COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
Audition de M. Olivier Dussopt, ministre du travail,
du
plein emploi et de l'insertion
Mme Catherine Deroche, présidente. - Monsieur le ministre, le Sénat est saisi du projet de loi pour le plein emploi. Notre commission devrait l'examiner dès mercredi prochain, avant son passage en séance prévu du lundi 10 au jeudi 13 juillet, en clôture de la session extraordinaire.
Le Sénat est la première assemblée saisie sur ce projet de loi tandis que chemine en parallèle à l'Assemblée nationale un autre texte sur le travail, le projet de loi portant transposition de l'accord national interprofessionnel (ANI) relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise, que les députés examineront en séance du 26 au 29 juin. Peut-être pourrez-vous nous préciser les raisons qui ont motivé le Gouvernement à scinder ces textes et à faire ces parcours croisés.
J'en profite pour vous informer, Monsieur le Ministre, que j'ai dit en conférence des présidents, la semaine dernière, qu'il ne me semblerait pas très opportun de commencer la session 2023-2024 du Sénat par l'examen de ce projet de loi sur l'ANI. En effet, cela obligerait la commission à adopter son rapport dès sa réunion constitutive, le 5 octobre, sans travaux préparatoires et sans avoir pu entendre ni ministre ni partenaires sociaux.
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion. - Merci pour cette invitation à vous présenter ce texte.
Je transmettrai votre message sur la date d'examen du projet de loi sur l'ANI par le Sénat.
Le Gouvernement a souhaité un examen séparé du texte ANI, car il opère une transposition que nous souhaitons intégrale et fidèle, conformément à notre engagement devant les partenaires sociaux. Il nous a semblé préférable, en conséquence, de réserver un texte entier à la transposition de cet accord conclu par les partenaires sociaux. Pour l'examen de ce texte à l'Assemblée nationale, le Gouvernement n'est d'ailleurs favorable qu'aux seuls amendements qui sont conformes à l'accord signé par les sept partenaires sociaux, ceci pour préserver le consensus qui a prévalu lors de cette signature. Ce que vous désignez comme le calendrier croisé, ensuite, tient à l'organisation des travaux parlementaires eux-mêmes, à l'agenda des deux chambres.
À l'origine de ce projet de loi pour le plein emploi, il y a d'abord ce constat positif que, depuis 2017, l'économie française a créé 1,7 million d'emplois ; le taux de chômage est passé de 9,5 % à 7,1 %, et le taux d'emploi n'a jamais été aussi élevé depuis la création de cet indicateur, en 1975 : 68 % pour les 15-64 ans, le taux d'emploi des 15-24 ans n'a jamais été aussi haut depuis 1990 et celui des séniors n'a jamais été aussi élevé. Ensuite, les emplois créés le sont à 52 % en contrat à durée indéterminée (CDI), c'est un record depuis trente ans et c'est un bon signe, à contrepied de l'image d'un développement massif de l'auto-entreprise. Cependant, notre taux de chômage, à 7,1 %, est encore bien supérieur à la moyenne européenne et - ce qui peut paraître paradoxal - les entreprises rencontrent de réelles difficultés à recruter : deux tiers des PME disent avoir rencontré des difficultés de recrutement et 60 % des entreprises industrielles déclarent avoir renoncé à augmenter leur activité faute de ressources humaines.
Ces difficultés ont trois causes bien identifiées : l'inadéquation des compétences aux besoins, à laquelle nous essayons de répondre collectivement depuis 2018 avec le plan d'investissement dans les compétences ; les difficultés liées aux règles du marché du travail, auxquelles nous avons apporté de premières réponses par les réformes de 2019 et 2022 ; enfin, les difficultés liées au fonctionnement du service public de l'emploi lui-même, et c'est l'objet du projet de loi que je vous présente aujourd'hui. Ce texte s'appuie sur une concertation approfondie, confiée à un Haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises, Thibaut Guilluy ; elle s'est déroulée pendant huit mois et a ouvert sur un rapport, qui m'a été remis le 17 avril dernier. Ce rapport pose 10 principes, que le Gouvernement reprend intégralement, et 99 propositions, que nous ne saurions reprendre toutes mais qui sont une source d'inspiration et de débat.
Ce projet de loi compte 11 articles et poursuit trois objectifs - plus un quatrième, qui est porté par mon collègue Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées.
Premier objectif : améliorer la structure et la gouvernance du service public de l'emploi. C'est le but de la transformation de Pôle emploi en France Travail, avec le statut d'opérateur et un rôle de coordination au service des autres acteurs de l'emploi, avec un système d'information et des référentiels communs. Il ne s'agit donc pas d'une recentralisation, l'opérateur France Travail sera l'animateur technique dans le cadre d'une gouvernance du service public de l'emploi partagée avec les élus locaux. Il y a des interrogations, c'est bien légitime quand il s'agit du service public de l'emploi, et j'entends y répondre. Les initiatives locales, d'abord, seront conservées. Dans bon nombre de territoires, le réseau France Travail fonctionne déjà par une bonne coordination des différents acteurs. Les missions locales continueront d'être les opérateurs auprès des publics jeunes, aucune disposition de ce projet de loi ne modifie leur statut. L'opérateur France Travail aura un rôle d'animation et pas de direction, les opérateurs continueront d'être liés par conventionnement avec l'État et non avec l'opérateur France Travail.
Il y a, ensuite, un aspect très technique, avec les systèmes d'information et ce qu'on appelle parfois les communs numériques. Le système va devenir plus horizontal, pour un meilleur partage de l'information entre acteurs. Cela sera précisé par décret après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), l'objectif étant de parvenir à un système horizontal pour un partage de l'information, gage d'efficacité et d'un meilleur suivi des allocataires et des demandeurs d'emploi. Chaque opérateur pourra prendre la suite du précédent sans avoir à reconstituer le parcours du demandeur, le but étant ce qu'on appelle parfois un parcours « sans couture ». L'objectif est d'avoir des systèmes d'information communs et d'avoir des méthodes communes pour ce qu'on appelle le référentiel, de façon à ce que les acteurs de l'emploi puissent prendre les mêmes informations à la source, pour une meilleure qualité d'orientation. C'est aujourd'hui un point faible de notre système, les acteurs ayant souvent trop peu de temps pour le diagnostic social et économique.
Nous voulons ouvrir la gouvernance aux collectivités territoriales, en les incluant dans le comité national d'orientation de France Travail, aux côtés de l'État et des partenaires sociaux, mais aussi au niveau des régions et des départements - nous prévoyons d'ailleurs que le président du conseil départemental et le préfet puissent modifier les référentiels pour tenir compte des caractéristiques départementales de l'emploi et de la formation. À l'échelon infra-départemental, le projet de loi ne fixe pas les modalités du co-pilotage du service public de l'emploi, l'idée étant que les collectivités territoriales déterminent elles-mêmes l'échelle pertinente, par exemple le bassin d'emploi ou l'arrondissement, ou encore l'intercommunalité. Dans certains territoires, l'insertion sera mise en avant, et donc le département, dans d'autres ce sera la mobilité ou l'accès au logement ; les sujets sont divers et nous tenons au principe de subsidiarité pour déterminer les modalités du co-pilotage avec l'État.
Je veux souligner trois points sur la gouvernance. Ce texte n'organise en rien la fusion des organismes qui contribuent au service public de l'emploi, nous ne voulons pas d'un « big bang » de ce service public qui passerait par une fusion de Pôle emploi et des missions locales, avec toutes les difficultés que cela poserait - alors que nous avons besoin d'être réactifs. Ensuite, aucune disposition ne revient sur la répartition des compétences entre les collectivités territoriales et l'État, ce n'est pas un texte recentralisateur, il ne touche pas à la répartition des compétences. Enfin, nous avons voulu associer les collectivités territoriales à la définition des orientations du service public de l'emploi, car les freins à l'emploi sont très divers selon les territoires et nous voulons y répondre de la façon la plus adaptée. Mme le rapporteur souligne à raison une difficulté : le fait qu'un même nom, France Travail, désigne un opérateur et le réseau des acteurs de l'emploi, peut être une source de confusion, que l'examen du texte, j'espère, permettra de lever.
Deuxième objectif de ce texte : améliorer l'accompagnement des demandeurs d'emploi, en particulier des plus fragiles d'entre eux. Le constat n'est pas bon pour les allocataires du revenu de solidarité active (RSA) : 42 % des allocataires le sont depuis plus de 7 ans de manière continue ou récurrente, un sur six ne fait l'objet d'aucun suivi social et professionnel et au bout de sept ans, seul un allocataire sur trois retrouve un emploi, souvent précaire. Il nous faut donc réinvestir l'accompagnement, retrouver l'esprit du revenu minimum d'insertion (RMI) de 1988, quand le législateur avait décidé que 20 % des dépenses devaient aller à l'insertion et 80 % à l'allocation. Cette proportion a été laissée de côté en 2004 lors de la nouvelle répartition des compétences. L'État doit réinvestir pour donner plus de moyens aux conseils départementaux pour les politiques d'insertion. J'ai donc proposé qu'une partie des crédits dédiés à France Travail soit fléchée vers les conseils départementaux pour accompagner ces politiques d'insertion, pour un accompagnement plus personnalisé - d'autant que la totalité des allocataires seront inscrits à France Travail, ce qui est une façon de garantir un suivi de l'insertion professionnelle en plus du suivi social.
