis que le bouclier gaz, instituant une compensation pour les fournisseurs de gaz, a pris fin en juin 2023.
L'ensemble des mesures de soutien pour faire face à l'inflation aurait réduit celle-ci de 2 points en 202312(*).
Par ailleurs, le durcissement de la politique monétaire a également pesé sur la croissance. L'augmentation des taux directeurs de 450 points de base entre juillet 2022 et septembre 2023 constitue une hausse inédite en 40 ans.
Évolution des taux directeurs de la BCE entre 2017 et 2023
(en points de %)
Source : commission des finances du Sénat d'après les données de la BCE
Il en résulterait une diminution de l'investissement des ménages en 2023 (- 5 % selon le Gouvernement, - 5,8 % selon l'OFCE et la Banque de France), c'est-à-dire pour l'essentiel des achats de logement, et un ralentissement modéré de l'investissement des entreprises (+ 3,2 % selon le Gouvernement, + 3,1 % selon l'OFCE et la Banque de France, contre + 3,8 % en 2022). Cette relativement bonne santé de l'investissement des entreprises suggère, comme cela développé ci-après, que la politique monétaire n'a probablement pas produit tous ses effets. Au total, l'OFCE estime que le durcissement de la politique monétaire a amputé la croissance de 0,4 point en 2023.
De même, malgré un environnement international instable, le commerce extérieur tirerait la croissance en 2023. Certes, la demande mondiale adressée à la France diminue (- 0,5 %), et la récession allemande en 2023 freine les échanges avec l'un de nos principaux partenaires commerciaux. Pour autant, les exportations augmenteraient davantage (+ 2,1 %) que les importations (+ 0,3 %) en raison du rebond des exportations d'énergie (+ 14,6 %) liées à la production nucléaire et des exportations de produits manufacturés (+ 1,6 %), notamment dans le secteur aéronautique. Les importations en énergie chuteraient de 9,8 %, contribuant à expliquer une contribution positive du commerce extérieur (+ 0,6 point) rattrapant 2022 (- 0,6 point)13(*).
Les administrations publiques contribueraient faiblement à la croissance, avec une hausse de la consommation publique de 0,5 % mais une hausse de l'investissement public de 2,8 %.
Au total, le Gouvernement estime que la croissance pour 2023 s'élèverait à 1 %, contre 0,9 % selon la Banque de France, l'Insee et l'OFCE, et 0,8 % selon le Consensus Forecasts. Compte tenu de ces éléments, la prévision gouvernementale pour 2023, quoique légèrement au-dessus du consensus, présente un caractère relativement atteignable.
Au total, la croissance du PIB serait donc plus élevée qu'anticipé initialement, en raison d'une croissance particulièrement forte au deuxième trimestre (+ 0,5 % au lieu de + 0,1 % anticipé par la Banque de France).
La Banque de France qualifie cette hausse de « surprise », qui serait due selon elle à l'activité de cokéfaction-raffinage, avec la fin des grèves dans les raffineries, et un retour à la normale de la production d'électricité. L'Insee confirme que l'accélération marquée enregistrée au deuxième trimestre résulte en partie d'effets de rattrapage dans les branches d'activité affectées auparavant par des difficultés de production (industrie automobile, production d'électricité ou encore branches énergo-intensives affectées par le renchérissement de l'énergie) : au total cette hausse résulte « en partie de facteurs ponctuels, mais que la tendance de fond de l'économie française paraît plus modérée »14(*).
Le Gouvernement pourrait donc difficilement se prévaloir de ce que ses prévisions, optimistes dans le PLF pour 2023, se trouveraient vérifiées cette année pour arguer du fait qu'un optimisme similaire serait justifié dans le PLF pour 2024 : on ne peut fonder un scénario macroéconomique sur des « surprises ».
Décomposition de la prévision de
croissance du PIB
pour l'année 2023 de l'OFCE
(en volume et en point de pourcentage)
Source : commission des finances, d'après OFCE
3. Les prévisions de croissance du Gouvernement pour 2024 manquent de prudence
Depuis la transmission du programme de stabilité pour les années 2023 à 2027, le Gouvernement a révisé ses prévisions de croissance pour 2024. Alors qu'il prévoyait une croissance d'1,6 %, il estime désormais qu'elle devrait atteindre 1,4 %.
Selon le Gouvernement, celle-ci serait largement soutenue, dans un contexte de reflux de l'inflation, par la reprise vigoureuse de la consommation des ménages, qui contribuerait à hauteur de 0,9 point à la croissance, et, dans une moindre mesure, par les dépenses des administrations publiques (+ 0,3 point).
En revanche, le Gouvernement fait l'hypothèse d'une contribution négative de l'investissement des ménages (c'est-à-dire les dépenses immobilières pour l'essentiel). La contribution du commerce extérieur serait légèrement positive - mais moins qu'en 2023.
Décomposition de la prévision de croissance
du Gouvernement entre 2023 et 2024
(en point de PIB - base 100 au PIB de l'année 2023 - en volume)
Source : calculs de la commission des finances du Sénat d'après les comptes nationaux trimestriels de l'Insee et les documents budgétaires
Cette prévision est particulièrement optimiste : elle constitue la plus élevée de toutes celles actuellement disponibles. Si le FMI, dans les prévisions de croissance qu'il a publiées en octobre 2023, estime que la croissance française devrait atteindre 1,3 % en 2024, les autres prévisions disponibles sont toutes inférieures à 1 %.
La prévision du Gouvernement qui, au moment de la publication du programme de stabilité 2023-2027, se situait au niveau de l'estimation la plus haute relevée par le Consensus Forecasts, la dépasse au mois de septembre 2023. L'estimation haute la plus récente au moment de l'écriture de ce rapport (octobre 2023) demeure également inférieure aux prévisions du Gouvernement.
Cela constitue une différence importante par rapport à la prévision que le Gouvernement avait retenue pour 2023 dans le cadre du PLF 2023, puisqu'alors celle-ci se situait cette au-dessus de la moyenne mais en dessous de l'estimation la plus haute.
Évolution de la prévision de
croissance du PIB du Consensus Forecasts
pour la France en
2023
(en pourcentage - en volume)
Source : commission des finances du Sénat d'après les prévisions du Consensus Forecasts de janvier à octobre 2023
Les instituts de conjoncture français sont également plus pessimistes que le Gouvernement, l'OFCE et Rexecode prévoyant respectivement une croissance de 0,8 % et 0,4 % en 2024.
Si les prévisions de croissance des conjoncturistes « institutionnels » sont plus proches de celle du Gouvernement, celle-ci demeure encore la plus élevée.
Prévisions institutionnelles de croissance du PIB pour la France en 2024
(en pourcentage - en volume)
Source : commission des finances d'après les données rassemblées par le Consensus Forecasts
La conjugaison de ces différents éléments montre que la prévision gouvernementale est, plus encore que l'année dernière, particulièrement fragile. Comme le soulignait Sandrine Duchêne, membre du HCFP entendue par la commission, « il y a un biais optimiste d'année en année, qui fonde l'hypothèse de croissance du Gouvernement et qui se traduit sur les finances publiques »15(*). Celui-ci se reflète par le fait que les prévisions pour tous les postes de la demande sont dans la fourchette haute des prévisions disponibles, comme cela sera analysé plus en détail ci-après.
Les récents développements conjoncturels confirment le caractère optimiste de la prévision, au moment où la croissance aux troisième et quatrième trimestres devrait être limitée respectivement à 0,1 % et 0,2 %16(*) et où le nombre de chômeurs de catégorie A a augmenté de 0,6 % au troisième trimestre 202317(*). Comme le précisait également Sandrine Duchêne lors de son audition, il y a « peu de facteurs d'accélération du côté du commerce extérieur et de la demande adressée à la France »18(*).
Par ailleurs, comme le précisait le président du Haut conseil des finances publiques, Pierre Moscovici, devant la commission des finances19(*), ces prévisions résultent de la combinaison d'hypothèses toutes favorables, ce qui signifie que si seulement l'une d'entre elles venait à ne pas se matérialiser, il deviendrait particulièrement difficile pour l'économie française d'atteindre le niveau prévu par le Gouvernement.
La crise au Moyen-Orient constitue à cet égard ainsi un facteur d'incertitude qui pourrait venir affaiblir la croissance française en 2024. S'il ne saurait être question de reprocher au Gouvernement de n'avoir pas anticipé, dans ses prévisions, l'attaque du Hamas du 7 octobre sur Israël et la riposte de ce dernier, force est de constater que le manque de prudence desdites prévisions ne laissent guère de marge lorsqu'un événement de cette nature, incertain mais toujours envisageable dans un contexte international toujours plus tendu, advient.
B. L'OPTIMISME DU GOUVERNEMENT, DONT LE SCÉNARIO MACROÉCONOMIQUE REPOSE SUR DES HYPOTHÈSES TOUTES FAVORABLES, EST À CONTRE-TEMPS DES INCERTITUDES GRANDISSANTES
1. La baisse de l'inflation devrait permettre de relancer la consommation, malgré une incertitude sur le comportement d'épargne des ménages
L'inflation française reviendrait à un niveau plus faible en 2024, ce qui permettrait de relancer la consommation des ménages. La vigueur de cette relance reste toutefois en débat, en raison d'incertitudes sur le niveau de l'inflation et sur le taux d'épargne des ménages.
Selon le Gouvernement, l'inflation mesurée au moyen de l'indice des prix à la consommation passerait de 4,9 % en 2023 à 2,6 % en 202420(*). À la différence de 2022, le moteur principal de l'inflation serait sa composante sous-jacente - excluant les prix soumis à l'intervention de l'État comme les tarifs du gaz et de l'électricité et les produits à prix volatils comme le pétrole - qui s'élèverait à 5,1 % en 2023 et diminuerait à 2,4 % en 2024. Le FMI envisage une inflation à 2,5 % pour la France en 2024, tandis que la moyenne relevée par le Consensus Forecasts en octobre 2023 s'établissait à 2,7 %. Au total, la prévision d'inflation du Gouvernement paraît donc raisonnable.
Prudent, Patrick Artus, entendu par la commission des finances, rappelait toutefois que plusieurs facteurs pouvaient conduire à penser que la prévision du Gouvernement était légèrement optimiste : les coûts de la transition énergétique, les restrictions commerciales mondiales - estimées à près de 2 800 en 2022 par le FMI contre 300 dix ans auparavant21(*) - ou encore les tensions sur le marché du travail. L'OFCE prévoit ainsi plutôt une inflation de 3,3 %, en ligne avec les autres pays développés. Comme le précisait toutefois Éric Heyer lors de son audition devant la commission, si l'on regarde l'évolution des prix par rapport à 2019, celle-ci est plus modérée en France qu'ailleurs.
Évolution du niveau général des prix depuis 2019
(indice des prix à la consommation pour la France et indice des prix à la consommation harmonisé pour les pays de la zone euro - base 100 au quatrième trimestre 2019)
Source : OFCE
La répartition de l'inflation entre ses différents postes a évolué au cours de l'année 2023. Sa composante alimentaire a augmenté presque sans interruption au cours de l'année 2022 jusqu'en mars 2023 où elle a atteint un pic. Elle contribuait alors à hauteur de 2,5 points à une inflation de 5,7 % en glissement annuel, avant de connaître un reflux par la suite, de nature à alléger progressivement le poids supporté par les ménages les plus modestes dont une part plus importante du budget est consacrée à l'alimentation, et par conséquent à relancer la consommation puisque ces ménages disposent d'une forte propension à consommer22(*). Désormais, ce sont les services qui contribuent le plus à l'inflation23(*).
Au total, selon les prévisions du Gouvernement, cette diminution de l'inflation ferait augmenter le pouvoir d'achat dont la hausse passerait de 0,2 % en 2022 à 1,3 % en 2023 et 2024. Il s'agit d'estimations particulièrement hautes puisque Rexecode prévoit un repli du revenu disponible brut réel de 0,1 %, l'OFCE une hausse de 0,3 % et la Banque de France une hausse de 0,9 % en 2024.
Toutefois, comme l'indiquait Éric Heyer lors de son audition par la commission, les évolutions récentes du pouvoir d'achat - qui se mesure, il faut le rappeler, par rapport au revenu disponible agrégé des ménages - s'expliquent en grande partie par la hausse des revenus du capital, qui sont davantage le fait des ménages aisés, dont le taux d'épargne est plus élevé24(*) : les revenus issus du capital représentent 20 % du revenu des ménages mais ils sont à l'origine de 40 % de la progression récente du pouvoir d'achat25(*).
Il faut donc considérer le SMPT réel, reflétant le pouvoir d'achat du salaire moyen, pour compléter l'analyse : il renouerait, en 2024 comme en 2025, avec un taux de croissance nettement positif après deux années de diminution26(*). Selon le Gouvernement, le SMPT réel serait pourtant en hausse de 0,4 % en 2023 et de 0,5 % en 2024.
Il importe par ailleurs d'observer l'évolution des effectifs salariés marchands, anticipée à + 0,5 % par le Gouvernement, qui, avec l'évolution du SMPT nominal (+ 3,1 %), détermine celle de la masse salariale. Le Gouvernement anticipe ici une augmentation de 3,6 % en 2024, supérieure à l'inflation. Cette prévision paraît, selon le HCFP, plausible : si elle repose sur une appréciation optimiste de l'évolution de l'emploi, elle semble sous-estimer celle du SMPT.
Ces données appuient l'hypothèse d'une hausse de la consommation des ménages en 2024.
Si la reprise de la consommation fait peu de doute pour 2024, son ampleur dépend toutefois des comportements d'épargne des ménages, qui demeurent soumis à une forte incertitude.
En effet, le taux d'épargne, après avoir subi des évolutions erratiques en 2020 et 2021, a progressivement augmenté en 2022. Depuis le quatrième trimestre 2022, il dépasse les 18 % et sa tendance ne paraît pas orientée à la baisse. Toute la question est donc de savoir si ce niveau est un nouveau « plateau », ou si au contraire, le taux d'épargne rejoindra - et à quelle vitesse - le niveau de 15 %, qui est sa tendance d'avant-crise.
Évolution trimestrielle du taux d'épargne des ménages depuis 2015
(en pourcentage du revenu disponible brut des ménages)
Source : Insee, octobre 2023
Selon le Gouvernement, le taux d'épargne des ménages devrait passer de 18,6 % en 2023 à 18,2 % en 2024. La baisse envisagée est donc graduelle - et donc relativement prudente - mais elle n'est pas expliquée, d'autant que le rapport économique, social et financier annexé au présent PLF souligne que « les comportements de précaution demeureraient importants après plusieurs épisodes de forte incertitude » - épisodes qui, au demeurant, se sont démultipliés depuis la publication de ce rapport.
Sandrine Duchêne, entendue par la commission, estime ainsi que « le contexte n'est pas propice à une baisse de l'épargne expliquée par les comportements habituels. Il faut donc faire des choix de modélisation ou de comportement pour établir les prévisions. Ce n'est pas un problème, mais il faut alors les expliciter », ce que ne fait pas le Gouvernement. Selon elle, si le reflux de l'inflation pousserait bien la consommation à la hausse, l'accélération de la hausse du revenu réel entraînerait plutôt une hausse de l'épargne. De même, l'augmentation probable du taux de chômage devrait susciter des comportements de précaution, au même titre que le contexte d'incertitude - en particulier avec la réforme des retraites - dans lequel est plongée l'économie française27(*). L'OFCE, qui anticipe une très légère baisse du taux d'épargne pour 2024, reconnaît également qu'il s'agit d'un « pari » : selon Éric Heyer, « si on laissait faire une équation « standard », on aurait plutôt tendance à dire l'inverse ».
En effet, le niveau du moral des ménages est associé aux comportements d'épargne et de consommation, et sa faiblesse rend « peu propice », selon Éric Heyer, que ces ménages puisent dans leur épargne pour consommer. Si on note une amélioration progressive depuis le point bas atteint en juillet 2022, le niveau de confiance des ménages en octobre 2023 demeure historiquement faible. Il faut remonter à la mi- 2013 (crise des dettes souveraines) ou à fin 2008 (crise financière et économique mondiale) pour trouver des niveaux aussi bas. À cet égard, il est paradoxal que la confiance des ménages soit moins forte en 2023 qu'en pleine crise sanitaire.
Évolution de la confiance des ménages depuis 2017
Note de lecture : l'indicateur synthétique de confiance des ménages résume leur opinion sur la situation économique : plus sa valeur est élevée, plus le jugement des ménages sur la situation économique est favorable. L'indicateur décrit la composante commune de 8 soldes d'opinion, dont les mouvements sont corrélés : niveau de vie passé et futur en France, situation financière personnelle passée et future, chômage, opportunité de faire des achats importants, capacité d'épargne actuelle et capacité d'épargne future.
Source : commission des finances d'après les données de l'Insee
Encore une fois, malgré la relative prudence des hypothèses gouvernementales en matière de taux d'épargne des ménages - et donc de revenu disponible finalement consommé -, celles-ci, en plus de ne pas être étayées, apparaissent comme trop favorables au regard de nombreux éléments d'incertitudes.
2. L'investissement serait plus faible que ne l'envisage le Gouvernement, en raison d'une politique monétaire particulièrement restrictive et du retrait des aides publiques
Tout d'abord, les effets récessifs du durcissement de la politique monétaire décidé depuis juillet 2022 par la Banque centrale européenne semblent sous-estimés par le Gouvernement.
Face à un risque d'ancrage des anticipations d'inflation à un niveau élevé considéré comme important28(*), la dernière hausse des taux directeurs a été décidée dans le cadre de la réunion du conseil des gouverneurs du 14 septembre 2023. En effet, la BCE anticipe une inflation au niveau de la zone euro plus élevée qu'attendu en 2023 (5,6 %) comme en 2024 (3,2 %) et un retour à un niveau proche de la cible de 2 % en 2025 seulement. Ainsi, à l'issue de cette réunion, la présidente de la BCE Christine Lagarde a, en quelque sorte, annoncé une fixation des taux d'intérêt au niveau arrêté le 14 septembre aussi longtemps que l'inflation ne sera pas ramenée à sa cible, tout en se laissant une marge pour un durcissement supplémentaire : « nous considérons que les taux d'intérêt directeurs de la BCE ont atteint des niveaux qui, maintenus pendant une durée suffisamment longue, contribueront fortement au retour au plus tôt de l'inflation au niveau de notre objectif. Nos futures décisions feront en sorte que les taux d'intérêt directeurs de la BCE soient fixés à des niveaux suffisamment restrictifs, aussi longtemps que nécessaire »29(*). Cette formule a été rappelée le 26 octobre 2023, à l'issue d'une nouvelle réunion du Conseil des Gouverneurs, la première depuis le 21 juillet 2022 à ne pas s'être traduite par une hausse des taux directeurs.
Au total, la restriction monétaire opérée par la BCE (augmentation de 450 points de base en 14 mois) est la plus dure de son histoire.
Ce durcissement devrait avoir en 2024 un impact négatif sur l'investissement des entreprises et des ménages. Pour les entreprises, un taux d'intérêt trop élevé mène en effet à reporter ou interrompre des projets insuffisamment rentables, voire, tout simplement, à faire faillite.
Pour les ménages, la hausse du coût du crédit mène à reporter les projets d'achats immobiliers, du moins aussi longtemps que les prix de l'immobilier n'ont pas diminué.
Ces effets ne se matérialisent toutefois pas immédiatement : comme l'affirmait Milton Friedman en 1961, « l'impact des décisions monétaires sur l'économie se manifeste avec un certain retard »30(*). Les effets de la politique monétaire sur la croissance joueraient ainsi à plein entre 12 à 18 mois après le choc initial31(*), ce qui suggère que l'essentiel de la hausse récente des taux aura un impact en 2024.
Du côté des entreprises, le retrait des aides publiques introduites en réponse à la crise sanitaire puis énergétique, ainsi que les échéances à venir, pourraient constituer un facteur aggravant. La trésorerie des entreprises pourrait en effet être affectée par la fin des mesures du Plan de relance et du bouclier tarifaire. Les échéances dues aux prêts garantis par l'État (PGE), même si les banques ont correctement fait leur travail de sélection des risques32(*), pourraient également peser sur les entreprises rencontrant des difficultés du fait du durcissement de la politique monétaire. Il en va de même pour les échéances dues aux Urssaf, mentionnées par Sandrine Duchêne lors de son audition. Enfin, le retrait des fonds de soutien divers qui ont pu aider des entreprises qui, autrement, auraient fait faillite, n'est pas de nature à contrecarrer ces phénomènes. Les défaillances d'entreprises ont d'ailleurs déjà retrouvé leur niveau de 2019 (51 000)33(*).
Le Gouvernement anticipe un ralentissement important de l'investissement des entreprises, dont la hausse passerait de + 3,2 % en 2023 à + 0,9 % en 2024. Sa dynamique toujours importante en 2023, malgré le resserrement déjà à l'oeuvre de la politique monétaire, confirmerait l'hypothèse d'effets retardés, et suggère également que les taux de marge élevés des entreprises (32,6 % attendus en 2023 après 31,7 % en 2022) leur ont probablement permis de puiser dans leurs réserves en 2023. Le Gouvernement attribue également cette hausse de 0,9 % de l'investissement des entreprises à la suppression de la moitié de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), pour 4 milliards d'euros.
Le niveau d'investissement envisagé par le Gouvernement pour 2024 paraît toutefois optimiste. La Banque de France prévoit ainsi plutôt une croissance de l'investissement des entreprises limitée à 0,6 % pour 2024, tandis que la moyenne du Consensus Forecasts s'établit à 0,3 %. L'OFCE est encore plus pessimiste et prévoit une diminution de l'investissement des entreprises d'1,1 %.
Une cible d'inflation trop sévère ?
Le système européen de banques centrales a pour mission prioritaire, selon l'article 127 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de maintenir la stabilité des prix. Le Conseil des gouverneurs a ainsi décidé, en 2003, de fixer la cible d'inflation à un niveau « inférieur, mais proche de 2 % ». Il a rénové sa doctrine en juillet 2021, pour fixer une cible d'inflation symétrique (légèrement inférieure ou supérieure) à 2 %.
S'il était probablement nécessaire, pour asseoir la crédibilité monétaire d'une institution récente comme la BCE, de fixer à ses origines une cible d'inflation basse, des économistes comme Olivier Blanchard et ses collègues34(*) ou Laurence Ball35(*) se sont déjà prononcés en faveur d'un rehaussement de la cible d'inflation de 2 % à 4 %. Le contexte de ces propositions était toutefois plutôt celui du risque de la déflation et de la trappe à liquidité : passer de 2 à 4 % permettait dans ce cadre d'augmenter les marges de manoeuvre des banques centrales.
Lors de son audition par la commission, Sandrine Duchêne a toutefois confirmé, dans ses propres termes, le caractère particulièrement faible de la cible actuelle : « quel degré de répression financière est-on obligé de s'infliger pour parvenir à 2 % d'inflation ? Faut-il vraiment en passer par là ? C'est un débat de politique économique. Pour passer de 3 % à 2 %, combien d'entreprises va-t-on laisser sur le tapis ? »36(*) Eu égard à l'arbitrage qui pourrait exister entre l'inflation et le chômage, reflété par la fameuse courbe de Phillips, et à la mission complémentaire de la BCE de « soutien aux politiques économiques générales dans l'Union, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l'Union »37(*), une redéfinition de cette cible pourrait faire débat. Elle ne manquerait pas, toutefois, d'éroder l'épargne existante.
Cette question prend de l'ampleur à l'heure où la baisse de la productivité du travail affecte dangereusement notre économie et nécessiterait sans doute, pour revenir à la normale, une reprise plus vigoureuse de l'investissement - au demeurant probablement sous-estimé en raison de problèmes statistiques38(*).
Source : article 127 TFUE, audition de la commission des finances du mercredi 18 octobre 2023, BLANCHARD, Olivier, Giovanni DELL'ARICCIA & Paolo MAURO (2010), « Rethinking macroeconomic policy », IMF staff position note, n° SPN/10/03 et BALL, Laurence (2013), « The case for 4 % inflation », Banque Centrale de la République de Turquie, Central Bank Review, vol. 13, mai.
L'investissement des ménages se contracterait également. Ici encore, la prévision du Gouvernement paraît très optimiste, avec - 2,2 %.
Selon l'OFCE, l'investissement des ménages connaîtrait une baisse bien plus importante, de 5,7 % et selon la Banque de France de 5,9 %, en cohérence avec des prévisions de chômage plus élevées que celles du Gouvernement. Cette diminution s'expliquerait également par d'autres facteurs : les difficultés des ménages à contracter un prêt immobilier, ainsi que la baisse des prix de l'immobilier qui devrait résulter du déséquilibre entre l'offre et la demande des logements qui interviendrait alors. De plus, selon l'OFCE, les promoteurs indiquent que la demande de logements neufs et les perspectives de mises en chantier se situent, au troisième trimestre 2023, à des niveaux historiquement bas, augurant une dégradation forte pour 2024.
S'agissant enfin de l'investissement public, qui ne subit pas l'influence de la politique monétaire, le Gouvernement prévoit une hausse de 1,3 %, contre une baisse de 0,7 % pour la Banque de France et une hausse de 1 % selon l'OFCE.
Au total, le Gouvernement estime que l'investissement, tous secteurs institutionnels confondus, augmenterait de 0,3 %. Selon la Banque de France, il diminuerait de 1,1 %, et selon l'OFCE de 1,7 %. L'OFCE estime d'ailleurs que la hausse des taux d'intérêt amputera la croissance de 0,9 point en 2024 - par rapport au niveau qui aurait été le sien sans cette hausse. Selon le HCFP, la différence d'appréciation quant aux effets, retardés ou non, de la politique monétaire, joue un rôle déterminant dans l'explication du caractère élevé de la prévision de croissance du Gouvernement, puisque cette dernière « suppose notamment que le durcissement des conditions de crédit a déjà produit l'essentiel de ses effets, en particulier sur l'investissement des ménages »39(*).
3. Les réformes structurelles du marché de l'emploi, qui pourraient avoir un effet à long terme, ne suffiraient pas à contenir le taux de chômage en 2024
Le taux de chômage, en plus de constituer un indicateur social incontournable lui-même influencé par l'état de l'économie40(*), joue aussi en retour sur des variables telles que la consommation ou l'investissement des ménages. Il a aussi, naturellement, un impact direct sur le niveau de dépenses et de recettes publiques, puisqu'une partie des premières servent à indemniser les personnes qui ont perdu leur emploi, tandis que la perte du revenu associée à la perte d'emploi vient grever les secondes.
Le Gouvernement semble, une fois encore, pécher par excès d'optimisme. Le coeur de son argumentaire consiste à mettre en avant ses récentes réformes du marché du travail - développement de l'apprentissage, réforme des retraites et de la contracyclicité de l'assurance-chômage - pour prédire un faible taux de chômage en 2024. S'il est probable que ces réformes aient, à terme, un effet bénéfique sur la croissance potentielle en France, et donc sur l'emploi, envisager des effets dès l'an prochain est sans doute prématuré.
Il est possible, au contraire, que le taux de chômage ait atteint un point bas au premier trimestre 2023, avec 7,1 %, et qu'il remonte légèrement l'an prochain.
Évolution du taux de chômage
trimestriel en France
(hors Mayotte) depuis 2003
(en %)
Source : commission des finances, d'après les données de l'Insee
Le Gouvernement prévoit ainsi, en moyenne annuelle, 155 000 créations d'emplois en 2024, ce qui correspondrait, compte tenu d'une augmentation de la population active inférieure41(*), à une baisse supplémentaire du taux de chômage. La Banque de France prévoit, elle, 60 000 destructions d'emplois et aboutit, avec une population active augmentant selon elle de 47 000 individus, à une hausse du chômage (+ 107 000), qui atteindrait un taux de 7,5 % en moyenne annuelle sur 2024.
L'OFCE est plus pessimiste et prévoit un chômage à 7,9 % fin 2024, expliquée par une hausse de la population active due à la réforme des retraites42(*), seulement en partie absorbée par le marché du travail, le rétablissement progressif de la durée du travail, et enfin les défaillances et la fin des aides exceptionnelles. Selon les scénarios retenus, le chômage serait situé entre 7,2 % et 8,5 % fin 2024.
L'augmentation probable des défaillances serait aussi, comme évoqué ci-avant, la conséquence de la hausse des taux, qui finirait par entraîner une hausse du chômage. Les travaux empiriques rassemblés par Christophe Blot dans une récente note43(*) se penchant sur l'effet des contractions monétaires sur le chômage, s'ils ne sont pas unanimes sur l'ampleur de ce retard, s'accordent en effet pour estimer que l'effet maximal de la contraction monétaire sur le chômage serait atteint après plus d'un an.
4. La forte instabilité de l'environnement international ainsi que la faiblesse de la croissance mondiale pourraient peser sur la croissance française
L'environnement international ne serait, pour 2024, que peu propice au plein développement de la croissance française.
Comme le soulignait Sandrine Duchêne lors de son audition, il y a « peu de facteurs d'accélération du côté du commerce extérieur et de la demande adressée à la France » : « la croissance mondiale est affectée par le ralentissement en Chine. Nos voisins allemands et italiens, dépendants du commerce international, sont perturbés par le ralentissement chinois ; or l'histoire économique nous montre qu'il est rare que la croissance française soit découplée de la croissance allemande et italienne ». À cela s'ajoute une aggravation préoccupante des tensions géopolitiques depuis l'attaque d'Israël par le Hamas le 7 octobre dernier.
Selon la Commission européenne, la croissance de la zone euro s'établirait à 1,3 % en 2024, après 0,8 % en 2023 et, au sein de la zone euro, les partenaires principaux de la France - Allemagne et Italie - ont des économies très peu allantes. Plombée par la diminution de la demande extérieure et la baisse consécutive de la production industrielle, l'Allemagne connaîtrait une récession en 2023 (- 0,4 % selon le Consensus Forecasts) et ne retrouverait qu'une croissance très modérée en 2024 (+ 0,5 %). De même, l'Italie, affectée par le durcissement de la politique monétaire et la faiblesse de la demande extérieure, connaîtrait une croissance de 0,7 % puis 0,6 % respectivement en 2023 et 202444(*).
Le ralentissement chinois n'est pas étranger à la faiblesse de la demande adressée à ces pays. Stagnation des prix immobiliers, vieillissement de la population augmentation de la dette privée, faible investissement des entreprises et nouvelles orientations de la politique commerciale américaine se conjuguent pour amener la Banque mondiale à revoir sa prévision de croissance pour 2024 de 4,8 à 4,4 % entre avril et octobre, niveau le plus faible en 50 ans45(*). Le Gouvernement, qui a retenu une hypothèse de 4,5 %, s'est montré prudent.
L'économie américaine, soutenue par les plans d'investissements tels que l'Inflation Reduction Act et portée par une consommation puisant dans la surépargne issue de la crise sanitaire, se portait bien en 2023 - elle a enregistré une croissance d'1,2 % au cours du troisième trimestre 2023. La croissance passerait toutefois de 2,2 % en 2023 à 0,9 % en 2024, selon le Consensus Forecasts46(*).
Par ailleurs, comme toutes les prévisions évoquées ci-avant, celle du Gouvernement a été élaborée avant l'attaque d'Israël par le Hamas le 7 octobre dernier. En conséquence, elle ne pouvait prendre en compte ses retombées économiques - encore impossibles à prévoir - ni pondérer le scénario des incertitudes qui lui sont associées - ce que l'on peut à peine commencer à faire.
Un rapport de la Banque mondiale du 30 octobre 2023 sur les marchés de matières premières47(*) estime que, avec une hausse de 6 % des prix pétrole depuis le début du conflit48(*) et une faible variation des prix des produits agricoles et de la plupart des métaux, les premières conséquences économiques du conflit sont contenues. Il en irait de même si le conflit en restait au stade actuel. En revanche, s'il s'intensifiait, la Banque mondiale a imaginé trois scénarios selon le degré de perturbation des approvisionnements en pétrole (limitée, moyenne et majeure) et, selon le cas, le prix du pétrole pourrait passer de 90 dollars à une fourchette comprise entre 93 et 157 dollars. Le rapport précise que la hausse des prix du pétrole pourrait entraîner celle d'autres énergies.
Le risque de reprise de l'inflation existe donc. Ainsi, selon la gravité du conflit, les effets positifs de la baisse de l'inflation décrits précédemment pourraient se trouver annulés, ce qui pourrait entraîner un nouveau durcissement de la politique monétaire. Cet exercice de prospective un peu sombre n'a rien que de très incertain : il vise surtout à percevoir à quels aléas profonds sont soumises les prévisions macroéconomiques pour 2024.
Au total, les perspectives de croissance mondiales s'assombrissent, et un ralentissement pour 2024 ne saurait être exclu : tandis que le Gouvernement prévoyait, avant le 7 octobre, une croissance mondiale stable à 3 % pour 2024, la Coface, qui estime que le risque politique est à un niveau parmi les plus élevés et que les défaillances d'entreprises devraient augmenter à la suite de la contraction monétaire, pronostique dans son baromètre du 18 octobre un taux limité à 2,2 % (et 0,7 % seulement pour la France)49(*).
L'ampleur de la hausse de la demande mondiale adressée à la France telle que prévue par le Gouvernement (+ 3 % en 2024), et expliquée notamment par la reprise du commerce mondial en biens (+ 3,6 %), est donc à considérer avec circonspection.
De même est-on fondé à se demander si la contribution du commerce extérieur à la croissance serait toujours positive en 2024, ainsi que le prévoit le Gouvernement (+ 0,1 point). La Banque de France anticipe ainsi une contribution nulle. Si l'afflux de touristes dû aux Jeux Olympiques à l'été 2024 constituerait un facteur de positif, le risque d'une inflation importée et d'un affaiblissement de la demande adressée à la France n'est pas non plus exclu.
II. UN DÉFICIT « EXTRÊME », À L'HEURE OÙ LES TAUX D'INTÉRÊT ET LA CHARGE DE LA DETTE AUGMENTENT : EN FINIR AVEC LA POLITIQUE DE LA DETTE
A. LE DÉFICIT PUBLIC DE LA FRANCE, MALGRÉ LE RETRAIT DES DÉPENSES EXCEPTIONNELLES, RESTE PARMI LES PLUS ÉLEVÉS DE LA ZONE EURO EN 2024
1. Un déficit et une dette publique qui demeurent parmi les plus élevés de la zone euro
En augmentation par rapport à 2022, où il était de 4,8 % du PIB, le déficit public devrait s'élever en 2023 à 4,9 % du PIB selon le Gouvernement. Ces niveaux demeurent très éloignés encore du seuil de 3 % prévu par les traités européens. Les exigences de solde structurel (- 4,1 % du PIB au lieu de - 0,5 % du PIB) sont également loin d'être respectées.
En 2024, le déficit public diminuerait et atteindrait 4,4 % du PIB.
Décomposition du solde public entre 2022 et 2024
(en pourcentage du PIB)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les articles liminaires du PLF de fin de gestion pour 2023 et du PLF pour 2024
L'amélioration pour 2024 paraît significative, mais le solde public apparaît tout de même se situer à un niveau dégradé en comparaison aux niveaux qu'il a pu atteindre juste avant la crise sanitaire et avant la crise des subprimes.
Évolution du solde public de la France entre 2002 et 2024
(en pourcentage du PIB)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données d'Eurostat, du PLFFG pour 2023 et du PLF pour 2024
Entre 2017 et 2024, le solde public se creuserait d'1,4 point.
La comparaison historique peut utilement s'enrichir d'une comparaison européenne. Ainsi, au regard de nos partenaires de la zone euro, la France enregistrerait une piètre performance.
En effet, en 2023, la France aurait le quatrième déficit le plus élevé de la zone euro, en pourcentage du PIB, à égalité avec la Belgique. En 2024, parmi les pays de la zone euro, et si l'on retient les prévisions du FMI, seule la Belgique aurait un déficit plus élevé.
Déficits publics des pays de la zone euro
selon les prévisions du FMI en 2023 et 2024
(en pourcentage du PIB)
Source : commission des finances, d'après les prévisions du FMI (octobre 2023)
Il convient de noter par ailleurs que la diminution du déficit envisagée par le Gouvernement n'est rien moins qu'hypothétique : elle repose sur des hypothèses de croissance favorables qui devraient ne pas se réaliser, et qui entraînent une hausse du dénominateur - le PIB - plus importante que celle qui devrait effectivement se stabiliser. Au contraire, le déficit public, exprimé en points de PIB, pourrait simplement se stabiliser : c'est l'hypothèse de l'OFCE, qui estime que le déficit public devrait s'élever, en 2023 comme en 2024, à hauteur de 4,8 % du PIB.
Des remarques similaires peuvent être faites à propos du ratio de dette publique par rapport au PIB. Après un point haut de 114,6 % du PIB atteint en 2020 à la faveur des dépenses engagées lors de la crise sanitaire, la dette publique française décroît lentement. Elle atteindrait 109,7 % du PIB en 2023 et se stabiliserait à ce niveau en 2024, ce qui représente une hausse de près de 12 points depuis 2017.
Évolution des ratios de dette publique et
de déficit public en France
entre 2002 et 2024
(en pourcentage du PIB)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données d'Eurostat, du PLFFG pour 2023 et du PLF pour 2024
Alors que l'on peut constater que la diminution du ratio de dette publique exige plusieurs années de diminution continue du déficit public50(*), il paraît urgent de revenir le plus rapidement possible à une situation plus équilibrée.
Si la succession des crises sanitaire et énergétique ainsi que la réponse fiscale et budgétaire que la puissance publique leur a apportée explique sans conteste pour une bonne part cette hausse de l'endettement public, il n'en demeure pas moins que, encore une fois, la France fait en la matière figure de mauvais élève de la zone euro, dont elle figurerait dans le trio de tête des pays les plus endettés, alors que l'ensemble des pays concernés a fait face aux mêmes crises exogènes que la France.
Les autres pays de la zone euro ont connu le même choc - et ils ont aussi connu une hausse de leur endettement - mais leur situation budgétaire d'avant-crise et les efforts qu'ils ont accomplis depuis leur ont permis, pour leur immense majorité de revenir à des niveaux soutenables d'endettement public. Hormis la Grèce, l'Italie, la France, la Belgique, l'Espagne et le Portugal, tous les pays de la zone euro affichent un endettement public inférieur à 80 % du PIB.
Endettement public des pays de la zone euro en 2023 et 2024
(en pourcentage du PIB)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les prévisions du FMI (octobre 2023)
Note de lecture : les pays sont classés par ordre décroissant du niveau de leur dette publique prévue pour 2024.
2. Des recettes publiques dont la progression regagnerait en vigueur en 2024
En 2023, d'après les prévisions du Gouvernement, les recettes publiques devraient s'élever à environ 1 452 milliards d'euros, dont 1 241 milliards d'euros de prélèvements obligatoires nets de crédits d'impôts et 200 milliards d'euros de recettes hors prélèvements obligatoires.
Par rapport à 2022, les recettes publiques auront ainsi progressé de seulement 40 milliards d'euros (contre une évolution de 96,5 milliards d'euros entre 2021 et 2022).
Décomposition de l'évolution des recettes publiques entre 2022 et 2023
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires
Contrairement à l'année dernière, il s'agit d'une évolution beaucoup moins rapide (+ 2,8 %) que celle du PIB en valeur (+ 6,8 %). Elle provient d'une faible évolution spontanée (+ 4 %) des prélèvements obligatoires comparée à celle du PIB, ainsi que du retrait des financements européens et de mesures nouvelles en recettes.
La faible évolution spontanée résulte d'une élasticité des recettes à l'activité infra-unitaire, qui atteindrait le niveau de 0,6 en 2023, contre 1,5 en 2022. Le Gouvernement explique notamment cette faible élasticité par le contrecoup, sur le solde de l'impôt sur les sociétés, de la forte croissance du bénéfice fiscal en 2021 - démontrant par-là, comme cela sera développé ci-après, le risque d'asseoir les recettes budgétaires sur une assiette aussi instable que celle de l'IS - mais aussi par une masse salariale en ralentissement, le resserrement des conditions d'emprunt venant peser sur les DMTO, la revalorisation du barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation, un retrait de la consommation de carburants et de nombreux remboursements de crédits de TVA.
Le retrait progressif des versements européens liés au plan de relance (6,6 milliards d'euros en 2023 contre 11,1 milliards d'euros en 2022) explique également une évolution des recettes publiques relativement contenue en 2023.
Cette faible évolution spontanée ne serait que peu entamée par des mesures nouvelles en prélèvements obligatoires, puisque celles-ci n'éroderaient l'évolution des recettes que de 4 milliards d'euros en 2023.
Cette érosion modérée cache des mouvements importants puisque, parmi les mesures qui entament le plus les recettes publiques figurent la suppression d'une partie de la CVAE en 2023, qui entraînerait une perte en recettes de 3,6 milliards d'euros, ainsi que la dernière étape de la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, avec une perte de 2,8 milliards d'euros, subies toutes deux par les collectivités territoriales.
Synthèse des principales mesures nouvelles
en prélèvements obligatoires en 2023
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
En 2023, le ralentissement de l'évolution des recettes publiques a conduit à un retrait significatif du taux de prélèvements obligatoires (44 %) par rapport à 2022 (45,4 %), année où la France a pris la première place en la matière au sein de l'Union européenne.
