II. LES NOUVELLES CONVENTIONS FISCALES NÉGOCIÉES AVEC LE DANEMARK ET LA GRÈCE RÈGLENT DES PROBLÈMES BILATÉRAUX ET INTÈGRENT LES STANDARDS MODERNISÉS DE L'OCDE
A. LA NOUVELLE CONVENTION FISCALE FRANCO-DANOISE DU 4 FÉVRIER 2022 RÉSOUT LA QUESTION DES PENSIONS ET INTÈGRE DES STANDARDS MODERNISÉS EN MATIÈRE DE RÉPARTITION DE LA COMPÉTENCE FISCALE ET DE LUTTE CONTRE L'ÉVITEMENT FISCAL
1. Le compromis acté par la nouvelle convention fiscale franco-danoise supprime la double imposition des pensions et préserve les recettes fiscales du Trésor français
La répartition du droit d'imposer les pensions entre les deux pays constituait l'un des enjeux majeurs de la négociation de la nouvelle convention fiscale entre la France et le Danemark. En effet, la décision unilatérale prise par le Danemark de dénoncer la précédente convention fiscale bilatérale a été motivée par le fait que l'article 13 de la convention de 1957 attribuait au pays de résidence un droit exclusif d'imposition sur les pensions privées. Par suite, il était impossible au Danemark d'imposer des pensions versées à des Danois installés en France pour leur retraite, et ce alors même que le système fiscal danois prévoit un avantage fiscal pour les cotisations à des régimes de pension.
La dénonciation de la convention de 1957, qui a pris effet à compter du 1er janvier 2009, a créé un risque de double imposition des revenus correspondant à leurs pensions pour les contribuables en France et au Danemark. Pour atténuer ce risque, le législateur danois a prévu l'application d'un régime transitoire en application duquel les personnes installées en France avant le 28 novembre 2007 et ayant commencé à percevoir leur retraite avant le 1er janvier 2009 continuent d'être imposées selon les règles fixées par la convention de 1957, c'est-à-dire exclusivement dans leur État de résidence. Ce régime s'applique également aux pensions des conjoints des personnes concernées, y compris si elles sont perçues postérieurement.
Néanmoins, les contribuables qui ne sont pas couverts par ce mécanisme de non-rétroactivité sont exposés à un risque de double imposition. En effet, en premier lieu, en application du droit commun, les personnes établies au Danemark sont en principe imposables en France au titre de leurs pensions de source française. La possibilité pour elles de demander aux autorités danoises le bénéfice des dispositions prévues par la législation interne danoise ne permet pas nécessairement d'assurer l'élimination de la double imposition. Les 200 retraités français établis au Danemark sont donc exposés à un risque de double imposition.
En second lieu, alors que les autorités fiscales françaises prévoient l'ouverture d'un crédit d'impôt au bénéfice des résidents de France ayant des revenus de source danoise, à hauteur de l'impôt prélevé au Danemark sur ces revenus, les pensions sont expressément exclues de ce dispositif. La fraction des 1 500 résidents de France qui ne sont pas couverts par le régime transitoire et qui perçoivent des pensions de source danoise est donc également exposée à un risque de double imposition.
Le règlement de la question de l'imposition des pensions constituait par conséquent un préalable à l'ouverture des négociations ayant conduit à la signature de la nouvelle convention fiscale du 4 février 2022.
En matière de pension, le modèle issu des travaux de l'OCDE (article 18), généralement suivi par les conventions fiscales liant la France, attribue au pays de résidence du contribuable le droit d'imposer les pensions privées. À l'inverse, les pensions publiques, c'est-à-dire versées par l'État ou l'une de ses subdivisions politiques ou collectivités locales, sont imposées par l'État de source de ces pensions (article 19 du modèle de l'OCDE). La précédente convention fiscale franco-danoise avait été rédigée selon ce schéma.
Pour tenir compte des revendications du Danemark, et notamment du fait que le système fiscal danois prévoit une déduction pour les versements à un régime de pension qui est assimilable à un mécanisme consistant à différer l'impôt sur ces revenus, la convention du 4 février 2022 prévoit un régime atypique de partage du droit d'imposer les pensions privées, qui diffère donc du modèle de l'OCDE.