Nous voulons rénover les modalités de l'accompagnement en généralisant le contrat d'engagement, qui tiendra compte de l'âge du demandeur ou de l'allocataire, de sa situation économique, des freins à l'emploi, de l'offre d'insertion et de formation.
Nous souhaitons que ce contrat permette d'aller jusqu'à 15 à 20 heures d'activité d'insertion et de formation par semaine. Ce n'est évidemment pas du travail gratuit ni du bénévolat obligatoire, il faudra déterminer avec les allocataires le type d'action et de parcours choisi, cela pourra aller du passage du permis de conduire à la recherche d'un logement, en passant par des jobs dating ou des ateliers d'élaboration et de réécriture de CV ou encore des formations. Nous voulons aussi rétablir la logique de responsabilité et de contrepartie qui était celle de la loi de 1988. L'allocation n'est pas conditionnée à la signature du contrat, elle est un droit opposable, mais une fois le contrat signé, si la personne ne respecte pas les engagements qu'elle a pris, il y a une sanction possible, avec la radiation et la suppression de droits. Nous créons une modalité de suspension, où les conseillers sociaux et d'insertion professionnelle proposeront au président du département la suspension de l'allocation, le temps que les engagements soient respectés. C'est une modalité moins forte que la radiation, elle n'est pas irréversible et elle pourra même être sans incidence sur l'allocation perçue dès lors que la personne réagira très rapidement. Nous prévoyons que le président du département puisse prendre la décision s'il le souhaite, et qu'à défaut de réponse sous un mois, Pôle emploi puisse appliquer la suspension. Nous proposons aussi de modifier quelques dispositions techniques concernant la formation, en particulier pour que les bacheliers, jusqu'à bac+2, puissent bénéficier d'une formation au titre du plan d'investissement dans les compétences, alors que ces formations sont actuellement fermées aux bacheliers.
Troisième chantier, que j'aborde très rapidement : ce texte comporte des mesures annoncées par le Président de la République à l'issue de la Conférence nationale du handicap, par exemple le fait que le droit d'orientation en milieu ordinaire soit la règle pour les demandeurs d'emploi en situation de handicap, ou encore le fait que le droit applicable aux travailleurs handicapés accueillis en établissement et service d'aide par le travail (ESAT) soit le même que pour les salariés - sauf le licenciement, parce qu'il faut protéger les travailleurs en ESAT. Nous souhaitons aussi que les bénéficiaires de l'obligation d'emploi, par exemple après l'attribution d'une pension d'invalidité par la sécurité sociale, bénéficient des mêmes droits d'accès aux entreprises adaptées que les personnes titulaires d'une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Nous voulons aussi faire en sorte que les expérimentations relatives aux CDD tremplins et aux entreprises adaptées de travail temporaire, soient pérennisées et accompagnées.
Enfin, le quatrième objectif est d'améliorer le service public de la petite enfance, mais je laisserai Jean-Christophe Combe vous en parler lors de l'audition que vous avez prévue avec lui.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Vous soulignez qu'effectivement, la dénomination identique « France travail » pour l'opérateur Pôle emploi et pour le réseau d'ensemble laisse penser à une hiérarchie, comme si l'opérateur était au-dessus ; c'est un irritant. Quant aux 15 à 20 heures d'activité, pensez-vous qu'il soit possible d'inscrire ce volume d'heures dans la loi ? Mon département expérimente la mesure et il me semble que si la loi n'est pas suffisamment précise sur ce point, quitte à ce qu'il y ait de la souplesse dans l'application, la mesure ne sera pas effective.
Comment concrétiser les droits et les devoirs des demandeurs d'emploi et des allocataires du RSA ? Et comment voyez-vous les choses s'articuler pour le suivi des couples, dès lors que l'inscription du conjoint de l'allocataire sera obligatoire ?
Quid, ensuite, du financement : on parle d'un coût de 2,3 à 2,7 milliards d'euros sur trois ans, comment cette évaluation a-t-elle été faite ? Qui paiera, entre l'État, l'Unedic et les départements ? Quels seront les moyens pérennes pour la mise en oeuvre de la réforme ? Dans mon département, Pôle emploi n'a pas eu de moyens supplémentaires pour l'expérimentation relative à l'accompagnement des allocataires du RSA et c'est le département qui a dû financer les emplois nécessaires, soit 8 emplois en équivalent temps plein (ETP) chez Pôle emploi et 1 ETP pour la mission locale : est-ce bien satisfaisant ?
Enfin, quelle sera la coordination entre les comités institués à différents échelons territoriaux ? Qu'attendez-vous des collectivités territoriales ?
M. Philippe Mouiller. - Je salue le travail de concertation conduit par Thibaut Guilluy avec les structures du secteur du handicap. Cependant, des inquiétudes demeurent. La première concerne les travailleurs handicapés dans les ESAT, dont le modèle économique est fragile. Un tiers des ESAT n'est pas à l'équilibre ; s'ils ne sont pas soutenus financièrement, ils devront chercher de la productivité, ce qui aura une incidence directe sur les salariés les moins « productifs », ou bien ils devront arrêter leur activité, dès lors que l'orientation prise par ce texte vise le milieu ordinaire du travail. Comment pensez-vous soutenir les ESAT, dans le cadre de quelle mission budgétaire ? Il y a un vrai sujet, celui de la pérennité de ces structures.
Les Cap emploi, ensuite, peuvent jouer un rôle important dans le repérage des opportunités d'emploi pour les travailleurs handicapés ; dès lors qu'ils seront moins visibles dans la nouvelle organisation du service public de l'emploi, comment parviendront-ils à trouver leur place auprès des entreprises ? Il n'y a guère d'inquiétude pour l'accompagnement des travailleurs handicapés, c'est le coeur de métier des Cap emploi, mais comment les choses vont-elles se passer pour cette fonction très utile d'identification au sein des entreprises des possibilités de recrutement de travailleurs handicapés ?
Troisième point, lié à l'inscription automatique à France travail de toute personne en recherche d'emploi. Ne risque-t-on pas de mettre de côté des travailleurs handicapés qui demandent ou qui bénéficient d'une RQTH, mais qui se perçoivent comme très éloignés de l'emploi et qui, de ce fait, risquent de passer à côté d'un accompagnement ? Ne peut-on pas envisager une relation directe entre demande de RQTH et inscription sur la liste des demandeurs d'emploi, sachant que les personnes demandent elles-mêmes la RQTH ?
Enfin, nous examinerons de très près la situation des personnes lourdement handicapées, qui ont été oubliées lors de la réforme de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH).
M. Olivier Dussopt, ministre. - Le nom de l'opérateur peut être mieux compris, si l'on parvient à bien distinguer ce qui relève du réseau des acteurs de l'emploi et ce qui relève de l'opérateur, sachant que l'opérateur ne décide pas de la politique des autres acteurs : chacun reste dans ses compétences, j'y ai veillé. Je le dis en passant, mais je ne suis pas sûr que le Gouvernement aurait trouvé une majorité au Sénat pour modifier la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales...
Peut-on écrire dans la loi une durée de 15 à 20 heures hebdomadaires d'activité ? Cela signifierait que la puissance publique garantisse la possibilité d'une telle activité sur tous les territoires, c'est loin d'être assuré. Nous savons aussi que des allocataires du RSA sont très éloignés de l'emploi, au point qu'une activité immédiate de 15 à 20 heures hebdomadaires serait peu réaliste, et la loi prévoit justement la possibilité de commencer par un accompagnement social sans accompagnement professionnel. Il ne faut pas enfermer l'action en ne laissant pas d'autre choix que l'activité.
Sur la question des conjoints, ensuite, la réforme que je vous propose met à jour des règles actuelles méconnues. Aujourd'hui, le RSA est familialisé, il dépend du foyer fiscal, et quand l'allocataire est en couple, les droits et les devoirs s'appliquent au couple et pas seulement à l'individu. Donc lorsqu'un allocataire du RSA sera automatiquement inscrit à France travail, son conjoint le sera également s'il ne travaille pas, cela relève de la gestion, mais il faut préciser les choses, en tout cas ce suivi est plutôt une bonne nouvelle et une avancée.
Qu'attend-on des collectivités locales, avec cette réforme ? Non pas qu'elles fassent davantage, mais que le service public de l'emploi soit mieux coordonné. C'est le sens de la création des comités France Travail aux différents échelons territoriaux : ils doivent améliorer la coordination - il ne s'agit pas de faire à la place, mais de se coordonner.