En 2024, l'évolution des recettes publiques, qui s'élèveraient à plus de 1 510 milliards d'euros, ne regagnerait que peu en vigueur (+ 3,1 %) du fait d'une croissance réelle atone (+ 1,4 % selon le Gouvernement, mais probablement moins) et d'une inflation plus faible, aboutissant à une hausse du PIB en valeur de 4 %. Les recettes en prélèvements obligatoires, nettes des crédits d'impôts, atteindraient 1 292 milliards d'euros, et les recettes hors prélèvements obligatoires 206 milliards d'euros.
Décomposition de l'évolution des recettes publiques entre 2023 et 2024
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires
Note de lecture : la différence entre la somme des chiffres et le résultat total est dû aux arrondis.
Les recettes publiques bénéficieraient toutefois d'un niveau d'élasticité des prélèvements obligatoires plus classique, qui augmenterait pour atteindre 1,1. Le taux de prélèvements obligatoire serait ainsi de 44,1 % en 2024.
Les mesures nouvelles en prélèvements obligatoires représentant une perte de recette seraient principalement associées à la suppression de la CVAE (- 1,4 milliard d'euros en 2024), au traitement en recettes de gains sur les charges de service public de l'énergie (- 1,9 milliard d'euros), à la contribution sur les rentes infra-marginales (- 3,1 milliards d'euros) et à l'atteinte du plafond du fonds de résolution unique (- 2,8 milliards d'euros).
Toutefois, en additionnant l'ensemble des mesures nouvelles en recettes - et hormis l'année 2020 - l'année 2024 serait, depuis 2018, l'année où les finances publiques subiraient le moins de pertes en recettes liées aux mesures nouvelles, avec une érosion de seulement 1,5 milliard d'euros des prélèvements obligatoires due aux mesures nouvelles. Ce faisant, elle se place dans le cadre posé par l'article 6 du projet de loi de programmation des finances publiques 2023.
Comme en 2023, ce faible chiffre masque de nombreux mouvements.
La sortie progressive de la mesure - nécessairement temporaire - de contribution sur les rentes infra-marginales de la production d'électricité, dispositif de plafonnement des revenus des producteurs d'électricité introduit dans la loi de finances pour 2023 et donnant lieu à un prélèvement sur les revenus de marché tirés de la fourniture d'électricité entre le 1er juillet 2022 et le 31 décembre 2023, entraînerait une perte de 3,1 milliards d'euros.
L'atteinte du plafond du Fonds de résolution unique donnerait lieu à une perte de recettes de 2,8 milliards d'euros. Lors de la création du FRU, en 2015, dans le cadre de l'Union bancaire, l'objectif était pourtant d'alimenter ce fonds par des contributions du secteur bancaire, pour que celui-ci atteigne 55 milliards d'euros.
Synthèse des principales mesures nouvelles
en prélèvements obligatoires en 2024
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Au total, cette évolution conduirait le taux de prélèvements obligatoires à se stabiliser (44,1 % du PIB) par rapport à 2023.
Ces considérations, largement tirées du RESF produit par le Gouvernement, ne doivent aucunement occulter que, comme cela a été longuement développé antérieurement, les prévisions de croissance du Gouvernement sont trop optimistes pour 2024. Le plus probable, donc, est que la croissance soit inférieure à 1,4 %, et que, conséquemment, les recettes soient également inférieures à celles évoquées ci-avant51(*). Le taux de prélèvements obligatoires pourrait demeurer toutefois autour de 44 % du PIB.
3. Des dépenses publiques qui dérivent dangereusement
Après une diminution (- 1,3 %) en 2023, la dépense publique, hors crédit d'impôts et à champ constant augmenterait de 0,5 % en volume en 2024.
En 2023, les dépenses publiques (y compris les crédits d'impôts) atteindraient 1 591 milliards d'euros, en augmentation de 52 milliards d'euros par rapport à 2022.
Cette hausse masque des mouvements en sens contraires, principalement dus au retrait des mesures de crises. Ainsi, il a ainsi été mis un terme au bouclier gaz en juin 2023, tandis que les mesures d'urgence liées à la crise sanitaire ont presque toutes été retirées. Les dépenses de soutien d'urgence en matière de santé sont ainsi passées de 11,7 milliards d'euros à 900 millions d'euros. De même, les dépenses relatives au plan de relance diminuent.
Décomposition de l'évolution des dépenses publiques entre 2022 et 2023
(en milliards d'euros)
Source : calculs de la commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires
Note de lecture : les dépenses publiques devraient représenter deux milliards d'euros de moins en 2023 selon le PLF de fin de gestion pour 2023.
En revanche, les autres dépenses enregistrent une hausse massive. Comme le signale le RESF « des mesures nouvelles significatives ont été décidées en cours de gestion, à l'initiative du Gouvernement. Il s'agit principalement : de faire face au contexte inflationniste, avec des mesures de revalorisation salariales à destination des agents de la fonction publique ; de renforcer le soutien à l'Ukraine, dans le cadre du conflit avec la Russie ; de poursuivre l'effort soutenu en faveur du plein emploi, avec la prolongation des primes d'apprentissage selon des paramètres inchangés ». En particulier, des revalorisations salariales à hauteur de 1,6 milliard d'euros ont été annoncées en juin 2023, tandis que des mesures de revalorisation du point d'indice sont intervenues en juillet.
En 2024, les dépenses augmenteraient toujours (+ 49 milliards d'euros), mais ralenties par le retrait définitif des mesures de crises non-pérennes.
L'extinction de ces mesures est le principal vivier d'économies du Gouvernement : le retrait du bouclier électricité représente ainsi à lui seul une « économie » de 13 milliards d'euros (2,8 milliards d'euros en 2023 au lieu de 15,9 milliards d'euros en 2022).
Décomposition de l'évolution des dépenses publiques entre 2023 et 2024
(en milliards d'euros)
Source : calculs de la commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Le retrait du bouclier gaz - qui ne coûterait à l'État que 500 millions d'euros à l'État en 2024 en raison d'un reliquat contre 2,8 milliards d'euros en 2023 - va dans le même sens, de même que celui de l'amortisseur d'électricité et du suramortisseur d'électricité, dont le coût pour l'État passerait de 2,6 milliards d'euros à 800 millions d'euros, ainsi que du guichet d'aide que paiement des factures d'électricité pour les entreprises, qui coûterait 2,5 milliards d'euros en 2023 mais qui serait purement et simplement supprimé en 2024.
En plus d'une hausse qui reste significative des dépenses primaires hors crédits d'impôt, la hausse de la charge de la dette de 10 milliards d'euros contribuerait également pour une part importante à l'augmentation de la dépense publique en 2024.
B. ENTRE UN ÉTAT SUR QUI REPOSE L'ESSENTIEL DU DÉFICIT ET UNE SÉCURITÉ SOCIALE EN EXCÉDENT, LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES RELÈVENT LE DÉFI DE L'ÉQUILIBRE BUDGÉTAIRE
1. Les efforts de l'État, qui porte pourtant l'essentiel du déficit, sont inexistants
En comptabilité nationale, les dépenses et les recettes de l'État augmenteraient très légèrement. Les dépenses passeraient d'environ 614 milliards d'euros à 624 milliards d'euros entre 2023 et 2024, tandis que les recettes, passeraient d'environ 465 milliards d'euros à 489 milliards d'euros.
Situation de l'État
(en point de PIB)
2023 |
2024 |
|
Dépenses totales de l'État |
21,8 |
21,3 |
Recettes totales de l'État |
16,5 |
16,7 |
Solde de l'État |
- 5,3 |
- 4,6 |
Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires
Le déficit de l'État, qui s'établirait à 149 milliards d'euros en 2023, diminuerait en 2024 pour s'établir à 134 milliards d'euros52(*).
La diminution de ce déficit est due essentiellement à l'extinction des mesures de crises, qui étaient assumées en quasi-totalité par l'État. Entre 2023 et 2024, l'ensemble des mesures de crise (inflation, relance et urgence) passerait en effet de 45,5 milliards d'euros à 17,2 milliards d'euros).
Elle représente une baisse de 15 milliards d'euros, inférieure à la diminution de dépenses due à l'extinction des boucliers gaz et électricité.
S'il faut également prendre en compte la progression de la charge de la dette en 2024, qui aggrave le déficit, d'autres mesures (amortisseur, suramortisseur, guichet d'aide) s'éteindraient également en 2024, et contribueraient à la baisse des dépenses de l'État. On a peine, finalement, à détecter les efforts réels qui sont effectués.
L'analyse de la situation budgétaire de l'État fait l'objet d'une présentation plus détaillée dans la seconde partie du présent rapport.
Les organismes diverses d'administration centrale (ODAC) poursuivraient la trajectoire de hausse de leurs dépenses qui, après avoir augmenté de 3,5 milliards d'euros entre 2022 et 2023, croîtraient de 5,1 milliards d'euros entre 2023 et 2024, du fait de la montée en puissance du PIA 4 et de France 2030.
Leurs recettes, après avoir enregistré un repli entre 2022 et 2023, connaîtraient une hausse de 4 milliards d'euros en 2024, du fait de l'augmentation des dotations de l'État dans le cadre du PIA 4 et de France 2030, ainsi qu'à l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), de celle des dotations des administrations de sécurité sociale aux agences régionales de santé (ARS) et de la hausse des recettes de France compétences et de l'Agence de financement des infrastructures de France (AFITF).
Le solde des ODAC demeurerait toutefois négatif.
Situation des ODAC
(en points de PIB)
2023 |
2024 |
|
Recettes totales des Odac |
4,0 |
4,0 |
Dépenses totales des Odac |
4,1 |
4,1 |
Solde des Odac |
- 0,1 |
- 0,1 |
Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires
2. La progression des dépenses sociales n'entamerait pas la situation excédentaire des administrations de sécurité sociale
En 2024, le solde des ASSO devrait légèrement diminuer, pour se situer à 0,6 % du PIB. En proportion du PIB, les recettes seraient en effet stables - ce qui correspond à une augmentation en valeur de 30 milliards d'euros - mais les dépenses augmenteraient légèrement - en valeur, elles gagneraient 35 milliards d'euros.
C'est le seul sous-secteur des administrations publiques à présenter une situation excédentaire.
Situation des administrations de sécurité sociale
(en points de PIB)
2023 |
2024 |
|
Recettes totales des ASSO |
26,6 |
26,6 |
Dépenses totales des ASSO |
25,8 |
26,0 |
Solde des ASSO |
0,7 |
0,6 |
Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires
Après une amélioration et un solde excédentaire hors CADES et FRR, dû à la fin des dépenses exceptionnelles de santé liée à la Covid- 19, au recul du chômage et la fin des mesures d'aide et de soutien en 2023, la dégradation du solde en 2024 s'expliquerait par la hausse des prestations vieillesse due au niveau élevé de revalorisation en raison de l'inflation en 2023, et des dépenses dans le champ de l'Ondam (+ 3,2 % en 2024), du fait notamment des mesures d'attractivité à l'hôpital - notamment la revalorisation des heures de nuit de 25 % pour les infirmiers et les aides-soignants, l'augmentation des primes du week-end de 20 % pour les infirmiers, ainsi que l'augmentation des tarifs des gardes -, dont certaines ont été étendues aux Ehpad. La montée en charge de la convention médicale nécessite aussi de nouvelles ressources. Toutefois, pour contenir l'évolution générale des dépenses, les contrôles sur les arrêts maladie et les indemnités journalières seraient renforcés53(*).
Décomposition du solde des administrations sociales
(en points de PIB)
2023 |
2024 |
|
Régime général et Fonds de solidarité vieillesse (FSV) |
- 0,3 |
- 0,3 |
Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) |
0,7 |
0,6 |
Fonds de réserve pour les retraites (FRR) |
- 0,1 |
- 0,1 |
Assurance chômage |
0,1 |
0,1 |
Régimes complémentaires |
0,3 |
0,3 |
ODASS |
0,0 |
0,0 |
Solde des ASSO |
0,7 |
0,6 |
Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires
3. Les administrations publiques locales relèvent le défi de l'équilibre de leurs comptes
Les dépenses des administrations locales progresseraient en valeur d'environ 10 milliards d'euros en 2024 pour atteindre 322 milliards d'euros, mais, rapportées au PIB, elles diminueraient de 0,1 point.
Les recettes locales progresseraient exactement d'autant en valeur, et diminueraient exactement d'autant rapportées au PIB.
Au total, donc, le solde des collectivités territoriales serait toujours très proche de l'équilibre, en 2023 comme en 2024.
Situation des administrations publiques locales
(en points de PIB)
2023 |
2024 |
|
Recettes des APUL |
10,8 |
10,7 |
Dépenses des APUL |
11,1 |
11,0 |
Solde des APUL |
- 0,3 |
- 0,3 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
De façon plus précise, il apparaît que, malgré les nombreux coups portés aux finances locales ces dernières années - suppression de la taxe d'habitation, de la CVAE, etc. -, les collectivités territoriales présentent un solde très proche de l'équilibre, avec un déficit de 2,6 milliards d'euros en 2023 et de 2,9 milliards d'euros seulement en 2024. L'essentiel du déficit des APUL est ainsi porté non par les collectivités, mais par les organismes divers d'administration locale (ODAL), dont le déficit, après avoir atteint 5,4 milliards d'euros en 2023, reculerait légèrement à 5,1 milliards d'euros en 2024. Ces déséquilibres sont en grande partie dus aux dépenses d'investissement massives - de l'ordre de 19,5 milliards d'euros en 2023 et 2024 - engagées par la Société du Grand Paris (SGP)
C. UN SURSAUT EST INDISPENSABLE POUR MAÎTRISER NOS COMPTES PUBLICS ET PARVENIR À UN REGAIN DE CRÉDIBILITÉ
1. Une charge de la dette alimentée par une forte inflation et une succession de déficits publics
La charge de la dette, toutes administrations publiques confondues, devrait connaître, sur les prochaines années, une augmentation très rapide, et presque doubler entre 2023 et 2027.
Évolution de la charge de la dette des
administrations publiques
entre 2018 et 2027
(en milliards d'euros)
Note : l'arrondi de la somme peut n'être pas égal à la somme des arrondis.
Source : documents budgétaires depuis 2019 et réponses de l'administration au questionnaire du rapporteur général
Cette très forte augmentation est, pour l'essentiel, la conséquence des déficits publics consécutifs depuis des années et de la hausse des taux d'emprunt, qui a débuté avec le resserrement monétaire opéré par la Banque centrale européenne en juillet 2022, et dont l'effet sur la charge de la dette se matérialise progressivement, eu égard au remplacement lui-même progressif des titres français, d'une maturité moyenne de 8 ans et 159 jours54(*).
Évolution de la courbe des taux sur les titres de l'État français en septembre 2021, septembre 2022 et septembre 2023
(en %)
Source : commission des finances du Sénat, d'après l'Agence France Trésor et Bloomberg
La hausse récente de l'inflation, depuis 2021, a également eu pour effet d'augmenter la provision pour capital au titre des obligations indexées, qui représentent près de 11 % de l'encours, et donc 25 % est indexée sur l'inflation française et 75 % sur l'inflation européenne.
Le « quoi qu'il en coûte » finit donc, en effet, par coûter, et ce n'est pourtant pas faute d'avoir alerté à maintes reprises sur les risques d'amollissement qu'ont apporté avec eux la période de taux faibles. Se targuer de gagner de l'argent en empruntant, lors de cette période, supposait de pouvoir, en cas de hausse des taux, réduire fortement la voilure. L'emprise actuelle de la sphère publique sur l'économie ne le permettait assurément pas, ce qui montre, encore une fois, combien la maîtrise des comptes publics aurait dû être assurée plus tôt.
2. Le niveau de la dette publique pourrait devenir difficile à tenir en période de hausse des taux...
La situation pourrait devenir d'autant plus insoutenable que les taux d'intérêt réels pourraient dépasser le niveau de la croissance de long terme, du fait également d'une politique monétaire particulièrement restrictive. Dans ces conditions, le risque est celui d'un effet « boule de neige », où l'augmentation de la dette prend un caractère auto-entretenu.
Patrick Artus, lors de son audition, a ainsi fortement alerté sur cette situation, qui impose, selon lui, une consolidation budgétaire très rapide : « aujourd'hui, les taux d'intérêt réels dans la zone euro sont légèrement supérieurs à 1 %, ce qui est proche du niveau de croissance potentielle de la zone euro. Si je fais l'hypothèse d'une croissance de long terme en France de 1 %, notre déficit primaire - hors intérêts de la dette - qui est de 3 % du PIB et sera probablement plus proche de 2,3 % l'an prochain, doit disparaitre : le besoin de réduction du déficit public cette année serait donc de 3 points de PIB pour stabiliser notre taux d'endettement public. En effet, à partir de maintenant, l'inflation ne fera plus diminuer le taux d'endettement : nous avons donc devant nous un besoin considérable de consolidation budgétaire. »
Ces considérations ne sont pas immédiates puisque le solde stabilisant le ratio d'endettement s'établirait en 2024 à - 4,2 % du PIB, légèrement au-dessus du solde effectif prévu par le Gouvernement en 2024. Notons toutefois encore que ce solde stabilisant dépend de prévisions de croissance qui, rappelons-le, sont trop optimistes.
Si la préconisation de Patrick Artus semble, dans le très court terme, excessive, eu égard aux risques de récession qu'amènerait avec elle une réduction du déficit public de 3 points de PIB en une année du fait de l'effet multiplicateur, il n'en demeure pas moins que la conjonction d'une hausse des taux d'intérêt réels et d'une croissance faible impose une consolidation budgétaire rapide.
3. ... et impose un effort supplémentaire en dépenses pour redresser nos comptes publics
Le redressement des comptes publics devrait passer - compte tenu d'un niveau de prélèvements obligatoires déjà particulièrement haut - par un effort supplémentaire en dépenses.
Le Sénat a déjà défendu cette position à l'occasion de l'examen, récent, du projet de loi de programmation des finances publiques pour la période 2023-2027. La trajectoire de finances publiques qu'il a alors adopté supposait la réalisation de deux milliards d'euros d'économies par rapport au niveau de dépenses prévus pour 2024 par le Gouvernement.
Il se trouve toutefois que le projet de loi de finances de fin de gestion a fait apparaître un niveau de dépenses publiques, pour 2023, déjà inférieur de deux milliards d'euros par rapport aux prévisions figurant dans le projet de loi de finances pour 2024.
Il paraîtrait sensé, dans ces conditions, d'envisager des économies un peu plus importantes que celles initialement prévues pour 2024.
DEUXIÈME PARTIE
LE BUDGET DE L'ÉTAT
I. LE DÉFICIT BUDGÉTAIRE « EXTRÊME », QUI S'INSTALLE SUR UN PLATEAU HISTORIQUEMENT HAUT, À 45,7 % DES RESSOURCES
Le déficit budgétaire de l'État est prévu en 2024 à un niveau de 144,5 milliards d'euros par le présent projet de loi de finances dans sa version initiale, en amélioration de 27,6 milliards d'euros par rapport au déficit prévisionnel révisé de 2023, prévu à 172,1 milliards d'euros. Sur le périmètre du budget général, le déficit est égal à 45,7 % des ressources nettes55(*).
Dans le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale à l'issue de l'examen de la première partie56(*), le déficit budgétaire est légèrement réduit, à 144,2 milliards d'euros.
A. 2023 : UNE AGGRAVATION DU DÉFICIT DE 20 MILLIARDS D'EUROS
Le déficit budgétaire pour l'année courante 2023 est prévu à 172,5 milliards d'euros par le projet de loi de finances de fin de gestion57(*), déposé au Parlement le 31 octobre 2023. Le déficit prévisionnel de l'année était de 172,1 milliards d'euros lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2024 et de 164,9 milliards d'euros en loi de finances initiale pour 202358(*).
Évolution des estimations de solde budgétaire en 2023
(en milliards d'euros)
IS : impôt sur les sociétés. IR : impôt sur le revenu. TVA : taxe sur la valeur ajoutée. PNRR : plan national de relance et de résilience. PFE : participations financières de l'État. PLFFG : projet de loi de finances de fin de gestion.
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires, à partir du projet de loi de finances de fin de gestion
Le solde prévisionnel du projet de loi de finances de fin de gestion, déposé le 31 octobre, reste proche du solde révisé présenté au moment du dépôt du projet de loi de finances pour 2024.
La suite de l'analyse, sauf mention contraire, se fonde sur les chiffres figurant dans le projet de loi de finances pour 2024 et les documents budgétaires annexés, et non ceux du texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale ou du projet de loi de finances de fin de gestion, qui ne bénéficient pas du même niveau d'information.
1. Le solde est dégradé en cours d'année par l'accroissement de la charge de la dette et par des recettes moindres que prévu, avec des incertitudes sur le niveau final du déficit
Il ressort des remontées comptables sur les sept premiers mois de l'année que les recettes fiscales se sont bien tenues en 2023.
Le produit de l'impôt sur les sociétés net atteindrait un montant de 61,3 milliards d'euros, marquant une nouvelle étape dans une progression qui se poursuivra en 2024 (l'évolution des recettes en 2024 sera présentée plus loin). Ce montant est supérieur de 6,0 milliards d'euros à celui qui était prévu en loi de finances initiale, car le bénéfice fiscal a en effet augmenté de 2 % alors que la loi de finances initiale était fondée sur une prévision de diminution de 3 %.
La prévision d'impôt sur le revenu net est revue à la hausse de 3,3 milliards d'euros, principalement sous l'effet d'une masse salariale en hausse de 6,2 %, laquelle détermine la hausse du produit du prélèvement à la source (+ 4,8 milliards d'euros), tandis que le solde 2022 est moindre qu'attendu (- 3,3 milliards d'euros) parce que la croissance du salaire moyen cette année-là a été moindre que l'évolution du barème.
La TVA nette revenant à l'État serait en 2023 de 96,3 milliards d'euros, soit 1,6 milliard d'euros de plus que ce qui était prévu en loi de finances initiale. Cet écart positif est artificiel : il est dû à la « ponction » de 2 milliards d'euros sur les recettes de l'Unédic annoncée par le Gouvernement dans un document de cadrage envoyé aux partenaires sociaux au mois d'août 2023. L'article 2 du projet de loi de finances de fin de gestion, actuellement en discussion, réalise cette ponction en ajustant la fraction de TVA affectée à la Sécurité sociale.
En outre, les recettes des droits de mutations à titre gratuit sont plus élevées de 1,6 milliard d'euros, principalement sur les successions.
Ces effets positifs sont partiellement contrebalancés par la révision à la baisse des recettes de la contribution sur la rente infra-marginale de la production d'électricité59(*) : les prix de l'électricité étant moins élevés que prévu, le produit serait de 3,7 milliards d'euros seulement, pour une prévision de 12,3 milliards d'euros (- 8,6 milliards d'euros).
S'agissant des recettes non fiscales, leur produit est estimé à 26,0 milliards d'euros, soit une importante moins-value de 5,0 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale.
Ces moindres recettes non fiscales sont dues en premier lieu à une révision à la baisse des dividendes des entreprises financières (qui s'établiraient à 1,4 milliard d'euros, alors que la loi de finances initiale anticipait des versements de 5,0 milliards d'euros).
Elles sont également dues au niveau plus faible qu'anticipé des versements de l'Union européenne (10,9 milliards d'euros contre une prévision de 13,0 milliards d'euros), à la suite de la mise en place d'un nouvel échéancier de versement de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR).
Le plan national de relance et de résilience (PNRR) a en effet fait l'objet d'une révision au printemps 2023 afin d'intégrer le nouvel instrument européen REPowerEU, mis en place après l'invasion de l'Ukraine afin de renforcer l'indépendance et la sécurité de l'approvisionnement énergétique de l'Union. Alors qu'un versement de 7,4 milliards d'euros a eu lieu au printemps 2022, la demande de paiement n'a été effectuée cette année qu'à la fin du mois de juillet, suite à l'acceptation par la Commission européenne du PNRR révisé.
La date exacte du versement n'est pas encore connue et pourrait donc constituer un aléa important sur le niveau du déficit budgétaire de l'année 2023 : si le versement n'était pas effectué avant la fin décembre, l'impact en recettes pourrait être décalé sur 2024.
2. Malgré l'éloignement de la crise sanitaire, la poursuite du « quoi qu'il en coûte » ramène le déficit budgétaire aux sommets atteints pendant la crise sanitaire
Le déficit serait donc supérieur de 20,0 milliards d'euros à celui de 2022.
Cette augmentation contraste fortement avec la prévision qui sous-tendait le projet de loi de finances initiale pour 2023, selon laquelle le déficit devait au contraire se réduire de 14,1 milliards d'euros entre 2022 et 2023 : il prévoyait un déficit budgétaire de 172,6 milliards d'euros en 2022, très supérieur au déficit finalement constaté de 151,4 milliards d'euros, et de 158,5 milliards d'euros seulement en 2023.
Ces évolutions contrastées sont dues à plusieurs phénomènes, notamment la difficulté que rencontre l'État à prévoir les recettes fiscales nettes, même en fin d'année60(*).
En outre, des crédits ont été ouverts en fin d'année 2022 au titre du bouclier tarifaire, mais n'ont été consommés qu'en 2023.
Enfin, la situation des comptes spéciaux a été fortement affectée par un autre phénomène : le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » a reçu fin 2022 un versement de plus de 5 milliards d'euros destiné à l'achat de titres d'EDF, mais cet achat n'a été réalisé qu'en 2023. À ceci s'ajoute la situation de plus en plus déficitaire du compte d'affectation spéciale « Pensions » décrite infra, ce qui explique au total une évolution très fortement négative de la situation des comptes spéciaux, passant d'un excédent de 6,7 milliards d'euros en 2022 à un déficit estimé à 5,8 milliards d'euros en 2023.
Une aggravation du déficit de plus de
20 milliards d'euros
entre 2022 et 2023
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
B. 2024 : CINQUIÈME ANNÉE CONSÉCUTIVE DE DÉFICIT HORS NORME
En 2024, le solde budgétaire serait déficitaire de 144,5 milliards d'euros selon le texte initial du projet de loi de finances. Ce déficit a été légèrement réduit à 144,2 milliards d'euros dans le texte de la première partie considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. Pour mémoire, le déficit a été systématiquement supérieur en exécution à celui présenté dans le projet de loi de finances ces dernières années61(*).
Ce solde est la somme des soldes du budget général, des budgets annexes et des comptes spéciaux.
La construction du solde budgétaire de
l'État
dans le projet de loi de finances pour 2024
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir du tableau d'équilibre du projet de loi de finances62(*)
1. La réduction du déficit par rapport à 2023 provient pour l'essentiel de l'extinction des dépenses liées à la crise de l'inflation
Le déficit attendu en 2024 est inférieur de 27,6 milliards d'euros au déficit de 172,1 milliards d'euros estimé en 2023 selon les estimations (« solde révisé ») présentées avec le projet de loi de finances pour 2024.
Cette amélioration est essentiellement due, d'une part, à l'évolution positive des recettes et, d'autre part, à la réduction de 16,2 milliards d'euros des crédits alloués au bouclier tarifaire par rapport à 2023.
En dehors de ces mouvements spontanés, les dépenses nettes du budget général, hors mesures d'urgence, augmentent en réalité de 5,8 milliards d'euros.
Évolution du solde budgétaire entre 2023 et 2024
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir du projet de loi de finances pour 2024
La réduction du déficit provient également de l'accroissement des recettes fiscales nettes de 17,3 milliards d'euros, liée à la bonne situation des entreprises face à la conjoncture économique. Cette hausse repose pour plus de la moitié sur celle des recettes d'impôt sur les sociétés, qui atteindraient le montant de 72,2 milliards d'euros.
Les recettes non fiscales diminueraient en revanche de 3,3 milliards d'euros, le versement européen au titre de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) étant attenu à un montant de 7,5 milliards d'euros en 2024, contre 10,9 milliards d'euros en 2023. L'estimation pour 2023 est toutefois liée, comme indiqué supra, au versement effectif d'ici à la fin de l'année.
Les mouvements en recettes et en dépenses sur le budget général sont présentés plus en détail infra.
2. Le solde des comptes spéciaux est dégradé par la situation du compte d'affectation spéciale « Pensions »
En 2024, le solde des comptes spéciaux s'établirait à - 5,1 milliards d'euros. L'amélioration par rapport à 2023 (solde de - 5,8 milliards d'euros) est conjoncturelle car elle est liée aux rythmes de versement du budget général sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».
Le phénomène structurel qui menace dans les années à venir le solde des comptes spéciaux est la dégradation continue de la situation du compte d'affectation spéciale « Pensions ». Face à la quasi-stagnation des recettes, qui passeraient de 65,1 milliards d'euros en 2024 à 66,0 milliards d'euros en 2026 (+ 0,9 milliard d'euros), les dépenses augmenteraient de 3,0 milliards d'euros pour atteindre 70,6 milliards d'euros en 202663(*). En conséquence, le solde cumulé du compte d'affectation spéciale, qui doit rester positif en application de l'article 21 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, deviendrait négatif dès 2026.
Solde annuel et solde cumulé
du compte
d'affectation spéciale « Pensions »
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
3. Le déficit stagne au niveau atteint pendant la crise sanitaire, aboutissant à un stock supplémentaire de déficit budgétaire de 400 milliards d'euros en cinq ans
Malgré une réduction du déficit prévisionnel de près de 30 milliards d'euros en 2024, et malgré les doutes légitimes que le rapporteur général nourrit sur la capacité du Gouvernement d'atteindre cet objectif, celui-ci demeure extrêmement élevé en valeur absolue, puisqu'il représente 37,5 % des recettes nettes64(*) sur le périmètre du budget général.
Lorsque l'État dépensera 10 euros en 2024, 7,3 proviendront de ses recettes et 2,7 du déficit budgétaire, c'est-à-dire de l'accroissement de la dette.
Sur le moyen terme, même en corrigeant les chiffres passés de l'effet de l'inflation, le niveau prévu du déficit reste plus proche des niveaux exceptionnels atteints pendant la crise sanitaire que du déficit, pourtant non négligeable, connu au cours des années 2010.
L'année 2024 sera donc la cinquième année consécutive de déficit extrême, alors que la crise financière de 2010-2011 n'avait atteint des niveaux comparables (en euros courants) que pendant deux années. Si l'on compare cette évolution au déficit moyen atteint pendant la période 2011-2019, c'est un surcroît de déficit de plus de 400 milliards d'euros qui aura été accumulé au cours de ces cinq années.
Évolution du solde budgétaire de
l'État en euros constants
depuis 2007
(en milliards d'euros de 2024)
Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires. Actualisation des soldes passés en fonction de l'indice des prix à la consommation hors tabac
Ce stock de déficit a une conséquence directe sur le montant de la dette, qui est émise à un niveau jamais atteint auparavant, alors même que son coût s'accroît.
C. UN COÛT DE L'ENDETTEMENT AGGRAVÉ PAR LA HAUSSE DES TAUX D'INTÉRÊT
1. Les émissions de dette atteindront en 2024 un niveau jamais atteint de 285 milliards d'euros
La France a produit des déficits budgétaires chaque année depuis 197565(*). En conséquence, les émissions de dette doivent non seulement combler le déficit de l'année, mais aussi permettre de rembourser les dettes passées.
C'est la raison pour laquelle, malgré une diminution du déficit prévisionnel en 2024 par rapport à 2023, les émissions de dette nouvelle à moyen et long terme atteindront un niveau jamais vu auparavant de 285,0 milliards d'euros en 2024.
Ces émissions, complétées par des ressources de court terme de 8,2 milliards d'euros, seront nécessaire pour combler à la fois le déficit budgétaire de 144,5 milliards d'euros et l'amortissement, structurellement croissant, de la dette existante à hauteur de 160,2 milliards d'euros.
Évolution des émissions et des amortissements de dette
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des projets de loi de finances et de règlement
Les emprunts devront être renouvelés aussi longtemps que les déficits persisteront. C'est l'une des raisons pour lesquelles le Sénat a exigé par deux fois, lors de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques, que la trajectoire de réduction du déficit soit accélérée : par-delà le respect formel des critères européens, il s'agit de parvenir à limiter la hausse inexorable du poids de la dette à un moment où celui-ci se traduit par un coût croissant.
2. La charge de la dette sera dès 2026 le premier poste de dépenses de l'État et équivaudrait au budget conjoint des armées et de la sécurité
Comme il était déjà prévisible l'an passé, l'augmentation de la charge de la dette se confirme sur le moyen terme.
Prévue en loi de finances initiale à un niveau de 50,0 milliards d'euros66(*), elle serait plutôt de 54,7 milliards d'euros selon l'estimation présentée avec le projet de loi de finances pour 2024, contre 49,5 milliards d'euros en 2022. Ces montants s'entendent en charge budgétaire67(*) et non, comme vu précédemment, en comptabilité nationale.
En 2024, la charge de la dette diminuerait de 3,8 milliards d'euros, restant une quinzaine de milliards d'euros supérieure au niveau d'avant-crise.
Évolution de la charge de la dette du budget général
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires à partir du projet annuel de performance du programme 117
Cette diminution temporaire ne doit pas faire illusion : l'accroissement de la charge de la dette est un phénomène durable.
En effet, l'augmentation très importante de la charge budgétaire de la dette en 2022, comme son reflux partiel en 2024 sont le résultat conjoncturel de l'augmentation et du repli de l'inflation. Celle-ci exerce un effet immédiat sur le stock, relativement limité, de dette indexée.
En revanche, l'effet de la hausse des taux agit, lui, sur le renouvellement du stock de dette : il est donc à la fois plus lent (la durée moyenne de la dette à moyen et long terme est supérieure à neuf ans68(*)), plus durable et plus massif (car il concerne l'ensemble du stock de dette). À cet effet taux s'ajoute l'impact de l'augmentation du stock de dette, résultat de l'accumulation passée des déficits.
L'article 12 du projet de loi de programmation des finances publiques prévoit ainsi que les crédits de l'ensemble de la mission « Engagements financiers de l'État » augmenteraient d'une dizaine de milliards d'euros entre 2024 et 2026 pour atteindre 71 milliards d'euros.
Cette mission est donc d'ores et déjà, en 2023, sur le périmètre retenu par cet article69(*), la première mission du budget général avec des crédits de 61,2 milliards d'euros, devant la mission « Enseignement scolaire » (60,3 milliards d'euros).
En 2026, ses crédits dépasseraient de 8,6 % ceux de cette dernière mission, pourtant considérée comme prioritaire par le Gouvernement, et équivaudraient aux crédits conjoints des missions « Défense » (53,7 milliards d'euros) et « Sécurités » (17,5 milliard d'euros).
D. DES PRATIQUES PEU TRANSPARENTES QUI ÉLOIGNENT LES CRÉDITS RÉELLEMENT MIS À DISPOSITION DE L'ÉTAT DU BUDGET SOUMIS AU PARLEMENT
Face à des évolutions de fond, le Gouvernement a multiplié ces dernières années des pratiques budgétaires contestables ou de pur affichage qui nuisent à la lisibilité du budget. S'agissant de la dette, la création d'un programme de soi-disant « amortissement » de la dette est un exemple auquel il conviendrait de mettre un terme rapidement.
1. Le programme d'« amortissement de la dette » ne réduit aucune dette mais accroît le déficit budgétaire de 6,6 milliards d'euros
Le programme 369 « Amortissement de la dette de l'État liée à la covid-19 » de la mission « Engagements financiers de l'État » a ouvert pas moins de 165 milliards d'euros d'autorisations d'engagement en loi de finances pour 2022, soit le montant estimé de la dette supplémentaire contractée pour lequel ce programme tend à afficher une trajectoire de remboursement.
Ce montant de 165 milliards d'euros paraît aujourd'hui quelque peu limité puisque, comme on l'a vu précédemment, le surcroît de déficit budgétaire accumulé depuis 2020 (et financé nécessairement par la dette) s'élève désormais à plus de 400 milliards d'euros : les pratiques budgétaires mises en place pendant la crise sanitaire ont été conservées après la fin de cette crise.
En tout état de cause, si ce programme alimente effectivement, au terme d'un mécanisme complexe70(*), la Caisse de la dette publique qui amortit des titres de dette, il ouvre à cette fin des crédits budgétaires qui creusent le déficit budgétaire. Les colonnes « Besoin de financement » et « Ressources de financement » du tableau de financement de l'État sont augmentées d'un montant identique et l'effet sur le montant de dette est égal à zéro.
Une véritable politique de désendettement mobiliserait des ressources nouvelles, par exemple par la privatisation d'actifs publics, ou mettrait en oeuvre un effort de réforme afin de réduire les dépenses : le Gouvernement a plutôt fait le choix d'un programme budgétaire de pur affichage, auquel il serait souhaitable de mettre enfin un terme.
2. Les reports de crédit masquent la réalité des dépenses effectuées chaque année
Depuis 2020, le Gouvernement a demandé à plusieurs reprises, souvent en loi de finances rectificative, des crédits très importants, qui ont été accordés par le Parlement en raison de la situation exceptionnelle résultant de la crise sanitaire, puis de la hausse subite de l'inflation et des conséquences de l'invasion en Ukraine, et de la nécessité d'agir rapidement.
Une fois la réalité des besoins connue, toutefois, les crédits non consommés auraient dû être annulés et le Gouvernement aurait dû revenir à une gestion budgétaire conforme aux principes de la loi organique relative aux lois de finances, c'est-à-dire d'ouvrir en loi de finances initiale les crédits nécessaires à l'action envisagée pour l'exercice.
Il a plutôt fait le choix de conserver les crédits non consommés et de se constituer ainsi un matelas très important de crédits reportés plusieurs années de suite, dont il s'abstient de faire état devant le Parlement de manière aussi précise que pour les crédits demandés en loi de finances initiale.
Reports des crédits non consommés vers l'exercice suivant
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des projets de loi de règlement
Cette pratique ne satisfait pas aux principes d'annualité et de spécialité budgétaires, car il devient quasiment impossible de comprendre quand et à quelle fin sont utilisés les crédits.
Le Gouvernement explique qu'il serait impossible d'anticiper les consommations de crédits et qu'il ne serait donc pas en mesure de fournir plus d'information sur ces crédits71(*). Ceci ne correspond pas à la réalité de la gestion budgétaire faite par l'administration. À titre d'exemple, il est dit explicitement dans le projet annuel de performances de la mission « Plan de relance » qu'un grand nombre d'actions seront financées en 2024 par des crédits reportés : il s'agit de projets déjà lancés, pour lesquels l'administration a la même vision que pour celles qui font l'objet de demandes de crédits en loi de finances et sont présentées avec précision dans les documents budgétaires.
De même, il est dit tout aussi explicitement que le programme 367 « Financement des opérations patrimoniales en 2024 sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » », pour lesquels aucun crédit n'est ouvert pour la deuxième année consécutive, sera financé pour la deuxième année consécutive par des crédits reportés72(*) ; le montant reporté sur ce seul programme devrait être de 2 milliards d'euros.
Au total, il est prévisible que les reports seront, une fois de plus, très importants vers 2024, sans que le Gouvernement donne plus d'indication sur ces crédits.
Le projet de loi de finances propose dès son texte initial, dans son article 44, d'exonérer de toute limite les reports de crédits sur 12 programmes du budget général73(*). Or, il est courant que cette dérogation prenne de plus en plus d'ampleur au cours de l'examen du texte : l'an passé, la loi de finances pour 2023 a exonéré 40 programmes de cette limite, contre 9 seulement dans le texte initial du projet de loi de finances.
II. LES RECETTES DE L'ÉTAT S'ACCROISSENT EN 2024 DE 1,4 % EN VOLUME ET DÉPENDENT DE PLUS EN PLUS DE RECETTES VOLATILES
Les recettes du budget général de l'État, nettes des remboursements et dégrèvements, seraient en 2024 de 372,1 milliards d'euros, en hausse de 14,0 milliards d'euros par rapport à 2023, soit + 3,9 % en valeur ou + 1,4 % hors inflation.
A. LA DÉPENDANCE CROISSANTE DU BUDGET DE L'ÉTAT AUX RECETTES DE L'IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS
Les recettes fiscales nettes seraient en 2024 de 349,4 milliards d'euros, en augmentation de 17,4 milliards d'euros par rapport à 2023, soit une progression de + 5,2 % en valeur ou + 2,6 % hors inflation.
S'agissant de l'année 2023, le montant des recettes fiscales nettes est désormais estimé à 332,1 milliards d'euros, en hausse de 3,9 milliards d'euros par rapport à l'estimation de 328,2 milliards d'euros présentée lors de la loi de finances initiale.
En 2024, les principaux phénomènes affectant l'évolution des recettes fiscales sont l'augmentation importante, une fois de plus, du produit de l'impôt sur les sociétés et la poursuite de la suppression progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
Principaux facteurs d'évolution des
recettes fiscales nettes de l'État
selon le projet de loi de
finances pour 2024
(en milliards d'euros)
CVAE : cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises
Source : commission des finances du Sénat, à partir de l'exposé général du projet de loi de finances
Le texte de la première partie du projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale à l'issue de l'engagement de la responsabilité du Gouvernement, modifie peu le niveau des recettes. Les recettes fiscales nettes sont réévaluées de 246 millions d'euros, principalement en raison de la prorogation de la contribution sur la rente infra-marginale de la production d'électricité, et les recettes non fiscales de 40 millions d'euros, comme il sera expliqué lors de la présentation de l'article 34 du présent projet de loi de finances.
Les analyses qui suivent se fondent sur les estimations du projet de loi de finances dans sa version initiale, ainsi que sur les documents annexés et les réponses apportées par le Gouvernement aux questions du rapporteur général.
1. L'impôt sur les sociétés occupe une place deux fois plus importante dans les recettes fiscales que dans les années 2010...
