EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 18 octobre 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de M. Vincent Delahaye sur le projet de loi n° 549 (2022-2023) autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Danemark pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales et la ratification de la convention entre la République française et la République hellénique pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales.

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons le rapport de Vincent Delahaye sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du royaume du Danemark pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales, ainsi que la ratification de la convention entre la République française et la République hellénique pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - L'article 53 de la Constitution prévoit que certains accords internationaux, dont les conventions fiscales, sont soumis à l'autorisation du Parlement. Nous n'avons pas la possibilité d'amender ces conventions, notre rôle est de les approuver ou de les rejeter en bloc.

Ce projet de loi comprend deux articles, dont l'un concerne le Danemark, l'autre la Grèce. Ces conventions, négociées par l'exécutif, ont déjà été signées, le 4 février 2022 avec le Danemark et le 11 mai 2022 avec la Grèce. Le Sénat est la première assemblée saisie de ces conventions signées depuis plus d'un an.

Au-delà du règlement de problèmes particuliers sur lesquels je reviendrai, ce texte a pour objet de moderniser ces conventions pour les rendre conformes au modèle de l'OCDE, qui vise à lutter contre l'évitement fiscal et à moderniser le droit fiscal international.

Le Danemark est le seul pays de l'Union européenne avec lequel la France n'a plus de convention fiscale depuis 2009, année où cet État a dénoncé le texte en vigueur de manière unilatérale. Quant à notre convention avec la Grèce, elle date de 1963, de sorte qu'il convient de la renégocier et de l'adapter.

Dans leur version finale, les deux textes que le projet de loi prévoit de faire entrer en vigueur conservent l'économie générale et les principales stipulations du modèle de l'OCDE. Ainsi, ils adoptent une définition modernisée de la notion d'établissement stable, qui permet de lutter plus efficacement contre l'évitement fiscal ; on y trouve également une clause générale anti-abus conforme au modèle de l'OCDE.

L'article 1er vise la taxation des pensions de retraite au Danemark. En effet, le Danemark avait dénoncé en 2009 la convention fiscale de 1957 au motif que les 1 500 Danois pensionnés, installés en France et y payant leurs impôts, avaient bénéficié au Danemark d'un avantage fiscal sur leurs cotisations, sans que ce pays soit rétribué en retour sur les pensions versées.

Le règlement de ce différend concernant l'imposition des pensions privées était un préalable à l'ouverture des négociations et l'un des principaux enjeux de cette adaptation. L'accord conclu en février 2022 repose sur un mécanisme atypique de crédit d'impôt inversé, qui permet de dégager une solution préservant les intérêts du Trésor français tout en rétablissant partiellement le droit du fisc danois d'imposer les pensions privées.

Concrètement, une fois la convention entrée en vigueur, les retraités danois installés en France continueront d'être assujettis à l'impôt français pour l'intégralité des montants de pension privée qu'ils perçoivent. Néanmoins, ils seront également imposables au Danemark à hauteur de la différence entre l'impôt payé en France et l'impôt qu'ils auraient payé au Danemark sur ces revenus.

Dans l'hypothèse où la France appliquerait un taux d'imposition de 20 % contre 30 % au Danemark, une pension de 100 euros versée à un retraité danois sera imposée à hauteur de 20 euros en France et elle sera imposée également au Danemark, de manière résiduelle, à hauteur de 10 euros.

Cette solution est donc sans conséquence sur le montant des recettes fiscales prélevées sur les retraités danois installés en France. En outre, elle est assortie d'une clause du grand-père, de sorte que seuls les nouveaux retraités seront soumis à une imposition complémentaire au Danemark.

Rien ne s'oppose à ce que nous donnions un avis favorable à cette convention.

Quant à l'article 2 du projet de loi, il a donc pour objet de remplacer également la convention franco-grecque qui remonte à 1963 et dont la rédaction complexe a donné lieu à l'émergence de deux types de difficulté.