S'agissant du financement, le rapport de Thibaut Guilluy estime le besoin cumulé entre 2,2 et 2,7 milliards d'euros, la mobilisation est progressive puisque bien des mesures n'interviendront pas avant 2025, et le besoin pour l'an prochain peut être estimé entre 300 et 500 millions d'euros. Comment les trouver ? Ce que nous envisageons, d'abord, c'est d'augmenter le financement budgétaire de Pôle emploi, demain France Travail. Ensuite, il faut savoir que les quatre cinquièmes de ce financement relèvent du versement par l'Unedic de 11 % de ses recettes, et que la dynamique des recettes de l'Unedic, due aux créations d'emplois, devrait augmenter de 400 millions d'euros cette participation de l'Unedic à Pôle emploi l'an prochain. Je rappelle que l'Unedic, qui était déficitaire depuis une dizaine d'années, d'environ 1,9 milliard d'euros annuels, est devenue excédentaire avec les créations d'emplois de 4 milliards d'euros l'an passé, et l'excédent devrait atteindre 8,7 milliards l'an prochain et entre 10 et 18 milliards d'euros en 2027, selon que le taux de chômage est de 7 % ou de 5 %... Il y a donc des marges budgétaires de ce côté-là.
Sur le handicap, ensuite, il ne s'agit nullement de remettre en cause le modèle des ESAT, mais de faire converger les droits. Cette convergence portera d'ailleurs surtout sur la complémentaire santé obligatoire, ainsi que sur le droit de grève, le droit syndical et la participation aux frais de mobilité. Ensuite, nous avons une obligation morale, sachant que quatre travailleurs en Esat sur cinq n'ont pas de couverture complémentaire, ce qui n'est pas acceptable. Il faut poursuivre le plan de transformation des ESAT mis en place depuis trois ans et prendre en charge, effectivement, des dépenses nouvelles. J'appelle, pour ma part, à un droit au retour : nous voulons faciliter le passage vers le milieu ordinaire, mais il faut aussi sécuriser le retour en cas d'échec, parce que, comme dans toute trajectoire professionnelle, il peut y avoir des échecs. Cap emploi, ensuite, est un opérateur reconnu par Pôle emploi ; le repérage de postes pour l'insertion des travailleurs handicapés et l'une de ses missions et il faut continuer dans ce sens.
Quant à l'idée d'une inscription sur la liste des demandeurs d'emploi à travers la demande de RQTH à l'initiative de la personne, il faut regarder ce point de plus près. J'en profite pour dire que nous allons prendre un décret pour déplafonner le cumul de l'allocation adulte handicapé (AAH-2) avec l'activité salariée - aujourd'hui limité à 17 h 30 hebdomadaires - ce qui rendra accessibles des contrats aidés qui représentent 25 heures de travail hebdomadaires.
Mme Émilienne Poumirol. - Je m'interroge sur le calendrier de votre réforme : une expérimentation vient de démarrer, on ne connaît donc pas ses résultats, mais déjà vous généralisez, comme ce Gouvernement l'a déjà fait en matière de santé. Est-ce bien raisonnable ?
Je m'interroge aussi sur cette obligation d'inscription à France Travail pour tout allocataire du RSA, y compris pour le conjoint : quel but poursuivez-vous ?
Vous parlez d'un comité d'orientation de France Travail, de décisions prises par décret - c'est donc que nous allons adopter un texte, mais que le ministre va en décider des modalités ?
Même chose sur l'activité possible, jusqu'à 15 à 20 heures hebdomadaires : la mention ne figure pas dans le texte, il faudrait être plus précis.
Enfin, sur le financement, vous évoquez la manne miraculeuse de l'Unedic, mais dans les faits, nous savons tous que les agents de Pôle emploi sont déjà débordés, et que votre réforme va les charger davantage : allez-vous augmenter les moyens de l'opérateur pour faire face au surplus de travail ? Il y a aussi des possibilités de déléguer au privé des tâches du service public de l'emploi (SPE) : n'est-ce pas un glissement vers une privatisation du SPE ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - J'ai présidé pendant des années un plan local pour l'insertion et l'emploi (Plie), nous avons créé une maison de l'emploi, une mission locale, une cité des métiers... mais toujours, nous avons buté sur le fait que Pôle emploi se pensait le seul acteur du service public de l'emploi. Chacun comprend que Pôle emploi, comme opérateur sous tutelle de l'État, dispose de prérogatives, mais il y a cette difficulté à intégrer les autres acteurs. Vous avez raison de vouloir créer un véritable réseau, même si l'usage d'un même nom, France Travail, est une source de confusion.
La décentralisation, ensuite, est indispensable, le co-pilotage est essentiel, car les situations varient d'un territoire à l'autre. Il faut associer les opérateurs au niveau infra-départemental.
Il faut s'assurer que l'inscription à la mission locale vaudra inscription à France travail, pour éviter les doublons : est-ce bien le cas ?
Quelle coordination, ensuite, dans la relation aux employeurs ? Car si nous avions réussi sur ce plan dans notre maison de l'emploi, c'est que Pôle emploi avait joué le jeu. Vous savez comme moi que les entreprises préfèrent de loin un interlocuteur unique à un défilé d'opérateurs qui leur parlent chacun de « son » public...
Enfin, quels moyens pour accompagner les départements sur le RSA, sachant que les dépenses d'accompagnement représentent à peine 10 % de l'ensemble, soit la moitié de l'objectif ?
M. Daniel Chasseing. - Accéder au travail, c'est s'émanciper et s'insérer dans la société, pour soi-même mais aussi pour sa famille. Or, parmi les 2 millions d'allocataires du RSA, 61 % le sont depuis plus de 2 ans et 37 % depuis plus de 5 ans. Beaucoup restent parce qu'ils craignent de perdre leur allocation et les droits connexes.
Pour les personnes les plus éloignées de l'emploi, n'est-il pas nécessaire, en plus de l'accompagnement personnalisé, de proposer une découverte de l'entreprise ? Et comment assurer que l'accompagnement soit bien effectif avec le logement, la mobilité, les gardes d'enfants ?
Ensuite, pour réussir, votre réforme a besoin de moyens. Il y a certes la coordination entre acteurs, mais il faut aussi renforcer le soutien aux entreprises adaptées : est-ce bien le cas ?
Enfin, nous avons adopté au Sénat une proposition de loi de Claude Malhuret, autorisant l'allocataire du RSA au chômage de longue durée et qui trouve un emploi, à conserver son allocation pendant les neuf premiers mois de son emploi : n'est-ce pas une mesure utile, en particulier pour les séniors ?
Mme Corinne Féret. - Je m'interroge sur la place et le rôle des régions et des départements dans la gouvernance du service public de l'emploi telle que vous nous la proposez. Vous dites que votre texte ne modifie pas la répartition des compétences, mais vous proposez en fait de « partager », dans ces nouveaux comités, ce qui relève aujourd'hui d'une compétence exclusive de la région ou du département - par exemple la formation, compétence transférée aux régions depuis quatre décennies, ou l'insertion sociale, transférée aux départements. Il faudra aussi que les collectivités signent une charte d'engagements, avant de s'installer à la coprésidence des comités avec l'État ; mais que se passera-t-il si les collectivités territoriales ne signent pas ? L'État assumerait-il seul les compétences en question ?
Sur le financement, ensuite, vous évoquez des moyens supplémentaires en loi de finances et la dynamique des recettes de l'Unedic - il se dit aussi que la ponction sur ces recettes de l'Unedic pourrait passer de 11 % à 15 ou 16 %. Mais vous ne mentionnez pas la dette de l'Unedic, liée à la crise 2008 et à la crise sanitaire, qui dépasse 18 milliards d'euros, c'est considérable. Ce texte doit préciser les orientations sur le financement, les besoins sont considérables, bien au-delà des 2,2 à 2,7 milliards dont vous parlez.
Présidence de M. Philippe Mouiller, vice-président
M. Olivier Dussopt, ministre. - Sur la temporalité de l'expérimentation, nous avons beaucoup travaillé avec l'Association des départements de France (ADF) et c'est à dessein que la loi ne liste pas des activités, pas plus qu'elle ne fixe une durée de 15 à 20 heures - précision qui est d'ordre réglementaire. En fait, l'expérimentation en cours vise à voir ce qui marche le mieux. Je me suis engagé à ce que le financement en soit garanti sur les années 2023-2024, en vue d'une généralisation en 2025, sans avoir été prescriptif jusque-là. C'était une demande des départements, de ne pas fixer une liste précise d'activités, pour ne pas enfermer leur action d'insertion et d'accompagnement. Le rapport de Thibaut Guilluy, page 265, présente une liste d'actions, mais c'est à titre d'illustration et de partage des bonnes pratiques. Il n'y a donc pas de problème de temporalité puisque les expérimentations permettent de préparer la généralisation et d'avoir un temps d'échange préalable. Des décrets interviendront, en particulier sur les systèmes d'information, après avis conforme de la CNIL - c'est le droit, puisque des données personnelles sont concernées.
Ce texte ne confère aucune prérogative nouvelle aux acteurs privés, par exemple les agences d'intérim. Le service public de l'emploi s'appuie déjà sur ces acteurs, il y a des coopérations - par exemple, le ministère du travail a initié il y a 18 mois un partage des données avec certaines agences d'intérim pour réduire les tensions de recrutement et mieux transmettre les offres, c'est utile aux demandeurs d'emplois.