Alors que la loi de finances initiale pour 2023 prévoyait que le produit de l'impôt sur les sociétés serait de 55,2 milliards d'euros, le produit est désormais estimé à 61,3 milliards d'euros, soit un niveau proche de celui de 2022, pourtant considéré comme très élevé.
Or le rendement de l'impôt progresserait encore de manière importante en 2024 pour atteindre 72,2 milliards d'euros.
Les documents budgétaires74(*) expliquent cette estimation par le fort dynamisme du bénéfice fiscal en 2023 (+ 14 %), qui joue positivement sur les acomptes et sur le solde en 2024.
L'impôt sur les sociétés
L'impôt sur les sociétés (IS) s'applique aux sociétés de capitaux, même si certaines sociétés de personnes peuvent opter pour l'IS.
L'IS est versé selon un système d'acomptes et de solde. En 2024, les sociétés redevables verseront ainsi (hors opérations de contrôle ou remboursements et dégrèvements) :
- d'une part, un solde portant sur l'impôt dû au titre de 2023, ajouté ou soustrait aux acomptes versés cette année-là ;
- d'autre part, quatre acomptes aux mois de mars, juin, septembre et décembre, correspondant à l'impôt dû au titre de 2024, mais calculés d'après le bénéfice fiscal de l'exercice précédent. Cependant, les grandes sociétés ajustent le dernier acompte en fonction de leur résultat fiscal estimé pour l'année en cours (« cinquième acompte ») et les autres sociétés peuvent moduler leurs acomptes lorsque leur bénéfice diminue (« autolimitation »).
Source : commission des finances, à partir du tome I de l'annexe « Voies et moyens »
Ce niveau est plus de deux fois supérieur à celui atteint pendant les années 2011 à 2020.
Produit de l'impôt net sur les sociétés depuis 2011
(en milliards d'euros et en pourcentage)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
L'évolution de ce produit n'est guère expliquée par les documents budgétaires, qui notent à juste titre que « la prévision du bénéfice fiscal est affectée de fortes incertitudes ». Dans la mesure où cet impôt est assis sur les bénéfices, et non sur le montant total de la production, il est particulièrement sensible à l'évolution de la conjoncture, comme aux effets de celle-ci sur les différents secteurs économiques, ce qui rend son produit particulièrement difficile à prévoir.
Cette dynamique forte de l'impôt sur les sociétés est un phénomène marquant.
Alors que le produit de l'impôt sur les sociétés était, dans les années 2010, près de cinq fois inférieur à celui de la taxe sur la valeur ajoutée et ne représentait qu'autour de 10 % des recettes de l'État, il en constituera 20 % en 2024 et se rapprochera de celle de l'impôt sur le revenu net et de la TVA.
Évolution des principaux impôts dans les recettes fiscales nettes de l'État
(en pourcentage du montant total des recettes fiscales nettes)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires. Retraitement des données antérieures à 202375(*)
2. ... et prend une part de la place de la TVA dans le financement de l'État
Le produit de la TVA nette revenant à l'État est prévu à 100,4 milliards d'euros en 2024, contre 96,3 milliards d'euros en 2023, soit une hausse de 4,1 milliards d'euros.
Cette hausse repose sur une hypothèse d'élasticité de la TVA égale à 1, c'est-à-dire qu'elle progresserait au même rythme que le PIB nominal.
La hausse du produit brut de la TVA est en effet liée à la croissance des emplois taxables. La part revenant à l'État progresse approximativement au même rythme, en l'absence de nouvelle mesure d'affectation importante d'une part de TVA à des tiers. Le présent projet de loi de finances se contente en effet, comme chaque année, d'ajuster les parts de TVA affectées aux administrations de sécurité sociale et, depuis 202276(*), à l'audiovisuel public.
La raison de cette évolution, concernant la TVA, est l'affectation de parts de plus en plus importantes de son produit aux administrations de sécurité sociale, aux collectivités locales et, dernièrement, à l'audiovisuel public.
Sur le moyen terme, l'évolution de la TVA est ainsi marquée par la transformation de sa nature d'un impôt d'État majeur à une variable d'ajustement des transferts de compétences entre administrations. Alors que la part de l'État dans la répartition du produit net de TVA était supérieure à 90 % jusqu'en 2017, les affectations nouvelles aux autres administrations ont fait passer cette part en-dessous de 50 % (soit 45,7 % dans le projet de loi de finances pour 2024). Cette évolution est appelée à se poursuivre, puisque l'article 9 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, en cours de discussion, prévoit l'affectation, en 2025, d'une part supplémentaire de TVA en remplacement d'une grande partie des crédits budgétaires de la mission « Régimes sociaux et de retraite ».
Passage de la TVA brute globale à la TVA
nette revenant à l'État
dans le projet de loi de finances pour
2024
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir du tome I de l'annexe « Voies et moyens »
Or cette évolution contraire du rôle de la TVA et de l'impôt sur les sociétés dans le financement de l'État n'est pas anodine. La TVA est fortement liée à l'évolution du produit intérieur brut, ce qui en fait une recette robuste, dynamique et prévisible.
Par voie de conséquence, les recettes de l'État dépendent de moins en moins d'une ressource prévisible telle que la TVA et de plus en plus de cette ressource fortement liée à la conjoncture qu'est l'impôt sur les sociétés. Cet état de fait ne peut que renforcer les variations sur le niveau de l'équilibre du budget entre le projet de loi de finances initiale et l'exécution budgétaire.
En outre, les décisions prises par l'État relatives à la TVA, qui autrefois ne portaient de conséquence que sur les ressources du même État, concernent dorénavant les ressources des autres administrations.
Le dynamisme et la prévisibilité de la TVA sont utilisés pour faire accepter à une autre administration les conséquences de décisions de l'État relatives aux ressources de ces administrations77(*) ou la suppression d'une dotation ou d'une imposition locale (transferts aux régions en remplacement de leur dotation globale de fonctionnement en 2018, aux départements et au bloc communal dans le cadre de la réforme de la fiscalité locale depuis 2021, à l'ensemble des collectivités pour compenser la suppression progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée).
La TVA accompagne en fait une perte de souveraineté fiscale des collectivités locales, au profit d'une ressource nationale dont la sécurité dépend en fait des décisions qui pourraient être prises chaque année en lois de finances.
Le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 le démontre pour ce qui concerne les administrations de sécurité sociale : le Gouvernement entend réduire la part de TVA affectée à l'Unédic afin de réduire ses moyens de 2 milliards d'euros. Si l'État ne conserve dans ses caisses qu'un tiers des 300 milliards d'euros payés par les contribuables français au titre de la TVA, il en conserve en réalité pleinement la maîtrise juridique.
3. L'impôt sur le revenu augmente de façon modérée et les autres recettes fiscales sont réduites par la suppression progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises
Le produit prévisionnel de l'impôt net sur le revenu est de 94,1 milliards d'euros en 2024, en hausse de 3,5 milliards d'euros par rapport à l'estimation révisée pour 2023 (90,7 milliards d'euros).
Le produit de cet impôt comprend deux principaux postes : le prélèvement à la source (retenue à la source pour 68,0 milliards d'euros en 2024, acomptes contemporains pour 20,5 milliards d'euros), les recouvrements sur l'exercice courant (hors prélèvement à la source, pour 17,9 milliards d'euros) ou sur les exercices précédents (par exemple si un délai de paiement a été accordé : 3,2 milliards d'euros), les recettes diverses (imposition des plus-values immobilières pour 1,3 milliard d'euros, prélèvement forfaitaire obligatoire unique pour 6,8 milliards d'euros), desquels sont retranchés les remboursements et dégrèvements (23,5 milliards d'euros).
L'augmentation du produit en 2024 résulte du dynamisme du prélèvement à la source. Le solde demeurerait quasiment stable, car il dépend principalement des recouvrements sur l'imposition des revenus de 2023, alors que le salaire moyen devrait augmenter à peine plus que l'inflation cette année.
Évolution du produit de l'impôt net
sur le revenu en 2024
(en milliards d'euros)
R&D : remboursements et dégrèvements.
Source : commission des finances, à partir du tome I de l'annexe « Voies et moyens » au projet de loi de finances
La part de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) nette revenant à l'État serait stable en 2024 par rapport à 2023, à un niveau de 16,4 milliards d'euros.
Si la TICPE brute totale augmente légèrement de 0,3 milliard d'euros, en raison notamment de la diminution de l'avantage tarifaire sur les gazoles non routiers, les transferts à l'Agence de financement des infrastructures de France (AFITF) s'accroissent d'un montant similaire.
Évolution de la répartition de la
TICPE
entre les affectataires
(en milliards d'euros)
R&D et autres : remboursements et dégrèvements et autres affectations, dont Île-de-France Mobilités (0,1 milliard d'euros).
Source : commission des finances, à partir du tome 1 de l'annexe « Voies et moyens »
Les autres recettes fiscales nettes sont prévues à un niveau de 66,3 milliards d'euros, contre 67,4 milliards d'euros, soit une diminution de 1,1 milliard d'euros.
En particulier, le produit de la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE), dont la part communale et départementale a été rebudgétisée par la loi de finances initiale pour 2023 pour un produit attendu de 5,8 milliards d'euros, s'établirait en 2024 à 4,2 milliards d'euros. Cette baisse de 1,6 milliard d'euros correspond à la première étape de la suppression sur quatre ans de la CVAE restante. L'article 8 du présent projet de loi de finances prévoit en effet que le taux de la CVAE, déjà divisé par deux de 0,75 % à 0,375 % par l'article 55 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023, serait abaissé à 0,28 % en 2024, 0,19 % en 2025 et 0,09 % en 2026, la CVAE étant totalement supprimée en 2027.
Les impôts de production étant déductibles du résultat imposable, la réduction de la CVAE accroît également les recettes d'impôt sur les sociétés. Le coût net pour l'État de la diminution d'un quart du taux de CVAE en 2024 est ainsi estimé à 0,9 milliard d'euros seulement78(*).
B. UN CHANGEMENT DE MÉTHODOLOGIE NON JUSTIFIÉ RÉDUIT DE 10 MILLIARDS D'EUROS LE COÛT APPARENT DES DÉPENSES FISCALES
Les dépenses fiscales sont des dérogations à la norme fiscale instaurées par des dispositions législatives ou réglementaires.
Si certaines sont utiles pour stimuler certains secteurs économiques ou favoriser des comportements contribuant à l'intérêt général, elles rendent la règle fiscale plus complexe et réduisent les recettes d'un montant estimé par le présent projet de loi de finances à 78,7 milliards d'euros en 2024.
La définition même des dépenses fiscales est problématique, car la « norme » à laquelle elles dérogent peut faire l'objet d'interprétations. L'administration fiscale fait part de sa doctrine en la matière dans le tome 2 du document « Voies et moyens » annexé au projet de loi de finances.
La Cour des comptes notait ainsi en juillet dernier79(*) que plus de la moitié des taux réduits de TVA ne sont pas comptabilisés comme des dépenses fiscales. Selon la doctrine du « Voies et moyens », en effet, seuls sont classés en dépenses fiscales les taux réduits qui tendent à soutenir économiquement un secteur ; ceux qui favorisent la consommation de certains produits de base sont considérés comme des règles générales faisant partie de la « norme » fiscale.
En outre, peu de dépenses fiscales font l'objet d'une évaluation. Comme l'a constaté le rapporteur général en examinant les articles du présent projet de loi de finances80(*), le Gouvernement propose la prorogation de nombreuses dépenses fiscales qui n'ont fait l'objet d'aucune évaluation.
L'ambition d'un grand programme pluriannuel d'évaluation des dépenses fiscales, annoncé dans le projet de loi de finances pour 202081(*), a été manifestement oubliée. Il arrive même qu'une disposition prévoyant la prorogation d'une dépense fiscale repousse également la réalisation de l'évaluation qui avait été demandée par le Parlement82(*). Le « Voies et moyens » atteste de ce manque d'intérêt pour l'évaluation des dépenses fiscales : contraint par la loi organique relative aux lois de finances83(*) de présenter une liste des dépenses fiscales qui doivent être évaluées dans l'année, il ne prévoit d'évaluer en 2024 que quatre dépenses fiscales sur 467. L'une de ces évaluations arrivera trop tard puisque le texte transmis au Sénat propose d'ores déjà la prorogation de la « niche » en question, à savoir l'éco-PTZ.
Si les lois de finances contiennent généralement des articles tendant à supprimer des dépenses fiscales84(*), elles se contentent la plupart du temps de supprimer des dispositifs très peu utilisés, ce qui n'accroît pas significativement les ressources publiques. Ces dispositions ne parviennent même pas à diminuer réellement le nombre des dépenses fiscales, qui est passé de 451 en 2017 à 467 en 2024.
Par-delà le caractère imprécis et mouvant de la définition des dépenses fiscales, le présent projet de loi de finances procède à une révision à la baisse de leur coût qui ne peut que soulever l'incompréhension.
Revenant sur la pratique admise jusque-là, il fait le choix de ne comptabiliser les dépenses fiscales relatives à la TVA qu'à hauteur de la part de la TVA revenant à l'État parmi les recettes de TVA nette85(*). Cette modification méthodologique divise par deux le coût affiché des dépenses fiscales liées à la TVA, réduisant artificiellement de 10 milliards d'euros le coût des dépenses fiscales.
Ce choix est contestable en premier lieu parce que les dépenses fiscales en question sont instituées par l'État, qui devrait en conséquence en indiquer le coût complet dans les documents budgétaires.
En second lieu, la « règle de trois » ainsi réalisée relève d'une vision sommaire de la manière dont les recettes de TVA sont affectées aux administrations qui en bénéficient.
Certaines de ces affectations sont définies en valeur et non en pourcentage86(*) et peuvent donc difficilement être affectées par l'évolution des dépenses fiscales. Même celles qui sont définies en pourcentage, comme les parts de TVA affectées aux administrations de sécurité sociale et à l'audiovisuel public, font l'objet d'une révision chaque année qui permet le cas échéant de les adapter aux besoins, voire, comme c'est le cas pour la TVA affectée à l'Unédic, de ponctionner leurs ressources jugées par le Gouvernement excédentaires.
En tout état de cause, l'affectation massive de parts de TVA aux administrations de sécurité sociale et aux collectivités territoriales (ainsi que, pour une moindre part, à l'audiovisuel public), comme on l'a vu précédemment, est un phénomène récent. Elles ne peuvent donc pas subir le poids des nombreuses dépenses fiscales qui préexistaient à cette affectation.
Au total, ce choix méthodologique malheureux, qui empêche toute comparaison pluriannuelle rétrospective, trouble la vision que l'on peut avoir du niveau et de l'évolution des dépenses fiscales et il est nécessaire que le Gouvernement y renonce dans le prochain projet de loi de finances.
C. LES RECETTES NON FISCALES DÉPENDRONT EN PARTICULIER DU FINANCEMENT EUROPÉEN DU PLAN DE RELANCE
1. Les recettes non fiscales seraient en diminution de 3,3 milliards d'euros, en raison d'une prévision de versement européen moins élevé au titre du plan de relance
Les recettes non fiscales s'établiraient en 2024 à 22,6 milliards d'euros, en baisse de 3,3 milliards d'euros par rapport à 2023 (26,0 milliards d'euros).
Les recettes non fiscales regroupent un ensemble de recettes très diverses, telles que les dividendes, les amendes et les produits du domaine de l'État ou ceux résultant de la vente de biens et de services.
Leur niveau et leur évolution dépendent pour une part importante, depuis 2022, des versements effectués par l'Union européenne au titre de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR), c'est-à-dire pour le co-financement du plan de relance française, à hauteur de 40 milliards d'euros au total.
Évolution des recettes non fiscales depuis 2017
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires et des fichiers de données publiés par la direction du budget
En 2024, le versement européen serait de 7,5 milliards d'euros, contre 13,0 milliards d'euros prévus en loi de finances pour 2023 (abaissés par la suite à 10,9 milliards d'euros). Cette prévision est toutefois suspendue, comme on l'a déjà vu, à l'hypothèse d'un versement effectif en 2023.
Parmi les autres recettes non fiscales, les dividendes des entreprises non financières diminueraient de 0,7 milliard d'euros. En sens inverse, le produit de la redevance hydraulique augmenterait de 0,7 milliard d'euros et il est attendu une augmentation du produit des amendes prononcées par les autorités de la concurrence (+ 0,3 milliard d'euros).
2. Le retard de mise en oeuvre de la politique de cohésion réduit le prélèvement sur recettes à destination de l'Union européenne
Les prélèvements sur les recettes (PSR) de l'État s'établiraient en 2024 à 66,5 milliards d'euros, en diminution de 2,5 milliards d'euros par rapport à 2023.
Cette diminution porterait sur le prélèvement au profit de l'Union européenne, en baisse de 2,8 milliards d'euros. Selon les documents budgétaires, cette baisse est transitoire, car elle est due notamment à un retard dans la mise en oeuvre de la politique de cohésion 2021-2027. Parmi les trois composantes du prélèvement, c'est la ressource RNB qui diminue, car elle sert de variable d'ajustement.
Évolution des prélèvements sur recettes
(en milliards d'euros)
RNB : revenu national brut. Ressource plastique : prélèvement sur les recettes de l'État au titre de la contribution déchets plastiques non recyclés. TFBPB : taxe foncière sur les propriétés bâties. CFE : cotisation foncière des entreprises. FCTVA : fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée. DGF : dotation globale de fonctionnement.
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
Les prélèvements sur recettes à destination des collectivités territoriales seraient de 44,8 milliards d'euros, en augmentation de 0,3 milliard d'euros. En particulier, le prélèvement sur recettes au profit du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) intègre l'extension du fonds aux aménagements de terrains en faveur de l'investissement local à l'approche des Jeux olympiques.
III. LE BUDGET 2024 OU LA DÉRIVE TOXIQUE DU « QUOI QU'IL EN COÛTE »
A. PANORAMA DES DÉPENSES DE L'ÉTAT
Les dépenses de l'État peuvent être appréciées sur plusieurs périmètres.
Les dépenses brutes, c'est-à-dire les crédits de paiement ouverts aux ministres, sont dans le projet de loi de finances pour 2024 de 581,1 milliards d'euros en crédits de paiement sur le budget général, de 2,4 milliards d'euros sur les budgets annexes et de 228,6 milliards d'euros sur les comptes d'affectation spéciale et les comptes de concours financiers87(*).
Les dépenses nettes du budget général, comptabilisées à l'article d'équilibre du budget88(*), s'entendent hors remboursements et dégrèvements d'État89(*). Leur montant est de 445,1 milliards d'euros en projet de loi de finances pour 2024.
Dépenses brutes et nettes
(en milliards d'euros)
2023 |
2023 |
2024 |
|
Dépenses brutes |
|||
Budget général |
577,0 |
593,3 |
581,1 |
Budgets annexes |
2,3 |
2,3 |
2,4 |
Comptes d'affectation spéciale |
83,9 |
84,1 |
80,0 |
Comptes de concours financiers |
140,9 |
140,3 |
148,6 |
Dépenses nettes du budget général |
450,0 |
453,8 |
445,1 |
Source : commission des finances, à partir des lois et projets de loi de finances
Certaines de ces dépenses étant considérées comme contraintes à court terme, il est d'usage de considérer les dépenses des missions du budget général hors remboursements et dégrèvements et hors contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions », comme le fait le Gouvernement dans le dossier de presse du projet de loi de finances.
Il apparaît alors que la mission « Enseignement scolaire » est la première mission du budget général, mais qu'elle est suivie de près en 2024 par la mission « Engagements financiers de l'État », qui comprend principalement la charge de la dette et le programme d'amortissement de la dette Covid.
Crédits des missions du budget
général en crédits de paiements,
hors contributions
aux pensions et hors remboursements et dégrèvements
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, à partir du dossier de presse du projet de loi de finances
Le projet de loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027 définit le « périmètre des dépenses de l'État », sur lequel est fixé un objectif de maîtrise des dépenses : crédits du budget général, des budgets annexes et des comptes spéciaux (hors remboursements et dégrèvements, dépenses liées à la dette et participations financières de l'État), montant cumulé des plafonds de taxes affectées à des tiers et prélèvements sur recettes90(*).
Sur ce périmètre, le montant des dépenses est de 491 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2024, contre 496 milliards d'euros dans la loi de finances pour 2023.
La présentation la plus large de l'effort de l'État en faveur des politiques publiques portées par les missions a été introduite par la révision de la loi organique en date du 28 décembre 2021. L'état F annexé au projet de loi de finances regroupe désormais les moyens globaux alloués à chaque mission, c'est-à-dire qu'aux crédits budgétaires sont ajoutés l'ensemble des moyens contribuant aux politiques publiques visées par la mission : fonds de concours, dépenses fiscales, ressources affectées aux opérateurs, prélèvements sur recettes91(*).
Une telle présentation souligne par exemple l'importance du financement apporté aux collectivités territoriales par l'intermédiaire des prélèvements sur recettes, le rôle majeur des taxes affectées dans le financement des politiques du travail et de l'emploi, des crédits des opérateurs dans la recherche et l'enseignement supérieur, ou encore des dépenses fiscales pour de nombreuses missions.
Moyens globaux alloués aux missions du
budget général,
hors dépenses des comptes
spéciaux et remboursements et dégrèvements
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir de l'état F annexé au projet de loi de finances. Montants hors contributions des comptes spéciaux et hors remboursements et dégrèvements92(*).
B. LE BUDGET 2024 CONFIRME UN MAINTIEN DURABLE DES DÉPENSES AU NIVEAU HAUT ATTEINT PENDANT LA CRISE SANITAIRE
1. Les crédits de la grande majorité des missions augmentent en 2024 ...
Sur les 34 missions du budget général, 16 connaissent une hausse de leurs crédits supérieure à 100 millions d'euros et 7 une diminution supérieure à 100 millions d'euros.
Pour 7 missions, la hausse est supérieure ou égale à 1 milliard d'euros.
Évolution des crédits des missions
entre la loi de finances initiale pour 2023
et le projet de loi de finances
pour 2024
(en milliards d'euros)
Crédits hors remboursements et dégrèvements, hors contributions directes de l'État au compte d'affectation spéciale « Pensions ». Crédits de la loi de finances initiale pour 2023 au format du projet de loi de finances pour 2024.
Source : commission des finances du Sénat, à partir des éléments du dossier de presse
Malgré la baisse du nombre des élèves constatée depuis 2017, les crédits de la mission « Enseignement scolaire » augmentent de 3,9 milliards d'euros afin, notamment, de mettre en oeuvre les mesures annoncées de revalorisation des rémunérations des enseignants et de financer les missions complémentaires réalisées par les enseignants volontaires dans le cadre du « Pacte enseignants ».
La mission « Défense » reçoit 3,3 milliards d'euros de crédits supplémentaires, mettant en oeuvre la première annuité de la loi de programmation militaire 2024-203093(*).
S'agissant de la mission « Travail et emploi », la hausse des crédits de 1,7 milliard d'euros résulte d'une nouvelle dotation supplémentaire de France Compétences à hauteur de 2,5 milliards d'euros pour le financement de la formation professionnelle et de l'alternance.
Les crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 », qui porte les crédits des programmes d'investissement d'avenir et du plan France 2030, progressent pour leur part de 1,6 milliard d'euros en crédits de paiement, principalement au titre de la mise en oeuvre du plan France 2030, dont toutes les autorisations d'engagement ont été consommées.
S'agissant de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », les crédits augmentent de 1,2 milliard d'euros hors les dépenses exceptionnelles relatives au programme 345 « Service public de l'énergie » et à l'indemnité exceptionnelle carburant.
Malgré ces hausses de crédits, le bilan global, sur ce périmètre, est une diminution des crédits de 6,1 milliards d'euros, qui résulte toutefois de la simple diminution des dépenses d'urgence sur les missions « Écologie, développement et mobilité durables » et « Économie ».
2. ... et les 16 milliards d'euros d'économies affichées relèvent d'une présentation en trompe-l'oeil
Les crédits du programme 345 « Service public de l'énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », qui étaient de 21,7 milliards d'euros en loi de finances initiale pour 2023, seraient de 5,5 milliards d'euros en projet de loi de finances pour 2024, soit une diminution de 16,2 milliards d'euros.
Toutefois, l'état de sous-consommation de certains programmes de cette mission94(*) pourrait pousser le Gouvernement, conformément à ses habitudes, à reporter des crédits sur l'exercice 2024, ce qui augmenterait d'autant les crédits réellement dépensés l'an prochain et réduirait donc la diminution relative des crédits.
Les crédits de la mission « Économie » diminuent eux-mêmes de 3,7 milliards d'euros. Pour mémoire, ils avaient été rehaussés de 4,0 milliards d'euros en cours d'examen du projet de loi de finances pour 2023 afin de renforcer les aides de guichet aux entreprises pour le paiement de leurs factures d'électricité et de gaz. Pour cette mission également, le montant important des crédits disponibles (5,1 milliards d'euros à la fin octobre, alors que seulement 3,6 milliards d'euros ont été dépensés) permet de prévoir une sous-consommation en fin d'année.
En conséquence, pour les deux missions affichant une baisse des crédits en 2024, il est peu probable que la diminution des crédits soit aussi importante qu'affiché dans le projet de loi de finances, aussi bien parce que le niveau des dépenses en 2023 devrait être inférieur au montant ouvert en loi de finances initiale que parce que certaines dépenses pourraient être reportées à 2024.
S'agissant des autres missions, la diminution de 3,0 milliards d'euros des crédits ouverts sur la mission « Plan de relance », qui n'ouvre que 1,4 milliard d'euros de crédits en 2024, ne correspond pas non plus à la réalité des crédits qui seront consommés aussi bien en 2023 qu'en 2024, en raison des reports massifs de crédits effectués sur cette mission dont l'utilisation, comme l'a fait observer le rapporteur général en qualité de rapporteur spécial de cette mission95(*), est très peu documentée par le Gouvernement.
La diminution de 1,0 milliard d'euros des crédits de la mission « Santé » correspond à la réduction de la part revenant à la Sécurité sociale parmi les versements européens effectués au titre de la facilité pour la reprise et la résilience. Certaines mesures labellisées « Plan de relance » ont en effet été financées par les administrations de sécurité sociale dans le cadre du « Ségur de la santé ».
La réduction des crédits de la mission « Crédits non répartis » de 0,7 milliard d'euros provient enfin du retour de la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles à un niveau de crédit plus limité, alors que son montant avait été fixé à un niveau excessif en loi de finances initiale pour 2023, malgré les efforts du Sénat pour la réduire96(*). Là encore, la diminution des crédits réellement consommés ne sera pas aussi importante qu'annoncé, car l'enveloppe ouverte en loi de finances initiale n'a pas été consommée et a déjà été partiellement annulée.
Enfin, les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » diminueraient de 0,4 milliard d'euros par rapport à la loi de finances pour 2023. Comme il a été expliqué précédemment, cette diminution résulte de faits conjoncturels et doit être replacée dans le contexte d'une augmentation importante de cette charge à terme.
L'ensemble de ces diminutions de crédit ne correspond qu'à des économies de constatation, qui de surcroît ne seront que partiellement constatées en exécution.
3. Sur la période 2017-2024, des politiques dites prioritaires ont été privilégiées sans que, en compensation, soient définies des politiques non prioritaires
Alors que les dépenses nettes du budget général97(*) de l'État avaient augmenté de 8,7 % en plus de l'inflation entre 2007 et 2017, elles ont progressé de 22,3 % depuis 2017.
Évolution en volume des dépenses nettes du budget général
(base 100 en 2017)
Source : commission des finances, à partir des lois et projets de loi de finances. Dépenses brutes moins remboursements et dégrèvements, actualisés en fonction de l'indice des prix harmonisé hors tabac
La crise sanitaire a établi un nouveau palier dans les dépenses de l'État, l'année 2024 étant située encore au-dessus de l'année 2020 malgré la fin de la plupart des régimes d'aide.
Malgré les ambitions de réforme successivement affichées par le Gouvernement (programme Action publique 2022, revues de dépenses...), l'État n'a réduit sa sphère dans aucune des politiques qu'il a pris l'habitude d'assumer ; la crise sanitaire semble au contraire lui avoir donné l'opportunité d'étendre encore plus son action.
On constate en effet, dans une analyse par mission, que les principales missions de l'État ont vu leurs crédits progresser en volume, à l'exception de la mission « Cohésion des territoires » qui a subi des économies notables sur les aides au logement.
Évolution des principales missions de 2017 à 2024
(en euros constants, base 100 en 2017)
Hors mission « Écologie, développement et mobilité durables »
Source : commission des finances. Crédits des missions hors remboursements et dégrèvements, actualisés selon l'indice des prix hors tabac, base 100 en 2017
Alors que le coût de la crise sanitaire aurait dû être concentré sur les missions « Plan d'urgence face à la crise sanitaire » et « Plan de relance », à vocation temporaire, la plupart de des missions ont vu leurs crédits augmenter soit dès 2020, soit progressivement en 2021 et 2022.
La mission « Écologie, développement et mobilité durables », en particulier, a connu de 2021 à 2023 une progression extraordinaire de ses crédits liée notamment aux mesures mises en place temporairement face à la hausse de l'inflation, de sorte qu'il est nécessaire de l'isoler pour considérer à part l'évolution, déjà très sensible, des autres missions. Cette mission, même avec le reflux important de ses crédits en 2024, conserve la plus forte progression de crédits depuis 2017, avec une augmentation de 62,1 % en euros constants.
4. À la fin 2022, l'État s'était déjà engagé pour 215 milliards d'euros de dépenses futures, hors dépenses de personnel
Un indicateur des dépenses futures est donné par les restes à payer, qui correspondent, en fin d'année, aux engagements pris qui n'ont pas encore fait l'objet de paiements, par exemple dans le cas de travaux dont le marché public a été attribué mais dont l'exécution n'est pas encore terminée, voire n'a pas encore commencé. Ces dépenses ne pourront que difficilement être évitées.
Encore faut-il, toutefois, qu'il s'agisse d'engagements réels, ce qui n'est pas le cas des 165 milliards d'euros d'autorisations d'engagement ouvertes sur le programme 369 « Amortissement de la dette de l'État liée à la covid-19 » de la mission « Engagements financiers de l'État », lesquels ne seront pas pris en compte dans l'analyse qui suit bien qu'ils multiplient presque par deux le montant techniquement comptabilisé des restes à payer.
Le montant global des restes à payer, selon les données fournies au rapporteur général, est passé de 118,5 milliards d'euros à la fin 2017 à 184,9 milliards d'euros à la fin 2021, soit une augmentation de 56,0 %.
La mission « Défense » se caractérise par des niveaux considérables de restes à payer, en hausse de près de 40 milliards d'euros en cinq ans, résultant notamment de la mise en oeuvre de la loi de programmation militaire.
Évolution des restes à payer depuis 2017, hors programme 369
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des réponses au questionnaire du rapporteur général
Plusieurs missions ont également été créées selon un mode de gestion prévoyant une ouverture importante d'autorisations d'engagement au départ et une consommation de crédits de paiement s'étendant sur plusieurs années : Plan de relance (12,7 milliards d'euros de restes à payer), Investir pour la France de 2030 (35,6 milliards d'euros).
Quelle que soit la pertinence de ces ouvertures de crédit, dont certaines résultent de lois de programmation, force est de constater que les crédits soumis à autorisation parlementaire sont en réalité de plus en plus contraints par des engagements passés, qui font échapper de fait le budget à son principe d'annualité.
L'examen des dépenses programmées pour les années à venir confirme l'augmentation tendancielle des dépenses, au-delà de l'inflation.
En application de la révision de la loi organique relative aux lois de finances du 28 décembre 2021, chaque projet annuel de performances présente désormais un échéancier triennal de dépenses pluriannuelles. Il en ressort que les dépenses des missions98(*) augmenteraient de 31,4 milliards d'euros de 2024 à 2026, passant de 581,1 milliards d'euros à 612,5 milliards d'euros, soit une augmentation de 5,4 % en valeur et 1,6 % en volume.
Évolution des crédits des missions entre 2024 et 2026
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir fichier des dépenses pluriannuelles publié par la direction du budget. Seules les variations supérieures à + 500 millions d'euros ou inférieures à - 500 millions d'euros sont représentées
5. L'État doit exercer un contrôle plus strict sur ses opérateurs, dont la trésorerie a augmenté de plus de 20 milliards d'euros en trois ans
Une étude commandée à l'Inspection générale des finances a établi une augmentation très importante de la trésorerie des opérateurs : elle atteignait 56,6 milliards d'euros à la fin 2022, contre 33,8 milliards d'euros en 2019, soit une hausse de 22,8 milliards d'euros en 3 ans (+ 67,5 %).
Cette hausse est due pour les deux tiers à la progression de la trésorerie de la Société du Grand Paris, qui a réalisé un emprunt exceptionnel en bénéficiant de taux d'intérêt bas.
L'Inspection générale des finances identifie ainsi un excédent de trésorerie de 2,5 milliards d'euros sur les opérateurs relevant de plusieurs ministères et recommande de réduire en conséquence les concours financiers de l'État.
Le ministre de l'économie a indiqué au mois de juillet dernier, sur le fondement de ce rapport, que la moitié de cette trésorerie excédentaire serait récupérée dans le budget pour 2024, citant nommément plusieurs opérateurs99(*). Or force est de constater que les mesures en question font défaut dans le projet de loi de finances, qui accroît plutôt les moyens accordés à ces agences, qu'il s'agisse de subventions directes ou d'affectation de taxes. Le rapporteur général n'a eu aucune réponse à la question qu'il a posée au Gouvernement à ce sujet.
La maîtrise de la trésorerie des opérateurs n'est pas seulement un enjeu financier : son développement excessif est le signe d'un exercice insuffisant de la tutelle.
La Cour des comptes elle-même, dans une étude demandée par l'Assemblée nationale, soulignait l'insuffisance du pilotage stratégique des opérateurs100(*). Un opérateur disposant d'une trésorerie excessive peut exercer son activité en sollicitant moins souvent sa tutelle, qui dispose d'une information et d'un contrôle moindres sur son activité.
En tout état de cause, un opérateur public bénéficie du financement de l'État et n'a donc généralement pas besoin, contrairement à une entreprise privée indépendante, de disposer d'une trésorerie particulièrement abondante : l'État pourra toujours lui apporter des fonds nouveaux s'il en démontre la nécessité.
Au-delà de la question du montant de la trésorerie excédentaire, l'information même sur cette trésorerie est insuffisante et l'Inspection générale des finances souligne que les opérateurs ne transmettent pas à leur tutelle toutes les informations qui permettraient un pilotage adéquat de la trésorerie.
C. LES EFFECTIFS DE L'ÉTAT AUGMENTENT, EN CONTRADICTION AVEC LES ENGAGEMENTS PRIS DANS LE PROJET DE LOI DE PROGRAMMATION DES FINANCES PUBLIQUES
Le 27 septembre dernier, le Gouvernement a engagé sa responsabilité devant l'Assemblée nationale sur un projet de loi de programmation des finances publiques prévoyant la stabilité des emplois jusqu'en 2027, alors qu'il avait présenté le même jour un projet de loi de finances qui crée plus de 8 000 postes en 2024.
1. Le projet de loi de finances prévoit une augmentation des emplois de plus de 8 000 postes
Le présent projet de loi de finances prévoit une augmentation des emplois de 8 273 équivalents temps plein (ETP), dont 6 695 pour l'État lui-même et 1 578 pour les opérateurs.
L'exposé général des motifs du projet de loi de finances indique qu'il s'agit d'un « ralentissement de 23 % » par rapport à 2023, c'est-à-dire que le nombre d'emplois créés est un peu moins élevé : sur deux ans, le nombre de postes nouveaux est de 19 063 emplois.
La future loi de programmation des finances publiques 2023-2027, qui ne tient pas compte de l'augmentation des emplois en 2023, devra donc compenser au cours des années 2025 à 2027 l'augmentation des emplois de l'année 2024.
Évolution des effectifs dans les ministères et leurs opérateurs en 2024
(en équivalent temps-plein)
Source : commission des finances du Sénat, à partir du projet de loi de finances
Les augmentations concernent tout particulièrement les ministères régaliens de l'intérieur et des outre-mer et de la justice, qui représentent plus des deux tiers des créations de postes sur le périmètre de l'État.
S'agissant des opérateurs, l'augmentation porte principalement sur ceux du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.
D'une manière générale, ces augmentations d'effectifs, comme pour les ouvertures de crédit, entrent dans le cadre des lois de programmation relatives aux ministères concernés.
Si un effort est légitime sur ces missions, force est de constater, comme pour l'évolution des crédits, que des politiques « prioritaires » sont définies sans qu'en soient prises les conséquences sur les politiques moins prioritaires.
Or des marges réelles de manoeuvre existent, qui ont poussé le Sénat, par deux fois, à voter le principe d'une diminution de 5 % des effectifs de l'État et de ses opérateurs dans le cadre du projet de loi de programmation des finances publiques : selon les informations communiquées au rapporteur général, pas moins de 170 000 départs sont prévus en 2024.
2. Les mesures annoncées en juin 2023 font augmenter la masse salariale de 2,5 points au-dessus de l'inflation
En 2024, le montant des charges de personnel sur le budget général (crédits de titre 2) serait de 153,5 milliards d'euros, contre 146,0 milliards d'euros en loi de finances initiale pour 2023.
Sur ce montant, 48,2 milliards d'euros correspondent aux contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions » et 105,3 milliards d'euros à la masse salariale.
La masse salariale est en augmentation de 5,0 milliards d'euros par rapport à celle prévue en loi de finances initiale pour 2023 (soit 100,3 milliards d'euros), soit 2,5 points au-dessus de l'inflation.
Cette hausse provient principalement des mesures annoncées au moins de juin 2023101(*), avec l'attribution de cinq points d'indice à tous les agents à compter du 1er janvier 2024 (coût de 3,7 milliards d'euros, imputés sur les mesures catégorielles) et l'effet en année pleine de l'augmentation générale de 1,5 % du point d'indice entrée en vigueur en juillet 2023.
Facteurs d'évolution de la masse salariale entre 2023 et 2024
(en milliards d'euros)
GVT : glissement vieillesse-technicité. Hors budgets annexes.
Source : commission des finances, à partir des réponses au questionnaire du rapporteur général
Le Gouvernement poursuit ainsi un mouvement d'augmentation soutenue de la masse salariale lancé en 2017, celle-ci ayant augmenté de 23,0 % en valeur et de 9,7 % en volume entre 2017 et 2024.
Évolution de la masse salariale de l'État en euros constants depuis 2007
(en milliards d'euros de 2024)
Source : commission des finances, à partir des données des rapports sur le budget de l'État, des projets de loi de finances et des réponses aux questionnaires budgétaires. Masse salariale du budget général, hors contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions »
TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. AUDITION DE MM. BRUNO LE MAIRE, MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE LA SOUVERAINETÉ INDUSTRIELLE ET NUMÉRIQUE, ET THOMAS CAZENAVE, MINISTRE DÉLÉGUÉ AUPRÈS DU MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE LA SOUVERAINETÉ INDUSTRIELLE ET NUMÉRIQUE, CHARGÉ DES COMPTES PUBLICS (27 SEPTEMBRE 2023)
Réunie le mercredi 27 septembre 2022 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu MM. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique chargé des comptes publics, sur le projet de loi de finances pour 2024.
M. Claude Raynal, président. - Messieurs les ministres, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, pour la dernière réunion de notre commission avant le renouvellement du Sénat à la suite des élections, nous avons le plaisir de recevoir cet après-midi MM. les ministres Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, qui viennent nous présenter le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, après sa présentation ce matin en conseil des ministres.
Si M. Le Maire connaît très bien notre commission, c'est la première fois que nous recevons M. Cazenave en tant que ministre délégué chargé du budget et je lui souhaite donc la bienvenue parmi nous.
Je rappelle que notre réunion porte sur le projet de loi de finances pour 2024 et non sur le projet de loi de programmation des finances publiques, sur lequel l'audition du président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) portait également ce matin, le Haut Conseil ayant rendu son avis sur la trajectoire révisée des finances publiques proposée par le Gouvernement en nouvelle lecture de ce texte.
Les sujets sont toutefois liés, puisque ce budget s'inscrit dans la trajectoire définie dans le projet de loi de programmation des finances publiques. Ainsi se fonde-t-il sur un scénario de croissance en 2024 que le Haut Conseil, de même que de nombreux économistes, trouve optimiste. Sans doute pourrez-vous apporter des éléments de réponse sur ce point, messieurs les ministres.
Comme l'an passé, le Gouvernement a fait précéder ce dépôt d'une phase de consultation dans le cadre des dialogues de Bercy. Certains d'entre nous ont pu y participer, mais nos collègues souhaiteront certainement aborder de nombreux sujets avec vous cet après-midi. Nous entamons désormais la phase proprement dite d'examen parlementaire du projet de loi de finances.
Je vous laisse donc la parole pour un propos liminaire, avant de la céder au rapporteur général et à l'ensemble des commissaires de la commission des finances qui souhaiteront vous poser des questions.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, je suis très heureux de vous retrouver pour la septième fois afin de vous présenter un projet de loi de finances.
Le projet de budget pour 2024, j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, est présenté dans un contexte très particulier. L'économie française résiste, le taux de croissance est de 1 %, la création d'emplois se poursuit, notre pays est devenu le plus attractif pour les investissements étrangers en Europe. Toutefois, dans le même temps, nous faisons face à une inflation persistante, qui brouille tous les repères. Elle pèse terriblement sur la vie quotidienne de nos compatriotes et suscite beaucoup d'anxiété, pour ne pas dire de nervosité, dans la société française. Ce projet de loi de finances doit donc nous permettre de relever trois défis, qui s'inscrivent dans des calendriers différents.