En premier lieu, en matière de pensions publiques, le 2 de l'article 19 de la convention prévoit un régime conforme au modèle de l'OCDE c'est-à-dire qui attribue le droit d'imposer les pensions publiques à l'État de source de ces pensions.
En second lieu, en matière de pensions privées, le 1 de l'article 17 de la convention prévoit que les pensions privées sont en principe imposables dans l'État de résidence du contribuable. Toutefois, le 2 de l'article 17 de la convention prévoit que les pensions privées sont également imposables dans l'État de source lorsque :
- soit les cotisations salariales ou patronales au régime de pension ont bénéficié d'une déduction fiscale dans l'État de source ;
- soit les pensions sont versées en application de la législation sur la sécurité sociale de l'État de source.
En pratique, l'exception introduite au 2 de l'article 17 aura pour conséquence que les pensions d'origine danoise versées aux retraités danois installés en France seront imposables à la fois par la France et par le Danemark. Par suite, la convention prévoit également une méthode de neutralisation de cette double imposition qui permet de rétablir un droit d'imposer ces pensions pour le Trésor danois tout en préservant les intérêts du Trésor français.
Le mécanisme d'élimination de la double imposition des pensions privées, inscrit au 3 de l'article 22 de la convention, consiste en l'octroi par l'État de source des pensions d'une déduction d'impôt égal à l'impôt versé à l'État de résidence. En application de ce mécanisme, les retraités installés en France qui reçoivent des pensions privées de sources danoises imposables au Danemark continueront d'acquitter l'impôt sur le revenu français sur ces pensions en plus de quoi ils devront acquitter l'impôt sur le revenu danois sur ces pensions minoré du montant acquitté en France. En définitive, le montant perçu par le Trésor danois correspondra à la différence entre l'impôt dû au Danemark et l'impôt déjà acquitté en France.
Cette solution permet donc au Trésor français de conserver son droit d'imposer les contribuables en France percevant des pensions privées de source danoise. Au regard des recettes de l'impôt sur le revenu, la seule conséquence sera la perte du droit d'imposer les pensions privées des retraités français établis au Danemark, estimée à une réduction de recettes modique par l'administration fiscale.
2. La nouvelle convention fiscale franco-danoise intègre les innovations élaborées par l'OCDE en matière de lutte contre l'érosion de la base d'imposition et les transferts de bénéfices (BEPS)
Dans le cadre des travaux du comité des affaires fiscales de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), les dirigeants du G20 ont approuvé en septembre 2013 un plan d'action concernant l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfice (plan d'action BEPS11(*)).
Ce plan d'action a notamment abouti à la signature à Paris le 7 juin 2017 d'une convention fiscale multilatérale ambitieuse, appelée « instrument multilatéral » (IM), ayant pour objet de modifier les conventions fiscales bilatérales. La France fait partie des premiers signataires de ce traité qu'elle a ratifié le 26 septembre 2018 et qui est entré en vigueur le 1er janvier 201912(*). Par le dépôt de sa notification complémentaire du 22 septembre 2020, la France a décidé de couvrir l'ensemble de son réseau conventionnel par l'application de l'instrument multilatéral.
La convention fiscale franco-danoise s'inscrit dans la dynamique de modernisation du réseau conventionnel français et elle intègre dans sa rédaction initiale plusieurs clauses directement inspirées de l'instrument multilatéral, notamment en matière de définition de l'établissement stable, de lutte contre l'utilisation abusive des conventions et de règlement des différends.
a) La définition de l'établissement stable
En premier lieu, la définition de la notion d' « établissement stable » inscrite à l'article 5 de la convention est directement issue de la rédaction retenue pour la convention modèle de l'OCDE (article 5) et pour l'instrument multilatéral (article 12).