Sur les moyens financiers, il faut tenir compte du fait que, depuis 2017, Pôle emploi a gagné quelque 4 000 postes, à 52 000 ETP, alors que le nombre de demandeurs d'emploi a reculé. L'État verse une subvention de fonctionnement à l'opérateur, elle peut être réévaluée en loi de finances. La participation de l'Unedic doit être rediscutée dans le cadre du renouvellement de la convention tripartite, l'idée d'un passage de 11 % à 17 % n'a pas été émise par le Gouvernement, nous nous contentons de constater que la trajectoire de l'Unedic - un excédent de 8 milliards l'an prochain et la possibilité d'un excédent de 18 milliards en 2027 - donnera à l'opérateur des moyens pour les mesures nouvelles sans contrarier ses objectifs de désendettement. Je sais que les partenaires sociaux demandent que l'État reprenne la dette de l'Unedic, considérant qu'elle est liée à la crise sanitaire. Vous comprendrez que l'ancien ministre du Budget qui vous parle n'est pas sur cette longueur d'ondes...
L'inscription automatique à France Travail sera une opération des plus simples : la personne qui obtiendra l'allocation de RSA, ou le jeune qui s'inscrira à la mission locale, se verra signifier qu'il est inscrit à France Travail. Notre objectif est très simple : garantir un suivi professionnel. Actuellement, 17 % des allocataires n'ont pas de suivi et 45 % ont un suivi seulement professionnel, notre objectif est d'améliorer le suivi pour maximiser le retour à l'emploi.
En 1988, le législateur avait prévu qu'un cinquième des dépenses du RMI irait aux mesures d'accompagnement. Cette part était descendue à 16 % en 1999, l'obligation a été supprimée en 2004 et nous sommes aujourd'hui à 9 % en moyenne, pour des raisons très diverses : ce n'est pas suffisant et nous devons aller plus loin.
Le Gouvernement est sensible à l'accès au droit, nous travaillons sur la solidarité à la source pour que tout ayant droit bénéficie de ses droits. Vous savez que c'est aussi un immense chantier informatique.
Ce texte n'organise pas un nouveau partage des compétences mais une gouvernance partagée. Nous proposons que les collectivités territoriales soient parties prenantes des comités d'orientation pour que l'opérateur, les régions et les départements ne perdent aucune de leurs compétences, j'y veille scrupuleusement. La charte d'engagements vise le partage des données dans les nouveaux systèmes d'information, c'est un outil de travail, pas de subordination - et l'État ne reprendra pas la compétence si la collectivité territoriale ne signe pas cette charte.
M. René-Paul Savary. - Je vous souhaite bonne chance, car je ne crois pas qu'avec cette réforme vous remettiez le système dans le bon sens - et d'abord parce que j'y vois avant tout une recentralisation. Ensuite, rien ne sert d'inscrire à Pôle emploi des personnes qui ont d'abord besoin d'un accompagnement social et qui ne peuvent certainement pas travailler tout de suite ! Nous savons tous que des gens ne peuvent pas travailler immédiatement et avec votre loi de pleine inscription au chômage, je me demande bien comment vous allez parvenir au plein emploi ! Le partage d'information, en revanche, est un bon point, à condition qu'il soit effectif.
Avec votre réforme, le payeur n'est plus le décideur. Alors qu'il y a une répartition claire des compétences, avec des publics identifiés - à la région les publics en formation, au département les publics en insertion sociale, à l'État l'insertion professionnelle - vous mélangez l'ensemble tout en mettant l'État partout, et vous expliquez que vous faites du neuf en inscrivant tous les allocataires du RSA à Pôle emploi. En réalité, vous enfoncez des portes ouvertes. Quand je présidais mon département, la plupart des allocataires étaient inscrits à Pôle emploi, mais ce n'est pas pour autant qu'ils respectaient les devoirs inscrits dans leur contrat, c'est là qu'il faudrait faire quelque chose parce que c'est rendre service à ces personnes que de les obliger à respecter les devoirs qui accompagnent les droits...
Mme Monique Lubin- Le service public de l'emploi existe déjà, il passe des partenariats avec les collectivités territoriales, avec les opérateurs comme Cap emploi, avec les missions locales... dès lors, quel est l'objectif réel de ce texte ? Vous parlez de contrat d'engagement réciproque, mais cela se fait déjà, il y a déjà des contrats qui prévoient des actions comme la recherche d'un logement : où est la plus-value de votre texte ?
Ensuite, qu'appelez-vous une offre raisonnable d'emploi ? Ce critère n'est-il pas subjectif ? Vous constatez comme moi qu'une partie des allocataires du RSA reste allocataire pendant de très nombreuses années : je sais que je suis minoritaire en le disant, y compris dans ma propre famille politique, mais ces allocataires de très longue durée ne montrent-ils pas qu'il y a des gens qu'on ne pourra pas intégrer dans l'emploi durable ? Dès lors, n'est-on pas en devoir de trouver des sorties autres que dans l'emploi tel que nous le connaissons ?
Quid, ensuite, du non-recours ? Je préside une commission pluridisciplinaire, où nous recevons des allocataires du RSA qui ne remplissent pas leurs devoirs. J'ai en mémoire le cas d'une allocataire qui ne répondait plus, depuis des mois, à toutes les convocations qu'on lui adressait. J'ai fini par aller la voir... et j'ai constaté qu'elle était décédée depuis des mois, sans que personne ne le sache - alors depuis, je refuse qu'on laisse les gens sans réponse. Je crois que nous avons le devoir de proposer d'autres choses que de l'emploi. Et quand tous les allocataires seront inscrits à Pôle emploi, comment identifiera-t-on ceux qui relèvent d'un tel suivi ?
Mme Raymonde Poncet Monge. - Il serait bien qu'après la réforme des retraites, où vous avez beaucoup mis en avant l'argument démographique, vous ayez l'honnêteté de dire l'importance du facteur démographique dans la baisse du chômage, qui ne tient certainement pas qu'à votre politique de l'emploi...
Avec un pilotage par les résultats, comment comptez-vous maîtriser l'effet d'exclusion sociale inhérent à ce type de pilotage ? Comment allez-vous faire, ensuite, avec ce surplus d'inscrits au chômage, si votre objectif est précisément d'atteindre un taux de 5 %, plafond du plein emploi ? Pensez-vous comptabiliser différemment ces nouveaux inscrits ?
Dans la gouvernance que vous visez, quelle sera la place des partenaires sociaux ?
Enfin, le système d'information horizontal que vous voulez mettre en place, consistera-t-il en une plateforme interopérable, ou bien en un système unique, au risque de nier les spécificités des différents opérateurs ?
Mme Annick Jacquemet. - Voulez-vous vraiment faire signer un contrat d'engagement à tous les allocataires du RSA ? Dans le Doubs, nous parvenons à un taux de 65 %, avec beaucoup de travail : comment pensez-vous faire mieux ?
Les missions locales continueraient d'avoir 70 % de financement de l'État mais elles s'inquiètent pour leur gouvernance : seront-elles seulement des prestataires, au gré des conventions qu'elles signeront avec l'État, en perdant leur statut de partenaire sur le territoire ? Comment faire signer des contrats d'engagement à ceux qui sont les plus récalcitrants - ne faut-il pas disposer d'outils plus souples ?
Enfin, la Cour des comptes nous a dit que les systèmes d'information intégrés pouvaient prendre des décennies à se mettre en place : qu'en est-il ici, avez-vous une idée du calendrier ?
M. Olivier Dussopt, ministre. - Je répète que ce texte n'opère pas de centralisation du service public de l'emploi, le binôme entre l'État et la collectivité territoriale concerne l'animation du comité France Travail, chacun reste dans ses compétences. L'État conserve la compétence de la politique de l'emploi, nous ne la régionalisons pas, mais nous associons la région à la définition de la feuille de route, de même que nous associons les départements et les collectivités infra-départementales pour ce qui relève de leurs compétences. Nous associons aussi les partenaires sociaux, aux échelons national et régional - aller plus loin, cela poserait le problème aux partenaires sociaux de disposer partout de représentants.
Le système d'information consistera en une plateforme interopérable, des rapprochements ont déjà eu lieu entre Pôle emploi et Cap emploi.
S'agissant de l'employabilité, le texte précise que pour les allocataires du RSA les plus éloignés de l'emploi, il y a une orientation sociale et non pas professionnelle, avec un point tous les six à douze mois pour mieux accompagner. Il y a donc la possibilité de commencer par un accompagnement seulement social. Il faut aller chercher les publics, l'article 6 reconnait les structures associatives qui font de l'intermédiation, comme Convergence, ou Emmaüs défi, elles sont efficaces. Enfin, lorsqu'on aura atteint le plein emploi et si l'on constate que des allocataires du RSA restent éloignés de l'emploi, nous aurons à réfléchir collectivement à la nature des prestations que nous jugerons nécessaires à leur apporter, en assumant que ces prestations relèvent moins de revenus d'activité ou d'insertion, que de la santé mentale - c'est un débat très difficile, nous n'en sommes pas là.
Le taux de chômage est calculé sur la base du Bureau international du travail (BIT), donc l'augmentation des demandeurs d'emploi en fin de mois (DEFM) n'a pas d'incidence mécanique sur le taux de chômage. En revanche, nous pouvons nous interroger sur les catégories de demandeurs d'emploi, et se poser la question s'il ne faudrait pas que certains demandeurs d'emplois n'aient pas à rechercher activement un emploi, par exemple dans le cas d'une grossesse de sept mois ou un problème de santé lourd.