Le premier défi, c'est de mâter définitivement l'inflation. Le deuxième, c'est de désendetter le pays et de réduire les déficits. C'est, comme le Premier président de la Cour des comptes l'a rappelé, un impératif catégorique alors que les taux d'intérêt ont pris 300 points de base en l'espace de quelques années. Le troisième défi, c'est de dégager des marges de manoeuvre à un moment où il est indispensable d'investir dans la transition écologique, mais aussi dans la défense et dans la sécurité face au retour de la guerre en Europe. Il nous faut rendre ces trois défis conciliables dans le projet de loi de finances : la lutte contre l'inflation, le rétablissement des comptes et l'investissement. Cela suppose de la méthode, de la détermination et une très grande clarté dans les choix politiques.
Il faut d'abord mettre fin à la flambée des prix et poursuivre la lutte contre l'inflation, laquelle commence à donner des résultats, puisque celle-ci ralentit aujourd'hui en France. Cela implique de mettre en oeuvre une politique budgétaire cohérente avec la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). Alors que l'argent devient cher, que la BCE restreint la mise à disposition de liquidités et appuie sur le frein, rien ne serait plus absurde, même s'il peut être tentant d'ouvrir les vannes de la dépense budgétaire, que d'appuyer sur l'accélérateur. Nous irions tous dans le décor ! C'est là un choix de politique économique, clair et assumé. Nous ne pouvons pas rouvrir de nouveau les vannes de la dépense budgétaire, d'abord parce que la situation de nos finances publiques ne le permet pas, ensuite parce que cela serait absurde en termes de politique économique et en contradiction totale avec les efforts de la BCE pour ramener l'inflation au niveau cible de 2 %.
Autre principe de politique publique : l'État ne peut pas tout payer. Je revendique donc le choix que nous avons fait de faire appel aux distributeurs, aux industriels et aux entreprises privées. Je préfère obtenir des efforts de leur part plutôt que de céder à la facilité de la dépense publique.
Olivia Grégoire et moi avons travaillé pendant plusieurs semaines sur les prix dans la grande distribution et nous avons obtenu des industriels et des distributeurs qu'ils bloquent ou baissent les prix de 5 000 références. Je préfère ça plutôt que de nouvelles subventions ou de nouvelles aides. Nous avons également demandé à Total de bloquer les prix à la pompe à 1,99 euro le litre au-delà du 31 décembre ; nous l'avons obtenu. De même, nous avons demandé à un certain nombre de distributeurs de vendre à prix coûtant ; nous l'avons obtenu. Peu importe donc les moqueries que peuvent nous valoir ces choix politiques, nous les maintiendrons parce que nous ne viendrons à bout de l'inflation que collectivement. Avoir toujours recours à la dépense publique est une bien mauvaise idée, sachant en outre que la charge de la dette s'élèvera à 74 milliards d'euros en 2027.
Par ailleurs, je rappelle que l'État prend toute sa part à la lutte contre l'inflation en indexant les prestations sociales, les retraites et le barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation. Le bouclier anti-inflation, il est là : il représente 4,5 milliards d'euros pour l'indexation des prestations sociales et des minima sociaux, 14 milliards d'euros pour les retraites et 6 milliards d'euros pour l'impôt sur le revenu, soit 25 milliards d'euros au total.
Aussi, quand j'entends certains dire que l'inflation permet à l'État de se remplir les poches, je me dis qu'ils sont soit mal informés, soit malhonnêtes. Comme je ne peux pas croire à la malhonnêteté des responsables politiques, de quelque bord qu'ils soient, je vais leur donner l'information : l'augmentation des recettes de TVA liée à l'inflation, c'est 10 milliards d'euros, soit deux fois moins que ce que nous dépensons pour la revalorisation des retraites, des minima sociaux et l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu.
Pour dire les choses encore plus simplement, l'inflation coûte très cher à l'État. Aussi je ne laisserai personne - personne ! - dire que l'État s'en met « plein les poches », parce que le dire, c'est affaiblir l'État. Je le dis à tous ceux qui veulent devenir chef de l'État un jour : ils seraient bien mal avisés de critiquer le comportement de l'État alors qu'il protège nos compatriotes. L'État ne cherche pas à se remplir les poches en période inflationniste, bien au contraire : il dépense plus qu'il ne reçoit.
Par ailleurs, face à la situation très particulière des carburants, nous avons pris des décisions afin de protéger ceux qui travaillent. Nous assumons ce ciblage, car nous pensons qu'il faut aider en priorité ceux qui se rendent sur le lieu de travail. Dans ma circonscription rurale, certaines personnes parcourent 50, 60, voire 120 kilomètres par jour. L'augmentation des prix des carburants est insupportable pour elles. Cela leur coûte plus cher d'aller travailler que de rester chez elles ! Comme le coeur de notre politique, c'est le travail, nous avons décidé de mettre en place une indemnité carburant pour les travailleurs des cinq premiers déciles. Au total, 4,3 millions de personnes sont concernées. L'indemnité est fonction du véhicule, assuré, bien entendu. Son montant est de 100 euros, ce qui représente une économie de 20 centimes par litre de carburant sur six mois. Cette dépense me paraît légitime et nécessaire.
Voilà pour ce qui concerne le premier objectif du PLF : faire baisser l'inflation et protéger ceux qui en souffrent le plus, soit les plus modestes, ceux dont les revenus sont les plus faibles.
Ce premier défi doit se conjuguer avec le deuxième, qui est d'accélérer notre désendettement. L'objectif à long terme est d'atteindre 2,7 % de déficit public en 2027, un endettement de 108 % et un taux de prélèvements obligatoires de 44,4 %, contre 45,4 % aujourd'hui. Pour tenir cette trajectoire, il faut que le pied d'appel soit solide.
Le projet de loi de finances pour 2024 prévoit 16 milliards d'euros d'économies. Certains trouveront que ce n'est pas suffisant, mais ces économies ne sont pas faciles, contrairement à ce que j'entends dire ici ou là. Il n'est pas facile de supprimer totalement le bouclier sur le gaz et sur l'électricité. Nous le ferons parce que les prix du gaz et de l'électricité sont revenus à la normale. Cela représente 10 milliards d'euros d'économies. Il n'est pas simple de réaliser des économies sur les politiques de l'emploi. Nous le ferons alors que nous approchons d'une situation de plein emploi. Nous recentrerons les dispositifs d'aide exceptionnelle aux entreprises, ce qui permettra de réaliser une économie de 4,4 milliards d'euros.
Au total, l'État dépensera 491 milliards d'euros en 2024, contre 496 milliards d'euros en 2023, soit 5 milliards d'euros de moins. C'est un effort notable dans une période d'inflation.
Cette première marche doit être accompagnée d'une politique plus structurelle de réduction des déficits, de choix plus avisés en matière de dépenses publiques et d'accélération du désendettement.
L'accélération du désendettement reposera sur trois principes très simples. Le premier, c'est la croissance. Je ne crois absolument pas à un désendettement par l'austérité. L'austérité tue la croissance, c'est la croissance qui permet de réduire le niveau de dette publique par rapport à la richesse. La meilleure façon de réduire la part de la dette publique dans la richesse, c'est d'abord d'augmenter la richesse par la croissance. Cela restera le principe cardinal de notre politique. Si nous voulons continuer de diminuer les impôts, si nous voulons engager une baisse d'un milliard d'euros de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) l'année prochaine, c'est pour nourrir la croissance, qui permettra ensuite d'accroître notre prospérité et de réduire la part de la dette publique.
Le deuxième levier, ce sont les réformes de structure : la réforme des retraites et celle de l'assurance chômage rapporteront, à elles deux, près de 25 milliards d'euros à l'horizon de 2027. Seules des réformes de structure permettent de dégager des économies aussi significatives.
Enfin, le troisième levier, ce sont les revues des dépenses publiques. Elles nous ont déjà permis d'identifier 2 milliards d'euros d'économies à terme sur le dispositif Pinel et plusieurs centaines de millions d'euros sur les opérateurs de l'État. Ces revues seront poursuivies chaque année jusqu'en 2027. Une quinzaine de secteurs publics seront examinés chaque année, l'objectif étant d'augmenter notre rendement par rapport au PLF pour 2024 et ainsi de mieux dépenser l'argent des Français.
Ces revues des dépenses, aussi nécessaires soient-elles, ne seront pas suffisantes. Pour être efficaces et durables, elles doivent s'inscrire dans une réflexion plus globale sur les missions de l'État, sur le périmètre de l'action publique et sur les fondements de notre modèle social. Nous sommes arrivés au point où ce débat démocratique doit avoir lieu. Sans cela, il n'y aura pas d'équilibre des finances publiques. J'invite tous les parlementaires qui le souhaitent à participer à cette réflexion.
Autre objectif, nous devons préparer l'avenir et investir en ce sens. Nous investirons d'abord dans l'éducation et la santé, priorité du Président de la République. Ensuite, nous investirons dans le régalien avec la loi de programmation militaire (LPM), la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), et la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, afin de garantir la sécurité de nos compatriotes.
Cet investissement doit porter, en priorité absolue, sur la décarbonation de notre économie afin de faire de la France la première économie décarbonée à horizon de 2040 en Europe.
Nous porterons le budget de MaPrimeRénov' à 5 milliards d'euros, nous amplifierons la vente de véhicules électriques grâce à un bonus et à la mise en place du leasing à 100 euros par mois dès mi-novembre, et nous continuerons de favoriser la production d'énergie nucléaire en achevant les négociations avec EDF sur le tarif de l'électricité.
Nous allons convertir la fiscalité, en passant d'une fiscalité favorable aux énergies fossiles à une fiscalité qui apporte des avantages exclusifs aux énergies vertes. L'accord trouvé avec les agriculteurs et avec le secteur des travaux publics prouve que nous pouvons dialoguer et aboutir à un compromis afin de reverser l'intégralité des recettes du fossile vers le vert, sur la base d'un accord solide.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je suis très heureux de vous présenter le budget de l'État, résultat d'une méthode - le dialogue - et d'un esprit de responsabilité - Bruno Le Maire a évoqué une boussole pour agir pour l'avenir.
Ce PLF 2024 est la consécration de la transition écologique en tant qu'urgence absolue. Avec ce budget, nous permettons un financement historique de la dette écologique, à côté de notre dette financière. Le PLF prévoit un investissement supplémentaire de 10 milliards d'euros dédié au financement de la transition écologique, et donc à la mise en oeuvre de la stratégie de planification écologique présentée par la Première ministre ; cela se traduit très concrètement par 7 milliards d'euros de crédits de paiement supplémentaires. Par exemple, nous permettons la construction des RER métropolitains dans le cadre de la prochaine génération des contrats de plan État-Région ; 550 millions d'euros seront engagés pour la rénovation thermique des bâtiments de l'État ; le « plan haies » bénéficiera de 110 millions d'euros d'engagements ; le fonds chaleur recevra 300 millions d'euros supplémentaires pour le chauffage urbain et la décarbonation du chauffage des entreprises et des ménages ; les collectivités locales bénéficieront de la pérennisation du fonds vert, porté à 2,5 milliards d'euros dont 500 millions d'euros pour la rénovation des écoles, comme annoncé par le Président de la République. Nous inciterons tous les acteurs à s'engager en faveur de la transition écologique en créant un crédit d'impôt pour l'investissement dans l'industrie verte pour soutenir la décarbonation de notre industrie, mais aussi en renforçant le malus automobile pour les voitures les plus polluantes. Nous cherchons à amplifier tous les leviers pour le financement de la transition écologique en dotant par exemple le futur plan d'épargne avenir climat d'un régime fiscal incitatif et en mettant à contribution les gestionnaires des infrastructures des transports les plus émetteurs pour financer le transport ferroviaire.
Les collectivités ont aussi un rôle majeur à jouer. Nous travaillons avec les associations d'élus pour permettre la généralisation des budgets verts dans les collectivités territoriales. L'enjeu est de nous doter d'une boussole commune et d'adapter nos outils financiers à la nouvelle donne écologique.
Ce budget est également celui du réarmement des services publics pour nos concitoyens : nous investissons massivement dans nos services publics, garants de notre cohésion sociale : plus 3,9 milliards d'euros pour l'éducation nationale, 1 milliard d'euros pour la recherche et l'enseignement supérieur, 3,3 milliards d'euros pour nos armées, 1 milliard d'euros pour le ministère de l'intérieur, 500 millions d'euros pour la justice. Nous augmentons la rémunération des enseignants, nous permettons la poursuite du programme d'investissements dans les matériels prévu par la LPM, nous finançons l'acquisition de nouveaux matériels pour notre police.
Au-delà de ces chiffres, le service public, ce sont des femmes et des hommes. Ce budget 2024 permettra de recruter 6 700 agents publics supplémentaires pour l'État et 1 580 pour les opérateurs de l'État. Nous créons 3 000 postes d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), 1 900 postes pour la justice, 2 600 postes pour la police, et recrutons 700 agents supplémentaires pour mettre en oeuvre la transition écologique. Ces créations sont une réponse à ceux qui nous reprochent d'avoir délaissé nos services publics : rien n'est plus faux.
Arrêtons d'opposer l'État et les collectivités locales : nous portons ensemble les services publics. Les concours financiers de l'État aux collectivités s'élèvent à 54,8 milliards d'euros en 2024 et la dotation globale de fonctionnement (DGF) augmentera à nouveau de 220 millions d'euros - après une hausse en 2023 qui était la première depuis 12 ans. Dès cet exercice budgétaire, pour renforcer les capacités d'investissement des collectivités, nous étendons le fonds de compensation de la TVA (FCTVA) aux dépenses d'aménagement, évolution très attendue par de nombreux élus et qui représente un effort de 250 millions d'euros pour l'investissement public local.
Ce projet de loi de finances, ce sont aussi de grands équilibres avec un cap clair : la réduction des déficits publics. Investir pour l'avenir, c'est maîtriser nos comptes publics. Je souhaite tenir un langage de vérité, puisque vous connaissez aussi la réalité de nos comptes. L'État a pu protéger massivement parce qu'il avait réduit son déficit public en 2018 à 2,3 % du PIB. Un État qui consacre plus aux intérêts de la dette qu'au budget de l'éducation nationale - ce qui sera le cas en 2027 - ne peut plus prétendre être tourné vers l'avenir.
Les dépenses de l'État vont passer de 496 à 491 milliards d'euros, une baisse historique, qui s'explique d'abord par la sortie des dispositifs de crise. Les mesures exceptionnelles mises en oeuvre au plus haut de la crise énergétique ne peuvent pas durer ; nous devons en sortir progressivement. Ce sera le cas en 2024 où nous dépenserons 14 milliards d'euros de moins pour les mesures exceptionnelles.
Mais en même temps nous devons lutter contre la vie chère et redonner du pouvoir d'achat aux Français. C'est pourquoi nous revalorisons les tranches du barème de l'impôt sur le revenu, tout comme les pensions et les minima sociaux, en créant un véritable bouclier contre l'inflation. Les économies, importantes, sur le budget viennent des réformes structurelles : nous économiserons 350 millions d'euros sur la politique de l'emploi avec la réduction du chômage, et 500 millions d'euros en améliorant l'efficacité et l'efficience de notre politique de formation professionnelle. Ainsi, le déficit budgétaire en 2024 va baisser, passant de 165 milliards d'euros à 145 milliards d'euros. Nous tiendrons la cible de 4 % de solde public. Nous devons continuer dans cette lancée et trouver 12 milliards d'euros d'économies structurelles. C'est pourquoi nous allons relancer et muscler les revues de dépenses qui associeront naturellement les parlementaires.
Enfin, ce PLF est un PLF antifraude. Avant d'être un enjeu financier, la lutte contre la fraude est un enjeu de cohésion et de justice sociale. Il n'y a pas de consentement à l'impôt si l'État n'est pas en mesure de garantir à nos concitoyens que tous ceux qui doivent payer des impôts le font effectivement. Le PLF et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) vont instaurer une dizaine d'outils juridiques nouveaux pour mieux lutter contre la fraude, dont voici quelques exemples : face à la nouvelle donne numérique, nos administrations pourront déréférencer les vendeurs des plateformes numériques qui ne respectent pas leurs obligations fiscales. Nous allons autoriser les agents du fisc à mener des cyberenquêtes sous pseudonyme. Nous lutterons contre ceux qui achètent à l'étranger et revendent en France sans payer la TVA. Nous allons créer une peine complémentaire de privation des bénéfices des crédits et des réductions d'impôts pour les particuliers condamnés. Nous mettrons en place un nouveau délit d'incitation à la fraude fiscale afin de poursuivre tous les intermédiaires qui proposent des montages d'évasion fiscale, sans attendre la condamnation de leur client. C'est une manière d'empêcher la fraude à la source et nous le ferons également pour les fraudes aux aides sociales. Enfin, nous créons des sanctions administratives pour lutter contre la fraude aux aides publiques.
En parallèle de la création de 1 500 postes à la direction générale des finances publiques (DGFiP) sur le contrôle fiscal, c'est 1 000 agents supplémentaires d'ici à 2027 qui se consacreront à la lutte contre la fraude au sein des caisses de sécurité sociale. Enfin, nous devons renforcer la sécurité de nos agents en leur permettant de délocaliser certains contrôles et d'en réaliser anonymement. Il s'agit de les protéger, en écho au drame qui est survenu en novembre dernier. Nous proposons ces mesures dès le texte initial, mais nous sommes en situation de l'enrichir. Lors des dialogues de Bercy, et certains d'entre vous y ont participé, la lutte contre la fraude a été évoquée par la plupart des participants et nous sommes preneurs de vos propositions dans ce domaine comme dans d'autres.
Enfin, ce PLF repose sur une méthode, le dialogue. J'ai réuni les parlementaires de tous bords lors des dialogues de Bercy ou de réunions bilatérales. Nous avons associé naturellement les associations d'élus locaux et les entreprises pour construire ce budget.
C'est aussi une main tendue aux collectivités territoriales. Dans le cadre du pacte girondin, nous avons créé avec Bruno Le Maire le Haut Conseil aux finances publiques locales (HCFPL) pour échanger d'égal à égal entre l'État et les collectivités territoriales, et s'agissant du PLF, à l'issue des dialogues de Bercy, nous avons identifié des thématiques communes sur lesquelles les différents groupes du Sénat comme de l'Assemblée nationale souhaitent travailler - le logement, la justice fiscale, la transition écologique... Nous sommes à votre disposition pour continuer à enrichir le texte qui vous est présenté, un texte initial qui n'est pas le texte final.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie le ministre de l'économie et des finances - durable, car il est inoxydable, présent depuis le premier gouvernement nommé en 2017 après l'élection du Président de la République. Je souhaite la bienvenue au ministre des comptes publics. Au Sénat, nous avons toujours eu des débats constructifs et apaisés, malgré nos désaccords.
Beaucoup d'entre nous sortent d'une période intense de dialogue et de visites sur le terrain. Il y a un monde entre une partie des propos que vous venez de tenir et la situation ressentie sur les territoires.
Je commencerai par deux remarques générales sur les grands équilibres de ce PLF.
D'une part, avec les transferts de TVA à d'autres personnes morales que l'État, le budget de l'État devient hypersensible à la volatilité de l'impôt sur les sociétés, qui prend une place essentielle dans ses ressources, ce qui n'est pas souhaitable.
D'autre part, vous prévoyez plusieurs milliers d'équivalents temps plein (ETP) supplémentaires en 2024. Cela me conduit à vous interroger sur la ligne du Gouvernement sur les recrutements dans la fonction publique ? Le Président de la République a renoncé à la suppression de 50 000 postes dans la fonction publique d'État qu'il avait initialement promise. Quelle est donc la ligne actuelle ? Le Président de la République ne l'a pas évoquée dans sa prise de parole dimanche dernier.
Monsieur le ministre de l'économie, je suis assez frappé par votre souplesse et ce que j'appellerais la pratique du grand écart. D'un côté, vous présentez une image sérieuse, apôtre de la rigueur, voire une forme d'austérité, souriante certes. Mais, de l'autre, depuis six ans que vous êtes ministre des finances, jamais vous n'avez baissé la dépense publique. Même si l'on retranche les mesures exceptionnelles ou de crise : ces dépenses ont toujours augmenté, que ce soit en valeur ou en volume. Tous les jours, ou presque, de nouvelles annonces de dépenses d'un ministre, de la Première ministre, voire du Président de la République, chargent la barque.
Le PLF 2024 prévoit encore une hausse de 2,2 % des dépenses hors mesures exceptionnelles.
Je pense qu'il faut agir plus et faire moins de déclarations qui perdent l'opinion et les élus, avec le danger que cela représente. Les finances magiques, ça n'existe pas !
Votre programmation budgétaire jusqu'en 2027 est fondée sur une seule hypothèse : votre capacité à faire baisser la dépense publique comme jamais aucun gouvernement n'est parvenu à le faire précédemment.
Vous vous abritez derrière la revue de dépenses, censée faire économiser des dizaines de milliards d'euros. Or, je ne vois pas d'économie : toutes les dépenses budgétaires sont à la hausse. D'ailleurs, monsieur le ministre des comptes publics, vous nous en avez fait un florilège en annonçant des hausses un peu partout.
La réalité, c'est l'absence quasi totale d'économies structurelles. D'ailleurs, vous financez des mesures pérennes grâce à la disparition des mesures exceptionnelles. Vous tentez de renvoyer la balle, voire la responsabilité, aux parlementaires, comme l'an dernier. Chacun son rôle : l'exécutif doit assumer des choix, les proposer, et ensuite les deux assemblées se prononcent.
Messieurs les ministres, quand allez-vous proposer une réduction des dépenses publiques, une meilleure gestion de nos finances publiques ?
J'évoquerai un deuxième sujet, les carburants. Je rappellerai les déclarations récentes du Gouvernement, que j'ai eu du mal à suivre : l'an passé, une remise généralisée qui coûte 8 milliards d'euros, ensuite un chèque carburant, puis l'annonce par la Première ministre d'une autorisation de vente à perte, avec un projet de loi disparu une semaine après l'annonce. Et aujourd'hui vous nous parlez désormais d'une aide ciblée de 100 euros par an pour les ménages modestes... Quel est l'objectif, quels sont les montants consacrés et combien de foyers seront concernés ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous dire quel est le niveau effectif de consommation des crédits pour l'aide ciblée à destination des gros rouleurs mise en place en 2023, avec combien de bénéficiaires ? Pour mémoire, un milliard d'euros de crédits avaient été inscrits en 2023.
Je poursuivrai sur le prix de l'énergie et de l'électricité. Vous avez déclaré que vous ne laisseriez pas ce prix augmenter de plus de 10 % en février prochain, comme le prévoit la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Mais cette année ces prix ont augmenté de 10 % en catimini au milieu de l'été, remettant en cause votre engagement initial de plafonner l'augmentation à 15 % sur l'année. Peut-on vous croire pour 2024 ? Vous n'avez pas tenu votre parole pour 2023. Par ailleurs, cet engagement est-il compatible avec la fin du « quoi qu'il en coûte » ?
Enfin, le PLF propose la transposition de la directive européenne visant à assurer un niveau minimum d'imposition mondial des grandes entreprises, avec une proposition de taux de 15 %. Comment ce taux s'articulera-t-il avec celui de l'impôt sur les sociétés français, qui est actuellement à 25 % ? Et quelles recettes fiscales cet impôt pourrait-il engendrer en France ?
M. Claude Raynal, président. - Rien ne vaut une bonne séance de rentrée pour répondre à un nombre significatif de questions du rapporteur général et tout à l'heure des sénateurs...
M. Bruno Le Maire, ministre. - C'est toujours un plaisir de répondre aux questions pertinentes du rapporteur général.
Je partage votre avis sur l'impôt sur les sociétés et la TVA, mais tout le monde veut de la TVA. La part de recettes de TVA revenant à l'État atteint juste 50 %. Lorsqu'on supprime la taxe d'habitation, pour un coût de 20 milliards d'euros, c'est la TVA, recette dynamique, que veulent les collectivités locales.
Je suis non pas un apôtre de l'austérité, mais des comptes publics bien tenus. Je serais un ministre des finances inoxydable : en 2017 et 2018, nous avons rétabli les finances publiques et sommes sortis de la procédure pour déficit public excessif, avec des décisions courageuses, comme la suppression de tous les emplois aidés. Ce n'était pas facile.
Nous avons pris des décisions structurelles pour revenir sous les 3 %, et je vous invite à faire des propositions pour revenir sous ce seuil en 2027.
Mon objectif n'est pas l'austérité, mais d'avoir de la dépense publique bien employée et qui augmente moins vite que l'inflation.
Je ferai aussi preuve d'un peu de malice : dans votre famille politique, certains disent qu'il faut rétablir les finances publiques, mais ne cessent de proposer des dépenses supplémentaires : supprimer la TVA sur les carburants - 10 milliards d'euros ! - ou octroyer une remise sur les carburants, comme nous l'avons fait l'année dernière, sur la proposition du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale, ce qui nous a coûté 12 milliards d'euros. Et puis d'autres, comme Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat, et le Président du Sénat, dont je salue la sagesse, ont dit que ce n'était pas possible. Je me range plutôt de leur côté, eux qui estimaient qu'une remise générale sur les carburants était une triple erreur.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Mais vous l'avez commise.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Nous l'avons faite sur proposition du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale. Je suis obligé de le reconnaître...
M. Daniel Breuiller. - La faute est partagée...
M. Bruno Le Maire, ministre. - C'est une erreur pour les finances publiques, car cela coûte trop cher ; une erreur pour le climat, car nous subventionnons ainsi les énergies fossiles ; une erreur géopolitique puisque la Russie et l'Arabie saoudite ont réduit leur production de pétrole pour faire augmenter les prix. Les prix se stabiliseront voire augmenteront au-dessus du niveau actuel de 85 dollars le baril. Entraîner nos finances publiques dans un puits sans fond serait irresponsable. Il faut aider ceux qui travaillent et accélérer l'indépendance énergétique de la France en déployant les véhicules électriques, les biocarburants... Cela prend du temps et il y a un délai entre la solution immédiate et ce que peuvent se payer les contribuables. Mais un leasing à 100 euros dès le 15 novembre sans apport initial est une solution, de même que l'accélération du déploiement des bornes de recharge rapide, y compris en zone rurale. Je préfère investir dans ces solutions pour notre indépendance qu'être pieds et poings liés à l'Arabie saoudite et à la Russie. Ce serait folie de dépenser l'argent public pour acheter du pétrole, qui irait dans les poches de MM. Poutine ou ben Salmane.
L'indemnité carburant, comme l'année précédente, concernera 4,3 millions de foyers pour 430 millions d'euros. Nous pouvons débattre du ciblage, mais nous privilégions les plus modestes : une majorité des bénéficiaires est en zone rurale, et c'est légitime.
La CRE évoque une augmentation de 10 à 20 % en janvier, mais c'est hors de question. Nous ne sommes pas là pour créer des inquiétudes supplémentaires chez nos compatriotes. Nous verrons quels choix nous devrons prendre en fonction du prix de l'électricité. Celui-ci a baissé car EDF en produit davantage et a remis en fonctionnement des réacteurs arrêtés pour corrosion sous contrainte. Je félicite les agents d'EDF de ce travail considérable effectué dans des délais rapides. Notre priorité est d'avoir le plus grand nombre de réacteurs en état de fonctionnement et de réaliser d'ici à 2035 les six nouveaux réacteurs pressurisés européens (EPR).
L'imposition minimale sur les sociétés sera effective début 2025 après le règlement des difficultés techniques. Elle rapportera 1,5 à 1,6 milliard d'euros par an, soit une recette fiscale significative.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je félicite le rapporteur général pour sa réélection.
Concernant la part des économies structurelles, nous revoyons la politique de l'emploi à mesure que le chômage baisse, par exemple sur les contrats aidés dans le secteur marchand. Nous économisons 500 millions d'euros en renforçant l'efficience de la politique de formation et en révisant les coûts-contrats. Les excédents générés par l'assurance chômage sont la conséquence à la fois des bonnes performances du marché du travail et de la réforme de l'assurance chômage.
La révision des dispositifs fiscaux évalués et jugés peu efficaces comme le Pinel constitue aussi des réformes structurelles. Dès 2024, nous enclencherons donc des réformes structurelles, mais celles-ci devraient être beaucoup plus importantes à partir de 2025 avec 12 milliards d'euros d'économies attendues. Nous allons faire passer la part des dépenses publiques dans le PIB de 57,7 % à 53,8 %. C'est un effort très significatif, puisqu'elles progresseront en volume moins vite que le PIB, avec un effort renforcé sur le périmètre État. Nous avons donc une trajectoire ambitieuse de baisse progressive et continue de la dépense publique. Nous sommes ouverts à toutes les propositions des parlementaires lors des revues de dépenses. Il est indispensable d'ouvrir le chantier du coût de notre organisation collective, comme déjà évoqué lors des dialogues de Bercy. Notre organisation collective génère une dynamique de dépenses très importante entre l'État, ses agences et les collectivités territoriales. Je suis convaincu, comme les élus locaux, que nous pouvons faire plus simple et donc moins coûteux. Travaillons ensemble sur ce type de réformes structurelles qui permettraient de ralentir le rythme de la dépense.
M. Claude Raynal, président. - À titre personnel, j'ai goûté l'échange piquant sur les chèques énergie ou la réduction du prix de l'essence... Vous avez raison, d'un côté il y avait le groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale, tandis qu'ici leur groupe était beaucoup plus prudent...
M. Bruno Le Maire, ministre. - C'est la sagesse...
M. Claude Raynal, président. - Les députés Les Républicains ont une part de responsabilité dans les 12 milliards d'euros de la mesure, mais vous-même aussi, en disant oui, au bénéfice d'une alliance que l'on peut dire de circonstance...
M. Vincent Éblé. - Éphémère...
M. Claude Raynal, président. - ... car elle n'aura pas duré longtemps. Au final, la mesure aura coûté 12 milliards d'euros à tout le monde. Donc j'ai du mal à vous féliciter les uns et les autres...
M. Michel Canévet. - Ici, nous préférons le débat parlementaire pour aboutir à un budget le plus équilibré possible, plutôt que les seuls dialogues de Bercy, pour autant qu'ils soient utiles néanmoins. Le groupe de l'Union centriste avait proposé un report de la baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Nous sommes heureux que le Gouvernement nous ait entendus sur ce point. Nous aurions souhaité aussi le report de la suppression de la redevance audiovisuelle, car cela représente 3,2 milliards d'euros de dette supplémentaire chaque année. Nous vous ferons part d'autres propositions.
Les éventuelles aides sur les carburants doivent être dédiées à ceux qui travaillent et en lien avec les employeurs, comme le suggère le ministre. Il faut associer le secteur privé.
Nous sommes très inquiets de la situation du logement, qui est en panne. Les ménages modestes devraient pouvoir disposer de prêts à taux zéro (PTZ) pour accéder à la propriété, facteur essentiel d'insertion.
Sur la fiscalité, vous avez évoqué l'accord avec les agriculteurs. Il faudrait suivre la même trajectoire pour les travaux publics. Une trajectoire différenciée serait source d'inégalités de traitement, notamment faute de solution alternative sur les modes de propulsion des engins. Ne pénalisons pas l'activité d'entreprises, au risque sinon de réduire d'autres recettes.
Il faut accompagner les entreprises du secteur de la pêche, qui souffrent terriblement.
Près de 90 % des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont en déficit, ce qui appelle des mesures fortes. L'équilibre du PLFSS est difficile à trouver, mais il faut que la solidarité s'exerce et que ces établissements fonctionnent.
Nous apprécions qu'on revienne au remboursement par le FCTVA des aménagements de terrains, mais il reste à régler le décalage de versement de la TVA à de nombreuses collectivités : il est anormal que les collectivités se voient rembourser la TVA plus de deux ans après avoir réalisé un investissement.
M. Marc Laménie. - Merci de votre présentation. Malgré des avancées significatives, l'autonomie financière des collectivités territoriales reste un problème latent. Actuellement, les communes ne conservent que les taxes foncières. La taxe d'habitation est compensée à l'euro près, l'État reste historiquement le premier partenaire des collectivités territoriales avec l'ensemble des dotations de fonctionnement. Des inquiétudes persistent pour la DGF, malgré la revalorisation.
Quel avenir pour les aides à l'investissement, comme la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou le fonds vert ?
M. Hervé Maurey. - Je suis toujours très étonné de l'autosatisfaction des membres du Gouvernement, très éloignée de ce que l'on entend sur le terrain, qu'on soit ou non en campagne électorale...
Vous prétendez que la réduction de la dette est une priorité, mais son niveau est inédit, et nous allons emprunter 285 milliards d'euros cette année. Nous sommes le troisième pays le plus endetté. Ce matin, le président du Haut Conseil des finances publiques estimait que l'on pouvait faire beaucoup mieux sans austérité. Pourquoi ne pas s'engager dans cette voie ?
Le compte n'y est pas pour le Haut Conseil des finances publiques locales. Le Gouvernement annonce très fièrement une augmentation de 220 millions d'euros des dotations - soit 0,8 % - alors que l'inflation des collectivités territoriales se situe entre 4 et 5 %. Cette année encore, il y aurait 1 milliard d'euros de perte. Les collectivités territoriales ne peuvent indéfiniment servir d'amortisseur ; de plus, les maires ont été extrêmement choqués que le Président de la République mette sur le dos des communes l'augmentation de la taxe foncière.
Avec Stéphane Sautarel, je suis rapporteur spécial sur les transports. La taxe sur les concessions devrait rapporter 600 millions d'euros. Quelle répartition est prévue entre les aéroports et les autoroutes ? Comment éviter toute répercussion sur les usagers ? Les contrats de concessions autoroutières sont plus favorables aux concessionnaires qu'aux usagers...
Comment se répartissent les 700 millions d'euros prévus pour les infrastructures, entre le routier et le ferroviaire, notamment pour la régénération et la modernisation du ferroviaire ?
Vous avez accepté qu'Île-de-France Mobilités augmente la part du versement mobilité. Les autres autorités organisatrices de la mobilité (AOM) veulent le faire ; cette autorisation est-elle un précédent ?
Mme Christine Lavarde. - Ma première question concerne le crédit d'impôt sur l'industrie verte, dont le coût cumulé a fortement augmenté entre les annonces initiales - 2 milliards d'euros - et ce qui figure dans le budget - 3,7 milliards d'euros... J'avais compris que les coûts associés à l'industrie verte devaient être nuls pour les finances publiques grâce aux économies sur les dépenses brunes. Comment assurez-vous cette neutralité ?
Vous êtes largement revenu sur le bonus écologique. Il nous est difficile d'avoir un avis éclairé sur les montants alloués aux bonus cette année si nous ne connaissons pas la grille des véhicules éligibles ou si nous la découvrons au milieu, voire à la fin de l'instruction du PLF. Il serait cohérent que nous en disposions avant l'examen des crédits de la mission.
Dernier sujet, plus compliqué : nous avons bien noté l'élargissement de l'enveloppe du FCTVA. De quelle enveloppe parlez-vous désormais : uniquement le compte 212 « Agencements et aménagement de terrains » et des sous-comptes 2121 et 2128 ? Que faites-vous alors des comptes 213 « Construction » et 215 « Réseaux » qui sont particulièrement utilisés dans l'aménagement des zones d'aménagement concerté (ZAC) ? L'aménagement des ZAC repose sur des contrats de concession. Pour qu'ils puissent être de nouveau éligibles au FCTVA, il faudrait revenir sur l'abrogation qui a été faite en loi de finances initiale (LFI) pour 2019 de l'article 1615-11 du code général des collectivités territoriales (CGCT). Parlementaires, nous ne pouvons faire cette modification, contrairement au Gouvernement. Je souhaite disposer de toutes ces précisions sur des dispositions réglementaires même si nous n'allons voter que des crédits consacrés au FCTVA.
Toujours sur le FCTVA, j'ai bien noté que dans la LPFP votée en 2022, 7 milliards d'euros de crédits étaient ouverts en 2024 ; dans la nouvelle LPFP corrigée, l'enveloppe atteint 7,1 milliards d'euros, soit une augmentation uniquement de 100 millions d'euros, ce qui n'est pas cohérent avec les 250 millions d'euros supplémentaires annoncés. Avez-vous revu la prévision des dépenses socles dans la trajectoire et avez-vous bien ajouté 250 millions d'euros, ou l'effort n'est-il que de 100 millions d'euros en 2024 ? Qu'en sera-t-il des dépenses de 2022 et de 2023 ? La règle risque d'être un peu différente entre ceux qui sont compensés en année N et ceux qui sont compensés avec retard.
M. Antoine Lefèvre. - Les perspectives financières du PLF et de la LPFP laissent supposer un optimisme gouvernemental dépassant la réalité des indicateurs macroéconomiques : non seulement la voilure des recettes budgétaires et fiscales se réduit, mais l'État se réengage dans un « quoi qu'il en coûte » court-termiste. Ce dimanche a été annoncé un nouveau chèque carburant pour les 50 % des ménages les plus modestes, avec à la clef une addition de plus de 500 millions d'euros. Il serait plutôt audacieux de se réjouir de prévisions de croissance à 1,4 % en 2024 quand le déficit demeurerait à 4,4 %, avec une charge de la dette de 285 milliards d'euros, faisant de la France le premier émetteur de la zone euro, d'autant que cette prévision de croissance ne saurait être atteinte qu'en respectant des conditions extrêmement optimistes, selon le Premier président de la Cour des comptes. La France sera le dernier pays, avec la Slovaquie, à repasser sous le seuil des 3 % en 2027. À l'aube de la renégociation des critères de Maastricht prévue en 2024, pensez-vous tenir un discours crédible devant nos partenaires européens ? La promesse de geler le livret A à 3 % jusqu'au 1er janvier 2025 pourra-t-elle être tenue ?
M. Christian Klinger. - Lundi, devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, vous avez indiqué que l'augmentation de la fiscalité du gazole non routier (GNR) pour les agriculteurs et les entrepreneurs de travaux publics serait affectée à l'accompagnement de ces professions. Quel sera le bilan financier global ? Toutes les recettes fiscales supplémentaires ont-elles vocation à être transformées en dépenses nouvelles ? Prévoyez-vous, dans le budget, d'affecter juridiquement ces recettes à des dépenses, et si oui, sous quelle forme et avec quel suivi ?
M. Daniel Breuiller. - Ce sera mon dernier commentaire général, puisque je quitte bientôt cette belle assemblée. Monsieur le ministre, vous avez une grande constance dans vos choix budgétaires. J'étais heureux de vous entendre parler de la « folle dépendance » au pétrole - il y a aussi une folle dépendance au gaz de schiste lorsqu'il se substitue au pétrole. J'encourage ces progrès sémantiques !
Les 7 milliards d'euros supplémentaires consacrés à la transition écologique sont une « moyenne » bonne nouvelle. J'attends de voir en détail les affectations, a priori plutôt dans l'industrie verte que dans d'autres champs de la transition. Nous vous proposerons des aménagements. Si nous voulons tenir la trajectoire Pisani-Mahfouz, cela supposerait que les collectivités territoriales investissent 14 milliards d'euros... Comment le pourraient-elles ? Les 220 millions d'euros supplémentaires au titre de la DGF ne permettent pas une hausse, car ce montant n'empêche, en réalité, pas une baisse de la capacité d'action des collectivités territoriales, monsieur Cazenave. Ce n'est pas à vous que je dois le faire exprimer publiquement ! Les collectivités auront des difficultés à prendre leur part à cette transition alors qu'elles en sont un maillon essentiel.
Je vous remercie de reprendre quelques-unes de nos propositions que vous aviez rejetées pour le PLF 2023 : l'augmentation MaPrimeRénov', la taxation des autoroutes, la réduction de l'avantage défiscalisé d'Airbnb, ainsi que le report de la suppression, hasardeuse, de la CVAE. Mais vous prenez des décisions par petites touches sans changer vos choix fondamentaux.
Vous avez évoqué un triangle contraint, auquel j'ajouterai un côté : le refus de tout nouveau prélèvement sur les plus aisés, y compris sur les superprofits, même si vous avez fini par obtenir une taxation européenne.
Financer les services publics et la transition écologique nécessite de trouver de nouvelles recettes, sinon nous nous perdrons dans le triangle des Bermudes. Nous subissons actuellement un réchauffement de 1,2 degré, avec des conséquences dramatiques chaque année, et nous nous avançons vers une France à + 3,5 ou 4 degrés. Personne ne peut dire ce qu'il en sera... La dette climatique est au moins aussi importante que la dette financière et peut bouleverser totalement notre cohésion sociale. Faites preuve d'intelligence : plutôt que d'attendre un an pour amender, écoutez attentivement les amendements proposant un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) vert pour financer davantage cette transition. D'autres amendements écologistes pourraient enrichir ce budget puisqu'il est ouvert et non bouclé, selon M. Cazenave.
M. Claude Raynal, président. - Merci pour cette dernière intervention en commission.
M. Jean-Michel Arnaud. - Vous cherchez des recettes complémentaires. J'espère que vous intégrerez la proposition du président Marseille de taxer les profits exceptionnels. Il s'agit non pas de faire l'aumône auprès des grands groupes pétroliers, mais de faire en sorte que ceux qui se sont gavés puissent restituer une partie de leurs surprofits. Je vous remercie des soutiens fiscaux pour l'accession à la propriété des ménages.
