III. L'APPRÉCIATION DES DÉPENSES DE L'ÉTAT, DONT LES MONTANTS NE CESSENT DE PROGRESSER, EST RENDUE DIFFICILE PAR LA GÉNÉRALISATION DES PROCÉDURES D'EXCEPTION

A. L'ANNÉE 2022 CONFIRME L'AUGMENTATION DURABLE DES DÉPENSES DE L'ÉTAT

Le montant net des dépenses du budget général, y compris les fonds de concours, a été en 2022 de 445,7 milliards d'euros, soit une hausse de 19,4 milliards d'euros par rapport à 2021 (+ 4,6 %).

Par rapport à 2019, le montant des dépenses a augmenté de 109,6 milliards d'euros, soit + 32,6 % ou une fois et demie le montant des crédits de la mission « Enseignement scolaire », qui constitue la première mission du budget général22(*). Pour combler cette augmentation des dépenses, un doublement de la TVA ne suffirait pas, alors qu'il s'agit de la recette fiscale la plus importante de l'État (100,8 milliards d'euros en 2022).

En euros constants, la hausse des dépenses a été de 23,7 % en trois ans, contre + 9,0 % seulement au cours des douze années précédentes, lesquelles avaient pourtant déjà été marquées par une augmentation importante du déficit budgétaire23(*).

Évolution des dépenses nettes du budget général en euros constants

(en milliards d'euros et en pourcentage)

Source : calculs commission des finances, à partir des lois et projets de loi de règlement. Dépenses du budget général nettes des remboursements et dégrèvements, y compris fonds de concours. Actualisation par la moyenne annuelle de l'indice mensuel des prix à la consommation, hors tabac

Les dépenses mises en oeuvre pendant la crise sanitaire ne semblent donc pas avoir constitué une exception, mais plutôt une nouvelle norme pour les dépenses de l'État, alors que la crise de 2009 et 2010 avait été suivie par un retour au niveau antérieur de dépenses.

1. La diminution des dépenses liées à la crise sanitaire est plus que compensée par l'augmentation des dépenses ordinaires

L'augmentation des dépenses du budget général en 2022 est d'autant plus notable que les dépenses d'urgence sanitaire et de relance sont en très forte baisse par rapport à 2021, respectivement de - 31,1 milliards d'euros et de - 7,3 milliards d'euros. Elle s'explique donc :

- pour 13,2 milliards d'euros par la hausse de la charge de la dette24(*), qui ne dépend pas à court terme de l'action publique ;

- pour 10,5 milliards d'euros par l'augmentation des dépenses liées aux mesures de soutien face à l'inflation, notamment énergétique ;

- pour 10,5 milliards d'euros par les transferts vers le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », principalement pour le rachat des parts d'EDF qui n'appartenaient pas encore à l'État ;

- pour 23,1 milliards d'euros, par la croissance des autres dépenses, non liées à des situations temporaires ou spécifiques à l'année 2022.

Évolution des dépenses des missions du budget général
entre 2021 et 2022

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, à partir du projet de loi de règlement

Le coût des mesures de soutien au pouvoir d'achat des ménages et aux entreprises dans un contexte de forte inflation, particulièrement marquée sur les produits énergétiques, d'un montant de 11,1 milliards d'euros en 2022, est dû en majeure partie aux remises successives sur les prix des carburants. Le coût des boucliers tarifaires devrait porter également sur 2023.

Décomposition du coût des mesures de soutien au pouvoir d'achat des ménages et des entreprises

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, à partir des chiffrages de la Cour des comptes

2. Sur cinq ans, les dépenses d'intervention et de transfert connaissent une hausse marquante

Les charges d'intervention, mesurées en comptabilité générale, ont augmenté de 35,8 % entre 2017 et 2022, passant de 190,5 milliards d'euros à 258,6 milliards d'euros.

Évolution des charges d'intervention de 2017 à 2022

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, à partir du compte général de l'État

En particulier, les transferts aux entreprises ont été en 2022 de 39,5 milliards d'euros, contre 68,8 milliards d'euros en 2021, soit une baisse de 29,4 milliards d'euros qui reflète la forte diminution des mesures liées à la crise sanitaire, partiellement compensée par les mesures de soutien face à la l'inflation. Ce soutien demeure très élevé puisqu'il n'était que de 18,8 milliards d'euros en 2017, soit une augmentation de 110,9 % en euros courants et de 89,2 % en euros constants.

Les transferts aux collectivités territoriales sont stables en 2022, à un niveau de 63,8 milliards d'euros, mais en diminution de 13,7 % en euros constants.

Les transferts aux ménages sont eux aussi presque stables à 60,2 milliards d'euros (+ 0,5 milliard d'euros), compte tenu des mesures d'aide face à la reprise de l'inflation, ce qui correspond toutefois à une hausse de 14,4 % par rapport à 2017 en euros constants.

Les autres charges d'intervention incluent principalement les transferts aux autres collectivités (31,0 milliards d'euros en 2022, contre 23,0 milliards d'euros en 2017) qui regroupent de nombreux dispositifs, notamment sociaux, et les dotations aux provisions et aux dépréciations (62,6 milliards d'euros en 2022, contre 34,3 milliards d'euros en 2017).

La progression de cette catégorie depuis 2017 correspond à la hausse des dépenses futures engagées par les politiques actuelles, déjà décrite supra. À titre d'exemple, elle inclut la comptabilisation d'une provision de 10,1 milliards d'euros au titre des dispositifs de boucliers tarifaires gaz et électricité, ainsi que la comptabilisation en 2022 d'une dotation de 2 782 millions d'euros retraçant l'engagement de l'État envers SNCF Réseau au titre de la régénération ferroviaire dans le cadre du nouveau contrat de performance 2021-2030.