Ce texte ne change pas la gouvernance des missions locales, le conventionnement avec l'État est maintenu dans sa forme actuelle. Nous avons eu des échanges avec l'Union nationale des missions locales, qui nous a dit que ce projet de loi lui convenait - de même que l'Assemblée des départements de France (ADF).
L'offre raisonnable d'emploi, enfin, est d'usage aujourd'hui, avec le peu de succès que l'on sait - puisque si le code du travail dispose que le refus de deux offres successives entraine la radiation, il y a à peine 200 radiations par an à l'échelle du territoire national... Notre objectif est que dans le contrat d'engagement réciproque, on puisse déterminer entre l'allocataire et les conseillers en insertion professionnelle la nature et le type d'emploi recherché pour que l'offre raisonnable d'emploi soit adaptée au parcours de la personne, plutôt qu'elle ne soit qu'une notion un peu conceptuelle, comme c'est le cas dans son application aujourd'hui.
M. Philippe Mouiller, président. - Merci pour toutes ces précisions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M.
Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités,
de l'autonomie et
des personnes handicapées
Mme Catherine Deroche, présidente. - Monsieur le ministre, vous êtes au coeur de plusieurs sujets d'actualité relatifs à la petite enfance, sujet auquel notre commission a elle-même consacré divers travaux - encore récemment le bilan de la prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE) qu'ont mené Olivier Henno et Annie Le Houerou. Ainsi, au début de ce mois, vous avez pris connaissance des conclusions de la concertation menée dans le cadre du Conseil national de la refondation (CNR) sur le service public de la petite enfance.
De plus, le projet de loi pour le plein emploi contient un article 10 relatif à la gouvernance en matière d'accueil du jeune enfant. Notre commission devrait l'examiner dès demain, mercredi 28 juin, avant son passage en séance prévu du lundi 10 au jeudi 13 juillet, en clôture de la session extraordinaire.
Il était donc important de vous entendre sur cette actualité immédiate et plus largement sur votre stratégie en matière de petite enfance - sujet de préoccupation majeur pour les familles et secteur qui, comme nous le savons, fait face à d'importantes pénuries de main d'oeuvre.
Monsieur le ministre, je vais vous laisser la parole pour un propos introductif.
M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées. - Je suis heureux de vous présenter, après mon collègue Olivier Dussopt, le projet de loi relatif au plein emploi. Je concentrerai bien sûr mon propos sur les dispositions relatives au service public de la petite enfance, mais aussi sur celles venant traduire les annonces récentes de la conférence nationale du handicap.
Un aparté tout d'abord pour vous dire que je suis honoré de réaliser à nouveau cet exercice avant les élections de septembre. J'en profite pour saluer la présidente Catherine Deroche, avec qui j'ai toujours eu plaisir à échanger et à travailler, en confiance et en bonne intelligence. Nul doute que les habitants et élus de Maine-et-Loire sont reconnaissants de votre action. C'est justement dans le Maine-et-Loire, à Angers, que la Première ministre a présenté, le 1er juin dernier, les contours du service public de la petite enfance. Et c'est encore à Angers qu'avait lieu l'assemblée générale de l'Union nationale des associations familiales (UNAF), le 17 juin - une terre donc accueillante pour la petite enfance et les familles. Là-bas, comme ailleurs sur le territoire, je suis convaincu que de très nombreux parents, professionnels et élus attendaient depuis longtemps qu'un engagement puissant soit pris en faveur de l'accueil du jeune enfant.
Chacun a conscience des difficultés auxquelles de trop nombreuses familles sont confrontées au quotidien, avec 200 000 places d'accueil qui manquent et des taux de couverture des besoins variant de 1 à 10 selon les départements. Pour les parents, l'accueil de leur jeune enfant est souvent un parcours du combattant. Dans l'enquête « Parents », réalisée par Ipsos en avril 2023 pour le ministère que je dirige, 61 % d'entre eux déclaraient que la recherche d'un mode d'accueil avait constitué une source de stress importante, voire très importante pour 28 % d'entre eux.
Au-delà de ces problèmes concrets du quotidien, l'action en faveur de l'accueil du jeune enfant est au carrefour de quatre grands défis de société, qu'il nous faut relever collectivement.
Le premier défi, c'est la société du plein emploi, et c'est à ce titre que la mesure relative au service public de la petite enfance a toute sa place dans ce texte. Depuis 2017, le Président de la République met toute son énergie à faire reculer le chômage de masse auquel nous nous étions habitués, avec des résultats plus que probants. Pour autant, notre effort ne doit pas être relâché, le contenu de ce texte est là pour l'intensifier. C'est le cas des dispositions relatives à la petite enfance, à double titre : d'abord parce qu'on estime que plus de 150 000 personnes sont empêchées de prendre ou reprendre un emploi faute de mode d'accueil pour leur enfant, et qu'il faut aider ces personnes ; ensuite parce que la petite enfance est un secteur dynamique, et qui va le rester. On y compte aujourd'hui environ 600 000 professionnels, et les défis sont nombreux : environ 10 000 professionnels font défaut au sein des crèches, et 120 000 assistants maternels pourraient cesser leur activité d'ici 2030, s'ajoutant aux 40 000 qui l'ont déjà fait entre 2017 et 2021. Nous avons besoin de ces professionnels, besoin d'en attirer de nouveaux, de les fidéliser. Je m'y attache depuis le premier jour de mon action, et je suis convaincu que porter, comme nous le faisons, l'attention politique et médiatique sur ces questions, contribuera à rendre ces métiers attractifs.
Le deuxième défi, c'est l'égalité entre les femmes et les hommes. Grande cause du premier quinquennat, cette bataille continue à nous mobiliser. Or, ce sont souvent les mères qui souffrent des limites de notre politique d'accueil de la petite enfance, en particulier les mères isolées. Nous leur devons d'agir résolument.
Le troisième défi, c'est la lutte contre les inégalités de destin. C'est un volet sur lequel d'importantes avancées ont été réalisées ces dernières années, avec la stratégie de lutte contre la pauvreté, avec aussi la démarche des 1 000 premiers jours. De nombreuses inégalités, pourtant, subsistent. Celle de l'accès à des temps de socialisation et d'éveil précoce par exemple - alors que c'est un enjeu majeur pour le développement global de l'enfant, seuls 5 % des enfants défavorisés bénéficient d'une place en crèche contre 20 % des classes favorisées. Les chiffres sont encore plus parlants pour le recours à une assistante maternelle.
Le quatrième défi, c'est celui de la natalité, les conditions d'accueil du jeune enfant sont un frein majeur, les parents nous le disent. Comme ministre des familles, je veux organiser un écosystème favorable à la réalisation du désir d'enfant.
Pour répondre à ces défis, nous avons l'ambition de construire un service public de la petite enfance qui assure un développement suffisant de places d'accueil pour apporter une solution adaptée à chaque famille, et qui garantisse une haute qualité d'accueil à tous les enfants.
À ce titre, je présenterai dans les tous prochains jours un plan d'urgence pour la qualité d'accueil, faisant suite aux recommandations du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) que j'avais commandé dès mon arrivée, en réaction à certains drames dans des établissements. Je présenterai à ce titre des réponses à la pénurie de professionnels, travaillées en partant des recommandations du comité de filière « petite enfance ».
Car disposer de professionnels qualifiés en nombre suffisant est une condition indispensable au rétablissement de la plus haute qualité d'accueil possible et des meilleures conditions de travail souhaitables. Nous devons sortir du cercle vicieux sous-effectif/surcharge professionnelle/détérioration de la qualité d'accueil/arrêts ou départs, dans laquelle nous nous trouvons.
Je présenterai également une proposition de réforme de l'inspection de contrôle. Sur ce point comme sur d'autres, un temps de concertation avec les départements, nécessaire, a déjà commencé et devra se poursuivre durant l'été.
Voilà, à grands traits, les enjeux qui ont guidé la réflexion du Gouvernement dans la préparation des mesures que contient ce projet de loi.
Nous nous sommes aussi appuyés sur les travaux d'Élisabeth Laithier, présidente du comité de filière, à qui j'avais confié le pilotage local du CNR petite enfance, qui a été l'occasion de mettre au coeur des discussions les parents et les professionnels eux-mêmes, leurs attentes et leurs besoins.
Ce projet de loi est le fruit de ces travaux, qui ont étroitement associé les collectivités locales et leurs représentants. Le résultat, c'est une réforme pragmatique, qui repose sur une approche partenariale, un renforcement des responsabilités de chacun et une meilleure articulation entre les échelons de compétences, lesquelles resteront nécessairement partagées.
Ce qui vous est proposé, c'est donc de créer un véritable espace de dialogue et de co-construction, indispensable si nous voulons répondre aux attentes des parents et des professionnels.
J'ai noté, dans des amendements déposés au nom de la commission, des interrogations sur la place des communes et la possibilité donnée à la caisse d'allocations familiales (Caf) d'agir en dernier ressort. Il ne s'agit en aucun cas d'une reprise en main par l'État. Cette réponse, adaptée, mesurée, est cohérente avec les enjeux posés et elle ne sera mobilisée que de manière concertée avec les acteurs, en cas de difficultés et sur demande du comité départemental des services aux familles, au sein duquel siègent des représentants de l'ensemble des collectivités.