J'ai noté la prorogation de quatre ans du PTZ. Acceptez qu'il ne soit pas uniquement dédié aux ménages modestes urbains dans des logements collectifs, mais aussi aux jeunes gens dans les campagnes, y compris pour une maison individuelle, qui reste le modèle dominant dans le secteur agricole.
Je vous remercie d'avoir annoncé ce matin, dans la presse, que vous étiez favorable au report de l'interdiction de location de certains logements disposant d'un mauvais classement énergétique. Pouvez-vous nous le confirmer ici ? J'espère que vous vous en ferez l'avocat au sein du Gouvernement pour éviter une crise majeure du logement.
Cet été, nous avions évoqué à Briançon le bouclier tarifaire. J'ai lu avec attention la prolongation temporaire du bouclier tarifaire sur l'électricité. Qu'en est-il des discussions entre EDF et des opérateurs publics ou parapublics, comme des communes ou des régies de remontées mécaniques, qui ont été méprisées par EDF dans sa dernière proposition ? EDF leur propose 50 euros pour un surcoût de 400 euros par rapport aux factures habituelles. Par exemple, la commune de Saint-Léger-les-Mélèzes se retrouve en grande difficulté faute de pouvoir payer ses factures : 90 % du déficit lié à ce surcoût n'est pas compensé ni accompagné par l'État. La collectivité est en grave difficulté.
Mme Frédérique Espagnac. - Tout à fait.
M. Didier Rambaud. - La création d'un impôt minimum pour les grandes entreprises et les multinationales est une mesure phare de ce PLF. Pour sortir de l'ambiance un peu rabat-joie de cette commission,...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est une mauvaise interprétation !
M. Didier Rambaud. - ...il s'agit d'une victoire pour notre pays : depuis 2017, la France agit aux côtés de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Peut-on envisager une application au niveau européen pour les particuliers ?
Sur la TVA, le ministre Cazenave a décliné toutes les mesures. Le Sénat était particulièrement actif sur la lutte, complexe, contre la fraude à la TVA. Quelles sont les prochaines étapes de cette lutte ?
M. Bernard Delcros. - Nous saluons le crédit d'impôt pour les industries vertes. Quelles filières concernera-t-il, et avec quelle ventilation ?
Nous saluons le plan de lutte contre la fraude et les moyens consacrés. Avez-vous évalué les recettes potentielles qui en résulteraient ?
Plusieurs dizaines de niches fiscales arrivent à échéance en fin d'année. Allez-vous les évaluer pour savoir s'il faut les reconduire ?
Je m'associe à MM. Canévet et Arnaud sur le PTZ : le recentrage ne doit pas se faire au détriment des zones rurales. Attention aux définitions : dans une zone non tendue, on ne doit pas priver des jeunes d'accéder à la propriété. C'est un sujet extrêmement sensible et plus important qu'il n'y paraît. J'en appelle à votre bienveillance et à la concertation.
M. Albéric de Montgolfier. - Monsieur Cazenave, je vous invite à lire et à écouter le Sénat à la veille du PLF : si le Gouvernement l'avait écouté sur la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), nous n'aurions pas eu le mouvement des « Gilets jaunes » ; et nous aurions eu depuis sept ans la taxation solidaire des plateformes...
Êtes-vous prêts à nous communiquer l'avis du Conseil d'État sur le PLF ? Sinon, pour quelles raisons ? Avez-vous quelque chose à cacher ?
M. Thierry Cozic. - Ce PLF ressemble à un vertigineux exercice d'équilibrisme, tant le « trilemme » auquel vous souhaitez faire face est antinomique. Cet exercice chute devant la nécessité affichée d'engager la transition écologique, tout en maintenant la cohésion sociale, et en mettant en place des politiques d'austérité budgétaire. Vous ne voulez pas de hausse d'impôt et souhaitez verdir l'économie, mais avec peu de mesures pour augmenter le pouvoir d'achat.
Vous voulez investir massivement dans la transition écologique. Mais sans nouvelles recettes fiscales et en baissant trop les dépenses publiques comme l'éducation ou le social, vous aboutissez à un triangle d'incompatibilités.
Pour faire face à nos engagements de réduction des gaz à effet de serre d'ici à 2030, les besoins de financement sont importants, selon le rapport Pisani-Mahfouz. Le financement de la transition climatique représenterait un surcroît d'investissement de 2,3 % du PIB par an, soit 66 milliards d'euros. Nous en sommes très loin !
Selon Pierre Mendès-France, « gouverner c'est choisir ». Choisir, c'est aussi renoncer. En refusant les moyens nécessaires à la transition écologique, vous renoncez à vos propres engagements.
Monsieur Cazenave, vous reconnaissiez récemment nos deux dettes, l'une budgétaire, l'autre écologique. Au regard de vos choix dans ce PLF, la première semble conditionner la seconde. Pourtant, des solutions existent et le groupe socialiste en propose, comme l'ISF vert et le renforcement de la progressivité de l'impôt. Les personnes ayant la chance d'avoir une meilleure situation doivent contribuer davantage. Seriez-vous prêt à soutenir ces mesures de bon sens pour combler ces deux dettes, tout en faisant preuve de justice sociale ?
M. Stéphane Sautarel. - Le désendettement mériterait d'être plus important. Je reviens sur l'inflation et le rythme de la transition écologique. Vous avez évoqué les contraintes normatives et réglementaires sur les bâtiments et la mobilité. Si ces aspects étaient reconsidérés dans le contexte de l'inflation actuelle, ils ne coûteraient pas à l'État. Nous appelons à une réforme réglementaire et de révision du calendrier dans lequel nous sommes engagés sur de nombreux sujets, dont le rythme n'est pas soutenable actuellement.
Mon deuxième point concerne les collectivités territoriales. Je ne reviendrai pas sur la DGF et le FCTVA, qui ont déjà été évoqués. Je dirai simplement qu'il convient que le Gouvernement fasse davantage confiance aux collectivités territoriales. Le ministre des comptes publics a dit que nos coûts de structure étaient importants. Il suffirait pourtant de supprimer un certain nombre d'agences ou d'opérateurs de l'État et de faire confiance aux collectivités territoriales pour faire « maigrir » notre dépense publique ! Je suis d'ailleurs surpris, à cet égard, que vous proposiez d'augmenter le nombre de postes au sein des opérateurs de l'État.
Enfin, je voudrais vous interroger sur les RER métropolitains. Une enveloppe de 700 millions d'euros est prévue dans le projet de loi de finances, mais, au printemps, il était question de 800 millions d'euros dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER) et l'on sait que le coût de réalisation des 13 RER métropolitains identifiés s'élève à 15 ou 20 milliards d'euros. Ces dépenses ne seront pas soutenables pour les collectivités si une ingénierie financière spécifique n'est pas mise en place. En tout cas, je note l'écart entre les annonces du Gouvernement et les crédits réellement débloqués.
Mme Frédérique Espagnac. - Vous avez annoncé, dans une interview parue dans Le Parisien, la réduction de l'abattement fiscal - actuellement de 71 % - pour la location de meublés de tourisme classés dans les zones tendues, afin de l'aligner sur celui de la location classique de meublés, qui s'élève à 50 %. Comptez-vous également réviser les plafonds - très élevés - de revenus locatifs qui permettent de bénéficier de ce régime : ces derniers s'établissent à 188 700 euros pour la location de meublés classés et à 77 000 euros pour les autres meublés. À titre de comparaison, les loueurs de logements nus de longue durée ne bénéficient que d'un abattement de 30 % si les revenus locatifs n'excèdent pas 15 000 euros : ce dernier régime reste donc désavantageux, alors même que la location vide est moins rentable. Ce sujet est particulièrement sensible dans les Pyrénées-Atlantiques et au Pays basque.
Avec Bernard Delcros, nous avons rédigé deux rapports, l'un dans le cadre de nos travaux au Sénat et l'autre qui a été remis à Jean Castex, alors Premier ministre, sur la préservation des zones de revitalisation rurale (ZRR). Nous préconisions notamment, afin d'accompagner la revitalisation des communes, la création d'un dispositif complémentaire, les ZRR+, qui comporterait une bonification de la dotation de solidarité rurale (DSR), des exonérations fiscales pour les entreprises, mais aussi pour le secteur médical et celui des aides à la personne, notamment les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. Je voudrais donc vous interroger sur l'automaticité de ces exonérations fiscales, notamment pour les entreprises et les professions libérales, et sur les aides destinées aux collectivités. Ce projet de loi de finances comporte-t-il des mesures concernant les ZRR ?
M. Charles Guené. - Les relations entre l'État et les collectivités territoriales ne sont pas bonnes ! Le Gouvernement a pourtant installé cette année le Haut Conseil des finances publiques locales. Est-ce le résultat des échanges épistolaires que nous avons eus ? Cette initiative en tout cas est intéressante et je m'en réjouis, mais tout n'est pas encore formalisé ni bien défini. Certaines personnes n'ont pas été invitées et le cadre reste informel.
Surtout, pour que le dispositif fonctionne, il faut de la confiance. Hier, au Comité des finances locales (CFL), nous devions nous prononcer sur un projet de décret précisant les modalités de répartition de la part dynamique de TVA à la suite de la suppression de la CVAE. Les ministres et leurs services nous ont bien expliqué quel serait le montant de TVA qui serait perçu par les collectivités, mais lorsqu'il s'est agi d'obtenir des éclaircissements sur les 650 millions qui avaient été distraits l'an passé au profit de la finance verte et des départements, nous n'avons pas eu d'explication et la discussion s'est arrêtée là. C'est typique : le Gouvernement et les collectivités ne cessent, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, de se renvoyer la balle et la responsabilité, au lieu de parler du fond des sujets. Si l'on veut avancer, il faut parler vrai, tout mettre sur la table et éviter de passer notre temps à nous chicaner.
M. Jean-Baptiste Blanc. - Dans un entretien publié dans Le Parisien, vous avez proposé de réviser le barème du prêt à taux zéro pour mieux l'ouvrir aux jeunes ménages et de créer un prêt à taux bonifié. Or le texte du projet de loi de finances ne contient pas ces mesures ; il réduit au contraire la portée du prêt à taux zéro. Comptez-vous introduire vos propositions par voie d'amendement ? Ma question fait écho à celle de Jean-Michel Arnaud sur le zéro artificialisation nette (ZAN) ; nous ferons d'ailleurs des propositions sur ce sujet dans les prochaines semaines. C'est aussi la question de l'avenir du modèle pavillonnaire en milieu rural qui est posée.
L'article 17 limite dans le temps ou supprime vingt et une dépenses fiscales, dont douze qui concernent le logement. S'agit-il seulement de modifications techniques ? Quelle est votre réflexion sur la réorientation, nécessaire, de ces dépenses fiscales vers la transition écologique et la réduction de l'artificialisation dans le logement et l'urbanisme ?
Enfin, que pouvez-vous nous dire concernant la réforme de la fiscalité des locations meublées ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Vos questions sont nombreuses... Nous allons nous efforcer d'y répondre, avant de retourner sur les bancs de l'Assemblée nationale pour l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques.
M. Canévet m'a interrogé sur le report de la suppression de la CVAE : il est sage, alors que la situation de nos finances publiques est tendue, d'étaler dans le temps la baisse de la CVAE, même si je suis convaincu que la diminution des impôts de production est une nécessité absolue. Plus tôt nous pourrons supprimer ces derniers, mieux cela sera pour l'industrie française ! Les effets positifs de la réindustrialisation sont nombreux : revitalisation de certains territoires, meilleurs salaires, hausse de la qualification et de la productivité des salariés, etc.
En ce qui concerne les abattements sur le GNR pour les agriculteurs, les entreprises de travaux publics et les transporteurs routiers, les situations de ces secteurs sont très différentes. Les droits d'accise sur le gazole s'élèvent à 60,75 centimes d'euro par litre de carburant. Pour les agriculteurs, ils sont de 3,89 centimes, soit le niveau le plus faible en Europe. Dans les travaux publics, ils sont un peu plus élevés. Pour les transporteurs, ils s'établissent actuellement à 42 centimes, soit plus que la moyenne européenne.
Nous avons eu des discussions avec ces secteurs pendant six mois et nous avons trouvé des accords. Il me semble que cette méthode est exemplaire si nous voulons réussir la transition écologique, trouver des consensus, comprendre les contraintes de chacun et apporter des réponses. La brutalité, ça ne marche pas ! On ne fera pas la transition écologique à coup de diktats. Il faut associer les gens, les écouter et trouver des solutions. En tout cas, telle sera toujours ma méthode.
Avec les agriculteurs, nous nous sommes mis d'accord sur une augmentation des accises de 2,85 centimes par litre de carburant, par an, jusqu'en 2030. À cette date, les agriculteurs conserveront un avantage fiscal très élevé, de presque 50 % par rapport au niveau des accises sur le gazole en France : ce n'est que justice et cela me paraît être un bon accord.
Les entreprises des travaux publics ne sont pas, à la différence des agriculteurs, exposées à la concurrence internationale. En outre, elles bénéficient d'une indexation des contrats sur l'inflation. Pour ce secteur, l'évolution sera un peu plus rapide, avec une hausse des accises de 5,99 centimes par litre de carburant par an.
La hausse sera ainsi lissée dans le temps et l'intégralité des recettes fiscales supplémentaires ira aux secteurs concernés. Certes, il ne s'agit pas d'une affectation juridique, car le droit ne permet pas d'affecter ces taxes, mais, grâce à une transparence totale, il sera possible de vérifier que les recettes supplémentaires iront bien à la transformation des exploitations agricoles et des entreprises de travaux publics.
Nous avons abouti à ces accords après six mois de discussions et des dizaines de réunions. C'est la bonne méthode, j'y insiste, en matière de transition écologique. On n'impose pas, on discute et on trouve des compromis. Certes cela prend du temps. Toutefois je préfère cette méthode à ceux qui font des déclarations péremptoires dans les médias pour affirmer qu'il faut supprimer tous les avantages fiscaux sur le GNR, mais qui, finalement, décident de ne rien faire lorsqu'ils sont confrontés aux protestations et aux manifestations des professions concernées. Entre ne rien faire et sortir progressivement des énergies fossiles, je préfère la seconde option.
Monsieur Maurey, il n'y a pas d'autosatisfaction dans mes propos. Je rappelle simplement les bons résultats de l'économie française, que l'on doit aux salariés et aux entrepreneurs. Oui notre dette est élevée, mais elle est soutenable : le spread, l'écart de taux d'intérêt avec l'Allemagne, est stable depuis 2022, autour de 50 ou 60 points de base et n'a pas explosé. C'est la preuve que nous devons maintenir notre trajectoire de désendettement.
La taxe sur les infrastructures de transport de longue distance devrait rapporter environ 600 millions d'euros - 150 millions prélevés sur les aéroports et 450 millions sur les concessions autoroutières. À ceux qui pensent que cette taxe aboutira à une explosion du prix des péages, je rappelle que nous nous sommes assurés auprès du Conseil d'État que l'instauration de cette taxe ne modifierait pas la règle selon laquelle les tarifs des péages sont fixés par arrêté du Gouvernement. Ils suivent l'inflation, mais les sociétés concessionnaires d'autoroutes ne pourront pas répercuter cette taxe sur les usagers. Cette dernière ne vise qu'à faire en sorte que les activités polluantes, qui utilisent des énergies fossiles et brunes, financent la transformation écologique du pays et le transport ferroviaire.
Madame Lavarde, le coût du crédit d'impôt sur les industries vertes n'a pas changé. Cela dépend de la période de référence. Nous prenons 2030, soit un niveau plus élevé qu'en 2027 : 3,7 milliards d'euros - qui devraient rapporter 23 milliards d'euros d'investissement - iront principalement aux batteries électriques. Nous ouvrons énormément d'usines de batteries électriques en France, par exemple dans le Vercors. Une partie plus modeste ira aux éoliennes, aux panneaux photovoltaïques et aux pompes à chaleur... Nous souhaitons accélérer la montée en puissance.
Accorder un crédit d'impôt sur ce type d'activité n'a de sens que si l'on favorise la production industrielle française et européenne. Je suis déterminé à livrer ce combat. Il ne sert à rien de développer l'industrie verte pour avoir nos propres pompes à chaleur, batteries et véhicules électriques si l'on donne des bonus à des industries extra européennes. Je plaide pour que, comme en Chine et aux États-Unis, il y ait des aides à contenu européen : soit un produit industriel comprend 60 % de contenu européen et il a droit à l'aide, soit il ne la touche pas. Cela heurte beaucoup la doxa de certains en Europe, mais ce n'est pas le premier combat que je livre - je pense aux GAFA, à la taxation minimale, à la taxe carbone aux frontières... Je compte sur le soutien de la représentation nationale.
Nous n'avons pas encore rendu les derniers arbitrages sur le bonus. Nous voulons augmenter les aides à l'achat d'un véhicule électrique pour les classes moyennes et modestes. Cela n'a de sens que si ces aides sont réservées aux véhicules les plus respectueux de l'environnement. Ceux-ci sont produits en Europe : tant mieux !
Monsieur Lefèvre, nos prévisions de croissance sont en phase avec celles de l'OCDE et du Fonds monétaire international (FMI).
Le taux du livret A sera bien maintenu à 3 %. J'ai signé un arrêté et j'ai l'habitude de respecter ma signature.
Monsieur Klinger, j'ai répondu sur la fiscalité du GNR et l'affectation.
Je salue la dernière intervention de Daniel Breuiller et le remercie pour la qualité du travail que nous avons fait ensemble. Oui, nous évoluons. Si le débat au Parlement ne faisait pas progresser les parlementaires et les ministres, il ne servirait à rien. Voilà l'intérêt du débat démocratique serein et approfondi qui a lieu au Sénat : faire bouger les lignes. Nous l'avons fait sur MaPrimeRénov' - augmentée de 1,6 milliard d'euros - sur la CVAE - je veux aller le plus vite possible - et sur les locations Airbnb - nous allons modifier la fiscalité. Je me félicite de ces victoires utiles pour la collectivité.
Monsieur Arnaud, je suis prêt à parler de la contribution sur la rente inframarginale, c'est-à-dire les recettes récupérées sur les profits élevés réalisés par certains énergéticiens. Mise en place en 2022 par l'Union européenne, prorogée en 2023, elle s'arrête à la fin de l'année. Si les parlementaires veulent la maintenir, nous sommes ouverts à la discussion.
L'interdiction de location des passoires thermiques commençait pour les logements classés G+ au 1er janvier 2023. Je demande que l'application soit soutenable pour les propriétaires. Or cela pose problème dans de nombreuses copropriétés où il n'y a pas d'accord. On ne peut pas leur dire : « débrouillez-vous ! ». Les solutions sont encore beaucoup trop complexes actuellement.
Les diagnostics de performance énergétique (DPE) sont-ils l'instrument le plus efficace pour évaluer une passoire thermique ? Ils favoriseraient le chauffage au gaz, au détriment de celui à l'électricité. Est-ce cohérent ? Je suis ministre, mais aussi citoyen : j'écoute mes compatriotes, qui veulent plus de clarté, de simplicité et d'accompagnement. Ils ont raison. Tel était l'objet de la discussion que j'ai eue avec des lecteurs du journal Le Parisien. Ces discussions sont aussi utiles que celles avec le Parlement pour la présentation du budget.
Redonnez-moi la liste des communes concernées par la renégociation avec EDF. Je suis agacé : il y a un principe. J'ai demandé au président d'EDF de faire preuve de diligence. Quand une commune s'approvisionne à des tarifs beaucoup trop élevés, elle doit pouvoir renégocier ses contrats. J'apprends par des maires ruraux ou de montagne qu'EDF leur accorde généreusement un chèque de 50 euros par mois. Ce n'est pas possible !
M. Jean-Michel Arnaud. - Exact.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Donnez-moi la liste des communes et leurs contrats. Mon énergie est inépuisable pour défendre nos concitoyens et nos communes.
Monsieur Rambaud, l'impôt minimum sur les multinationales sera mis en place à partir de 2025 et apportera des recettes en 2026. Il est possible de prévoir la même chose pour les particuliers, mais seulement au niveau européen. Il ne s'agit pas de pénaliser la France fiscalement. Si l'on m'explique que les plus fortunés voient, pour des raisons légales, leur niveau d'imposition baisser, et qu'il faudrait mettre en place une telle imposition européenne minimale, je suis prêt à en discuter. Je l'ai fait pour les plus grandes entreprises, qui avaient les moyens de réduire leur impôt en dessous des 15 %.
Monsieur Delcros, je vous ai répondu sur le crédit d'impôt pour les industries vertes.
Monsieur de Montgolfier, la commission des finances du Sénat peut accéder à l'avis du Conseil d'État. Je ne souhaite pas rendre celui-ci public, car cela pourrait donner des arguments à nos adversaires pour attaquer les dispositifs fiscaux français. Le risque est trop élevé. Le président et le rapporteur général de votre commission ont tout pouvoir pour fournir ces informations aux sénateurs, en s'assurant qu'elles ne soient pas divulguées.
Monsieur Cozic, l'indexation des prestations est une réponse très efficace au pouvoir d'achat, sans compter la contribution sur les carburants.
Monsieur Sautarel, je suis d'accord avec vous sur le rythme de la transition écologique.
Madame Espagnac, je vous confirme un abattement de 71 à 50 % pour les locations de meublés classés dits principalement Airbnb. Nous ferons attention à ce que les gîtes ruraux ne soient pas concernés ; c'est une vraie inquiétude. Enfin, nous alignerons les seuils - 288 700 euros à 72 600 euros - pour que la mesure soit efficace, juste et qu'elle protège le Pays basque cher à notre coeur à tous les deux.
Monsieur Guené, le HCFPL est un instrument extraordinairement efficace, permettant un dialogue d'égal à égal entre l'État et les collectivités territoriales. Je n'en peux plus des postures et des pétitions de principe où, par médias interposés, on dit que l'État reproche aux collectivités territoriales d'avoir un niveau d'épargne brute trop élevé, tandis que les collectivités territoriales se plaignent d'être fauchées. Il faut discuter sérieusement autour de la table. La composition finale du HCFPL n'est pas arrêtée. Je cherche l'efficacité et la simplicité, d'où la nomination de représentants de l'Association des maires de France (AMF), de Régions de France et de l'Assemblée des départements de France (ADF). Oui à un possible élargissement à d'autres associations d'élus, mais sans être cinquante...
Monsieur Blanc, les évolutions sur le PTZ ne figurent pas dans le PLF, car elles sont le fruit de la discussion avec les députés. Nous avons reconnu que le choix gouvernemental initial était trop fermé. La redéfinition du barème du PTZ faisait qu'avec des taux plus élevés et des apports plus faibles, plus personne ou presque ne pouvait en profiter. Tel n'était pas l'objectif. Nous devons faire évoluer le barème pour que les classes moyennes aient accès au PTZ. Je suis prêt également à réviser des éléments de zonage et à travailler sur un prêt à taux intermédiaire, un peu inférieur au prix du marché.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Monsieur Canévet, après le rapport sur les Ehpad de Christine Pires Beaune à la Première ministre, un fonds d'urgence de 100 millions d'euros a été mis en place. Nous expérimentons par ailleurs dans le PLFSS de nouveaux modes de financement. Il s'agit d'une réforme structurelle.
Monsieur Laménie, je vous renvoie aux travaux du rapporteur général de l'Assemblée nationale : l'autonomie fiscale des collectivités territoriales baisse, mais leur autonomie financière augmente. Dans le dernier PLF, nous avons ouvert plusieurs outils appréciés des élus locaux comme la majoration de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires (THRS) et nous avons étendu le périmètre d'application de la taxe sur les logements vacants. Cela leur permettra de répondre aux difficultés de logement.
La DGF augmentera de 220 millions d'euros après une hausse de 320 millions d'euros, et le fonds vert augmentera pour s'établir à 2,5 milliards d'euros. Les concours financiers augmentent de plus de 1 milliard d'euros entre le PLF 2023 et le PLF 2024.
Monsieur Maurey, la taxe foncière est un impôt 100 % local. La majorité ne souhaite pas revenir sur l'évolution des bases foncières votée en 2016, indexée sur l'inflation. Les élus peuvent donc faire tous les choix possibles : soit baisser leur taux face à l'augmentation de la base, soit le maintenir - comme l'ont décidé 85 % des communes -, soit l'augmenter. C'est très bien ainsi. Nous avons dû batailler à l'Assemblée nationale contre des groupes d'opposition qui voulaient plafonner l'évolution des bases foncières. Notre solution est plus respectueuse de la libre administration des collectivités territoriales et de leur autonomie fiscale, mais l'État n'est pour rien dans l'évolution de la taxe foncière.
Madame Lavarde, effectivement ce n'est pas à travers le PLF qu'on choisit les comptes éligibles au FCTVA. Je vous confirme que seul le compte 212 est concerné, et non les comptes 213 et 214. Nous ne faisons pas de rétroactivité en raison du coût que cela représenterait pour les finances publiques. Toutes les associations d'élus ont salué notre décision et le périmètre concerné : 250 millions d'euros, ce n'est pas rien dans la période actuelle. On ne retrouve pas exactement ces chiffres dans la LPFP, car c'est une chronique progressive. On arrivera à 250 millions d'euros en 2026. Je suis à votre disposition pour vous apporter davantage de précisions.
Monsieur Breuiller, il ne faut pas comparer les 7 milliards d'euros de la transition écologique de l'État avec la part publique du rapport Pisani-Mahfouz. Bien sûr, il n'y a pas de transition écologique sans les collectivités territoriales. Nous encourageons l'investissement par le fonds vert, nous réorientons les investissements vers les enjeux de la transition écologique, nous mobilisons 100 milliards d'euros de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) sur les enjeux climat. Un amendement voté lundi soir en commission des finances de l'Assemblée nationale sur la LPFP prévoit une trajectoire pluriannuelle de financement de la transition écologique, ce qui permettra de faire toute la clarté sur les financements publics et privés. Cela était attendu par de nombreux groupes politiques.
Les ministres Christophe Béchu et Dominique Faure déclineront les enjeux de la transition écologique dans des COP régionales. C'est une bonne méthode.
Monsieur Rambaud, les prochaines étapes de lutte contre la fraude à la TVA sont notamment le dropshipping, pour lutter contre ceux qui, sur des sites internet, importent des produits fabriqués à l'extérieur et les revendent en France sans application de la TVA. Nous allons renforcer notre dispositif pour les sanctionner. L'injonction numérique permettra de déréférencer sur des plateformes de commerce en ligne des entreprises qui ne respectent pas leurs obligations fiscales. Nous créerons aussi une représentation fiscale unique pour collecter la TVA, car ces sujets sont extrêmement techniques. Il est parfois très difficile, pour les agents de la DGFiP, de remonter la fraude à la TVA.
Monsieur Delcros, tant pour les dépenses fiscales que sociales, nous allons plafonner et conserver l'échéance à trois ans de toutes les niches pour garantir leur bonne évaluation. Bruno Le Maire vous a répondu sur votre proposition de travail sur le PTZ.
Monsieur de Montgolfier, je suis très heureux d'échanger au Sénat. Vous aviez fait des propositions de lutte contre la fraude à la TVA dans vos travaux antérieurs, qu'on retrouve dans notre plan contre la fraude : nous nous inspirons des travaux des deux chambres.
Monsieur Sautarel, je suis très preneur de vos pistes d'économies pour l'État, les agences et les collectivités territoriales. Je vous invite à participer à la revue de mission pour réaliser des réformes structurelles. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues pour ce chantier colossal.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie. Je salue Gérard Longuet qui nous a toujours bluffés par la qualité de ses interventions en tant que rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire ». Je remercie également Charles Guéné, rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », ainsi que Daniel Breuiller, rapporteur spécial de la mission « Travail et emploi ». Deux heures après son arrivée pour remplacer une sénatrice élue à l'Assemblée nationale, il parlait comme s'il était là depuis six ans ! C'est un vrai savoir-faire. Merci pour tous vos apports à notre commission.
II. AUDITION DE M. PIERRE MOSCOVICI, PRÉSIDENT DU HAUT CONSEIL DES FINANCES PUBLIQUES (27 SEPTEMBRE 2023)
Réunie le mercredi 27 septembre 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis du Haut Conseil relatif au projet de loi de finances pour 2024, au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 et au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.
M. Claude Raynal, président. - Nous recevons M. Pierre Moscovici en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), organisme indépendant placé auprès de la Cour des comptes. En application des dispositions de l'article 61 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), le Haut Conseil rend un avis sur les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de l'année, et sur la cohérence de l'article liminaire au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel et de dépenses des administrations publiques. Il se prononce également sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses du projet de loi de finances de l'année.
Lorsque le Gouvernement révise les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposait initialement son projet, le Haut Conseil rend également un avis sur ces prévisions et sur l'estimation de PIB potentiel sur lesquelles repose cette programmation. C'est ce qu'il a fait à l'occasion de la révision du projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour la période 2023-2027 proposée par le Gouvernement en vue de la nouvelle lecture, après l'échec de la commission mixte paritaire (CMP) de décembre dernier.
Alors que la croissance devrait être très modérée en 2024, dans le contexte d'un nouveau durcissement de la politique monétaire et d'une stagnation de la croissance mondiale, votre éclairage sur la sincérité et la crédibilité de la trajectoire budgétaire, présentée à la fois, pour l'année qui vient, mais également pour la période quinquennale à venir, sera précieux. Je note en particulier le fait que le scénario macroéconomique sur lequel repose la programmation pluriannuelle, et dans certaines hypothèses le PLF pour 2024, vous paraît optimiste. Dès lors, il est permis de penser que la trajectoire pourrait être difficile à respecter...
M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques. - Le Haut Conseil, qui avait rendu un avis sur la programmation des finances publiques l'année dernière, a de nouveau été saisi, conformément à la Lolf, par le Gouvernement, celui-ci-ayant modifié ses hypothèses macroéconomiques et mis à jour la trajectoire de finances publiques associée.
Dans un premier temps, je présenterai l'avis relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2024.
Le Haut Conseil des finances publiques a examiné les prévisions économiques ainsi que le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses. Il a bénéficié de la part de l'administration fiscale d'informations enrichies sur les finances publiques, et ce dans des délais normaux. Je me félicite de cet échange de bonne qualité car le Haut Conseil peut ainsi mieux remplir son mandat, conformément à la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.
Le scénario macroéconomique du Gouvernement pour 2024 repose sur une prévision de croissance de + 1,4 %, que le Haut Conseil juge élevée. La prévision d'un solde public de - 4,4 points de PIB paraît, de ce fait, optimiste. En effet, la croissance mondiale a faibli en 2023 et devrait rester globalement inchangée en 2024, pénalisée par une inflation certes en baisse, mais toujours assez élevée, et par des politiques monétaires durablement restrictives au sein des pays développés. L'environnement économique mondial est donc peu porteur pour la croissance française et nos finances publiques. Le rebond de la croissance chinoise, résultant de la fin de la politique zéro covid, a été de courte durée. Parallèlement, les pays de la zone euro traversent une phase de ralentissement. La croissance allemande, dont le retour est prévu pour 2024, devrait demeurer modeste, entre 1 % et 1,3 %, sur une base dégradée. Au niveau mondial, l'incertitude règne concernant l'inflation et l'impact du durcissement des politiques monétaires opéré par les banques centrales.
Selon le Gouvernement, la croissance du PIB de la France s'établirait à + 1 % en 2023 et à + 1,4 % en 2024. La prévision pour 2023, jugée un peu élevée par le HCFP l'année dernière, est désormais plausible. C'est l'occasion pour moi de rappeler que la qualité d'une prévision économique doit être jugée par rapport au moment où elle est faite et aux informations disponibles. Il peut arriver qu'une prévision soit dépassée ; pour autant, elle doit être « centrale ».
Le HCFP considère que la prévision de croissance gouvernementale pour 2024 est élevée. Elle est ainsi supérieure à celle résultant du consensus des économistes, qui s'établit à + 0,8 %, ainsi qu'aux prévisions des institutions consultées par le Haut Conseil, qui prévoient une croissance située entre + 0,4 % et - pour la Banque de France - + 0,9 %. Certaines hypothèses du Gouvernement sont fragiles. Ce dernier suppose ainsi que le durcissement des conditions de crédit aura un impact limité sur l'investissement des entreprises et entraînera un faible recul de l'investissement des ménages. Même si cette prévision n'est pas inatteignable, elle ne constitue pas pour autant une bonne base en vue de l'élaboration de la loi de finances.
La prévision de solde public de - 4,4 points de PIB, sans être là encore inatteignable, paraît optimiste. Du côté des recettes, la prévision de prélèvements obligatoires pour 2024 est élevée, tirée par des hypothèses favorables sur le rendement de certains impôts : croissance de la TVA supérieure à celle de la base taxable ; arrêt prévu de la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Quant aux dépenses, elles augmenteraient en 2024 de 3 % en valeur et de 0,5 % en volume. La progression serait nettement plus sensible, une fois neutralisées les mesures exceptionnelles de soutien face à la hausse des prix, soit 4,8 % en valeur et 2,2 % en volume. L'essentiel des économies présentées, c'est-à-dire quelque 16 milliards d'euros, provient du retrait de ces dispositifs, les économies structurelles étant nettement plus faibles.
En 2024, le niveau des dépenses publiques comparé au PIB sera supérieur de 1,5 point à ce qu'il était avant la crise du covid. Sur le nouveau champ dit du périmètre des dépenses de l'État, la très forte réduction du coût des mesures de soutien face à la montée des prix de l'énergie serait presque compensée par la hausse résultant des priorités gouvernementales - 7 milliards d'euros dédiés à la transition écologique ; 3 milliards d'euros pour l'éducation nationale ; des crédits supplémentaires pour les politiques sectorielles de la défense, de la justice, de la recherche et de l'intérieur. Enfin, la charge d'intérêts augmenterait en 2024 de 10 milliards d'euros par rapport à 2023.
La prévision de hausse des dépenses publiques est susceptible d'être dépassée du fait de facteurs tels que le bouclier tarifaire sur le prix de l'électricité et les dépenses de santé de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam).
Le HCFP considère donc que la prévision de déficit public en 2024 est optimiste. Ce déficit demeurera sensiblement supérieur à la limite de 3 points de PIB prévue par le pacte de stabilité et de croissance (PSC). En outre, alors que le Conseil de l'Union européenne demandait à la France de plafonner à 2,3 % l'augmentation nominale des dépenses primaires nettes financées au niveau national en 2024, le Gouvernement prévoit sur ce même périmètre une augmentation de 2,6 %.
Le projet de loi de finances contient peu de mesures d'économies structurelles. Enfin, le ratio de dette publique par rapport au PIB ne baisserait plus en 2024, après une diminution de 2 points en 2023. La croissance en valeur du PIB, moins forte en 2024 qu'en 2023 du fait du repli de l'inflation, devient moins favorable.
C'est pourquoi le Haut Conseil continue à appeler à la plus grande vigilance quant à la soutenabilité à moyen terme des finances publiques.
Dans un second temps, je présenterai l'avis du Haut Conseil relatif à la révision du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.
Il est indispensable que la France se dote d'une loi de programmation des finances publiques pour les raisons suivantes : elle fait partie intégrante de notre ordre public financier ; c'est une nécessité politique et de bonne gestion ; c'est un engagement pris par la France au niveau communautaire, ainsi que dans le cadre du plan national de relance et de résilience (PNRR). Je souhaite donc ardemment qu'une LPFP soit votée.
Le HCFP a examiné l'estimation par le Gouvernement de la position de l'économie française au sein du cycle économique. Les deux hypothèses retenues dans le projet de LPFP sont optimistes. Le Gouvernement a légèrement révisé à la baisse son estimation du PIB potentiel, mais son évaluation de l'écart de production traduit toujours une appréciation favorable de la capacité de rebond de l'économie française, laquelle se situerait dans un creux conjoncturel. Or nous constatons tous des tensions persistantes au niveau des recrutements, qui demeurent à un niveau historiquement élevé même si leur nombre a un peu diminué.
Le Gouvernement a conservé sa prévision, optimiste, de croissance potentielle à + 1,35 % sur la période 2023-2027. Il est vrai que la prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) pour le début de la période, ou celle du Fonds monétaire international (FMI) pour la fin de celle-ci, s'en rapprochent. Mais elle est supérieure à celle de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de la Banque de France ou de la Commission européenne. Elle suppose que le progrès technique et l'efficacité des facteurs de production se remettent à croître conformément aux tendances antérieures à la crise sanitaire, et qu'existe un dynamisme important de l'investissement des entreprises malgré le durcissement des conditions de crédit.
Enfin, cette prévision repose sur une évaluation des effets indéniables des réformes du marché du travail, que le HCFP estime toutefois trop importants et trop rapides.
Si la croissance prévue par le Gouvernement pour 2024 a été jugée élevée, il en va de même de celle prévue pour les années suivantes. L'hypothèse de + 1,7 % en 2025 et 2026, et celle de + 1,8 % en 2027 sont optimistes : elles s'appuient sur une prévision de recul important du taux d'épargne des ménages, un niveau élevé d'investissement des entreprises et une contribution positive du commerce extérieur, qui apparaît favorable au vu des tendances passées.
L'hypothèse macroéconomique du Gouvernement ne repose pas sur une prévision totalement irréaliste. Je n'utiliserai pas le terme d'insincérité, qui suppose une intention de tromper ; tel n'est pas le cas ici. Nous ne sommes pas non plus dans l'irréalisme car ce qui est envisagé n'est pas inatteignable. Pour autant, la combinaison d'hypothèses favorables est de nature à fragiliser la réalisation des objectifs de finances publiques présentés.
L'objectif de moyen terme (OMT) de la France est d'atteindre un déficit structurel maximal de 0,4 point de PIB, bien loin des 2,7 points attendus en fin de programmation. Je reconnais qu'atteindre cet OMT aussi rapidement est assez dur et, même, n'est pas souhaitable. J'observe cependant que la réduction du déficit paraît bien lente ! Si la cible s'améliore, comparée aux 2,9 points envisagés dans la version initiale, le Gouvernement ne prévoit pas de retour sous le niveau des 3 points de PIB avant 2027. Si l'on observe les programmes de stabilité de nos principaux partenaires - certes déposés il y a cinq mois - aucun ne prévoit une échéance aussi tardive. L'Irlande, la Grèce, l'Allemagne, le Portugal et les Pays-Bas avaient déjà un déficit inférieur à 3 points de PIB en 2022 ; pour l'Espagne ce sera en 2024, pour l'Italie en 2025, et pour la Belgique en 2026. Nous sommes les derniers avec la Slovaquie.
Dans ce projet de loi de programmation révisé, le Gouvernement vise une baisse un peu plus forte du ratio de dette publique que dans le texte initial. Je m'en félicite, mais la réduction serait modeste : 108 points de PIB en 2027, soit près de 4 points en cinq ans. Ce rythme ne nous permettra pas d'atteindre les 60 % dans un horizon raisonnable pour chacun d'entre nous. Cette trajectoire est donc peu ambitieuse au regard des engagements européens. C'est d'autant plus regrettable que la crédibilité de la trajectoire peut être discutée, puisqu'elle suppose des dépenses hors charges d'intérêt quasi stables sur la période 2024-2027, avec une croissance moyenne annuelle de 0,1 point en volume, ce qui est bien plus ambitieux que ce qui a été réalisé par le passé. En comparaison, la période pendant laquelle la croissance de la dépense a été la plus contenue au cours des vingt dernières années est la période 2010-2014, c'est-à-dire pendant la crise des dettes souveraines en zone euro. Les dépenses hors charges d'intérêts augmentaient alors en volume de 0,9 point en moyenne par an. Le Gouvernement envisage donc de faire beaucoup plus que le plus ambitieux de ce qui a été fait au cours des vingt dernières années !
Cette progression très limitée des dépenses reposerait notamment sur une réduction marquée des dépenses de l'État à moyen terme, qui baisseraient, en moyenne, de 0,9 point en volume.
Il faut noter que les dépenses relevant des lois de programmation sectorielle, par exemple celles relatives à la défense, seront plus dynamiques. Les autres dépenses de l'État devront, dès lors, baisser très fortement. La maîtrise de la dépense reposerait également sur la baisse des dépenses de fonctionnement des collectivités locales, qui s'établirait à 0,5 point en moyenne sur la période 2024-2027 - et ce, sans mécanisme contraignant pour y parvenir -, ainsi que sur une baisse de leurs investissements. Je vous laisse apprécier la crédibilité de ce scénario au regard du cycle électoral. Ces prévisions pourraient être contrariées par les investissements liés à la transition écologique, dont on demande pourtant qu'ils s'appuient beaucoup sur les collectivités locales.
Les dépenses des organismes de sécurité sociale augmenteraient en volume de 0,8 point sur la période 2024-2027, à un rythme inférieur à celui du PIB. Cette prévision repose sur la montée en charge progressive de la réforme des retraites et sur une évolution des dépenses de l'Ondam limitée à + 2,9 % en fin de période, ce qui suppose un effort considérable.
Le respect de la trajectoire implique la réalisation d'économies très importantes à hauteur, selon le Gouvernement, de 12 milliards d'euros pérennes en 2025, réparties entre l'État et la sphère sociale, issues de la revue de dépenses - qui reste à renforcer. Ce montant est très peu documenté à ce stade. Les seules données dont nous disposons concernent les retraites et l'assurance-chômage. En conséquence, la baisse attendue du ratio de dette publique est fragile puisqu'elle s'appuie sur une prévision de croissance optimiste et sur une cible exigeante de dépense dont le respect n'est pas garanti par une documentation concrète.