En particulier, elle prévoit une définition modernisée pour caractériser la présence d'un « agent dépendant » qui est désormais défini comme une personne qui « conclut habituellement des contrats ou joue habituellement le rôle principal menant à la conclusion de contrats » qui sont conclus sans modification importante par l'entreprise et, soit sont au nom de l'entreprise, soit concernent une prestation de service ou le transfert de la propriété de biens de l'entreprise.
Cette définition, qui se concentre sur le rôle effectif de l'agent plutôt que sur la dimension formelle des contrats signés, rend la notion d'établissement stable plus robuste face à un montage ayant pour objet de contourner les règles de répartition de la compétence fiscale.
Le rapporteur relève également que dans la nouvelle convention franco-danoise, l'article 5 de la convention, relatif à la définition de la notion d'établissement stable, mentionne expressément, à la demande du Danemark et compte tenu de ses ressources, les installations, appareils ou navires de forage utilisés pour l'exploration de ressources naturelles. Cette mention est cependant tempérée par le fait qu'une installation, un appareil ou un navire de forage de ce type n'est constitutif d'un établissement stable qu'à la condition que la durée de son utilisation dépasse douze mois.
b) La clause générale anti-abus
En deuxième lieu, la nouvelle convention fiscale franco-danoise contient une clause générale anti-abus, ce qui constitue une novation par rapport à la convention de 1957.
La rédaction retenue pour cette clause, inscrite à l'article 29 de la convention, est conforme à la fois au modèle de l'OCDE (article 29) et à l'instrument multilatéral dont l'article 7 en prévoyait l'application.
Cette clause a pour objet de permettre à l'administration fiscale de refuser l'octroi d'un avantage conventionnel en présence d'un montage ou d'une transaction dont l'un des objets principaux est justement d'obtenir cet avantage, sauf à établir que l'octroi de cet avantage est conforme à l'objet de la convention. Cette stipulation permet aux services fiscaux des deux pays de mener une analyse au cas par cas13(*) des montages présentant des risques d'évitement fiscal et d'aménager l'application de la convention dans l'hypothèse d'un abus, lorsque celui-ci est caractérisé « compte tenu de l'ensemble des faits et circonstances propres à la situation ».
c) La procédure amiable de règlement des différends
Enfin en troisième lieu, la nouvelle convention fiscale franco-danoise prévoit l'application d'une procédure amiable modernisée en remplacement de la procédure prévue par l'article 25 de la convention de 1957.
L'article 24 de la nouvelle convention, dont la rédaction s'inspire de celle retenue par le modèle de l'OCDE (article 25) et par l'instrument multilatéral (article 16), donne la possibilité à toute personne qui estime être soumise à un risque de double imposition non-conforme à la convention de saisir l'administration fiscale de l'un des États concernés, dans le délai de trois ans qui suit la notification de la mesure entraînant la double-imposition. Lorsque la réclamation apparaît fondée à l'autorité saisie, elle est tenue de s'efforcer de trouver un accord amiable avec l'autorité compétente de l'autre État contractant.
Cette procédure amiable, qui se borne à mettre à la charge des États une obligation de moyens, est compatible avec la procédure prévue par la directive du 10 octobre 2017 relative au règlement des différends fiscaux dans l'Union européenne14(*) qui prévoit par surcroît la saisine d'une commission consultative en l'absence d'accord amiable15(*).
* 11 Base Erosion and Profit Shifting.
* 12 Pour une analyse détaillée de l'instrument multilatéral, cf. Sénat, commission des finances, n° 410 (2017-2018), 11 avril 2018, Rapport sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, au rapport de M. Albéric de Montgolfier.
* 13 Pour un commentaire pratique de la mise en oeuvre de la clause anti-abus par l'administration fiscale française assorti d'exemples concrets d'application, cf. l'instruction BO-INT-DG-20-25-16 publiée au BOFIP.
* 14 cf. la directive (UE) 2017/1852 du Conseil du 10 octobre 2017 concernant les mécanismes de règlement des différends fiscaux dans l'Union européenne.
* 15 cf. les articles L. 251 B à L. 251 ZH du livre des procédures fiscales qui transposent en droit interne les dispositions de la directive.