Ce n'est pas un droit opposable que nous vous proposons de construire. Cette option a été à l'étude. Elle ne recueillait pas l'assentiment des collectivités et n'aurait surtout pas permis de répondre aux besoins des familles. Nous avons choisi de clarifier les compétences et d'identifier un chef de file, la commune ou le bloc communal, et nous avons refusé de confier de nouvelles responsabilités sans moyens additionnels.
Nous renforçons les moyens pour la petite enfance : l'État y consacrera plus d'1,5 milliard d'euros annuels supplémentaires à horizon 2027, soit 5,7 milliards d'euros de financement supplémentaire sur cinq ans pour soutenir les efforts des autorités organisatrices dans le développement de nouvelles places. Ces moyens figureront dans la prochaine convention d'objectifs et de gestion (Cog) entre l'État et la Cnaf, qui sera présentée dans les tous prochains jours. Ils permettront d'assurer aux familles qu'une réponse sera apportée à leur besoin d'accueil partout sur le territoire. C'est ma seule boussole : lever les freins très concrets et très opérationnels, apporter aux acteurs de terrain, à commencer par les communes, les soutiens dont ils ont besoin.
Encore une fois, pour apporter cette réponse, il y aura bien un chef de file, mais qui ne sera pas responsable unique, bien au contraire. Cette réforme responsabilise chaque acteur, car tout ne relève pas de la compétence des communes. Le dispositif que nous vous proposons s'appuie sur cette logique. En cas de non-atteinte des objectifs fixés, dans un premier temps le comité départemental pourra saisir le préfet, de façon non-automatique, et jamais par surprise puisque les communes y siègent. La phase de contradictoire permettra ensuite de regarder toutes les raisons pour lesquelles les objectifs n'auraient pas été atteints, et toutes bien sûr ne relèvent pas de la compétence directe des communes, que nous aiderons dans leur rôle. Ce n'est qu'après, et avec avis obligatoire du comité départemental, que le préfet pourrait d'abord préciser les démarches à mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs, dans un délai fixé ; et ce n'est qu'ensuite, que le préfet pourrait, sans obligation et avec avis obligatoire du comité départemental, mandater la Caf pour agir en dernier ressort.
Je crois sincèrement à cette approche partenariale, collectivement responsabilisante. Pour avoir été directeur de cabinet en mairie, je sais qu'aucun maire ne souhaite être seul sur cette politique, avoir à définir seul une trajectoire, à financer seul des actions. C'est bien pourquoi nous prévoyons la définition d'une stratégie nationale de la politique d'accueil du jeune enfant, elle dira les besoins en professionnels et donnera une vision globale des enjeux ; nous prévoyons aussi des moyens inédits, qui comprennent notamment un soutien en ingénierie de projet et des aides à l'investissement mais aussi au fonctionnement massivement renforcées, en réponse aux demandes de longue date par les édiles ; et nous proposons une coordination à chaque niveau.
Il faudra bien sûr qu'un dialogue constant soit maintenu avec les collectivités locales. Leur voix a toujours été prépondérante. Je rappelle qu'Élisabeth Laithier, qui a piloté le CNR, est une ancienne maire adjointe à Nancy en charge de la petite enfance, experte référente petite enfance à l'Association des maires de France (AMF). Cette parole continuera à être centrale. Elle pourra également être recueillie dans le cadre de l'élaboration de la stratégie nationale, proposée par le projet de loi. Il en va de même pour les départements et pour les régions, dont j'ai pris l'attache et avec qui je travaille pour construire une trajectoire précise de résorption de la pénurie de professionnels.
Je tiens aussi à vous parler des mesures de ce texte qui viennent traduire les annonces de la conférence nationale du handicap (CNH). L'enjeu du plein emploi est la raison d'être de ce texte, et une préoccupation centrale en matière de petite enfance - et cet objectif guide également les mesures du champ du handicap. Nous voulons mieux reconnaître la qualité de travailleur handicapé et ses spécificités. À cette fin, nous voulons supprimer l'orientation en milieu ordinaire, qui devient de droit, mesure d'inclusivité sociale et professionnelle hautement symbolique. Il s'agit également de simplifier l'accès aux droits en évitant de devoir solliciter les services de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) en cas de souhait de l'intéressé d'évoluer en milieu ordinaire. Ensuite, nous transférons à l'État la gestion de l'emploi accompagné afin de renforcer l'insertion dans l'emploi en milieu ordinaire, de même que nous introduisons dans le droit commun le contrat à durée déterminée (CDD) « tremplin » et l'entreprise adaptée de travail temporaire, des dispositifs qui sont actuellement expérimentés.
Enfin, un effort conséquent est mené pour reconnaître aux travailleurs en établissement et service d'aide par le travail (ESAT) des droits individuels et collectifs leur conférant un statut de quasi-salarié ou d'assimilé salarié, et pour rendre applicables aux établissements certaines obligations prévues par le code du travail. Ces nouveaux droits vont couvrir un large champ : l'inscription de droits collectifs fondamentaux reconnus par le droit du travail, comme celui d'adhérer à un syndicat et de faire grève, les droits d'alerte et de retrait, dans le code de l'action sociale et des familles ; la prise en charge des frais de transports domicile-travail ; l'extension du bénéfice des titres-restaurant et des chèques vacances ; ou encore la couverture obligatoire par une complémentaire santé. J'ai eu l'occasion d'évoquer ces mesures, lorsque j'ai été auditionné par votre groupe d'études sur le handicap, et je me réjouis de les trouver dans ce projet de loi.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Comme vous l'avez sans doute constaté à la lecture des amendements déposés sur le projet de loi que nous examinerons demain, nous avons des réserves sur l'opportunité d'instituer dans la loi une « stratégie nationale » élaborée par le Gouvernement. Ne considérez-vous pas que le Gouvernement peut déjà fixer des orientations et que cette stratégie contraindrait les collectivités, alors que vous proposez de renforcer leurs prérogatives ?
Cette stratégie ne mettra-t-elle pas sous contrainte la Cog conclue avec la Cnaf, qui devra respecter des orientations préalablement définies par le Gouvernement ? L'intérêt de la Cog est aussi d'associer les partenaires sociaux qui siègent à la Cnaf : il serait dommageable de réduire leur rôle - qu'en pensez-vous ?
Le projet de loi oblige les communes de plus de 3 500 habitants à élaborer un schéma pluriannuel sur l'offre d'accueil du jeune enfant. Cette obligation est-elle bien nécessaire pour toutes ces communes, alors que certaines ont peu de personnes concernées sur leur territoire et une offre très faible ? Pour accompagner ces communes, vous prévoyez l'aide des Caf et des effectifs supplémentaires : quels moyens techniques et humains seront-ils prévus pour assister les communes et quels services les Caf pourront-elles rendre ? Quelles données des Caf les communes pourront-elles utiliser pour recenser les offres et les besoins et informer les familles ? Je rappelle que 85 % des communes ont déjà mis en place un relais petite enfance. C'est un sujet auquel les maires sont très sensibles.
M. Jean-Christophe Combe, ministre. - Aujourd'hui, la Cog est le seul document opposable en matière d'accueil du jeune enfant, elle ne porte que sur l'accueil collectif et lie l'État et la Cnaf. Avec ce projet de loi, nous voulons travailler, en concertation avec les collectivités territoriales, à une stratégie globale et coconstruite, qui couvre aussi l'accueil individuel, sachant que les assistantes maternelles représentent 60 % de l'offre - leur évolution démographique ne joue pas en notre faveur, nous travaillons avec la filière petite enfance à un plan d'urgence pour soutenir les assistantes maternelles, que nous présenterons à la rentrée.
Vous rappelez à raison que 85 % des communes ont déjà pris la compétence petite enfance en mettant en place des relais. Nous voulons aller plus loin et nous nous sommes concertés avec les élus locaux, pour voir comment améliorer l'offre de garde d'enfants, qui est un outil prisé des maires pour redynamiser leur territoire. Notre objectif n'est pas de créer une obligation nouvelle pour les communes de plus de 3 500 habitants, mais de voir avec elles comment proposer aux familles une offre d'accueil qui permette d'attirer de nouvelles familles. Nous prévoyons des moyens nouveaux d'ingénierie dans les Caf dédiés au soutien des communes - en tout une centaine d'emplois en équivalent temps plein (ETP), soit un poste par département, ce sera dans la négociation de la Cog.
Mme Brigitte Micouleau. - Vous pouvez avoir confiance dans les maires, ils sont déjà largement investis dans la petite enfance. Cependant, ils s'inquiètent pour les financements : quels moyens se verront-ils allouer - en particulier pour le fonctionnement ?
M. Olivier Henno. - La question de la garde des enfants est décisive pour le retour à l'emploi, aussi bien que pour la démographie et l'égalité homme-femme, c'est dire l'étendue des enjeux. Que pensez-vous du financement des crèches, qui fait intervenir la prestation de service unique (PSU) et la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje) - estimez-vous qu'il faudrait le réformer ?
Vous voulez, ensuite, généraliser les relais petite enfance pour les communes de plus de 10 000 habitants ainsi que compléter leurs missions en permettant aux relais d'accompagner les parents employeurs dans leurs démarches administratives ? La fédération des particuliers employeurs n'y est pas favorable : comment voyez-vous cette nouvelle compétence, est-ce une subrogation des relais dans le droit des particuliers employeurs ?