Le point le plus saillant est l'augmentation spectaculaire de la charge de la dette dès 2024 et sur toute la période de programmation. Elle était de 35 milliards d'euros en 2021 ; elle sera de 57 milliards d'euros en 2024 - supérieure au budget de la défense -, et de 84 milliards en 2027 - supérieure au budget de l'enseignement scolaire. Il ne s'agit plus là de risques mais de réalités !
Je ne prône pas l'austérité, mais je crois à la volonté politique. Le volant d'économies à réaliser n'est pas hors de notre portée, mais il faut pour cela change nos comportements et nos méthodes. Il faut passer à des revues de dépense qui soulèvent vraiment le capot des politiques publiques et font le tri entre ce qui marche et ce qui ne marche pas. Je ne crois ni au rabot ni à une pensée magique faisant tout reposer sur la croissance. Il faut une action déterminée et collective, en évitant l'austérité. Personne ne souhaite que la France se trouve dans une situation où des tensions sur la dette conduiraient à des coupes brutales dans la dépense ou à de fortes augmentations d'impôts, avec dans les deux cas des conséquences très dommageables pour les ménages et les entreprises. La France n'est pas en faillite et sa dette est soutenable, mais la sagesse veut que nous n'attendions pas l'apparition du risque pour agir, car il serait alors trop tard.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Votre constat, exigeant et prudent, nous alerte collectivement. En disant qu'il fallait soulever le capot pour régler le moteur, vous avez utilisé une image que je garderai et je me ferai fort de demander au chef du garage qu'est le ministre de l'économie et des finances de procéder désormais aux réglages indispensables. Voilà deux ans, nous l'avions alerté sur le risque d'avoir à faire face à un mur de dettes ; il nous avait reproché notre pessimisme. Nous avions également prévenu que les taux d'intérêt risquaient de remonter. Je ne pensais pas que cela se ferait aussi vite...
Pour ce qui concerne les prévisions de croissance, vos paroles sont marquées du sceau du doute. La stratégie budgétaire et fiscale du Gouvernement repose intégralement sur une forte baisse de dépenses non documenté. Elle est donc lacunaire et les élus locaux sont préoccupés par sa soutenabilité. Si ce n'est pas de l'insincérité, ni de l'irréalisme, ni atteignable, de quoi s'agit-il ? Que faudrait-il de plus pour dire que le scénario macroéconomique et de finances publiques proposé par le Gouvernement est insincère ?
Par ailleurs, depuis 2008 et la création des LPFP, la situation des finances publiques ne s'est aucunement améliorée. Elle s'est même dégradée. Que préconisez-vous pour corriger cette fâcheuse tendance qui frappe la France plus que les autres pays ? Vous avez proposé de changer nos comportements collectifs : cela peut être douloureux, mais nous y adhérons tous.
Les règles européennes actuelles ne sont pas pleinement satisfaisantes. Que pensez-vous des propositions de la Commission à cet égard ? D'ailleurs, la LPFP ne deviendrait-elle pas caduque à partir du moment où les règles budgétaires seraient modifiées ?
Enfin, vous avez noté qu'il est difficile de concilier la bonne gestion budgétaire avec les nombreuses lois de programmation sectorielle qui ont été votées et proposent souvent des envolées de budgets. Comment éviter ces incohérences ?
Je m'interroge enfin sur la diminution de la part de la tarification à l'activité (T2A) dans le financement des établissements de santé. Comment réguler efficacement les dépenses des hôpitaux ? Faut-il en passer par une régulation des dotations ? Et quels mécanismes mettre en place pour réguler les soins de ville ?
M. Pierre Moscovici. - Vos questions s'adressent davantage au Premier président de la Cour des comptes...
Il ne revient pas au Haut Conseil d'apprécier l'insincérité budgétaire, mais au Conseil constitutionnel, qui en a donné une définition : elle se caractérise par l'intention de tromper. Mon prédécesseur, Didier Migaud, avait jugé en 2017 que la loi de finances était insincère ; nous étions en désaccord sur ce point, car il n'y avait pas, selon moi, une telle intention. Le mot « insincère » est explosif... Je le répète, les prévisions de croissance sont élevées, mais pas inatteignables. Sous un certain nombre de conditions très favorables qui se trouveraient réunies par un concours de circonstances, ce scénario est envisageable. D'ailleurs, le Gouvernement vous objectera que l'an dernier, tout le monde s'est trompé en critiquant ses prévisions. Je serais toutefois prudent à cet égard car le premier trimestre a été conforme aux prévisions, le troisième trimestre a repris une pente assez neutre, et le deuxième trimestre a été très bon pour des raisons en partie inexpliquées et qui ne forme pas une tendance. Pour 2024, il y a un écart de 0,5 point entre les prévisions du Gouvernement et de la Banque de France : c'est beaucoup.
Vous demandez où faire des économies. Il faut, selon moi, procéder à des revues de dépenses beaucoup plus approfondies. Celles qui ont été faites n'ont pas été publiées et sont restées à l'intérieur de l'administration... Le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques paru en juin dernier consacre un chapitre aux préconisations : il faut que les revues de dépenses concernent l'investissement et le fonctionnement, qu'elles touchent les dépenses de toutes les administrations, qu'elles soient faites avec les acteurs, et dans la durée.
Les règles européennes seront logiquement rétablies le 1er janvier 2024. La question est de savoir lesquelles. S'agit-il des règles actuelles, procycliques, illisibles et très contraignantes ? Il y aurait alors une vague de procédures pour déficit excessif dont la France serait une cible privilégiée. Nous avons tous intérêt à ce que ce soient des règles européennes réformées qui entrent en vigueur, car il serait plus intelligent de privilégier l'incitation à la sanction, et de prendre en compte des profils de dette nationaux, ainsi que le quantum des réformes que les pays sont capables d'assumer. La proposition de la Commission serait exigeante pour les pays les plus endettés, mais plus intelligente. L'Allemagne a durci sa position. Je souhaite qu'un compromis soit trouvé dans les mois qui viennent, peut-être avec l'Espagne et les Pays-Bas.
Sur les dépenses sociales, les chiffres prévus dans l'Ondam supposent à la fois des conditions favorables et des économies très importantes, ce qui n'est pas simple. Les remèdes devront être vigoureux.
M. Vincent Delahaye. - Votre exposé confirme ce que nous pensons ici : en matière de gestion des finances publiques, l'optimisme règne ! Or la rigueur et la prudence devraient prévaloir. Vos avis sont-ils de nature à modifier les hypothèses du Gouvernement ? La fin des dépenses exceptionnelles aurait-elle dû entraîner une baisse de la dépense publique ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Quel sera l'impact de la « non-suppression » de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ? Et quel sera celui de la réforme des retraites sur l'activité économique ?
Mme Christine Lavarde. - Le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale semble partager votre vision puisqu'il évoque une nouvelle révision du budget en 2024... Il serait utile de disposer d'un contrefactuel qui prendrait en compte les hypothèses du consensus des économistes.
Pour ce qui concerne le taux de prélèvements obligatoires, 89 niches fiscales vont arriver à échéance. Avez-vous évalué l'imposition supplémentaire qui résulterait de leur suppression ?
À la fin de juillet 2023, le déficit de la France a atteint 169 milliards d'euros, soit 30 milliards d'euros de plus qu'en 2022. À cet égard, l'hypothèse pour 2023 est-elle plausible ?
M. Bernard Delcros. - Comment concevez-vous l'action déterminée et collective que vous avez évoquée ?
M. Rémi Féraud. - Nous sommes tous conscients que l'augmentation de la charge de la dette change la donne. Quelle contribution l'échelon local devra-t-il fournir pour résoudre les problèmes d'endettement et de déficit public dans les années qui viennent ?
M. Claude Raynal, président. - Puisque nous avons le même âge, nous avons tous deux étudié l'ouvrage de Raymond Barre, qui était l'une des bibles en matière d'économie. On pouvait y lire que l'augmentation de la charge d'intérêts de la dette était pour partie compensée par l'augmentation des recettes de l'État, tant que les taux d'intérêt étaient inférieurs à l'inflation. Est-ce toujours vrai ? Comment peut-on l'interpréter avec ces chiffres d'augmentation de la charge d'intérêts ? Entre 2023 et 2024, vous évoquez une augmentation de la charge d'intérêts : sera-t-elle compensée par une augmentation des recettes de l'État entraînée par l'inflation ?
M. Pierre Moscovici. - J'étais plus à gauche que vous à l'époque, monsieur le président, et je n'allais pas aux cours du professeur Barre...
La prévision d'inflation est plausible, avec de légers risques de dépassement. Quant aux recettes de l'État, elles expliquent les relatives bonnes performances budgétaires de ces dernières années. Dans la zone euro et en France, la dynamique de la recette devrait être beaucoup moins bonne dans les années à venir. Autrement dit, la formidable surprise d'une augmentation des prélèvements obligatoires malgré des baisses d'impôts importantes pourrait ne pas être définitive. Rétrospectivement, on pourrait donc penser que le professeur Barre avait raison...
Non, monsieur Delahaye, le Gouvernement ne va pas du tout modifier ses hypothèses. Chacun est dans son rôle : on nous demande notre avis, nous le donnons. Il s'agit certainement d'une boussole utile, à la fois pour le Parlement, mais aussi pour le Conseil constitutionnel et pour les institutions européennes. Vous avez soulevé la question des dépenses exceptionnelles. La hausse de la dépense publique est estimée en 2024 par le Gouvernement à 3 % en valeur et à 0,5 % en volume. Hors l'impact de l'extinction des dépenses exceptionnelles liées aux différentes crises sanitaire et énergétique, cette hausse serait en volume de 2,5 % et la relative stabilité des dépenses publiques en 2024 est surtout permise par l'extinction en cours des différentes mesures d'urgence et non pas par des économies structurelles. Le Haut Conseil des finances publiques remarque, par ailleurs, que la baisse des mesures de soutien face à l'inflation énergétique entraîne le remplacement des dépenses exceptionnelles par des dépenses pérennes. En outre, il note des incertitudes entourant la réalisation de ces prévisions de dépenses, j'ai notamment cité l'Ondam. Sur les 16 milliards d'euros d'économies qui vous seront présentées cette année, 12 milliards d'euros ne sont pas des économies structurelles. Pour les années suivantes, la marche sera donc plus compliquée, car le « quoi qu'il en coûte » n'existera plus.
Mme Vermeillet m'a interrogé sur la CVAE. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner à plusieurs reprises, nous n'avons pas les moyens d'envisager des baisses d'impôts « sèches » au vu de notre situation de déficit. Certes, nous ne devons pas nous priver de tout usage de la fiscalité, car elle joue un rôle d'allocation et de redistribution. Mais nous devons faire preuve de stabilité en termes de prélèvements. Le Gouvernement peut envisager des baisses de CVAE : c'est une décision politique. Mais selon le HCFP et la Cour des comptes, il faudrait alors compenser cette baisse, soit par des prélèvements de nature différente, soit par des économies supplémentaires. C'est sans doute ce qui explique le choix de ralentir la baisse de la TVA ? Pour financer la baisse de la CVAE, on peut choisir de moins baisser la TVA. C'est une hypothèse, et une question que vous pourriez poser au ministre...
Comme à son habitude, Mme Lavarde a posé des questions extrêmement judicieuses, en particulier sur le contrefactuel. Le HCFP n'a pas pour mission de faire des scénarios, mais je peux tout de même vous donner un ordre de grandeur. Les modèles montrent qu'une baisse de 0,5 % de croissance entraîne une hausse de 0,2 point de déficit. Dans le cas où la croissance s'établirait donc bien à 0,9 % et non à 1,4 %, le déficit serait de 0,2 point de plus. Pour parvenir à un déficit de 4,4 % du PIB, il faudrait donc prévoir des prélèvements supplémentaires ou réaliser davantage d'économies. À en croire l'interview du rapporteur général de l'Assemblée nationale publiée dans L'Opinion, notre avis a été pris très au sérieux, y compris par l'ensemble des députés. En effet, monsieur Féraud, que l'on soit de droite ou de gauche, il faut baser son raisonnement sur cette donnée assez réaliste. Dans ce sens-là, le Haut Conseil des finances publiques joue un rôle très utile.
Le déficit pour 2023 est-il crédible ? Selon nos prévisions, le déficit annoncé à 4,9 % du PIB serait plausible, mais le ministre devrait pouvoir vous détailler ce point davantage que moi.
En ce qui concerne le respect de la trajectoire pluriannuelle présentée par le Gouvernement, elle suppose d'importantes économies de nature à infléchir la progression spontanée de la dépense publique. Le HCFP n'a pas pour mission de donner des conseils ou de faire des recommandations. Toutefois, un changement de méthode me paraît essentiel. Le rôle du Parlement est tout à fait central ; nous restons à votre disposition, ainsi que la Cour des comptes. Je rappelle que cette dernière a produit neuf notes thématiques. On parle souvent de l'éducation et de l'hôpital, mais le logement est également un enjeu capital. C'est une politique publique très coûteuse dont l'efficacité mérite d'être questionnée, aussi bien en termes de constructions que de parc social. Je ne dis pas qu'il faut la réduire, mais je dis qu'il faut qu'elle produise des résultats.
Idem pour ce qui concerne les dépenses fiscales. Leur nombre est considérable, leur durée est indéfinie, leur contrôle est quasi nul. La Cour des comptes propose un certain nombre de règles de bon sens, comme le fait de les plafonner dans la durée, de les évaluer et donc de les remettre en question. Il s'agit tout de même d'un montant de 90 milliards d'euros. Certes, il n'y a pas 90 milliards d'euros à gagner, mais nous pourrions sûrement faire des économies. Se pose également la question du verdissement des dépenses, des aides aux entreprises, etc. Bref, la revue des dépenses a son utilité sur la totalité du périmètre de la dépense publique.
Oui, je le redis, sans avoir recours à l'austérité, il est possible d'atteindre le quantum d'économies demandé de 12 milliards d'euros de manière intelligente, sans employer le rabot, avec plus de performances. C'est un changement culturel que nous devons engager. À défaut, la France sera tout de même contrainte d'économiser ces 12 milliards, mais dans des conditions douloureuses.
En ce qui concerne l'impact de la réforme des retraites sur la croissance potentielle, le Gouvernement intègre dans les prévisions macro-économiques une progression du PIB de 0,7 point à l'horizon de 2027 à la suite de la réforme des retraites. Le HCFP juge que ces prévisions sont surestimées. Selon les projections de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) et de l'Insee, le maintien en activité des seniors se traduira par une hausse du taux d'activité de 0,4 et de 1 point de pourcentage à l'horizon de 2027. La prévision du taux d'activité du Gouvernement, qui se situe entre celle de la Cnav et de l'Insee, semble raisonnable. Pour autant, cela ne signifie pas que le taux d'emploi augmentera autant que le prévoit le Gouvernement, car cela signifierait que les entreprises adaptent leur comportement pour offrir un emploi à ces actifs supplémentaires et que la demande qui leur est adressé augmente en même temps. Nous l'avons constaté lors de toutes nos auditions : les hypothèses d'emplois sont plus optimistes du côté du Gouvernement, ce qui a un lien direct avec ce que je viens de dire sur les retraites.
Enfin, monsieur Féraud, la semaine dernière s'est réuni un Haut Conseil des finances publiques locales, composé des présidents des trois principales associations d'élus, des représentants des régions, des départements et des communes, du ministre de l'économie, du Premier président de la Cour des comptes, des présidents- et rapporteurs généraux des commissions des finances du Parlement, etc. Disons que l'objectif de 0,5 % est ambitieux, qu'il n'existe pas de mesures contraignantes et que ce Haut Conseil des finances publiques locales, dont le rôle est surtout consultatif, a avant tout pour mission de chercher un consensus. Ce n'est d'ailleurs pas tout à fait un Haut Conseil, à la différence du HCFP qui est prévu par la loi organique et qui comprend des personnalités indépendantes. Ce n'est pas simple. Vous pourriez poser cette question au ministre. Cette trajectoire d'effort est un élément de l'équilibrage tel qu'il est présenté dans le projet de loi de programmation des finances publiques, mais il s'agit, là encore, d'une hypothèse favorable en l'absence d'un consensus ou de mesures contraignantes, et compte tenu de certains besoins en investissement et du cycle électoral. Comment atteindre l'objectif ? Ce n'est pas impossible, mais cela nécessitera de gros efforts.
M. Claude Raynal, président. - J'ai l'impression que la question de Rémi Féraud lui est renvoyée...
M. Pierre Moscovici. - Cela fait surtout partie des questions qu'il faudra poser au Gouvernement. La question du modus operandi n'est pas notre travail. Nous constatons simplement qu'il s'agit d'une hypothèse favorable, mais qu'elle pèse sur l'équilibre des finances publiques.
M. Claude Raynal, président. - Merci, monsieur le président, de nous avoir présenté ces deux documents importants. Nous aurons évidemment plaisir à vous retrouver à l'occasion de prochains travaux sur lesquels nous sommes toujours très attentifs pour alimenter nos propres réflexions.
III. TABLE RONDE SUR LES PERSPECTIVES DE L'ÉCONOMIE FRANÇAISE ET SES CONSÉQUENCES SUR LES FINANCES PUBLIQUES (18 OCTOBRE 2023)
Réunie le mercredi 18 octobre 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu M. Patrick Artus, conseiller économique de Natixis, Mme Sandrine Duchêne, directrice des risques, du contrôle permanent et de la conformité au Crédit mutuel alliance fédérale et membre du Haut Conseil des finances publiques, et M. Éric Heyer, directeur du département Analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
M. Claude Raynal, président. - Nous recevons dans le cadre d'une audition commune consacrée aux perspectives économiques de la France et leurs conséquences pour nos finances publiques, M. Patrick Artus, conseiller économique chez Natixis, M. Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) et Mme Sandrine Duchêne, membre du Haut conseil des finances publiques et directrice des risques, de la conformité et du contrôle permanent de Crédit Mutuel Alliance Fédérale.
Cette audition s'inscrit dans le cadre des travaux de notre commission relatifs à l'examen du projet de loi de finances pour 2024.
Ce texte est construit sur un ensemble d'hypothèses macroéconomiques formulées par le Gouvernement et sur lesquelles notre commission souhaite bénéficier de vos analyses après avoir entendu, le 27 septembre dernier, M. Pierre Moscovici en sa qualité de Président du Haut Conseil des finances publiques.
Le Gouvernement prévoit une croissance du PIB de 1,4 % en 2024. Cela constitue à ce jour une « hypothèse haute » en comparaison du consensus des économistes et qui, logiquement, avec une inflation estimée à 2,6 %, se retrouve dans des prévisions de recettes qui s'en trouvent également rehaussées. Nous aimerions connaître votre sentiment sur le sujet.
Alors que la Banque centrale européenne (BCE) a procédé à un nouveau resserrement des conditions du crédit en septembre dernier, les prévisions macroéconomiques pour 2024 paraissent ainsi plutôt optimistes : l'inflation diminuerait, la consommation des ménages repartirait à la hausse, l'investissement des entreprises ne serait que peu affecté par une politique monétaire pourtant très restrictive, après une année de baisse, l'emploi augmenterait et le chômage diminuerait encore. Que pouvez-vous nous dire de tout cela ? Nous nous interrogeons également sur les conséquences économiques que pourraient avoir tant le renchérissement du pétrole à l'oeuvre depuis cet été, que les tensions géopolitiques au Moyen-Orient depuis début octobre.
Mme Sandrine Duchêne, membre du Haut conseil des finances publiques et directrice des risques, de la conformité et du contrôle permanent de Crédit Mutuel Alliance Fédérale. - Je vais vous donner la teneur des réflexions du Haut conseil des finances publiques, qui ont motivé notre avis sur le projet de loi de finances pour 2024 et le projet de loi de programmation des finances publiques. En méthode, nous avons procédé comme d'habitude, par l'audition des ministères, de quelques instituts indépendants, ainsi que par questionnaires, et nous nous sommes forgés notre avis. Nous avons ainsi constaté un écart significatif entre la prévision de croissance faite par le Gouvernement, et le consensus : un écart de l'ordre de 0,5 point. L'an passé aussi, le Haut conseil avait alerté sur le caractère optimiste des prévisions gouvernementales, mais la croissance a été finalement proche de ces prévisions. Le Haut Conseil ne parie pas, il ne fait pas de prévision de croissance en propre, son rôle est de constater les écarts au consensus et de qualifier la prévision de croissance et de finances publiques élaborée par le Gouvernement.
Cette perspective rappelée, nous constatons, cette année, que l'hypothèse de croissance du Gouvernement résulte de chiffres relatifs aux différents postes de la demande qui se situent dans les fourchettes hautes des instituts. Il y a un biais optimiste d'année en année, qui fonde l'hypothèse de croissance du Gouvernement et qui se traduit sur les finances publiques - c'est pour vous un point saillant. Ce biais optimiste est-il systématique ? C'est une question que l'on peut se poser s'agissant des prévisions sous-jacentes aux lois de finances.
Sur les trajectoires, le Haut conseil pointe que la prévision de recettes fiscales repose sur une croissance élevée et un contenu en emplois taxables assez riche, pour parvenir donc à des recettes dans le haut de la fourchette. Côté dépenses, le Haut conseil a constaté la suppression de certaines mesures de soutien en matière énergétique, et peu d'économies structurelles qui soient documentées. Le Haut conseil relève donc la fragilité de la trajectoire de désendettement à partir de 2024, mais aussi que la baisse du ratio dette/PIB en 2023 est surtout imputable au surgissement de l'inflation.
À court terme, pour 2024, nous voyons peu d'éléments d'accélération macro-économique en France, en Europe et dans le monde. La croissance mondiale est affectée par le ralentissement en Chine. Nos voisins allemands et italiens, dépendants du commerce international, sont perturbés par le ralentissement chinois ; or l'histoire économique nous montre qu'il est rare que la croissance française soit découplée de la croissance allemande et italienne. Il y a donc peu de facteurs d'accélération du côté du commerce extérieur et de la demande adressée à la France. Ensuite, les prix du pétrole ne connaissent pas de tendance baissière, on observe plutôt un regain d'incertitude - et un regain sur les prix de l'énergie, et il faut compter avec le contexte inflationniste. Troisième point, la politique monétaire, avec ce choc historique qu'a constitué la remontée des taux d'intérêt de 450 points de base en 18 mois, c'est inédit depuis 40 ans - avec des effets sur l'investissement, on en constate déjà un effet de freinage sur l'immobilier. Quel est l'impact de la hausse des taux et où en est-on de cet impact - a-t-il déjà eu lieu, ou le principal est-il encore devant nous ? Quatrième point, l'ajustement des finances publiques, avec une orientation consistant à réduire le déficit, en particulier structurel, ce qui va contre l'impulsion budgétaire de la croissance. Et il faut compter avec le choc immobilier, un élément en soi qui pèse sur la croissance, sachant que les précédents historiques ont montré combien les crises immobilières avaient des effets durables sur la croissance.
Ces éléments montrent qu'il n'y a guère d'ingrédient pour accélérer immédiatement la croissance, en France non plus qu'en Europe. Or dans les prévisions du Gouvernement et d'autres instituts, le facteur d'accélération est le pouvoir d'achat, suite au reflux de l'inflation sous l'effet de la politique monétaire.
Au-delà de ces éléments de cadrage, je voudrais souligner trois enjeux forts, liés aux comportements et qui contiennent une part de mystère, alors qu'ils ont un impact sur la croissance.
Le premier mystère, c'est l'emploi. Depuis la crise sanitaire, il y a un surplomb d'emplois très important en France, un ralentissement de la productivité, plus important que ce que l'on observe dans les autres pays européens. Une partie s'explique de façon très précise, mais une autre partie ne s'explique pas - et la question est de savoir ce que l'on en fait. Il y a les deux faces d'une même pièce : plus l'emploi augmente, plus on a de la croissance à court terme et des facteurs de croissance, mais aussi plus il y a sans doute des effets de long terme sur la productivité, donc de croissance potentielle, on ne peut jamais gagner sur les deux tableaux. Que fait-on de ce dilemme ? Nous avons posé la question au ministère.
Deuxièmement, l'épargne est aussi un mystère. La crise sanitaire a entrainé un surplomb d'épargne très important, qu'on a bien documenté et qui s'explique. Ce qui s'explique moins, c'est pourquoi l'épargne reste à un niveau très élevé encore aujourd'hui en France alors que, par exemple, les consommateurs américains ont déjà dépensé leur surplus accumulé pendant la crise sanitaire. Et des facteurs restent favorables à l'épargne l'an prochain, puisque même si le reflux de l'inflation devrait pousser la consommation à la hausse, l'accélération de la hausse du revenu réel entraînerait plutôt une hausse de l'épargne, le chômage favorise aussi plutôt des comportements de précaution, à quoi s'ajoute le contexte d'incertitude, en particulier sur l'avenir avec la réforme des retraites. Le contexte n'est pas propice à une baisse de l'épargne expliquée par les comportements habituels. Il faut donc faire des choix de modélisation ou de comportement pour établir les prévisions. Ce n'est pas un problème, mais il faut alors les expliciter.
Enfin, le troisième mystère, c'est l'investissement, qui reste toujours à un niveau élevé en brut en France, malgré la hausse des taux. Les banques n'ont pas vu s'effondrer les crédits à l'investissement. Je crois, personnellement, que cela ne peut pas continuer et que les effets du choc vont venir - donc qu'il faut les inscrire dans les prévisions. Même chose pour l'investissement en logement, je pense que les effets de la crise sont encore devant nous.
Dans ce contexte, je crois que ce qui compte, c'est la transparence, la documentation des choix, pour que chacun puisse se forger une opinion sur le caractère plus ou moins optimiste des prévisions.
M. Claude Raynal, président. - Monsieur Artus, nous ferez-vous passer du mystère, à la lumière ?
M. Patrick Artus, conseiller économique chez Natixis. - Je vais me demander ce qui doit être l'objet de réflexion lorsqu'on fait une prévision économique à l'horizon 2024-2025 et quels sont les points sur lesquels porte l'essentiel de l'incertitude.
Le premier point sur lequel il faut réfléchir, c'est la productivité. Elle a été très sensible à la façon dont les pays ont réagi à la crise sanitaire. Aux États-Unis, il y a eu des licenciements, en Europe, du chômage partiel indemnisé par l'État. Mais il faut regarder la tendance : la productivité du travail en Europe est légèrement décroissante par rapport à son niveau de 2018-2019 ; aux États-Unis, elle reste sur une tendance de croissance d'à peu près 1,5 % par an. Il y a donc une anomalie européenne à partir de 2018 et particulièrement en France, où la productivité du travail a baissé de 6 % depuis le deuxième trimestre 2018. Cette baisse est une très mauvaise nouvelle, parce qu'elle interdit d'augmenter les salaires réels et qu'elle fait subir à l'État des pertes de recettes fiscales. Nous devons donc savoir si l'on peut suivre la thèse du Gouvernement et de la BCE, d'un retour de gain de productivité assez fort dès l'an prochain, ou pas. C'est décisif, parce qu'entre le scénario de ce retour de gain de productivité, et celui d'une stagnation, il y a une différence de 4 points de PIB en 2027, donc de 2 points de déficit public - soit un déficit de 4,8% en 2027.
Quelles explications au ralentissement de la productivité ? D'abord, la baisse du chômage, car on ne peut avoir un retour sur le marché de salariés peu qualifiés et des gains de productivité rapides. Le taux de chômage des qualifiés étant sous les 4 % en France et dès lors qu'il est peu cyclique, la baisse du taux de chômage concerne surtout les peu qualifiés, d'où une perte de productivité globale. Ensuite, l'apprentissage, qu'on estime responsable entre le quart et le tiers de la perte de productivité. Cependant, si les apprentis sont peu productifs au départ, ils le deviennent par la suite. Troisième explication, l'absentéisme, dont le taux a augmenté de 2,5 points entre 2018 et aujourd'hui. Il est à 6,5 %, contre 3,5 % il y a dix ans. C'est un absentéisme qui est surtout le fait des jeunes salariés de 20 à 35 ans et qui est lié, des enquêtes sociologiques le montrent, à une perte du sens du travail et de l'implication dans le travail.
Ces trois causes me semblent structurelles, ce qui rend très optimistes les hypothèses du Gouvernement et de la BCE d'un redressement rapide de la productivité ; je pense qu'il y a, de ce fait, une surestimation d'au moins 3 points de PIB dans les prévisions officielles pour 2027.
Un point sur l'investissement des entreprises. J'utiliserai d'abord une enquête qui interroge les entreprises sur les facteurs limitant la production. Jusqu'en 2017, elles répondent que le principal facteur qui limite la production, c'est l'insuffisance de la demande, soit un régime keynésien normal ; ensuite, et si on exclut 2020 où il n'y avait pas de demande, les entreprises mentionnent en premier les difficultés d'embauche et l'insuffisance des équipements. On est donc passé d'un régime d'insuffisance de la demande à un régime d'excès de demande par rapport à l'offre, puisqu'il manque du travail et du capital matériel. Cela donne l'occasion de discuter du niveau d'investissement des entreprises françaises ; on constate que leur investissement net diminue depuis 2008 - et donc que leur capital augmente peu, ce qui déprime la croissance. Or, les entreprises françaises brillent par leur niveau d'investissement brut, bien au-dessus des autres entreprises européennes. Pourquoi ? Parce qu'il apparait qu'elles investissent beaucoup en logiciels, qui sont ensuite amortis, mais aussi, et c'est alors un biais d'analyse, parce que l'Insee comptabilise ces investissements en logiciels différemment que ses homologues européennes : l'Insee compte en investissement des logiciels développés au sein de l'entreprise, alors que les autres instituts y font entrer seulement les logiciels achetés par l'entreprise, cela expliquerait 2 points d'écart d'investissement. Je crois donc qu'il ne faut pas avoir trop d'illusion sur le fait que les entreprises françaises investissent beaucoup, l'analyse détaillée montre qu'elles investissent en fait moins que les entreprises de la zone euro et beaucoup moins que les entreprises américaines. Cette enquête sur l'équipement des entreprises montre donc qu'en réalité, on n'a pas assez investi dans les entreprises depuis 2017, c'est une cause d'apparition de ce régime d'excès de demande, qui est inflationniste.
La perspective d'inflation, ensuite, est très différente entre la zone euro et les États-Unis. Outre-Atlantique, l'inflation est de 2,2 % si l'on retranche les loyers imputés aux propriétaires de logement - loyers qui sont curieusement inclus dans le calcul de l'inflation - et même à 1,9 % en retranchant tous les loyers. Les Américains sont donc revenus à la normale. Si on fait le même calcul dans la zone euro, l'inflation hors énergie et alimentation est à 6,5 % d'inflation en septembre : l'écart est important. Ceci pour les causes que j'ai dites : la faible productivité, qui implique qu'en l'absence de croissance, on crée quand même des emplois et le chômage diminue, ce qui ne permet pas de guérir les fortes tensions sur le marché du travail -les difficultés d'embauche en zone euro sont au plus haut, alors que ce n'est plus le cas aux États-Unis ; l'excès de demande, qui incite les entreprises à accroître leur marge bénéficiaire pour investir davantage, ce qui expliquerait pour partie la faible réaction de l'investissement à la conjoncture, les entreprises sachant qu'elles doivent investir pour satisfaire la demande. Le Gouvernement et la BCE tablent sur un retour de l'inflation à 2 % fin 2025, je pense que ce sera au moins un point de plus - l'inflation anticipée à 10 ans dans la zone euro, du reste, est à 2,7%, il me semble donc que la BCE entame sa crédibilité avec ses hésitations sur l'inflation.
Je veux souligner, enfin, la question des taux d'intérêt réels, qui sont décisifs pour l'évolution de la dette publique - plutôt que les taux d'intérêt nominaux. On peut les obtenir en soustrayant du taux d'intérêt nominal à 10 ans - qui doit en ce moment être de 3,7 % - le swap d'inflation à 10 ans. Depuis 2015, les taux d'intérêt réels d'emprunt étaient négatifs, ce qui permet de faire ce qu'on veut avec les déficits publics : le simple fait que les taux d'intérêt réels soient inférieurs à la croissance permet de rembourser la dette publique. Or aujourd'hui, les taux d'intérêt réels dans la zone euro sont légèrement supérieurs à 1 %, ce qui est proche du niveau de croissance potentielle de la zone euro. Si je fais l'hypothèse d'une croissance de long terme en France de 1 %, notre déficit primaire - hors intérêt de la dette - qui est de 3 % du PIB et sera probablement plus proche de 2,3 % l'an prochain, doit disparaitre : le besoin de réduction du déficit public cette année serait donc de 3 points de PIB pour stabiliser notre taux d'endettement public. En effet, à partir de maintenant, l'inflation ne fera plus diminuer le taux d'endettement : nous avons donc devant nous un besoin considérable de consolidation budgétaire.
M. Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l'OFCE. - Avant tout, une précision : ce que nous disons tous les trois ne tient pas compte de ce qui se passe ces jours-ci, après l'attaque du Hamas sur Israël le 7 octobre.
Mon propos consistera en quatre messages.
Premier message : nous n'anticipons pas une période de récession - à l'exception de l'Allemagne -, mais d'accélération du ralentissement de la croissance. Nous anticipions tous un ralentissement, avec la politique monétaire, les tensions sur le marché immobilier, la persistance de l'inflation ; mais ce ralentissement est plus fort que prévu. Cependant, la France occupe une place particulière puisque là où nos partenaires révisent leurs comptes pour établir l'activité passée - de 2 points de PIB en Grande-Bretagne, d'1,3 point en Espagne, par exemple -, ce qui suggère que le rattrapage a eu lieu et n'adviendra plus, l'Insee n'a révisé nos comptes qu'à la marge. Est-ce à dire que notre institut national est meilleur que ses homologues européens, ou bien que l'ajustement est encore devant nous ? Ce qui, en passant, expliquerait une partie de ce que l'on voit sur la productivité du travail.
Un point de différence avec l'analyse de Patrick Artus : il nous semble, à l'OFCE, que le ralentissement change de nature et que les contraintes d'offre se résorbent tandis que les contraintes de demande reviennent.
Nous démontrons aussi que si la production a retrouvé ses niveaux de 2019 (et de ce point de vue l'Allemagne est en queue de peloton), elle n'atteint cependant pas les niveaux qui auraient été les siens s'il n'y avait pas eu la crise sanitaire - ce calcul se fonde sur des hypothèses, certes, mais le raisonnement tient, et nous y voyons une récession cachée. Cela peut être un élément de croissance demain ; soit on considère que cela est perdu à jamais, soit qu'on va le rattraper, qu'il y a une réserve de croissance - qui est d'ailleurs plus forte en Asie.
Deuxième point, sur les freins à la croissance, et notre analyse diverge encore de celle de Patrick Artus - alors que nous utilisons les mêmes données, c'est intéressant de le relever : en économie, on peut parvenir à des interprétations différentes des mêmes chiffres. Ce que nous voyons, nous, c'est que les problèmes de matériel commencent à se résorber et que c'est plutôt la demande qui redevient un frein à la croissance - tandis que les difficultés de recrutement restent élevées. Et ce frein situé du côté de la demande est plus marqué encore en France, où le moral des entreprises est atone, et où le moral des ménages est déprimé, ce qui rend peu propice qu'ils puisent dans leur épargne pour consommer. Il semble que les carnets de commandes des entreprises se vident et qu'ils ne se renouvellent pas, c'est ce qui nous fait dire que le frein va se situer plus nettement du côté de la demande, donc aussi du pouvoir d'achat.
Deuxième message, l'inflation se diffuse mais ne persiste pas. Elle a commencé dans l'énergie et s'est diffusée dans l'alimentaire, puis désormais dans le sous-jacent, c'est-à-dire les salaires. Cependant, les salaires ne progressent pas comme les prix, il n'y a pas de boucle prix-salaires et nous pensons que cette boucle ne va pas se former parce que les entreprises vont utiliser une partie de leurs marges pour absorber une partie de la hausse des salaires. Nous prévoyons une inflation autour de 3 % l'an prochain avec une convergence des pays développés vers ce taux, mais il faut voir que, si l'on prend pour point de départ 2019, le niveau des prix a moins augmenté en France qu'aux États-Unis, en Allemagne et au Royaume-Uni. Nous constatons que les salaires ont également moins progressé dans notre pays et nous pensons que les salaires, en France, ne vont pas tout à fait rattraper les prix. Si l'évolution des salaires réels est négative, ce n'est pas le cas de celle du pouvoir d'achat. En effet, dans les revenus de ménages, il faut également prendre en compte les revenus du capital, qui progressent fortement. Habituellement, le revenu issu du capital représente 20 % du revenu des ménages, mais ils sont à l'origine de 40 % de la progression. Ce qui a fait augmenter le revenu disponible par unité de consommation, ce sont ces revenus - ce qui peut aussi expliquer pourquoi on a cette surépargne, avec un taux d'épargne passé, au cours de la crise sanitaire, de 15 % à 19 % des revenus, soit une masse de 220 à 230 milliards d'euros, c'est considérable. Nous prévoyons une très légère baisse du taux d'épargne, mais c'est aussi un pari - si on laissait faire une équation « standard », on aurait plutôt tendance à dire l'inverse. On se demande si la référence est 15 ou 19 % mais on a plutôt l'impression que c'est 15.
Autre élément : y a-t-il eu greedflation ? Autrement dit, l'inflation est-elle due aux comportements de marge des entreprises ? L'inflation des prix de production était très élevée en 2022, un peu moins en 2023. La hausse des prix de production est liée à celles des prix des consommations intermédiaires, de la rémunération des salariés, aux comportements de marge et aux taxes nettes des subventions. Habituellement, ce sont plutôt les consommations intermédiaires qui expliquent ces évolutions, mais au deuxième trimestre 2023 - sur un an en cumulé - ce sont plutôt les marges des entreprises. On peut penser que c'est un effet de rattrapage - c'est le cas en partie - mais on voit qu'elles se restaurent progressivement. Ce phénomène est beaucoup plus marqué dans l'industrie que dans les services - le taux de marge a augmenté de 18,5 points dans l'énergie entre 2018 et 2023, et 10 points dans l'industrie en général.
Sur le policy mix, ensuite, nous pensons que les effets de la hausse rapide et forte des taux d'intérêt vont jouer à plein l'an prochain, mais que les effets de la normalisation budgétaire se feront sentir plus tard. D'après nos calculs, la hausse des taux va amputer la croissance française de près d'un point en 2024, et depuis 2022, elle aura eu le même impact que le choc inflationniste, y compris le bouclier énergétique. Sur la politique budgétaire, les économies budgétaires projetées ne nous paraissent pas de nature à qualifier ce budget d'austérité, puisque le niveau de dépenses publiques revient à un niveau d'avant crise, exprimé en pourcentage du PIB. Le déficit public se maintiendrait ainsi à 4,8 % du PIB. Même si je partage l'analyse de Patrick Artus de l'incidence du taux d'intérêt réel sur l'endettement, nous pensons que l'effet inflationniste a encore un effet, qui, à très court terme, va encore, l'an prochain, jouer dans le sens d'un léger allègement de la dette.
Sur la productivité, les 6 points de baisse depuis 2018 représentent 1,3 million d'emplois « en trop ». Soit les salariés seraient 6 % moins productifs qu'il y a cinq ans - auquel cas il faudrait baisser le salaire réel de 6 %, soit il y a d'autres explications. Les voici : le salarié réel a baissé, c'est-à-dire que la rémunération déflatée par les prix de production est bien plus basse aujourd'hui qu'avant la crise. Ce plus faible coût du travail est à l'origine de 130 000 emplois supplémentaires. Les effets relatifs à la durée du travail représentent quant à eux 160 000 emplois : ils sont liés à l'absence au travail - je préfère ce terme à celui d'absentéisme, qui suppose une intention ; il y a l'apprentissage, qui représente 250 000 emplois ; mais il faut aussi prendre en compte toutes les aides, y compris les prêts garantis par l'État (PGE), qui ont sauvé des entreprises - et donc des emplois - et donné de la liquidité à d'autres entreprises qui n'en avaient pas forcément besoin, un ensemble qui, pour nous, représente 300 000 emplois. Au total, on explique donc 70 % de la baisse de productivité - et il reste donc environ 480 000 emplois qu'on ne s'explique pas. L'analyse montre une forte disparité sectorielle : dans les services, il n'y a quasiment pas de perte de productivité inexpliquée - reste à savoir si le phénomène est structurel, ce que je ne crois pas. Mais la situation est très différente dans l'industrie et la construction, et il faut examiner les choses de plus près pour voir ce qu'il s'y passe. En tout état de cause, nous retrouvons bien les 6 points de productivité dont vient de parler Patrick Artus. Nous pensons qu'il y aura un léger rattrapage - et nos hypothèses sont un peu plus optimistes que celles du Gouvernement - mais on est encore très loin de revenir au niveau antérieur. Cela n'est pas sans incidence sur le chômage, dont nous pensons qu'il va repartir à la hausse, accentuant les problèmes de pouvoir d'achat. Ce qui nous fait dire également que même si ce budget n'est pas d'austérité, il supprime des aides au moment où le marché du travail risque de se retourner, ce qui n'ira pas sans tensions sociales supplémentaires.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous vous invitons à nous expliquer l'inexplicable, et l'on repart avec de nouvelles questions plutôt que des réponses. Ce n'est pas de nature à nous rassurer à une époque où nos concitoyens nous disent - je l'ai beaucoup entendu pendant la campagne pour les sénatoriales de septembre dernier -, que tout est compliqué, de plus en plus compliqué. Tout cela pèse sur la confiance en l'avenir...