Premièrement, en 2011, la Grèce a instauré une contribution exceptionnelle de solidarité assise sur les revenus déclarés. Cette contribution n'était pas assimilable à l'impôt sur le revenu grec et n'était donc pas couverte par la convention de 1963. Par conséquent, les Français résidant en Grèce étaient exposés à un risque de double imposition.

Cette situation sera réglée par une nouvelle convention franco-grecque dont le champ d'application mentionne explicitement la contribution exceptionnelle de solidarité. Cette mention vient confirmer l'analyse du Conseil d'État grec qui, dans une décision de 2018, a assimilé la contribution exceptionnelle de solidarité à l'impôt sur le revenu.

Deuxièmement, il convenait de clarifier la répartition des rémunérations publiques. En effet, la convention de 1963 prévoyait une imposition partagée de ces rémunérations entre la France et la Grèce. En application de ce texte, les rémunérations publiques de source française étaient également imposables par la Grèce, sous réserve que celle-ci élimine la double imposition en accordant un crédit d'impôt d'un montant égal à l'impôt perçu par la France. En réalité, ce principe d'une imposition partagée est resté inappliqué jusqu'en 2020. Puis, les autorités grecques se sont saisies de cette possibilité et ont commencé à imposer ces revenus en veillant à déduire l'impôt payé en France de celui réclamé en Grèce. Sur ce fondement, la Grèce a réclamé à certains résidents français, notamment les enseignants du lycée Eugène-Delacroix, des arriérés d'impôt au titre des revenus perçus depuis 2014. Les sommes demandées représentaient plusieurs milliers d'euros par contribuable.

La nouvelle convention simplifie largement les règles d'imposition des rémunérations publiques. Elle prévoit un principe d'imposition exclusive et non plus partagée des rémunérations publiques dans l'État de source. Ainsi, les enseignants français seront imposés en France et non pas en Grèce.

En outre, la convention prévoit dans le protocole annexé une clause rétroactive jusqu'en 2015.

Ce nouveau texte présente le double avantage de moderniser les relations franco-grecques en matière fiscale et de régler les difficultés de double imposition qui ont émergé au cours de ces dernières années. Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à sa ratification et, en conséquence, d'adopter le présent projet de loi sans modification.

M. Claude Raynal, président. - L'examen de conventions fiscales intervient de manière régulière dans notre commission. En général, le texte a été négocié en amont entre les deux États. Il s'agit pour le Parlement de les valider et d'en être ainsi informé, si je puis dire. Même si leur sujet peut paraître aride, ces textes portent des enjeux importants pour nos compatriotes et les entreprises concernés à l'étranger.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je soutiens l'avis du rapporteur. Notre commission fait office de boîte aux lettres, pour ainsi dire, dans la mesure où nous ne pouvons pas faire plus que commenter ces textes. Récemment, nous avons approuvé selon les mêmes modalités une convention fiscale entre la France et le Luxembourg, qui a ensuite été suspendue sine die par le ministre qui l'avait défendue, Bruno Le Maire. Elle l'est toujours pour anomalie. Il n'est pas très logique de nous soumettre ainsi des conventions pour que nous les adoptions, avant de les suspendre. Il faudrait voir ce qui justifie cette manière de faire et envisager que le Parlement puisse davantage intervenir.

Mme Nathalie Goulet. - La Grèce s'est-elle enfin dotée d'un cadastre ? Le problème se pose depuis longtemps et dans la mesure où cette convention fiscale porte sur des biens immobiliers, mieux vaudrait que ce cadastre existe.

De manière plus générale, nous sommes un certain nombre à ne pas avoir voté la convention avec le Luxembourg et nous avions manifestement raison. Les sujets dont traite ce type de texte posent de nombreux problèmes. Je suis intervenue, la semaine dernière, lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement, pour interroger le ministre sur les conséquences que les conventions fiscales avec les pays du Golfe peuvent avoir sur le Trésor public. Or le ministre a répondu qu'il était incapable de chiffrer le manque à gagner. Il faudrait avoir un débat sur la révision de ces conventions fiscales, dans la lignée de celui qui avait eu lieu à la demande du groupe CRCE, à l'époque. Soyons proactifs plutôt que d'arriver à la fumée des cierges.