Enfin, avec Annie Le Houérou, nous avons constaté que la PreParE devait être réformée, parce qu'elle n'est pas efficace ; cela n'a pas été fait lors du précédent quinquennat, avez-vous des projets en la matière ? Nous demandons un congé parental plus court et mieux rémunéré, qu'en pensez-vous ?
M. Philippe Mouiller. - Vous évoquez la réforme des ESAT et la volonté d'y étendre le droit commun, cela renvoie à la question des droits et des devoirs en milieu protégé. Il faut compter aussi avec le modèle économique des ESAT, sachant qu'un établissement sur trois n'est pas à l'équilibre, et que leurs difficultés financières vont être accentuées par leurs obligations nouvelles en matière de transport ou de chèques-déjeuners ; cette extension n'intervient-elle pas un peu tôt par rapport à la transformation des ESAT ? Qu'en pensez-vous ?
Dès lors que le bloc communal est en première ligne pour évaluer les besoins en matière de petite enfance, quelles relations établir avec la MDPH pour évaluer ceux des enfants en situation de handicap ? Quel partage d'information ?
Plus généralement, puisqu'on parle de former les professionnels de la petite enfance à l'accueil des enfants en situation de handicap, quelle est la stratégie de déploiement des outils spécialisés, comme les unités mobiles des centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) ?
Je sais bien que ces éléments ne figurent pas dans ce projet de loi, mais la notion même de stratégie pour la petite enfance touche à ces questions, il faut donc en traiter - ce qui ne paraît pas le cas de votre réforme...
Mme Élisabeth Doineau. - Je trouve très bien de lancer une stratégie nationale de la petite enfance, elle concerne toutes les familles. Ce qui est en place ne fonctionne pas bien, ne serait-ce que pour établir le diagnostic des besoins sur les territoires, entre les données recueillies par les communes et celles collectées par la commission départementale d'accueil des jeunes enfants, sans compter les difficultés de créer les places d'accueil. Vous répondez par de nouvelles ambitions, avec une stratégie nationale et une nouvelle gouvernance ; mais le problème principal demeure, qui est celui des moyens : si les communes ne répondent pas suffisamment aux besoins, c'est d'abord par manque de moyens pour assurer le fonctionnement des structures d'accueil, et il y a aussi le problème de l'attractivité des métiers de la petite enfance. Des crèches ferment, faute de personnel : c'est arrivé à Montrouge, 50 places de crèche ont été fermées faute de personnel, et le cas n'est pas unique. Que pourra le préfet, s'il n'y a pas de professionnels pour garder les enfants ? Le mécanisme de financement des crèches a fait qu'on a privilégié les micro-crèches, elles ne sont pas à l'équilibre et la Caf, pas plus que les communes, ne veulent combler les déficits : il faut régler ce problème avant de lancer de nouvelles places dans les crèches, ou bien elles fermeront rapidement, en particulier en milieu rural. De nouveaux modes de garde se développent, en particulier par les assistantes maternelles, nous l'avons accepté localement en desserrant certaines normes, par exemple pour des partages de garde - il faut aller aussi dans ce sens, tout en conservant un niveau de contrôle suffisant par la protection maternelle et infantile (PMI), qui doit continuer à contrôler la qualité de l'accueil.
M. Jean-Christophe Combe, ministre. - Nous avons construit ce texte en concertation avec les communes et les associations d'élus, il conforte la compétence des communes en matière de petite enfance. Nous entendons le message pour le financement, et d'abord pour le fonctionnement, nous cherchons à augmenter les moyens pour de nouvelles places tout en maintenant celles qui sont déjà là, c'est bien notre démarche.
Sur le financement des crèches, nous allons mettre en place une mission dédiée aux micro-crèches. L'Igas a pointé les limites du système de financement des crèches, nous travaillons à une réforme pour rééquilibrer la partie forfaitaire et la partie horaire, car les parents demandent de la souplesse dans les horaires d'accueil, il faut en tenir compte dans le financement des structures pour les conforter.
L'extension des relais petite enfance répond à une demande des associations de familles, j'entends que les particuliers employeurs ne sont pas favorables à l'intermédiation administrative, mais il y a une demande de simplification et de médiation dans les démarches administratives. Nous répondons aussi aux demandes des comités de filières, pour des animateurs plus nombreux et mieux formés.
Des réflexions sont en cours sur les améliorations à apporter à la PreParE, je suis favorable à un congé plus court, davantage partagé et mieux indemnisé, qui donne aux parents un choix véritable d'accompagner leur enfant la première année.
Sur la petite enfance et le handicap, mon objectif est de continuer la politique de repérage précoce et d'accompagnement. Nous avons mis en place un bonus handicap dans les crèches, il faut donner les moyens de former les professionnels. Vous avez raison de souligner qu'il y a un sujet de partage d'information et de coordination sur la prescription de l'accompagnement de l'enfant.
La réforme des ESAT vise à les faire évoluer vers des activités plus connectées au marché. Nous avons prévu de continuer à soutenir les ESAT à se transformer et à se moderniser, vous soulignez à raison que les nouveaux droits ont un coût. En matière de licenciement, nous avons décidé de maintenir la protection des travailleurs, mais la question de l'application des règles de licenciement se posera lorsque toutes les règles du dialogue social s'appliqueront au secteur.
Nous renforçons les moyens pour la petite enfance, avec 6 milliards d'euros supplémentaires d'ici 2027. Je présenterai cette semaine un plan d'urgence qualité avec des mesures pour l'attractivité des métiers de la petite enfance, avec des revalorisations salariales qui devront être négociées dans les différentes branches. Ce plan est le résultat d'un travail que je mène depuis 9 mois en ayant mis tous les acteurs autour de la table, privés, publics, associatifs, il comprend des mesures sur les salaires, la formation, les parcours professionnels, la qualité de vie au travail - nous mettons en place un observatoire sur le sujet -, les questions de reconnaissance. Nous continuerons d'investir sur la communication pour mieux orienter les jeunes sur ces métiers de la petite enfance, des métiers qui ont du sens et qui peuvent attirer. J'ai annoncé un fonds d'innovation pour la petite enfance, afin de répondre au besoin d'innovation des territoires, avec des dispositifs d'adaptation de l'offre qui permettent de mieux coller aux besoins des territoires.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Vos réponses ne me semblent pas à la hauteur du problème : quand la crise est systémique, il faut y répondre de manière systémique, ou bien on ne la résout pas. Vous parlez d'attractivité des métiers, mais vous ne dites rien de leur pénibilité, des ergonomes ont largement documenté les difficultés - elles comptent dans le fait que 10 % des berceaux sont fermés, et que, selon la Cnaf, 48 % des crèches connaissent une pénurie de personnel. Vous parlez de 200 000 emplois nouveaux, mais sans considérer les raisons pour lesquelles le plan précédent n'a été réalisé qu'à moitié - en réalité, il faut revaloriser bien davantage les métiers de la petite enfance, pour répondre à la crise des vocations.
Vous dites vos réticences sur le droit opposable pour les préfets, mais il peut être placé dans les mains des familles, comme cela se fait en Allemagne, au Royaume-Uni, en Suède - le Haut conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) estime même que c'est ce droit opposable qui a permis à l'Allemagne de nous doubler, alors que nous étions devant elle depuis longtemps en matière de garde d'enfants. Autre mesure nécessaire, il faut mieux rémunérer le congé parental, en le faisant passer du forfait à un taux de remplacement, c'est devenu urgent. Ce sont bien toutes ces mesures qu'il faut prendre simultanément, pour répondre à la crise systémique à laquelle nous faisons face.
L'article 10, cependant, représente une avancée, car le diagnostic n'est pas réalisé dans l'état actuel, du fait que la gouvernance est trop dispersée.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Il est certain que des mesures sont attendues et nécessaires sur la formation, sur la reconnaissance des métiers, sur les salaires et les conditions de travail dans les métiers de la petite enfance. Le Gouvernement veut confier aux communes de 3 500 habitants le rôle d'autorité organisatrice de l'accueil du jeune enfant, les maires sont déjà souvent à l'avant-garde, ils cherchent des solutions - en particulier les maires ruraux car ils savent l'importance que la garde d'enfants a dans la vie au village, les enfants vont à l'école dans le village où ils ont été gardés. Et c'est pourquoi il faut aider ces maires ruraux, trouver des moyens pour le fonctionnement des crèches.
Sur le fond, nous ne sommes pas opposés à ce transfert de compétences, à condition que l'État ne se désengage pas, comme cela s'est passé dans d'autres domaines, laissant des factures lourdes à payer pour les communes et le département.
Ensuite, l'article 9 prévoit que France travail et Cap emploi pourront proposer une orientation en service protégé, sans passer par une évaluation faite par l'équipe pluridisciplinaire de la MDPH : si l'objectif de réduire les délais est justifié, ce raccourci ne fait-il pas risquer une perte de chance pour les personnes concernées ? Et nous sommes inquiets pour l'avenir des personnels des MDPH, qui sont ainsi mis de côté alors qu'ils remplissent leurs missions dans des conditions difficiles depuis des années.