Le taux d'épargne reste élevé, vous l'avez dit, mais pensez-vous que ce soit durable ? C'est important de le savoir, parce que la mobilisation de l'épargne aurait un impact sur la consommation dans notre pays.
Sur l'emploi, ensuite, quelles actions pourrions-nous conduire pour améliorer la productivité ? Pensez-vous qu'il faille rehausser le niveau de qualification générale ou, plutôt, agir sur le temps de travail des plus qualifiés ? Quelles seraient les bonnes orientations en la matière, qui profiteraient à la croissance ?
Je ne constate pas d'économies dans le projet de loi de finances pour 2024, mais plutôt une dégradation assumée des comptes publics : pensez-vous que ce soit tenable avec ce niveau de croissance ?
Enfin, les prévisions de croissance sont-elles crédibles, à court et moyen termes ? Dans ces prévisions identifiez-vous ce qui relève de la consommation des ménages, et des administrations publiques ? Et dans l'investissement, entre ce qui relève des entreprises et des administrations publiques ? Enfin, je ne sais pas pour vous, mais je doute que le commerce extérieur devienne un facteur d'amélioration, comme le prévoit le Gouvernement...
Mme Christine Lavarde. - Ce n'est peut-être pas dans vos missions, mais faites-vous ou bien êtes-vous en mesure de faire un contrefactuel de la prévision macroéconomique du Gouvernement ? Il faudrait croiser les hypothèses que vous avez remise en cause, pour voir leur effet cumulé sur les prévisions. Ensuite, quelle vous paraît la meilleure méthode pour aller chercher l'épargne des ménages et l'injecter dans l'économie ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Le taux d'utilisation des capacités de production tourne autour de 80 %, et il serait en léger recul : n'est-ce pas le signe que l'offre, en tout cas dans la zone euro, serait peu adaptée à l'évolution de la demande ? Sur la productivité, vous parlez des effets du volume et de la structure de l'emploi, mais pas du tout des nouvelles technologies : pourquoi ? Je suis étonnée, aussi, que le problème concerne surtout l'industrie, et pas les services. Je m'interroge, également, sur le poids que vous donnez à l'apprentissage. Enfin, toujours sur la productivité, il y avait déjà, en 2019, une part dite inexpliquée : a-t-elle augmenté depuis ?
M. Éric Bocquet. - L'économie n'est pas l'ennemie de l'oxymore puisque vous nous parlez, à propos de la croissance, d'un ralentissement accéléré. Vous nous dites aussi que l'inflation baisse progressivement, mais que les prix vont continuer à augmenter : qu'est-ce à dire ?
Dans les causes de l'inflation, le FMI et la BCE ont pointé l'augmentation des marges des entreprises, vous le dites aussi - j'en prends bonne note. Je crois qu'il faut aussi parler des profits : on parle beaucoup d'absentéisme, alors que si les salariés s'absentent davantage, c'est probablement que le sens du travail a évolué, et l'on passe un peu sous silence le fait que les profits, eux, se portent bien : 160 milliards d'euros en 2021 pour les entreprises du CAC 40, 152 milliards en 2022 et 2023 devrait être un bon cru puisque les profits y auraient progressé de 13, 3% entre avril et juin - la France a d'ailleurs le record européen sur ce point... Ne faut-il pas réfléchir aussi de ce côté-là ?
France Stratégie a publié le rapport du Comité d'évaluation des réformes de la fiscalité du capital ; il n'a décelé aucun effet de l'ISF sur l'activité des entreprises de taille intermédiaire (ETI), ni d'impact du prélèvement fiscal unique (PFU) sur l'investissement et les salaires : qu'en pensez-vous ?
La Fédération bancaire française estimait, en août dernier, que l'épargne des Français s'élevait, tous produits confondus, à 5 956 milliards d'euros : c'est deux fois la dette publique...
Enfin, il semble que même chez les libéraux, on commence à pointer que les baisses d'impôts, que le Gouvernement s'acharne à continuer, ne sont peut-être pas la meilleure idée quand nous emprunterons 285 milliards d'euros l'an prochain : qu'en pensez-vous ?
M. Thierry Cozic. - L'Allemagne connait une récession : qu'est-ce qui l'explique ? Quelle est, ensuite, l'incidence de l'inflation sur les niveaux de revenus et sur le pouvoir d'achat ?
M. Arnaud Bazin. - Je m'interroge sur le rôle de l'éducation dans l'évolution de la productivité. L'éducation de base se dégrade, nous sommes en queue de classement des comparaisons internationales : avez-vous des éléments sur le lien avec la productivité ?
J'ai ensuite une question sur la compétitivité. On annonce des mesures protectionnistes, avec par exemple la prise en compte du cycle de vie globale des produits, y compris le transport, pour favoriser notre industrie automobile par rapport à celle de la Chine : est-ce que cela a un impact sur vos prévisions ?
M. Michel Canévet. - Un mot sur l'évaluation de la réforme de la fiscalité, que cite Éric Bocquet : le rapport dit aussi que la flat tax a motivé la création d'entreprises, ce qui n'a pas été sans effet sur la croissance et l'emploi.
L'épargne augmente, mais de plus en plus de nos concitoyens nous disent avoir du mal à joindre les deux bouts : il faut voir aussi comment elle est répartie. Il faut la mobiliser davantage, en particulier pour le logement : n'y a-t-il pas lieu de relancer la politique du logement, en mobilisant davantage l'épargne ? Les PGE, ensuite, ne vont-ils pas handicaper les entreprises, qui peuvent connaitre des défaillances pour les rembourser ?
On évoque une baisse de l'endettement public, il augmente pourtant en valeur absolue - et que va-t-il se passer pour nos finances publiques, si les taux d'intérêt continuent d'augmenter ?
Enfin, l'augmentation de l'absentéisme n'est-il pas dû pour partie à l'optimisation des droits par une frange de la population ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Avec notre niveau d'épargne record et les perspectives que vous présentez, qui sont moins défavorables en France qu'ailleurs, peut-on espérer que les taux d'intérêt pour nos emprunts publics restent raisonnables ?
M. Claude Raynal, président. - Quelles réponses les tableaux que vous nous présentez appellent-ils sur le plan des politiques publiques ? Comment procéder pour améliorer la productivité ? En somme, quelle mesure prendriez-vous si vous étiez ministre de l'économie ?
Ensuite, quel niveau d'inflation viser, à votre avis : en quoi un peu d'inflation améliore-t-elle les choses ?
M. Éric Heyer. - Peut-on faire un contrefactuel ? Oui, c'est déjà le cas sur le site de l'OFCE, avec ce que nous avons appelé Debtwatch, une application où vous entrez vos hypothèses de croissance, d'inflation, de taux d'intérêt, et elle vous calcule votre dette, votre emploi, votre chômage, parmi d'autres indicateurs, ceci à l'horizon d'un siècle, c'est très facile d'utilisation et je vous invite à y recourir.
Je vous confirme que, pour le calcul de la productivité, nous chiffrons l'apprentissage à l'équivalent de 250 000 emplois, car il y a bien une substitution - temporaire, mais effective - des apprentis à l'emploi.
Explique-t-on l'inexplicable ? Par définition, non, mais, par exemple sur la productivité, nous avons des pistes sur ce qui se passe dans l'industrie. De même, ce n'est pas parce qu'une étude ne voit pas l'effet d'une mesure comme l'ISF sur l'emploi, que ces effets n'existent pas, ils peuvent tout à fait exister sans que nos outils les saisissent. Parmi les hypothèses de ce qui se passe pour la productivité dans l'industrie, nous pensons à une sorte de rétention de la main-d'oeuvre : les industriels ont leur carnet de commande plein mais ils rencontrent des difficultés d'approvisionnement, dès lors ils maintiennent les emplois parce que la main d'oeuvre est une denrée rare, au moins temporairement - parce que cela coûte cher - et nous voyons là une réserve de productivité.
L'inflation étant la vitesse des prix, elle peut ralentir, la hausse des prix peut ralentir mais les prix continuer d'augmenter, de même qu'une automobile qui passe de 100 à 50 km/h, continue d'avancer.
Quand on parle d'utiliser davantage l'épargne, l'objectif n'est pas qu'elle retourne à tout prix à la consommation. Quand cela reste sur les comptes en banque, on peut en être déçu : on peut la guider vers le financement des entreprises ou des administrations publiques. Les Français aiment acheter de l'assurance-vie en euros, parce que c'est le placement le moins risqué, et il s'agit en grande majorité de titres de dette publique : ce faisant, ils soutiennent les finances publiques. Le « quoi qu'il en coûte » a entraîné un surplus d'épargne, lequel se traduit par davantage d'assurance-vie en euros, c'est aussi une manne pour l'État qui la récupère - reste à savoir comment l'utiliser au mieux, d'autant qu'il faut en acquitter les taux d'intérêt.
Comment traduire nos analyses en politiques publiques ? La question est vaste, mais s'agissant de la productivité, par exemple, je ne crois pas que le salarié d'aujourd'hui soit 6 % moins productif qu'en 2019, il faut donc faire entrer d'autres facteurs. Le Gouvernement essaie d'enrichir la croissance en emplois, donc de faire baisser la productivité pour continuer à faire baisser le chômage. La question reste de savoir pourquoi il y a encore des difficultés de recrutement : le logement est la bonne façon de répondre à ces questions. À mon sens, la politique du logement est la grande absente de la politique du Gouvernement. Il existe un lien fort entre les problèmes de logement et l'échec scolaire, l'absence au travail, les difficultés d'insertion professionnelle... Résorbez le mal-logement, et vous faites des progrès sur bien des plans. Les problèmes de difficulté de recrutement sont aussi liés aux problèmes de mobilité et, avec les prix du logement aujourd'hui, vous ne bougez plus de chez vous. C'est pourquoi, et pour répondre sommairement à votre question, je crois qu'il faudrait mettre l'accent sur la politique du logement, cela aiderait à résoudre bien des problèmes.
M. Patrick Artus. - Mesure-t-on les effets de l'intelligence artificielle sur la productivité ? Nous disposons d'études locales, à l'échelle de l'entreprise, qui montrent que l'intelligence artificielle se traduit par une réduction de l'emploi peu qualifié et par des gains de productivité, ceci surtout dans les services. Cependant, nous manquons de données à une échelle plus large, qui nous permettent de prendre en compte des phénomènes plus larges - l'introduction d'internet, par exemple, s'est traduite par une création d'emplois peu qualifiés qu'on n'avait pas identifiée initialement. Je dirais donc que nous ne savons pas mesurer, pour le moment, l'incidence de l'intelligence artificielle sur la productivité, à une échelle globale.
Le taux d'épargne est croissant avec le revenu, il est de 2 % pour les 20 % des revenus les plus faibles, et de 28 % pour les 20 % des revenus les plus élevés. Il faut savoir aussi que les personnes âgées épargnent davantage que les jeunes : ce sont les plus de 70 ans qui épargnent le plus et qui, même, prennent le plus de risque avec l'épargne - il n'est donc pas vrai de dire qu'il faut assurer les personnes âgées contre le risque financier, en réalité leur risque de revenu est moindre que celui des jeunes en raison de la retraite et le vieillissement de la population va accroitre la part d'épargne risquée, ce qui est une bonne nouvelle pour l'économie. Dans les débats sur l'épargne, il faut arrêter de penser qu'il faudrait transformer l'épargne en consommation. Nous avons besoin de plus d'épargne, parce que notre déficit extérieur représente 2 points de PIB et parce que la transition énergétique demande au moins 3 à 4 points de PIB en investissement - et donc si l'on n'épargne pas davantage, on aura 5 à 6 points de PIB de déficit extérieur, ce qui mettra le pays en faillite. Il faut donc transformer de la consommation en épargne, ce qui suppose d'arrêter de subventionner la consommation, ce n'est guère sympathique, mais quand on doit transformer le capital brun en capital vert, il n'y a pas d'autre choix que d'épargner, nous sommes dans une économie de reconstruction. Ensuite, il faut savoir qu'il n'y a pas d'épargne non utilisée : l'épargne finance les entreprises privées et les administrations publiques, les Français épargnent 18,2 % de leurs revenus, cette épargne sert directement à notre économie. Il n'y a pas d'épargne qui soit non utilisée.
Sur le logement, je partage l'avis d'Éric Heyer, les statistiques montrent qu'un recrutement sur deux échoue parce que la personne ne peut pas déménager, la question est stratégique. Comment faire ? Il faut peut-être commencer par s'intéresser au prix de l'immobilier dans notre pays, qui est 40 % plus élevé qu'en Allemagne, et à nos comportements - toujours en Allemagne, les actifs sont locataires, ils deviennent propriétaires plutôt à la retraite, et la propriété appartient beaucoup aux assureurs, ce qui donne lieu à une moindre spéculation.
Sur le « bon » objectif d'inflation, les gouverneurs de banques centrales à qui j'ai eu l'occasion d'en parler, m'ont tous dit qu'ils ne « pousseraient » jamais, ô grand jamais, l'inflation à la hausse. Or, la BCE perd une partie de sa crédibilité en tenant une prévision en-deçà de l'inflation anticipée à long terme, qui est de 2,7% et non de 2%, et comme économistes, nous savons que c'est l'anticipation à long terme qui va l'emporter... D'autant que nous avons bien d'autres raisons encore de penser que l'inflation va prospérer, avec les coûts de la transition énergétique, les obstacles au commerce mondial - le FMI recense 2 500 obstacles au commerce mondial, contre 300 il y a dix ans , les tensions sur le marché du travail, le recul de la population active... Je pense que l'inflation sera plutôt de 3 %, et si la BCE persiste à prévoir 2 %, les taux d'intérêt réels seront au-delà de 1 % - les États-Unis sont déjà à 2,2% -, avec des taux nominaux qui continueront à monter, ce qui est une très mauvaise nouvelle, y compris pour l'immobilier puisque le marché immobilier se règle sur les taux nominaux, via la contrainte de revenu pour les acheteurs.
Dans ces conditions, que faire ? Il y a bien sûr le problème de l'éducation et de la formation professionnelle, leur amélioration est indispensable faire repartir la productivité - laquelle ne progressera pas spontanément puisqu'elle décline depuis 2018, qui était une très bonne année de conjoncture, de même que 2019. Je crois qu'ici, l'explication est du côté de l'attitude envers le travail et de la composition de l'emploi, avec beaucoup plus d'emplois non qualifiés que qualifiés. Savez-vous que quatre Français sur cinq parmi les moins qualifiés, ne reçoivent aucune formation professionnelle dans leur vie ? Il faut aussi réformer France Travail, qui s'occupe d'indemnisation plus que de formation professionnelle... Savez-vous, encore, que la formation professionnelle intervient en moyenne après 6 mois de chômage alors que c'est 3 jours au Danemark ? Nous avons des progrès à faire... Je crois aussi que nous devons investir davantage dans les nouvelles technologies et en recherche et développement, notre niveau est sous la moyenne de la zone euro et deux fois moindre qu'aux États-Unis...
Mon programme serait donc une réforme de l'éducation, une réforme de la formation professionnelle - pour viser les peu qualifiés plutôt que, comme aujourd'hui, les personnes qualifiées des grandes entreprises - et une grande politique de redressement de l'investissement en technologie et de la recherche-développement.
Mme Sandrine Duchêne. - La trajectoire de croissance et de finances publiques est-elle crédible ? Elle me parait peu prudente, parce qu'elle factorise mal les incertitudes d'aujourd'hui - géopolitiques, financières -, alors que les périodes de durcissement monétaire sont généralement suivies d'instabilité financière comme on l'a vu aux États-Unis avec la faillite de quelques banques. Il y aurait intérêt à plus de prudence, pour se donner des marges. Les économies budgétaires, ensuite, sont peu ou pas documentées, alors qu'elles sont ambitieuses - il va falloir le faire, c'est un travail ingrat, une revue de dépenses est en cours, je sais d'expérience combien c'est difficile, mais c'est nécessaire.
Quelle est la dynamique sur l'investissement, à court terme ? Je crois que nous sommes à un tournant sur les défaillances d'entreprises, des entreprises qui ont recouru à des PGE sont en difficulté, des entreprises ont été créées mais sans avoir la surface financière suffisante pour passer la crise sanitaire, nous voyons également un mur d'échéances des Urssaf - je crois que nous entrons dans une période de réajustement du tissu productif, au gré du retrait des aides publiques, mais aussi parce que ce tissu ne correspondait peut-être pas bien à la demande. On le voit par exemple avec les agences immobilières, beaucoup se sont créées ces dernières années, le mouvement se retourne.
Je souscris à ce que dit Patrick Artus sur la politique monétaire. Qui plus est, quel degré de répression financière est-on obligé de s'infliger pour parvenir à 2 % d'inflation ? Faut-il vraiment en passer par là ? C'est un débat de politique économique. Pour passer de 3 % à 2 %, combien d'entreprises va-t-on laisser sur le tapis ?
Nous parlons de mobiliser l'épargne pour alimenter la consommation à court terme, c'est un débat. Le surplus d'épargne covid ne concerne guère les ménages modestes, alors que c'est l'épargne de ces ménages contraints qui abonde la reprise de la consommation. Donc le surplomb d'épargne va probablement durer, car ce ne sont pas les ménages qui doivent consommer qui le peuvent. Il y a déjà des recompositions entre les comptes courants, les comptes à terme et l'assurance vie. Cela circule mais il n'y a pas de désépargne. Par ailleurs, on va avoir besoin d'épargne pour financer la transition écologique, car le risque est existentiel. Que les personnes âgées soient prêtes à prendre plus de risques, c'est une bonne chose, il y a des paris à faire sur des technologies qui n'existent pas encore, l'épargne à risque est une opportunité en complément des finances publiques, qui peuvent aussi mieux se mobiliser qu'elles ne le font dans le cadre de subventions. Il vaut alors mieux apporter des garanties que des subventions.
Nous n'avons pas relevé la prévision de croissance potentielle du Gouvernement. Dans cette prévision, il y a un élément fort : l'emploi, avec l'allongement de la durée de vie au travail, la réforme de l'assurance chômage. Cela figure dans la trajectoire des finances publiques, et cela relève le potentiel d'offre dans la trajectoire de moyen terme. C'est un choix historique relativement consensuel, consistant à mobiliser les ressources en main-d'oeuvre et augmenter le taux d'emploi des jeunes, des seniors et des femmes en particulier.
Sur la productivité, je signale aussi que le fait de réintégrer les travailleurs peu qualifiés par des baisses de charges, au prix d'une baisse de la productivité apparente du travail, est un choix politique de longue date, assumé de manière transpartisane. Je crois qu'il faut continuer dans ce sens, parce que notre chômage structurel est encore élevé, par rapport à d'autres pays - ce qui n'empêche pas, bien au contraire, des efforts sur la formation initiale, continue et tout au long de la vie.
Enfin, nous avons à faire davantage d'investissements de transition, et de formation, qui ne sont pas nécessairement liés à la productivité, et nous devrons assumer cet aspect nouveau des choses.
M. Claude Raynal, président - Merci de vous être rendus disponibles.
IV. EXAMEN DU RAPPORT (8 NOVEMBRE 2023)
Réunie le mercredi 8 novembre 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Jean-François Husson, rapporteur général, sur les principaux éléments de l'équilibre du projet de loi de finances pour 2024.
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons ce matin les principaux éléments de l'équilibre du projet de loi de finances (PLF) pour 2024.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous présente ce matin mon analyse des prévisions macroéconomiques et de l'équilibre général du projet de loi de finances pour 2024. Je rappelle que nous nous retrouverons mercredi prochain, le 15 novembre, pour traiter en détail des articles de la première partie du PLF.
Un certain nombre des observations dont je vous ai fait part lors de l'examen en nouvelle lecture du projet de loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027 restent valables, en particulier en ce qui concerne le scénario macroéconomique proposé pour l'année 2024. Celui-ci apparaît en effet trop optimiste et détonne dans le contexte d'une politique monétaire particulièrement restrictive et d'une multiplication des incertitudes.
Le PLF 2024 s'inscrit dans les conditions particulières d'une sortie de la crise sanitaire et d'une sortie progressive de la crise énergétique et de l'inflation. Il est temps de dresser un bilan économique de la gestion de ces crises.
Le niveau de richesse de la France dépasse désormais franchement celui atteint en 2019. Toutefois, depuis l'entrée dans la crise sanitaire, le taux de croissance annuel moyen n'est que de 0,65 %. Plus problématique encore, si l'on compare l'activité française à la trajectoire de croissance observée avant 2020, la situation est détériorée. La France se retrouve, sur ces deux points, dans la moyenne basse de ses principaux partenaires européens.
Quand le ministre de l'économie, en poste depuis six ans, affirme que « la politique de l'offre, ça marche », je réponds donc que cela ne suffit pas.
Ce bilan pour le moins mitigé explique sans doute l'obstination avec laquelle le Gouvernement propose des prévisions macroéconomiques trop optimistes.
Je veux, à ce sujet, revenir sur un point : le Gouvernement proclame que ses prévisions de croissance pour 2023, critiquées l'an dernier pour leur optimisme, se sont révélées justes. Je note pourtant que le taux de croissance pour 2023, qui devrait en effet approcher 1 %, est dû à un deuxième trimestre particulièrement favorable, où la progression de l'activité a été qualifiée de « surprise » par la Banque de France, et d'événement « ponctuel » par l'Insee. Or, on ne peut fonder un scénario macroéconomique sur des « surprises ».
Le Gouvernement retient donc la prévision d'un taux de croissance du PIB de 1 % en 2023 et de 1,4 % en 2024. Ces prévisions ont été révisées depuis la présentation du programme de stabilité, à l'été dernier, où le taux de croissance prévu pour 2024 était de 1,6 %. Le Gouvernement se montre désormais moins optimiste.
Dans le détail, il estime que la consommation des ménages portera l'essentiel de la croissance en 2024, alors qu'elle l'avait freinée en 2023. La contribution à la croissance de l'investissement des entreprises reculerait, mais resterait positive, et l'investissement des ménages serait le seul frein réel.
Je considère que la prévision de croissance retenue par le Gouvernement pour l'année 2024 est trop optimiste. En effet, elle dépasse de 0,6 point la moyenne du consensus des économistes et s'établit au-dessus de la prévision la plus élevée.
Est-ce à dire, comme s'y risquait Sandrine Duchêne lors de la table ronde que la commission a organisée récemment, que l'ensemble des prévisions se caractérise par un biais optimiste ? Cela est fort probable et le PLF pour l'année 2024 me semble clairement construit sur des hypothèses de croissance trop fragiles.
Tout d'abord, le Gouvernement sous-estime singulièrement les effets de la politique monétaire. Je rappelle que la Banque centrale européenne (BCE) a procédé en quatorze mois à une augmentation de 450 points de base de ses taux d'intérêt directeurs, ce qui correspond au durcissement le plus sévère de son histoire. Il faudrait remonter au début des années 1980 et à l'ère où Paul Volcker était président de la Réserve fédérale des États-Unis (Fed) pour trouver des resserrements aussi brutaux dans les pays développés. Au total, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estime que cette contraction monétaire amputerait la croissance française de 0,9 point en 2024.
Ce serrement de vis monétaire pourrait se traduire par un recul de l'investissement des entreprises. Certes, le Gouvernement prévoit un ralentissement de sa hausse, mais la combinaison de l'extinction progressive des aides publiques, des échéances de l'Urssaf et des prêts garantis par l'État avec le durcissement monétaire pourrait renforcer cette tendance et se traduire par un recul net de l'investissement des entreprises.
Je rappelle que les effets de la politique monétaire sont, comme le montre la littérature économique, généralement retardés de plus d'un an. Les entreprises commencent par puiser dans leurs réserves - qu'elles ont accumulées grâce à des taux de marge élevés - puis, selon leur solvabilité et leur rentabilité, interrompent plus ou moins rapidement leurs projets, et, pour les plus fragiles, font faillite.
Le plein effet de ces restrictions monétaires devrait donc se faire sentir d'ici à la fin de l'année 2024, alors que le Gouvernement estime qu'il est majoritairement déjà derrière nous, ce qui ne me semble pas crédible.
Par ailleurs, compte tenu des défaillances d'entreprises, qui ne manqueront pas d'intervenir - le niveau de 2019 est d'ores et déjà atteint -, le chômage risque d'augmenter. Alors que le Gouvernement anticipe des créations d'emplois en 2024, la Banque de France prévoit quant à elle des destructions d'emplois. Selon elle, le taux de chômage s'établirait à 7,5 % en 2024, l'OFCE anticipant plutôt un taux à 7,9 %. Le taux de chômage n'augmenterait donc pas en flèche, mais nous sortirions d'une période d'accalmie.
Cette hausse du chômage, conjuguée à l'augmentation des taux d'intérêt, contribuerait à dégrader l'investissement des ménages dans une proportion supérieure à ce que prévoit le Gouvernement. Au total, le taux d'investissement augmenterait, selon le Gouvernement, de 0,3 % en 2024, mais il diminuerait de plus de 1 % selon la Banque de France et l'OFCE. L'optimisme du Gouvernement ne me paraît pas marqué du sceau de la modération.
Par ailleurs, cette reprise du chômage, même modérée, pourrait freiner la consommation des ménages, pourtant moteur essentiel de la croissance prévue en 2024.
Je précise aussi que l'instabilité de l'environnement international et la faiblesse de la croissance mondiale risquent de peser sur la croissance française. Le taux de croissance de la zone euro s'établirait, selon la Commission européenne, à 1,3 %, restant inférieur à 1 %, en Allemagne et en Italie, en raison de la diminution de la demande extérieure, due au ralentissement de l'économie chinoise qui enregistrerait son plus faible taux de croissance depuis cinquante ans.
Enfin, en matière de prévisions macroéconomiques, il faut rappeler les propos du président du Haut Conseil des finances publiques selon lequel la prévision du Gouvernement combine des hypothèses toutes favorables et prend donc peu en compte les nombreux aléas auxquels est soumis son scénario macroéconomique.
J'ai déjà en partie souligné les conséquences du recours à des hypothèses favorables, en mentionnant le manque d'anticipation de la politique monétaire.
Par ailleurs, le Gouvernement table sur un recul du taux d'épargne, de 18,6 % à 18,2 %. Or, des comportements de précaution, liés à la hausse probable du taux de chômage, à la réforme des retraites, voire à des anticipations d'inflation élevées, pourraient conforter le maintien du taux d'épargne à un haut niveau. La faible confiance des ménages ne joue pas non plus en faveur d'un mouvement de désépargne comparable à celui que l'on a pu observer cette année aux États-Unis.
Enfin, la prévision du Gouvernement a été élaborée avant l'attaque d'Israël par le Hamas, le 7 octobre dernier. Elle ne pouvait donc pas prendre en compte ses retombées économiques, encore impossibles à prévoir, ni pondérer le scénario des incertitudes qui lui sont associées, ce que l'on peut à peine commencer à faire. Un rapport de la Banque mondiale du 30 octobre 2023 envisage trois scénarios d'intensification du conflit, selon le degré de perturbation des approvisionnements en pétrole : le prix du pétrole pourrait passer de 90 dollars à une fourchette comprise entre 93 dollars et 157 dollars. Le risque de reprise de l'inflation existe donc. Selon la gravité du conflit, les effets positifs de la baisse de l'inflation pourraient se trouver annulés, avec pour conséquence possible un nouveau durcissement de la politique monétaire. Cet exercice de prospective, sans doute un peu sombre, reste évidemment très incertain : il vise surtout à comprendre les aléas profonds auxquels sont exposées les prévisions macroéconomiques pour 2024.
De manière générale, les perspectives de la croissance mondiale s'assombrissent et l'augmentation de la demande mondiale adressée à la France, que le Gouvernement estime à 3 % en 2024, doit être considérée avec réserve et circonspection.
En outre, il est légitime de se demander si la contribution du commerce extérieur à la croissance sera toujours positive en 2024.
J'en viens à la présentation de la situation des finances publiques. Je veux tout d'abord vous alerter sur la position particulièrement dégradée de la France dans le peloton européen, à l'heure où la hausse des taux d'intérêt et le poids croissant de la dette imposeront des mesures de consolidation plus amples.
En 2024, le déficit public devrait atteindre 4,4 % du PIB, selon le Gouvernement. Il s'agit, encore une fois, d'une estimation optimiste, puisque si la croissance est plus faible que prévu, les recettes publiques le seront aussi. Si l'on retient les prévisions du Fonds monétaire international (FMI), en pourcentage du PIB, la France aurait en 2024 le deuxième déficit public le plus élevé de la zone euro.
L'endettement public se maintiendrait, en pourcentage du PIB, à un taux avoisinant 110 %, ce qui représente une hausse de près de 12 points depuis 2017. Là encore, la France serait sur le podium des pays les plus endettés de la zone euro en 2024, juste derrière la Grèce et l'Italie, et cela alors que notre pays n'a pas été soumis à des chocs économiques plus violents que ses partenaires européens.
Les recettes publiques progresseront de presque 100 milliards d'euros entre 2022 et 2024. Cette hausse est bien répartie entre 2023 et 2024, malgré une croissance du PIB en valeur beaucoup plus forte en 2023 du fait de l'inflation. En effet, l'élasticité des recettes à l'activité serait très faible en 2023, estimée à 0,6, et reviendrait à un niveau normal, à 1,1, en 2024.
Plusieurs mesures nouvelles viendront réduire le rendement fiscal, comme la moindre contribution sur les rentes inframarginales des producteurs d'électricité ou encore le lissage de la suppression de la deuxième tranche de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) en quatre ans.
Les dépenses progresseront également de 100 milliards d'euros entre 2022 et 2024. En réalité, cette hausse des dépenses sera encore plus importante, car il faut intégrer dans cette évolution celles liées aux crises de l'année 2022. Les dépenses progresseraient alors de 131 milliards d'euros en deux ans.
Enfin, en comptabilité nationale, la charge de la dette augmenterait d'environ 11 milliards d'euros sous l'effet, principalement, de la hausse des taux d'intérêt - le renchérissement des intérêts versés au titre des obligations indexées sur l'inflation est déjà intervenu en 2021 et 2022.
Le solde public restera particulièrement dégradé en raison de la situation financière de l'État - j'y reviendrai dans un instant.
Les administrations locales, pour leur part, parviennent à relever le défi de l'équilibre des comptes en 2024, l'essentiel du très faible déficit étant dû aux lourdes dépenses d'investissement de la Société du Grand Paris (SGP), largement pilotées par l'État. Il faudra attirer l'attention du Gouvernement sur ce point.
Le solde des administrations sociales demeurerait en excédent. Sa légère dégradation s'expliquerait, d'une part, par la hausse des prestations vieillesse, due aux revalorisations liées à l'inflation, et, d'autre part, par la progression des dépenses dans le champ de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), liée notamment aux mesures d'attractivité à l'hôpital, comme la revalorisation des heures de nuit pour les infirmiers et les aides-soignants, l'augmentation des primes du week-end pour les infirmiers ou encore l'augmentation des tarifs des gardes.
Enfin, il me faut aborder le sujet de la charge de la dette, qui ne devrait pas cesser d'augmenter d'ici à 2027. En effet, la hausse des taux d'intérêt que nous connaissons actuellement - le taux français à dix ans est passé de 0 % à près de 3,5 % en deux ans - se répercutera progressivement sur la charge de la dette.
Or - Patrick Artus nous a alertés sur ce point dans le cadre de la table-ronde des économistes que la commission a organisée récemment - les taux réels, dont l'augmentation provient en grande partie d'une politique monétaire très restrictive, pourraient à moyen terme devenir supérieurs au taux de croissance réelle, ce qui produirait une augmentation auto-entretenue de la dette.
Le ministre de l'économie vante sa politique de l'offre. Pourquoi pas ? Mais en réalité je vois surtout une politique de la dette.
Si la consolidation budgétaire ne doit pas être brutale, ce qui risquerait de ralentir la croissance, elle doit être déterminée. Or, elle est inexistante. Comme je vous l'avais indiqué lors de l'examen en nouvelle lecture du projet de loi de programmation des finances publiques, des économies sont nécessaires et ce, dès le PLF pour 2024.
Voyons à présent comment la situation des finances publiques se décline dans le budget de l'État, qui fait l'objet de l'autorisation parlementaire de la loi de finances.
En 2023, le montant du déficit budgétaire atteindrait 172 milliards d'euros, contre 164 milliards d'euros prévus en loi de finances initiale. Il y a un an, le budget qui nous était soumis prévoyait une amélioration du solde de 14 milliards d'euros entre 2022 et 2023. On constate finalement une dégradation du solde de 20 milliards d'euros entre les deux années. D'une part, le déficit avait été très surévalué en 2022, ce qui renvoie aux difficultés que rencontre le Gouvernement à prévoir l'état des finances, même en fin d'année ; d'autre part, le solde en 2023 a été affecté par plusieurs phénomènes. Les recettes fiscales se sont bien tenues, en partie parce que l'État a décidé de prélever 2 milliards d'euros de TVA, en cours d'année, à l'Unédic. Les recettes non fiscales, en revanche, sont moindres que prévu et, surtout, la charge de la dette dépasse les prévisions de 3,8 milliards d'euros, sous l'effet de l'inflation et des charges d'intérêt. Nous examinerons tous ces éléments plus en détail, la semaine prochaine, dans le cadre du collectif budgétaire.
Le montant du déficit budgétaire est prévu à 144,5 milliards d'euros en 2024, représentant 45,7 % des ressources nettes sur le périmètre du budget général. Espérons que les quatre années précédentes, au cours desquelles le déficit a été systématiquement sous-estimé par le projet de loi de finances, ne se répéteront pas.
J'aurais pu choisir un autre chiffre : la somme des dépenses et des dettes à rembourser en 2024 sera égale à 608 milliards d'euros, soit le double de ces mêmes ressources. D'où des émissions de dette proches de 300 milliards d'euros.
La prévision d'une baisse du déficit entre 2023 et 2024 est surtout liée à la diminution des crédits alloués aux mesures d'urgence, sur laquelle je reviendrai plus en détail dans un instant. En effet, hors mesures d'urgence, les dépenses augmentent encore de 5,8 milliards d'euros.
La France entrera en 2024 dans la cinquantième année consécutive de déficit budgétaire, mais depuis cinq ans nous vivons dans une nouvelle ère, celle des déficits extrêmes.
En effet, la crise sanitaire a conduit le Gouvernement à établir un nouveau socle de déficit de l'ordre de 150 milliards d'euros par an, contre 90 milliards d'euros dans les années précédentes, ce qui était déjà considérable. Ce nouveau mode de gestion budgétaire, qui pouvait s'expliquer durant les deux premières années par la nécessité de faire face à la crise sanitaire, aboutit à l'accumulation d'un surcroît de déficit de 400 milliards d'euros en cinq ans.
Le budget général n'est pas seul concerné. Il faut par exemple s'inquiéter de l'évolution du plus important des comptes spéciaux, celui qui finance les pensions : d'ici à 2026 une action de l'État - sans doute un abondement - sera certainement nécessaire.
L'accumulation des déficits a pour conséquence directe, lorsqu'on ne dispose pas de recette exceptionnelle, d'accroître la dette. Il en ressort, d'une part, l'explosion de la charge de la dette, dont j'ai déjà parlé ; d'autre part, la nécessité de rembourser chaque année un montant croissant de titres de dette arrivant à échéance. La seule manière de les rembourser étant d'émettre de nouvelles dettes, les deux courbes se « poussent » en quelque sorte l'une l'autre. Cela signifie que la hausse des taux d'intérêt n'accroît pas seulement le coût de financement des 145 milliards d'euros du déficit annuel, mais que si par miracle le déficit passait à zéro l'an prochain, il faudrait encore contracter quelque 160 milliards d'euros de dette, aux taux actuels, afin de faire rouler la dette existante.
Ce phénomène caractérise également la politique de la dette du Gouvernement.
Quant aux recettes fiscales nettes et non fiscales du budget général, elles progressent de 3,9 % en valeur, soit 1,4 % hors inflation. Leur composition continue toutefois d'évoluer dans le sens d'une plus grande dépendance à la conjoncture économique.
Les recettes fiscales nettes passeraient de 332,1 milliards d'euros en 2023 à 349,7 milliards d'euros en 2024.
Si les produits de la TVA et de l'impôt sur le revenu progressent à peu près au rythme de l'activité économique, celui de l'impôt sur les sociétés connaîtrait un nouveau rebond pour atteindre 72,2 milliards d'euros. Cet impôt représentait autour de 10 % des recettes fiscales il y a cinq ans ; il dépasse désormais les 20 % alors que la part de la TVA, à l'inverse, est passée de 50 % à 28 %. Cette évolution est due à l'affectation croissante de parts de TVA à d'autres administrations, qui se poursuivra encore en 2025 pour le financement des régimes spéciaux. Il faut y prêter attention.
En effet, la TVA est une recette assez prévisible, comme l'impôt sur le revenu. L'impôt sur les sociétés, quant à lui, dépend de l'évolution annuelle de la production, car il est assis sur les bénéfices des entreprises. Il subit également les conséquences de ses règles de report, ce qui le rend beaucoup plus volatile. Le discours du Gouvernement sur la hausse du produit de l'impôt sur les sociétés qui découlerait mécaniquement de la baisse de son taux, et d'une meilleure situation des entreprises, ne doit pas être pris au pied de la lettre : en réalité, les ressources de l'État sont beaucoup plus aléatoires.
En outre, du point de vue des collectivités territoriales et des administrations de sécurité sociale, le financement par la TVA est un moyen commode pour faire accepter des transferts de charge ou des suppressions de ressources, mais cette pratique n'a rien d'idéal, dans la mesure où elle déconnecte l'impôt de l'action locale et favorise la perte de souveraineté fiscale des collectivités. L'État exerce une forme de gouvernement à distance par l'affectation de parts d'impôts nationaux. Le cas de l'Unédic est éclairant : en effet, l'État a décidé de prélever plusieurs milliards d'euros sur la trésorerie de cet opérateur. Si, en apparence, l'État ne garde dans ses caisses qu'un tiers des 300 milliards d'euros payés par les contribuables français au titre de la TVA, il conserve en réalité la pleine maîtrise juridique du dispositif.
Pour le reste, le produit de l'impôt sur le revenu progresse à peu près au même rythme que le PIB nominal et devrait s'établir à 94,1 milliards d'euros.
Il en va de même pour la TVA, dont le produit global est réparti entre les remboursements et les dégrèvements, les administrations de sécurité sociale et les collectivités, ainsi que l'audiovisuel public depuis 2022, la part résiduelle revenant à l'État.
Un émiettement comparable caractérise, à une échelle moindre, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), dont le produit reste globalement stable en 2024 à 31,7 milliards d'euros.
Le montant des recettes non fiscales, soit 22,6 milliards d'euros, inclut depuis trois ans les versements européens au titre du plan de relance. Un versement de 10,9 milliards d'euros est prévu cette année, qui a été demandé à la fin du mois de juillet dernier. Si la somme était versée au début du mois de janvier prochain plutôt qu'à la fin du mois de décembre, il faudrait ajouter ce montant dans le calcul du déficit budgétaire de 2023 et le retirer de celui de 2024.
Pour clore le chapitre des recettes, je dois dire un mot des dépenses fiscales qui les minorent de 78,7 milliards d'euros en 2024, montant qui est en réalité sous-estimé d'environ 10 milliards d'euros. En effet, le Gouvernement a choisi de comptabiliser désormais les dépenses fiscales relatives à la TVA à hauteur de 50 % environ de leur coût réel, sous prétexte qu'il s'agit là de la part de TVA nette qui revient à l'État. Ce choix me paraît très contestable, car les parts de TVA affectées à d'autres administrations ont été calculées selon leurs besoins à un moment donné et ne dépendent donc que très peu des dépenses fiscales. Par conséquent, les documents budgétaires nous livrent désormais une vision incorrecte du coût réel de ces dépenses fiscales et il faut espérer que le Gouvernement reviendra sur ce choix l'an prochain.
Les dépenses budgétaires sont examinées après les recettes parce que, en bonne gestion budgétaire, elles devraient être déterminées en fonction de celles-ci. En pratique, la dérive des dépenses est telle que le Gouvernement semble avoir supprimé tout lien avec l'évolution des recettes. C'est là une conséquence toxique du « quoi qu'il en coûte ».
L'État n'agit pas seulement par les crédits budgétaires et on peut mesurer les dépenses réelles de plusieurs manières. Les crédits de paiement, hors pensions, remboursements et dégrèvements, sont de 392,8 milliards d'euros. On peut aussi considérer les moyens globaux en incluant les contributions aux pensions, les dépenses fiscales et les autres ressources décidées en loi de finances.
Dans les deux cas, les deux principaux postes de dépense sont l'enseignement scolaire et, désormais, les engagements financiers de l'État. Cette évolution se poursuivra dans les années à venir. En 2026, les engagements financiers de l'État devraient représenter le premier poste de dépenses, avec un montant égal au budget conjoint des armées et des forces de sécurité.
En 2024, si l'on se limite au champ des crédits budgétaires hors pensions, la plupart des missions du budget général verront leurs crédits augmenter, d'un montant supérieur à 1 milliard d'euros pour sept d'entre elles.
Les crédits de l'enseignement scolaire augmenteront pour financer les revalorisations de rémunération. Ceux de la défense et d'autres missions bénéficieront des hausses prévues par leurs lois de programmation respectives. Dans le cadre de la mission « Travail et emploi », France Compétences recevra une nouvelle dotation de 2,5 milliards d'euros.
Les diminutions de crédits correspondent à la réduction naturelle des dispositifs mis en place pendant la crise sanitaire, que ce soit le plan de relance, ou les aides pour faire face à l'inflation.