Mme Sylvie Vermeillet. - Concernant l'imposition des pensions danoises en France, vous avez raison de dire que cette convention est neutre fiscalement, car la clause du grand-père la rend non rétroactive. Vous avez donné l'exemple chiffré d'un Danois, imposé en France, qui devrait payer une taxation supplémentaire au Danemark. Mais qu'en serait-il dans le cas inverse, si le Danois a payé trop d'impôt en France ? La convention ne resterait sans doute pas neutre. Autrement dit, le taux d'imposition français est-il forcément plus faible que le taux danois ? Et peut-on envisager que la France doive reverser de l'impôt au Danemark ?

M. Thomas Dossus. - Le texte concernera-t-il aussi les retraités français au Danemark ? Si j'ai bien compris, le taux de prélèvement danois est supérieur au taux français, ce qui contredit un certain nombre de propos que l'on entend parfois au sujet de la France, championne des prélèvements obligatoires. Les retraités français au Danemark payent-ils moins ou plus d'impôts que ceux qui sont en France ?

M. Marc Laménie. - Le texte mentionne le nombre de Français installés au Danemark, ainsi que de filiales danoises d'entreprises françaises. Quels sont les chiffres pour la Grèce ?

Le rapporteur a regretté que l'administration fiscale n'ait pas pu produire certains éléments d'information financière relatifs à la recette fiscale. Peut-on remédier à ce manque ?

Enfin, qu'en est-il de la lutte contre la fraude fiscale, dans la nouvelle version de ces conventions ?

M. Jean-François Rapin. - Ce texte devrait régler les problèmes de nombreux expatriés français. En effet, je faisais partie de la délégation qui a accompagné le président Larcher en Grèce, lors de son récent déplacement. Nous avions eu l'occasion de rencontrer les autorités du Lycée français, qui nous ont dit que la mesure mise en place par les Grecs concernait de nombreux enseignants, dont certains se sont retrouvés avec une facture de plus de 40 000 euros d'impôt à payer. Quand le montant de l'impôt dépasse celui du salaire perçu, cela ne va pas sans problème.

Nous n'arrivons pas au moment de la fumée des cierges, comme le dit ma collègue. La diplomatie parlementaire peut jouer un rôle et nous pouvons accélérer les choses en interpellant le Gouvernement sur certains sujets. En l'occurrence, alors que l'on nous disait que le mécanisme mis en place par la Grèce ne pourrait pas être annulé avant cinq ou six ans, le président Larcher a rencontré le Premier ministre grec et insisté pour régler le problème le plus rapidement possible. Le Parlement a donc une influence dans la mise en place de ces dispositions qui règlent les problèmes des ressortissants français à l'étranger.

Mme Florence Blatrix Contat. - Compte tenu de l'intensification des échanges internationaux, ces conventions ont des enjeux à la fois économiques et budgétaires et elles sont alignées sur le modèle de l'OCDE. Nous ne pouvons qu'approuver le principe de ces textes, qui permettent de rétablir une coopération fiscale positive entre les États et de lutter contre l'évasion et l'optimisation fiscales tout en protégeant les contribuables. En effet, dans de nombreux pays avec lesquels nous n'avons pas encore signé de convention, nos concitoyens sont en grande difficulté.

Toutefois, nous pouvons nous interroger quant à la méthodologie, car nous examinons ces conventions les unes après les autres sans qu'il y ait d'approche globale. En outre, nous manquons de visibilité sur les conséquences de ces conventions sur nos recettes fiscales.

Sait-on déjà quelles autres conventions nous aurons bientôt à examiner ?