Mme Émilienne Poumirol. - Je précise que Michèle Meunier, qui n'a pas pu être présente, partage mes questions. Le manque de garde d'enfant est un frein à l'emploi, le logement et la mobilité aussi. Aussi la présence d'un seul article dans ce texte est-elle une réponse un peu courte, il faudrait en réalité un projet de loi entièrement consacré à la petite enfance, abordant tous les aspects de formation, de salaire, d'attractivité, de gouvernance. La Première ministre parle d'un service public de la petite enfance, nous sommes plutôt face à une garantie d'accueil, assurée par une stratégie nationale élaborée par le seul ministre, loin de la co-construction... Va-t-on vers un service de garderie pour permettre le plein emploi ? Il semble, en effet, que tout soit fait pour qu'il y ait un service de garderie, quelle que soit sa qualité... Je vous avais interrogé sur le terrible rapport de l'Igas, qui constatait un manque criant de projet éducatif dans bien des crèches. Les communes ont l'expérience de la garde d'enfant et des crèches, mais il faut leur donner des moyens : quel peut être le service public si l'on n'a pas les agents pour fonctionner ?
Ensuite, vous parlez de sanction, puisque le comité départemental pourra saisir le préfet, et celui-ci pourra alors confier le service à la Caf. Mais concrètement, comment la Caf pourrait-elle organiser le fonctionnement des crèches et des modes d'accueil des jeunes enfants ?
Mme Annie Le Houerou. - Une remarque sur le relais petite enfance : il faut effectivement clarifier son rôle de médiation entre les parents employeurs et les assistantes maternelles agréées.
Quelle sera la représentation des personnes handicapées dans les comités France Travail, à leurs différents échelons territoriaux ? Le texte n'est pas clair à ce sujet. La MDPH restera fondée à prendre des décisions d'orientation des personnes handicapées, sur proposition de France Travail : n'est-ce pas alourdir le circuit de décision ?
Comment, ensuite, les ESAT pourront-il faire face aux nouveaux droits de leurs salariés en matière de mutuelle, d'aide au transport, de titres-restaurant ?
Enfin, quel accompagnement des personnes handicapées dans l'emploi ordinaire ? Je ne vois rien dans ce texte sur ce sujet pourtant décisif.
M. Jean-Christophe Combe, ministre. - La notion de service public de la petite enfance relève bien d'une vision systémique, même si j'avance avec pragmatisme, j'entends construire ce service public brique par brique, plutôt qu'attendre que tous les éléments en soient assurés pour commencer. Nous voulons répondre aux besoins, mais nous n'avons pas choisi la voie du droit opposable parce que ce serait brutal - je vous signale que ce droit opposable n'est pas effectif en Allemagne, il n'est pas réalisé parce qu'il manque du personnel. Nous avons donc choisi d'en passer par la co-construction de ce service public.
La question de l'attractivité des métiers est majeure, c'est la première des urgences, et c'est la raison d'être du plan d'urgence que je présenterai cette semaine, qui agit sur l'ensemble des leviers, salariaux et professionnels. Nous pensons aussi aux assistantes maternelles, j'annoncerai également un plan à la rentrée.
En matière de financement, notre objectif est bien de financer les places créées de manière pérenne, via la branche famille, pour soutenir les collectivités territoriales. L'objectif de la stratégie nationale n'est pas de prescrire des places en crèches, il appartiendra au maire de définir la réponse aux besoins du territoire. Il est de bonne gestion d'avoir une offre diversifiée, notre rôle est d'assurer le financement, c'est l'objectif de la réforme du complément de mode de garde que vous avez votée en loi de financement l'an dernier et qui sera mise en oeuvre en 2025 - mais l'offre doit être variée.
Il n'y a pas véritablement de sanction, le nouveau mécanisme - que j'ai appelé « la corde de rappel » - aidera plutôt à comprendre pourquoi les collectivités ne parviennent pas à remplir leurs objectifs, et avant d'en arriver à une substitution par la Caf, qui restera facultative, il se sera écoulé bien du temps. Notre idée est d'accompagner les maires à trouver les moyens de remplir leurs objectifs. C'est particulièrement vrai pour les communes rurales, nous avons beaucoup travaillé avec elles, c'est une garantie de la qualité de ce texte. Nous n'abordons ici que la gouvernance du service public de la petite enfance, mais bien d'autres sujets lui sont liés, en particulier l'aspect éducatif, lequel fait l'objet de nombreuses mesures dans le cadre des 1 000 premiers jours.
Je vous rejoins pour dire qu'il faut penser à la participation des personnes en situation de handicap aux différentes instances de France Travail, il faut définir les bons outils pour les inclure. Une réflexion est en cours sur ce sujet, je suis favorable à une participation directe des personnes en situation de handicap et pas seulement de leurs représentants ; nous y prêterons attention.
L'État aura la compétence de l'emploi accompagné et continuera de recourir aux outils en place. L'article 8 change les choses en posant le principe que l'accompagnement en emploi ordinaire est le droit commun : c'est bien France Travail qui, en première intention, accompagne vers l'emploi. Il n'y a pas de doublon avec la MDPH.
M. Daniel Chasseing. - Merci pour ce programme renforçant la prise en charge de la petite enfance, c'est une partie de l'accompagnement nécessaire au retour à l'emploi - il faut aussi agir pour le logement et la mobilité.
Une question sur le manque d'accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) dans les écoles pour assurer l'accueil d'enfants handicapés et sur le manque de places en institut médico-éducatif (IME) : comment en tenez-vous compte ?
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - L'Union nationale des associations familiales (Unaf) s'inquiète que la commune soit désignée comme autorité organisatrice sans avoir l'obligation de développer ni financer l'accueil, donc sans garantie pour les familles. L'Unaf demande en conséquence une compétence obligatoire et assortie de moyens suffisants : qu'en pensez-vous ? Et que se passera-t-il pour les communes qui ont déjà transféré leur compétence petite enfance aux communautés de communes ou d'agglomération ?
Mme Nadia Sollogoub. - Les appels à projets n'ont de cesse d'appeler à l'innovation, on s'y habitue plus ou moins mais lorsque j'ai vu que même en matière de petite enfance, vous annonciez un fonds « innovation », j'avoue avoir pensé : « Encore ! ». Monsieur le ministre, il faut aussi subventionner les modèles éprouvés... parce que cela fait longtemps qu'on garde les enfants : pourquoi pas un fonds « petite enfance », plutôt que d'innovation ?
Mme Catherine Deroche, présidente. - Les maires passent leur temps à innover et à chercher des solutions nouvelles pour répondre à des questions anciennes...
Mme Nadia Sollogoub. - C'est vrai, on a les solutions depuis longtemps mais on les tourne dans tous les sens pour qu'elles soient « innovantes »...
Mme Frédérique Puissat. - L'Unaf a salué dans ce texte l'objectif du plein emploi, tout en soulignant qu'il ajoutait peu puisque les maires organisent déjà les schémas de petite enfance, à la différence près qu'aujourd'hui les Caf accompagnent et que demain, elles pourraient prescrire davantage, à la demande du préfet. Dans ces conditions, quelle sera l'articulation avec les conventions territoriales globales (CTG), qui intègrent déjà les schémas petite enfance ?
Je vous signale une difficulté technique, d'ordre réglementaire, sur le délai maximal de suspension des agréments des assistantes maternelles : il est de quatre mois, c'est trop court en cas de procédure administrative plus longue. Dans le cadre de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, nous avons, avec Bernard Bonne, tenté de changer les choses pour les assistants familiaux, sans succès. Peut-être y parviendrez-vous ?
M. Jean-Christophe Combe, ministre. - Je ne saurai vous répondre dans l'immédiat sur ce dernier point, je le ferai par écrit.
L'Unaf estime que l'article 10 n'est pas suffisamment contraignant pour les communes, mais je n'ai pas voulu aller plus loin dans la contrainte parce que j'ai pensé que vous ne me suivriez pas, mais aussi parce que j'ai construit ce texte avec les communes - et je vois aux amendements que l'AMF a fait passer, que les communes estiment la « corde de rappel » déjà trop contraignante, ce qui me surprend au regard des échanges que nous avons eus. Nous avons examiné la relation entre les communes et les Caf, nous sommes allés aussi loin que possible en pleine concertation, je vois que l'AMF trouve que nous sommes allés trop loin, alors que sans cette « corde de rappel », qui n'est pas une sanction, ce texte aurait moins de poids, nous en débattrons en séance plénière.
Le fonds « innovation » est doté de 10 millions d'euros, à rapporter aux 6 milliards d'euros supplémentaires, c'est dire que nous augmentons surtout les moyens de l'existant - mais que nous voulons aussi aider la créativité du territoire ; vous citiez des assouplissements dans l'organisation du travail des assistantes maternelles, c'est utile.
La conférence nationale du handicap a pris des engagements importants pour l'inclusion scolaire des enfants en situation de handicap, en direction de l'Éducation nationale pour un meilleur accompagnement médico-social à l'école mais aussi pour le renforcement des structures spécialisées qui pourront intervenir davantage dans les écoles - quelque 50 000 solutions supplémentaires ont été annoncées, dont la moitié pour les enfants, c'est un sujet majeur pour le Gouvernement.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci pour toutes ces informations, Monsieur le ministre.
La réunion est close à 17 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.