Il faut le dire : le Gouvernement affiche en trompe-l'oeil 16 milliards d'euros d'économies et celles qu'il envisageait de réaliser à la suite de la revue de dépenses du printemps dernier sont repoussées à 2025 et 2026 dans le projet de loi de programmation. S'agissant par exemple des opérateurs de l'État, le ministre de l'économie et des finances annonçait à la télévision, au mois de juillet dernier, une réduction de leur trésorerie de 1,2 milliard d'euros, jugée excédentaire par l'Inspection générale des finances. En réalité, les moyens des opérateurs concernés augmentent dans ce projet de loi de finances.
En 2017, le candidat Emmanuel Macron déclarait : « Nous réaliserons 60 milliards d'euros d'économies, en responsabilisant les ministres sur leurs objectifs de réduction des dépenses ». Or, en euros constants, les dépenses ont augmenté de plus de 20 % depuis 2017, soit un montant de 90 milliards d'euros.
Les grandes missions du budget sont toutes concernées par l'augmentation des crédits. La mission « Écologie », après le gonflement considérable de ses crédits dans le cadre du bouclier tarifaire, reste en hausse de 62 % par rapport à 2017. Les seules véritables économies ont porté sur la politique du logement et concernent les bénéficiaires des aides au logement et les bailleurs sociaux.
Enfin, l'un des signes les plus sûrs de l'absence de volonté de maîtrise des finances de l'État est l'évolution de l'emploi public, car les embauches d'aujourd'hui déterminent les dépenses pour plusieurs décennies.
Le 27 septembre dernier, le Gouvernement nous a présenté un projet de loi de finances prévoyant un accroissement des effectifs de 8 273 équivalents temps plein (ETP). Quelques heures plus tard, il engageait sa responsabilité sur un projet de loi de programmation des finances publiques promettant la stabilité de l'emploi jusqu'en 2027.
Encore une fois, les ministères prioritaires sont favorisés, conformément aux lois de programmation, sans que soient identifiés des ministères et des politiques moins prioritaires : cette année, aucun ministère ne connaît de diminution significative de ses effectifs. Le Gouvernement semble céder à la facilité.
Quant à la masse salariale, elle a augmenté en volume de près de 10 % depuis 2017, ce qui correspond à une augmentation de 23 % en euros courants.
Pour conclure, je considère que le Gouvernement ne prend pas la mesure de la situation. Il est intoxiqué au « quoi qu'il en coûte ». Le déficit public s'installe à des niveaux extrêmes parce que la dépense publique progresse très fortement. La croyance selon laquelle on pourrait repousser les problèmes budgétaires et financiers à plus tard n'est, de mon point de vue, ni raisonnable ni courageuse. En réalité, dans ce contexte de hausse des taux d'intérêt, la charge de la dette aura plus que doublé entre 2017 et 2027. Il est d'autant plus urgent d'y remédier que nous devons aussi faire face à l'urgence climatique. Nous ne pouvons laisser porter la majeure partie de ce fardeau aux jeunes générations. C'est pourquoi nous devons faire preuve d'esprit de responsabilité.
M. Marc Laménie. - Dans une page du document, le total des recettes publiques est estimé à 1 511 milliards d'euros et celui des dépenses publiques à 1 640 milliards d'euros. Les montants indiqués dans une autre page sont nettement inférieurs. Comment expliquer ces gros écarts ?
M. Vincent Delahaye. - Ce rapport établit un constat objectif de la situation catastrophique de nos finances publiques. Le Gouvernement ne semble pas l'entendre et poursuit dans le « quoi qu'il en coûte ». Il remplace des dépenses exceptionnelles par des dépenses pérennes et donne l'impression qu'il suffit d'augmenter les moyens pour rehausser la qualité des services publics et les résultats obtenus. En réalité, ce n'est pas le cas : il suffit d'observer la situation dans l'éducation nationale.
Nous sommes nombreux à nous interroger sur les évolutions assez erratiques du produit de la TVA. Sur quels critères s'appuyer pour avoir des prévisions plus fiables sur ce sujet ?
Enfin, si l'on veut que les Français nous comprennent, nous devons employer des termes compréhensibles. Or, la notion de « rente inframarginale » n'a rien d'évident, pas même pour nous.
M. Éric Bocquet. - Je me demande s'il ne faudrait pas modifier l'intitulé de ce rapport, car l'équilibre semble une cause perdue ou reste, du moins, difficile à trouver. Le texte prévoit des dépenses nettes d'un montant de 511 milliards d'euros et des recettes à 372 milliards d'euros, soit un déficit de 139 milliards d'euros. Le budget est déséquilibré et le Gouvernement s'apprête à réemprunter 285 milliards d'euros. Aucun ménage ni aucune entreprise ne survivrait à un budget que l'on équilibre en creusant la dette. Le rapporteur général a rappelé que nous nous apprêtions à voter pour la cinquantième année un budget en déséquilibre, financé en partie croissante par la dette. Je ne peux que saluer son courage et son volontarisme face à cette situation.
Votre proposition consiste à réduire la dépense publique, qui contribue - rappelons-le tout de même - à nourrir la croissance, car si les salaires augmentent, la consommation croît, ce qui produit davantage de TVA. Un cercle vertueux pourrait s'enclencher.
Sur les intérêts de la dette, n'est-il pas temps de remettre en cause les obligations à terme (OAT) indexées sur l'inflation ? Elles ont été créées il y a une vingtaine d'années et sont la cause principale de l'augmentation des intérêts, hormis le volume de la dette qui s'accroît. Sans doute faudrait-il envisager un autre type de financement. Je précise toutefois que la pratique de l'équilibre par la dette est bien antérieure à la présidence de M. Macron.
Le rapporteur général emploie le terme de « déficit extrême » après le « déficit excessif » qui avait suscité la méfiance de la Commission européenne. Je crois que l'on pourra parler d'un « déficit spectaculaire », « alarmant » ou « catastrophique » dans les années à venir.
Les créanciers, que nous risquons de devoir solliciter à nouveau, sont-ils inquiets ?
La Cour des comptes a publié, en juillet dernier, un rapport sur les dépenses fiscales. On recense 464 dispositifs en France pour un montant total de 94,2 milliard d'euros. Nos collègues du groupe Union centriste ont déjà travaillé sur le sujet et devraient poursuivre dans cette voie. Certaines dépenses fiscales ont leur intérêt, mais d'autres mériteraient d'être revues, car elles n'ont pas forcément d'efficacité réelle sur l'économie ou la croissance.
Soutiendrez-vous la suppression de la CVAE ? En effet, vous ne pouvez pas d'un côté dénoncer le déséquilibre du budget et de l'autre être favorable à une mesure qui contribue à l'aggraver.
Enfin, il manque un volet de propositions dans ce rapport. Quelle sera votre méthode pour arriver à l'équilibre tant réclamé par tous ?
M. Thierry Cozic. - Nous sommes face à une équation impossible. Ce rapport analyse l'équilibre général du PLF pour 2024, mais le Gouvernement, qui ne veut surtout pas toucher aux recettes, se concentre uniquement sur les dépenses. La baisse du déficit public qu'il envisage pour 2024 reste principalement due au rabot sur le bouclier tarifaire et à la hausse des recettes fiscales, en partie liée à l'inflation. Dans cet exercice d'équilibriste, le Gouvernement tente tant bien que mal de ménager les contraires, entre l'engagement de réduire drastiquement le déficit public et les promesses hasardeuses d'investissement pour des lendemains meilleurs.
Depuis 2018, les dogmes ne varient pas et le Gouvernement reste fidèle à sa politique de baisse d'impôt. Il prévoit ainsi d'indexer le barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation de 2023, ce qui représentera un manque à gagner pour les caisses de l'État de 6,1 milliards d'euros en 2024. Il aurait pourtant été opportun de limiter cette indexation en ne l'appliquant qu'aux contribuables les plus modestes.
Face à l'absurde, le Gouvernement persiste et signe : c'est un principe auquel il ne déroge pas. Depuis 2018, il entreprend systématiquement de diminuer la fiscalité du capital pour les entreprises et nos concitoyens les plus aisés, en espérant que cela finisse par ruisseler sur l'économie.
Pourtant, les études scientifiques peinent à trouver les effets vertueux de telles réformes pour l'économie française. Les rapports de France Stratégie se succèdent et ne changent pas. Celui du comité d'évaluation confirme que, concernant l'instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU), « aucun effet n'a pu être identifié sur l'économie réelle ». Le constat est le même pour ce qui est de la transformation de l'impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI).
Or, ces mesures ont un coût pour la collectivité, puisque le produit des impôts supprimés depuis 2017 représente plus de 50 milliards d'euros. C'est autant de recettes fiscales manquantes. Elles pourraient participer à un meilleur équilibre du budget en donnant la priorité aux engagements financiers qui correspondent aux besoins de l'époque.
M. Albéric de Montgolfier. - Pendant le précédent quinquennat, la charge de la dette était contenue par la baisse des taux d'intérêt. Chaque année, nous répétions que nous n'étions pas à l'abri d'une remontée de ces taux. Celle-ci s'est désormais installée de manière durable, à hauteur de 3,5 %. C'est inquiétant. La charge de la dette augmentera d'ici trois ans jusqu'à atteindre 84 milliards d'euros, soit l'équivalent du produit de l'impôt sur le revenu. Y a-t-il un autre pays dans l'Union européenne qui accepte que le quart de ses recettes fiscales serve uniquement à payer les intérêts de la dette ?
M. Vincent Capo-Canellas. - Les perspectives ne sont pas favorables. Je retiens néanmoins la notion de flou, car les incertitudes au niveau international sont fortes. Albéric de Montgolfier vient de mentionner la stabilisation éventuelle des taux d'intérêt. Peut-on envisager leur desserrement et quelles seraient les conséquences sur l'économie globale, notamment sur l'inflation ?
La productivité est un sujet de fond. L'Europe décroche par rapport aux États-Unis. S'agit-il simplement d'une conséquence de la crise covid et du développement du télétravail ? Le chômage ayant baissé, les personnes qui sont revenues à l'emploi sont-elles moins productives ? Le taux d'activité peut être une solution, même si le débat s'annonce compliqué, comme on a pu le constater lors de l'examen du texte sur la réforme des retraites.
La Société du Grand Paris est financée par les impôts des Franciliens. Sa dette entre dans les chiffres globaux des administrations publiques. La décision concernant ce mode de financement est ancienne : elle date de Nicolas Sarkozy et l'on s'en félicite.
Mme Sylvie Vermeillet. - Vous indiquez que les émissions de dette semblent stables entre 2010 et 2019, avec un encours entre 188 milliards d'euros et 200 milliards d'euros, puis un décrochage au moment de la crise sanitaire, puisque l'encours passe à 260 milliards d'euros et atteint désormais 285 milliards d'euros. Qu'est-ce qui relève des conséquences de la crise sanitaire dans la hausse des émissions de dette ? Est-il possible d'isoler cet élément ? En outre, le temps d'amortissement de la dette covid est-il le même que pour les emprunts classiques ?
M. Bruno Belin. - Que représentent les 94 milliards d'euros de niches fiscales mentionnés par mon collègue Bocquet ?
Monsieur le rapporteur général, quelles seraient les trois premières mesures que vous prendriez si vous étiez nommé à Bercy ?
M. Emmanuel Capus. - J'ai bien noté les remarques du rapporteur général sur l'augmentation des effectifs de l'État et je partage son inquiétude à ce sujet. Notre groupe propose chaque année, lors de l'examen du PLF, de réduire la masse salariale de l'État. Toutefois, ce sont les effectifs des ministères régaliens qui augmentent et, dans le contexte actuel, il paraît difficile de les réduire. Par conséquent, dans quel ministère pourrait-on plus facilement procéder à des réductions d'effectifs ?
M. Bernard Delcros. - La situation est compliquée et nous souhaitons tous redresser les finances publiques, réduire le déficit et stabiliser notre endettement. Nous n'y parviendrons pas sans agir sur le levier des recettes. En effet, les dépenses engagées sont pour un certain nombre d'entre elles incontournables, notamment celles qui relèvent des lois de programmation ou bien celles qui concernent des secteurs comme la transition écologique, la santé, la justice ou l'éducation.
Ne pensez-vous pas que, dans ce contexte, il serait opportun de différer la suppression de la deuxième partie de la CVAE, qui représente tout de même 1 milliard d'euros de recettes par an dans les années qui viennent ?
M. Stéphane Sautarel. - La dette est la préoccupation majeure de chacun. Il ne faut pas désespérer quant à la prise de conscience de nos concitoyens sur ce sujet et c'est à nous de faire preuve de pédagogie. La dette effraie tout le monde et cela d'autant plus que l'on manque d'information. La dépense fiscale et la réduction des effectifs sont les deux sujets majeurs auxquels nous devons nous attaquer.
Sur la réduction des effectifs, est-il possible d'avoir une approche différenciée entre ceux qui sont producteurs du service public auquel ils sont affectés et ceux qui relèvent de l'administration « administrante » ? Au moment de la crise sanitaire, on évaluait que dans les hôpitaux français les soignants représentaient 56 % de la masse salariale contre 70 % en Allemagne. Les chiffres ne doivent pas être très différents dans d'autres secteurs comme, par exemple, l'éducation nationale. Peut-on envisager de suivre cette piste afin de construire une trajectoire de réduction des effectifs qui ne diminue pas pour autant la production du service public à laquelle nous sommes tous attachés ?
M. Grégory Blanc. - Je nourris les mêmes inquiétudes que le rapporteur général quant à la sous-estimation du taux de croissance et à l'augmentation de la dette. L'absence de prise en compte du mur d'investissement climatique est préoccupante. Ce budget se caractérise par un refus de choisir, car rien n'est engagé pour tenir compte de la dette environnementale ni pour soutenir l'investissement privé des entreprises en matière de préservation de l'environnement. Le texte met en oeuvre une politique de la dette, mais cette dette ne sert qu'à soutenir l'affaiblissement de certaines recettes.
Dans ce contexte, l'étalement de la suppression de la CVAE est-il pertinent ? Comment travailler pour faire émerger une fiscalité plus verte ? La projection du déficit en 2027 envisage un montant de 84 milliards d'euros. Si l'on poursuit dans cette voie, il sera très difficile d'agir sur la dette climatique, voire sur la dette tout court.
M. Christian Bilhac. - Le rapporteur général n'a pas fait preuve d'un optimisme débordant, mais ses analyses sont le reflet de la réalité.
La TVA nette donne lieu à un tour de passe-passe digne de celui du compté à part au moment de la crise covid. Le produit de l'impôt sur les sociétés est évalué à 70 milliards d'euros, celui de l'impôt sur le revenu à 90 milliards d'euros et celui de la TVA à 100 milliards d'euros, ce qui paraît relativement équilibré. En réalité, le montant total de TVA dont s'acquittent les Français équivaut à 300 milliards d'euros. Il faudrait clarifier la situation pour que chacun puisse disposer d'une approche du budget qui corresponde à la réalité.
La TVA est une recette affectée, mais des dizaines d'autres chiffres figurent dans le budget, qui n'apparaissent pas forcément sous leur montant net. Privilégier le net sur le brut revient à camoufler la réalité aux Français. Nos concitoyens paient en réalité 300 milliards d'euros de TVA. Les chiffres sont là.
De manière plus générale, le Gouvernement continue de pratiquer la politique du rabot sans définir de priorités claires. Mieux vaudrait des réformes structurelles. Si l'on rapporte le coût des enseignants qui enseignent à la masse salariale de l'éducation nationale, on est loin de nos voisins européens ; idem à l'hôpital. Les coûts administratifs sont énormes. Pourquoi ne pas s'attaquer au nerf de la guerre, à ce millefeuille qui s'exerce dans tous les domaines, notamment le tourisme ? Sans réforme de structure, nous irons dans le mur.
M. Michel Canévet. - Le rapporteur général s'est montré à la fois réaliste et pessimiste.
On peut être très inquiet de la situation financière de nos comptes publics, particulièrement dégradée, avec un déficit lourd et persistant et un niveau de dette qui risque d'altérer notre capacité à restaurer l'équilibre de nos comptes publics. Le groupe Union centriste formulera des propositions, car nous devons réduire le déficit public et trouver des recettes nouvelles, qui proviendront aussi des niches fiscales.
Le rapporteur général s'est montré pessimiste sur l'évolution de la croissance. En effet, le Gouvernement doit afficher une ligne ambitieuse forte pour l'évolution économique de notre pays, s'il veut attirer des recettes.
Enfin, l'un de vos graphiques indique 64 milliards d'euros de crédits pour l'enseignement scolaire, l'autre 87 milliards d'euros. Comment expliquer cette différence de montant ?
Mme Isabelle Briquet. - Plusieurs de nos collègues ont suggéré la nécessité de supprimer des postes. Mais dans quels domaines peut-on envisager de le faire pour que ces suppressions contribuent véritablement à réduire la dépense publique ?
M. Arnaud Bazin. - L'un de nos collègues a mentionné la part d'endettement due à la Société du Grand Paris. Cela me donne l'occasion de revenir sur la distinction qu'il faut établir entre la « bonne dette », celle des investissements d'avenir, et la « très mauvaise dette », qui permet d'équilibrer les dépenses courantes. La Société du Grand Paris représente 200 kilomètres de lignes de métro neuves et 68 gares. Elle est surtout financée par la TVA et contribue à l'augmentation du PIB. C'est une opération rentable.
Peut-on établir un ordre de grandeur concernant la part de ce qui relève des investissements d'avenir et celle qui correspond à de la « mauvaise dette » dans ce budget ? Les Français gagneraient à connaître l'équilibre des dépenses courantes, même en ordre de grandeur.
La suppression de la CVAE a été décidée par le Gouvernement, malgré nous. Celui-ci avait remis à plus tard la répartition de la dynamique de la CVAE. Une partie de la CVAE semble avoir été préemptée pour financer le fonds vert. Qu'en est-il exactement de la répartition de cette dynamique ? Pouvons-nous en être informés de manière claire avant d'avoir à nous prononcer sur la suppression de la CVAE en 2024 ?
M. Claude Raynal, président. - Merci d'avoir fait ce rappel sur la « bonne » et la « mauvaise » dette, ce vieux sujet, que nous n'arrivons jamais à traiter, mais c'est bien de le rappeler.
M. Victorin Lurel. - M. Bocquet évoquait un montant de 94 milliards d'euros pour les dépenses fiscales selon le rapport de la Cour des comptes, alors que le montant indiqué dans le rapport est de 78,6 milliards d'euros. Je ne comprends pas bien la décomposition de ce montant et cet écart de chiffres, de même d'ailleurs que les montants affichés pour l'outre-mer. Peut-on avoir plus d'informations sur ces chiffres ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Monsieur Laménie, le premier chiffre que vous avez mentionné concerne l'ensemble des dépenses publiques, le second la dépense publique de l'État. La décomposition détaillée de l'ensemble de ces données figure dans le rapport.
Monsieur Delahaye, je partage votre analyse, qui n'est pas d'un pessimisme trop lourd, compte tenu de la situation. Les indicateurs sont clairs et lors de la table ronde que nous avons organisée avec les économistes, ceux-ci nous l'ont confirmé. On peut rester dans une forme de déni ou bien, comme le suggère Michel Canévet, tenter de faire preuve d'ambition. Toutefois, l'ambition ne suffit pas à faire une politique.
L'évolution des recettes de TVA est assez prévisible.
La rente inframarginale est, en effet, une notion peu claire. À nous de faire comprendre à nos concitoyens ce qu'elle recouvre.
Monsieur Bocquet, nous pourrons travailler plus finement avec l'agence France Trésor, qui assume sa mission avec professionnalisme, sur les intérêts de la dette et les OAT indexées sur l'inflation. Il faudrait analyser les avantages et les inconvénients de cette indexation pour déterminer les orientations futures. Quel que soit le dispositif, quand on a besoin d'emprunter, l'organisme prêteur se fait toujours rémunérer pour le service qu'il rend. L'indexation sur l'inflation a longtemps été une bonne affaire. On ne peut pas trouver le dispositif regrettable dès lors qu'il tourne à notre désavantage. La solution est sans doute dans le dosage.
Les agences de notation se sont montrées prudentes et notre notation reste stable. Évitons d'être excessivement pessimistes. Mais la situation géopolitique peut à tout moment provoquer une nouvelle flambée des prix de l'énergie. Nous devons faire preuve d'une grande vigilance.
Monsieur Cozic, nous aurons l'occasion d'aborder le sujet du barème de l'impôt la semaine prochaine. La désindexation aurait pour effet d'augmenter ce barème. Je ne suis pas certain que les Français le souhaitent, compte tenu du niveau des prélèvements obligatoires que nous connaissons déjà.
Monsieur de Montgolfier, en 2022, l'Espagne et l'Italie devançaient la France en ce qui concerne la charge de la dette en proportion du PIB.
Monsieur Capo-Canellas, la multiplication des incertitudes est réelle. Dans ce contexte, si la situation de nos finances publiques est trop dégradée, le risque est de manquer de ressources pour faire face à une nouvelle crise. Dans le PLF tel qu'il est construit, tout est très tendu.
La question de la productivité est un sujet préoccupant. La politique volontariste des États-Unis pose problème. L'absentéisme des Français au travail a doublé. On constate ainsi une augmentation du taux d'absentéisme de 3 % à 6 % chez les moins de 35 ans. Le problème tient sans doute au nombre d'heures travaillées. Pour redonner du pouvoir d'achat aux Français, il faut permettre à ceux qui veulent travailler plus et mieux gagner leur vie de le faire. Les entreprises et les partenaires sociaux doivent faire preuve de souplesse. Face à la pénurie dans certains emplois, on ne peut pas rester bloqué dans les dispositifs d'hier ou d'avant-hier. La solution n'est pas qu'arithmétique.
Monsieur Belin, les dépenses des missions nouvelles sont toutes en augmentation. C'est irresponsable. Si certaines missions nécessitent des besoins supplémentaires, y compris en personnel, rien n'empêche de fonctionner par redéploiement ou réorganisation. Par exemple, à la direction générale des finances publiques (DGFiP), les services de trésorerie ont été réorganisés et le bilan n'est pas aussi négatif qu'on pouvait le craindre. Le transfert sur les opérateurs privés comme les bureaux de tabac a bien fonctionné car l'amplitude horaire et le niveau de service se sont améliorés. Ce travail a pris du temps et tout n'est pas parfait, mais c'est un bel exemple de la possibilité de réorganiser un service en l'adaptant aux besoins de demain. Tant qu'on envisagera les dispositifs en silo, on ne progressera pas.
De la même manière, il est dommage que le Président de la République n'ait pas mis en oeuvre, comme il l'avait annoncé en 2017, le principe de responsabilisation des ministères, même si cela reste difficile à faire. Nous avions entendu en audition le responsable du personnel du ministère de l'écologie, qui devait raboter 3 % des effectifs par an. Or, le rabot est un instrument qui ne se caractérise pas par sa souplesse.
Enfin, certains opérateurs ne cessent d'augmenter leurs effectifs. Il faut apprécier la situation au regard du service rendu, de la qualité, de la disponibilité et de l'efficacité des équipes. Il reste de la marge chez les opérateurs publics. Les préfets regrettent de ne plus avoir la main sur certaines administrations puissantes dans les départements.
Madame Vermeillet, on ne peut pas isoler la dette « Covid » et mieux vaut éviter de le faire. La crise sanitaire a eu un impact considérable et a conduit à des changements d'habitude dans le travail. Le coût de cette crise doit être intégré dans la dette globale.
Sur la suppression de la CVAE, je tente d'être pragmatique. Faire et défaire, c'est toujours travailler, mais le monde économique est mécontent de cette opération à cinq coups. Le lien entre la fiscalité territoriale et le dynamisme économique des territoires en souffre. Comment améliorer la situation sans revenir en arrière ? C'est la problématique qu'a mise en évidence le groupe de travail sur la décentralisation et les ressources financières. Le sujet n'est pas simple, car l'impôt résidentiel que certains élus souhaitaient mettre en place peut susciter de vives réactions chez les Français.
Monsieur Sautarel, il existe des hôpitaux qui développent une stratégie de gestion du personnel exemplaire, notamment dans le nord de la France. Il faut s'inspirer de ces bonnes pratiques.
Monsieur Blanc, je plaide pour que nous portions le plus collégialement possible l'enjeu climatique et celui des dépenses environnementales. Cela prendra du temps. J'ai souvent dénoncé le budget vert comme un coup de peinture à l'eau. Le temps m'a donné raison puisque, au bout de deux ou trois ans, un nouveau dispositif a vu le jour sous la forme du secrétariat général à la planification écologique.
Les Français sont préoccupés par les questions environnementales, mais dès qu'il est question de fiscalité, leur réaction peut être dramatique, comme lors du mouvement des gilets jaunes contre la taxe carbone. Il faut prendre en compte la notion d'acceptation des mesures par les Français et oeuvrer de manière progressive. Il a fallu presque vingt ans à la Suède pour développer des mesures telles que les zones à faible émission.
Monsieur Bilhac, le Gouvernement doit revoir sa méthode sur la TVA. J'ai évoqué un certain nombre de réformes de structure. Le rôle des oppositions est de dénoncer et de faire des propositions, mais encore faut-il que le Gouvernement les écoute. Ce sera tout l'enjeu de l'examen du PLF au Sénat.
Monsieur Bazin, la Société du Grand Paris ne pose pas de problème particulier. Toutefois, il faut savoir effectivement distinguer la bonne dette, c'est-à-dire celle qui consiste à investir pour apporter du service. À chacun de faire avancer les choses et d'éviter de bloquer certaines décisions.
Monsieur Lurel, le graphique des moyens globaux synthétise les chiffres du nouvel état F du budget. Les chiffres sont détaillés dans le bleu budgétaire. La mission « Outre-mer » prévoit 2,7 milliards d'euros de crédits de paiement hors opérateurs et 5,6 milliards d'euros de dépenses fiscales bénéficient aux outre-mer.
Enfin, je précise que la fiscalité n'est pas toujours favorable aux plus riches. Preuve en est, la suppression de la taxe d'habitation pour tous les Français ou encore celle de la contribution sur l'audiovisuel public. Je tenais à le rappeler, même si je n'étais pas forcément favorable à ces mesures.
M. Claude Raynal, président. - Monsieur le rapporteur général, nous vous remercions.
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjlf2024.html
* 1 « L'étau se resserre. Perspectives 2023-2024 pour l'économie mondiale », OFCE Policy brief, n° 120, 17 octobre 2023.
* 2 « Sous la menace du chômage. Perspectives 2023-2024 pour l'économie française », OFCE Policy brief, n° 121, 17 octobre 2023.
* 3 Bilan des crises. Compétitivité, productivité et transition climatique - Quatrième rapport du Conseil national de la productivité. Octobre 2023.
* 4 Propos de M. Patrick Artus, lors de l'audition de M. Patrick Artus, conseiller économique de Natixis, Mme Sandrine Duchêne, directrice des risques, du contrôle permanent et de la conformité au Crédit mutuel alliance fédérale et membre du Haut Conseil des finances publiques, et M. Éric Heyer, directeur du département Analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) sur les perspectives de l'économie française et ses conséquences sur les finances publiques - mercredi 18 octobre 2023.
* 5 Alain Trannoy et Étienne Wasmer, « Comment modérer les prix de l'immobilier ? », Les notes du conseil d'analyse économique, n° 2, février 2013.
* 6 Audition du mercredi 18 octobre 2023 précitée.
* 7 Idem.
* 8 Rapport de la Commission pour la relance durable de la construction de logements, septembre 2021.
* 9 Rapport économique, social et financier annexé au PLF 2024.
* 10 Projections macroéconomiques pour la France établies par la Banque de France - septembre 2023.
* 11 Chiffre conforté par la note de conjoncture d'octobre 2023 de l'Insee, « Croissance modeste, sur fond d'incertitudes géopolitiques », même si la Banque de France, dans ses projections macroéconomiques de septembre 2023, envisage plutôt une stagnation.
* 12 Rapport économique, social et financier annexé au PLF 2024.
* 13 Données issues du rapport économique, social et financier annexé au PLF 2024.
* 14 Note de conjoncture de l'Insee, octobre 2023 : « Croissance modeste, sur fond d'incertitudes géopolitiques ».
* 15 Audition du mercredi 18 octobre 2023 précitée.
* 16 Id.
* 17 « Les demandeurs d'emploi inscrit à Pôle emploi au troisième trimestre 2023 ». Dares indicateurs n° 56, 25 octobre 2023.
* 18 Audition du mercredi 18 octobre 2023 précitée.
* 19 Audition de M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques sur l'avis du Haut Conseil relatif au projet de loi de finances pour 2024, au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 et au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 - mercredi 27 septembre 2023.
* 20 L'IPC hors tabac passerait de 5,3 % en 2022 à 4,8 % en 2023 et 2,5 % en 2024. C'est cet indicateur qu'il faut retenir pour discuter l'évolution des dépenses publiques en volume, mais il est préférable de retenir l'IPC pour analyser l'évolution de la consommation des ménages.
* 21 « The High Cost of Global Economic Fragmentation », IMF Blog, 28 août 2023.
* 22 Selon Patrick Artus, le taux d'épargne des 20 % des ménages dont les revenus sont les plus faibles est de 2 %, ce qui signifie que toute hausse du revenu disponible est quasi-intégralement répercutée dans une hausse de la consommation.
* 23 Note de conjoncture d'octobre 2023 de l'Insee - « Croissance modeste, sur fond d'incertitudes géopolitiques ».
* 24 Selon Patrick Artus, le taux d'épargne des 20 % des ménages dont les revenus sont les plus élevés est de 28 %, ce qui signifie que toute hausse de leur revenu disponible - et leur pouvoir d'achat - est pour une grande partie répercutée dans une hausse de leur épargne.
* 25 Propos d'Éric Heyer lors de l'audition du mercredi 18 octobre 2023 précitée.
* 26 Projections macroéconomiques de la Banque de France pour la France, 18 septembre 2023, p. 5.
* 27 Audition du mercredi 18 octobre 2023 précitée.
* 28 Selon la présidente de la BCE Christine Lagarde, « l'inflation continue de ralentir mais devrait toujours rester trop forte pendant une trop longue période » ( Conférence de presse du 14 septembre 2023).
* 29 Conférence de presse du 14 septembre 2023.
* 30 Milton Friedman, « The big lag effect of monetary policy », research paper, 1961.
* 31 Christophe Blot et Paul Hubert, « Une analyse de la contribution de la politique monétaire à la croissance économique », Revue de l'OFCE 2018/5 (n° 159).
* 32 Voir par exemple le rapport d'information n° 706 (2022-2023) de Jérôme Bascher : « Mieux comprendre le risque budgétaire associé aux prêts garantis par l'État ».
* 33 Défaillances d'entreprises - septembre 2023 - Banque de France.
* 34 BLANCHARD, Olivier, Giovanni DELL'ARICCIA & Paolo MAURO (2010), « Rethinking macroeconomic policy », IMF staff position note, n° SPN/10/03.
* 35 BALL, Laurence (2013), « The case for 4% inflation », Banque Centrale de la République de Turquie, Central Bank Review, vol. 13, mai.
* 36 Audition du mercredi 18 octobre 2023 précitée.
* 37 Article 127 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
* 38 Propos de Patrick Artus lors de l'audition du mercredi 18 octobre 2023 précitée.
* 39 Avis n° HCFP - 2023 - 8 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2024.
* 40 La loi d'Okun (1962) établit ainsi une relation de causalité de la croissance du PIB vers le chômage, le second diminuant quand la première augmente.
* 41 Le rapport économique, social et financier ne comprend pas d'estimations de l'évolution de la population active pour 2024. Si la Banque de France estime que celle-ci devrait progresser de 47 000 personnes, l'Insee prévoit plutôt une progression de l'ordre de 124 000, ce qui demeure inférieur à 155 000.
* 42 L'Insee estime en effet que la réforme des retraites entraîne une hausse, sur 2023 et 2024, de 176 000 actifs (52 000 en 2023 et 124 400 en 2024). Voir la note de juin 2023 : « Une actualisation des projections de population active tenant compte de la réforme des retraites de 2023 ».
* 43 Christophe Blot, « Politique monétaire : à quel horizon le chômage devrait-il augmenter ? » - 3 octobre 2023, blog de l'OFCE.
* 44 Les prévisions du Gouvernement sont plus optimistes : -0,1 % en 2023 pour l'Allemagne et + 1,1 % en 2024 ; 1 % pour l'Italie en 2023 et 0,7 % en 2024.
* 45 Banque mondiale, Services for development : East Asia and the Pacific economic update, octobre 2023.
* 46 Les chiffres utilisés ici sont ceux de la moyenne du Consensus Forecasts d'octobre 2023.
* 47 Banque mondiale, Commodity Markets Outlook. Under the Shadow of Geopolitical Risks, octobre 2023.
* 48 Au 1er novembre 2023, le prix du baril avait retrouvé son niveau de début octobre.
* 49 Baromètre risques pays et sectoriels Coface - T3 2023 : « La macroéconomie à l'épreuve de la dégradation microéconomique ».
* 50 Le ratio dette/PIB a augmenté entre 2009 et 2017 malgré une diminution continue du déficit public. Il n'a commencé à diminuer qu'en 2018. À compter de 2020, la relation entre diminution du déficit public et de la dette publique est plus évidente.
* 51 Pour que ce raisonnement soit juste, il faut que l'élasticité des prélèvements obligatoires à l'activité n'augmente pas par rapport à la prévision du Gouvernement, en cas de croissance plus faible que ne l'envisage le Gouvernement.
* 52 Il s'agit du solde au sens de la comptabilité nationale. En comptabilité budgétaire, en raison du traitement différent des crédits d'impôts et de certaines opérations financières, y compris sur intérêts, le déficit est plus élevé en 2023 et 2024.
* 53 Pour l'ensemble de ces mesures, voir le projet de financement de la sécurité sociale pour 2024.
* 54 Bulletin mensuel de l'Agence France Trésor - octobre 2023.
* 55 Ressources nettes totales du budget général et des budgets annexes (recettes fiscales nettes et non fiscales, moins les prélèvements sur recettes), tels qu'indiqués dans le tableau d'équilibre du budget (article 34).
* 56 Texte de la première partie considérée comme adoptée par l'Assemblée nationale le 20 octobre 2023 en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution.
* 57 Le solde général du budget de l'État est de -172,5 milliards d'euros, à distinguer du déficit à financer qui est de 171,4 milliards d'euros.
* 58 Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.
* 59 Cette contribution est un dispositif de plafonnement des revenus des producteurs d'énergie introduit par la loi de finances initiale 2023 à la suite du règlement européen relatif aux mesures d'urgence pour faire face aux prix élevés de l'énergie, voir sur ce point le rapport du rapporteur général sur le projet de loi de finances pour 2023.
* 60 Voir les observations du rapporteur général à ce sujet dans le tome I du rapport n° 771 (2022-2023), tome I, déposé le 28 juin 2023, fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022.
* 61 L'augmentation de déficit entre le projet de loi de finances et l'exécution a été de 85,0 milliards d'euros en 2020 (déclenchement de la crise sanitaire), 17,9 milliards d'euros en 2021, 8,1 milliards d'euros en 2022 et 12,9 milliards d'euros en 2023 (déficit présenté dans le projet de loi de finances de fin de gestion).
* 62 Pour la simplicité de la présentation, les soldes des comptes de commerce et des comptes d'opérations monétaires, qui sont respectivement de - 0,2 et + 0,1 milliard d'euros, sont inclus dans les ressources des comptes spéciaux.
* 63 Projet annuel de performances du compte d'affectation spéciale « Pensions », équilibre du compte et évaluation des recettes.
* 64 Recettes fiscales nettes et recettes non fiscales.
* 65 La loi n° 77-1397 du 21 décembre 1977 portant règlement définitif du budget de 1975 a constaté un excédent net de charges de 37,8 milliards de francs (soit 30,4 milliards d'euros de 2023), pour 284,2 milliards de francs de ressources sur le budget général. L'année 1974 a été la dernière année d'excédent budgétaire de l'État, pour un montant de 18,9 milliards de francs.
* 66 Montant des crédits ouverts sur le programme 117 « Charge de la dette et trésorerie de l'État (crédits évaluatifs) » de la mission « Engagements financiers de l'État ».
* 67 Action 01 « Dette » du programme 117 « Charge de la dette et trésorerie de l'État (crédits évaluatifs) » de la mission « Engagements financiers de l'État ».
* 68 En outre, il reste encore des dettes anciennes émises à un taux plus élevé que les taux actuels.
* 69 C'est-à-dire hors contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions » et hors remboursements et dégrèvements.
* 70 Les crédits, calculés chaque année en fonction du niveau de la croissance et d'un scénario de croissance prévisionnelle jusqu'en 2042, sont versés au compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » à partir duquel est réalisé le versement à la Caisse de la dette publique.
* 71 Il indique dans ses réponses au questionnaire du rapporteur général que « les crédits présentés dans le solde budgétaire en PLF 2024 constituent à ce jour l'estimation la plus sincère de consommation desdits crédits pour l'année 2024 » et que « la consommation éventuelle de reports, y compris en cas de déplafonnements, ne constitue qu'un aléa de gestion parmi d'autres qui, par nature, ne peuvent être précisément anticipés ».
* 72 Projet annuel de performances du programme 367 « Financement des opérations patrimoniales en 2024 sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » » de la mission « Économie ».
* 73 Si l'article 15 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances limite à 3 % les reports de crédits de paiement sur chaque programme, il autorise la loi de finances à procéder par dérogation à une « majoration par une disposition dûment motivée » de ce plafond. Cette dérogation, dans la pratique, consiste à supprimer tout plafond avec une motivation succincte.
* 74 Tome I du document « Voies et moyens » annexé au projet de loi de finances pour 2024.
* 75 Depuis 2023, en application de la loi organique relative aux lois de finances modifiée par la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021, les remboursements et dégrèvements d'impôts locaux ne sont plus retranchés des recettes fiscales nettes présentées dans les documents budgétaires. Les données antérieures à 2022 ont donc été retraitées afin de rester comparables.
* 76 Loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.
* 77 Voir l'article 32 du présent projet de loi de finances pour ce qui concerne les administrations de sécurité sociale.
* 78 Estimation préalable de l'article 8 précité du projet de loi de finances pour 2024.
* 79 Cour des comptes, Piloter et évaluer les dépenses fiscales, contribution à la revue des dépenses publiques, juillet 2023.
* 80 Voir le tome II du présent rapport, consacré à l'examen des articles de la première partie du projet de loi de finances.
* 81 Ce programme est indiqué aux pages 123 et suivantes de l'évaluation préalable des articles du projet de loi de finances pour 2020.
* 82 Voir l'article 3 sexies du présent projet de loi de finances.
* 83 Article 51 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, modifié par la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.
* 84 Voir l'article 17 dans le présent projet de loi de finances.
* 85 Les recettes de TVA et leur répartition entre les différentes catégories d'administrations publiques sont présentées infra.
* 86 Voir par exemple le IV de l' article 8 de la loi de finances initiale pour 2021, qui prévoit le reversement aux régions d'un montant de taxe sur la valeur ajoutée égal au produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises perçu en 2020.
* 87 Articles 35 à 37 du présent projet de loi de finances.
* 88 Article 34 du présent projet de loi de finances.
* 89 Depuis la révision de la loi organique relative aux lois de finances du 28 décembre 2021, les remboursements et dégrèvements d'impôts locaux sont comptabilisés comme des dépenses et ne sont plus retranchés des dépenses nettes.
* 90 Article 9 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.
* 91 L'état F inclut également les dépenses des comptes spéciaux concourant aux politiques publiques visées par la mission, ce qui donne une image excessive de certaines dépenses : les avances aux collectivités territoriales, d'un montant de 132,4 milliards d'euros, ne peuvent être considérées comme une véritable dépense de l'État puisqu'elles sont remboursées en cours d'année par le produit des impositions locales. En conséquence les dépenses des comptes spéciaux ne sont pas prises en compte dans la présentation qui suit.
* 92 Les remboursements et dégrèvements sont partiellement pris en compte à travers l'imputation des dépenses fiscales sur les moyens globaux de chaque mission.
* 93 Article 4 de la loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
* 94 Au 26 octobre, comme l'indique le projet de loi de finances de fin de gestion, les crédits de paiement disponibles étaient encore de 10,1 milliards d'euros sur cette mission (dont la moitié sur le programme 345 « Service public de l'énergie »), pour 30,2 milliards d'euros consommés.
* 95 Voir le rapport spécial de Jean-François Husson, rapporteur spécial, fait au nom de la commission des finances, sur la mission « Plan de relance ».
* 96 Voir l' amendement II-7 d'Albéric de Montgolfier, au nom de la commission des finances, qui a réduit les crédits de cette mission de 1 milliard d'euros, repris en partie seulement par le Gouvernement dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en nouvelle lecture.
* 97 Afin de permettre la comparaison, on retient sur l'ensemble de la période considérée les dépenses nettes du budget général de l'État dans leur définition antérieure à 2023, c'est-à-dire que l'ensemble des remboursements et dégrèvements sont retranchés des dépenses brutes.
* 98 Crédits de paiement ouverts en loi de finances, y compris les remboursements et dégrèvements et les contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions ».
* 99 Bruno Le Maire, France Info, 28 juillet 2023.
* 100 Cour des comptes, Les relations entre l'État et ses opérateurs, rapport demandé par le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, janvier 2021.
* 101 Annonces de Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques, 12 juin 2023.