À combien estime-t-on le nombre de contribuables qui seront sécurisés grâce au texte que nous examinons aujourd'hui ?

M. Raphaël Daubet. - Nous comptons une ressortissante illustre dans le département du Lot en la personne de la reine Margrethe II, propriétaire du château de Cayx.

J'ai cru comprendre que la Grèce souhaitait que la convention soit dans le format antérieur à 2010. Comment expliquer cette singularité ?

M. Éric Bocquet. - Je m'étonne du délai qui a couru avant l'examen de ce texte, car la convention date de février 2022. Nous ne voterons pas ce texte que nous ne pouvons même pas modifier.

Il me semblerait préférable de privilégier une démarche multilatérale plutôt que des conventions bilatérales qui n'ont jusqu'à présent rien réglé en matière d'évasion fiscale. Je reconnais toutefois que le proverbe shakespearien selon lequel « il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark » n'a plus rien d'actuel.

M. Claude Raynal, président. - Le Parlement ne peut pas modifier le texte, mais il peut voter contre, bien évidemment.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Pour ce qui est du délai avant l'examen de ce texte, le Gouvernement a effectivement tardé à nous saisir. Toutefois, je précise que ces conventions ne sont pas en application et qu'il en restera ainsi tant qu'elles n'auront pas été ratifiées. Je considère qu'elles contribueraient à régler les problèmes d'un certain nombre de nos compatriotes, notamment ceux qui résident en Grèce, ce qui justifie de les adopter.

Nathalie Goulet, qui est rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'État », aura sans doute l'occasion de nous faire des propositions sur la possibilité d'un modèle multilatéral plutôt que bilatéral. Des règles spécifiques à certains États doivent être prises en compte, et c'est le cas avec le Danemark. Néanmoins, le modèle de l'OCDE devrait contribuer à lutter contre la fraude fiscale. Je ne crois pas qu'il faille forcément opposer les démarches multilatérale et bilatérale.

Pour ce qui est de la mise en place du cadastre en Grèce, celui-ci est en cours d'élaboration, mais n'est pas encore finalisé.

Les études d'impact restent très imprécises lorsqu'il s'agit de chiffrer l'effet de ces mesures sur le Trésor public, ce qui est pour le moins étonnant. Selon moi, l'impact est négligeable, mais cela reste à confirmer.

Si le montant de l'impôt français dépasse celui de l'impôt danois, il n'y aura pas de reversement. Seul ce qui est en surplus de l'imposition française est reversé au fisc danois.

On recense 150 retraités français au Danemark et un nombre bien plus important de retraités danois en France.

La Grèce compte 194 entreprises, filiales de groupe ou joint-ventures françaises associant des entreprises grecques pour un chiffre d'affaires de 2,5 milliards d'euros et 12 625 employés.

Les enseignants en Grèce peuvent en effet subir des redressements assez forts. La convention, quand elle sera mise en place, permettra de résoudre ce problème.

Je n'ai pas connaissance des futures conventions que nous aurons à examiner. Peut-être que le président de notre commission en sait-il davantage sur ce point ?

Monsieur Daubet, pouvez-vous expliciter votre question ?

M. Raphaël Daubet. - J'ai lu que la convention avec la Grèce répondait aux standards de l'OCDE, mais que la partie grecque avait demandé un format de convention antérieur à 2010 et pas le format le plus récent. Pouvez-vous me confirmer cette information ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Cela ne s'applique que pour l'article 7 de la convention, qui porte sur le partage des bénéfices.

Enfin, le Danemark et la France font partie des États de l'Union européenne qui battent des records en matière d'imposition, le taux d'impôt sur le revenu pouvant aller de 41 % jusqu'à 60 % du montant du salaire brut au Danemark.

M. Claude Raynal, président. - D'après nos informations, une convention fiscale serait en cours avec la Moldavie.

Les deux articles et le projet de loi ont été adoptés sans modification.