3. Les dépenses de personnel progressent malgré une diminution des emplois en 2021 et 2022
a) La diminution des emplois résulte d'un manque d'attractivité de la fonction publique et non d'une politique de maîtrise de l'emploi

Les effectifs de l'État ont diminué en 2022 de 5 844 équivalents temps plein (ETP), comme en 2021 (- 3 955 ETP).

Cette diminution ne résulte toutefois pas d'une politique de maîtrise de l'emploi de l'État, puisque la loi de finances initiale pour 2022 prévoyait une augmentation de 767 ETP. De même la loi de finances initiale pour 2021 prévoyait-elle déjà une stabilité du schéma d'emplois.

La diminution porte principalement sur le ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports (- 4 424), alors que le projet de loi de finances pour 2022 prévoyait une légère augmentation de 50 ETP. Comme l'indique l'exposé général du présent projet de loi de règlement, la diminution des emplois résulte des difficultés de recrutement rencontrées, ainsi que d'importants départs d'effectifs.

Principales variations par ministère des schémas d'emplois

(en équivalents temps plein)

Source : commission des finances, à partir du projet de loi de règlement

De même au ministère des armées, les emplois diminuent de 1 018 emplois alors que le projet de loi de finances prévoyait une hausse de 492 emplois. Le rapport annuel de performances de la mission « Défense » attribue cet écart à un niveau de départs élevé, le marché de l'emploi étant attractif dans de nombreux autres secteurs professionnels.

Dans les deux cas, la fonction publique d'État fait manifestement face à un manque d'attractivité face à la concurrence du secteur privé, dans le contexte d'une situation de l'emploi porteuse.

La diminution des emplois dans les ministères économiques et financiers, en revanche, correspond à une politique suivie de manière constante même si la loi de finances initiale prévoyait une diminution beaucoup faible de - 144 ETP : sur la période 2018-2022, les ministères économiques et financiers ont contribué à la réduction de 10 500 postes et les dépenses de personnel, hors contribution aux pensions, ont été réduites de 3,0 %25(*).

Pour les ministères de l'intérieur et de la justice, toutefois, les recrutements nets sont proches ou supérieurs à la prévision en loi de finances initiale (+ 822 ETP contre une prévision de + 847 ETP pour le premier ; + 1 334 ETP contre une prévision de + 720 ETP pour le second).

b) Les dépenses de personnel poursuivent leur augmentation, notamment en raison de la hausse du point d'indice

Les dépenses de personnel du budget général de l'État sont de 138,4 milliards d'euros en 2022, contre 134,2 milliards d'euros en 2021, soit une hausse de 3,1 %.

Cette hausse fait suite à une progression de 1,2 % en 2021, 1,0 % en 2020, 1,6 % en 2018 et 2019 et 3,6 % en 2017.

En soustrayant les contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions », la masse salariale représente 94,5 milliards d'euros, en forte hausse de 4,2 milliards d'euros ou + 4,6 % par rapport à 2021.

Évolution de la masse salariale entre 2021 et 2022

(en millions d'euros, hors CAS « Pensions »)

GVT : glissement vieillesse-technicité.

Source : commission des finances, à partir du projet de loi de règlement

L'augmentation de la masse salariale provient de plusieurs facteurs convergents. La principale mesure générale est la hausse du point d'indice, mise en oeuvre en cours d'année en réponse à la hausse de l'inflation, qui a eu un coût sur l'année 2022 de 1,4 milliard d'euros et dont l'effet se poursuivra sur 2023 en année pleine.

Les mesures catégorielles sont chiffrées à 0,6 milliard d'euros pour le ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et à 0,2 milliard d'euros pour les ministères de l'intérieur et de la justice.

La valeur positive du glissement vieillesse-technicité (GVT), qui traduit l'évolution des rémunérations résultant du remplacement des agents partis à la retraite par des agents plus jeunes (GVT négatif) et des progressions individuelles des agents en place (GVT positif), traduit une augmentation des mesures individuelles, malgré l'accroissement des départs en retraite.

Si l'on compare la répartition des charges de personnel entre les missions, telle que la comptabilité générale le mesure, c'est la mission « Enseignement scolaire » qui occupe de loin la première place (72,2 milliards d'euros) devant les missions « Défense » (21,8 milliards d'euros) et « Sécurités » (18,7 milliards d'euros).

Charges de personnel

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, à partir du compte général de l'État26(*)

Les rémunérations du personnel représentent 82,6 milliards d'euros, soit 52 % du total des charges de personnel. Elles augmentent de 2,9 milliards d'euros par rapport à 2021, soit + 3,6 %. Cette hausse est toutefois variable selon les secteurs : + 3,6 % pour le programme 176 « Police nationale » de la mission « Sécurités », entre + 3,2 % et + 3,6 % pour les programmes relatifs à l'enseignement scolaire, mais seulement + 0,4 % pour le programme 156 « Gestion fiscale et financière de l'État et du secteur public local » de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », qui comprend les moyens de la direction générale des finances publiques (DGFIP).

Les charges de pension, d'un montant de 60,2 milliards d'euros, sont également en hausse de 4 %, d'une part parce que le montant de la pension moyenne servie aux entrants est supérieur au montant de la pension moyenne servie aux sortants, d'autre part en raison des revalorisations des pensions intervenues en début d'année 2022 (+ 1,1 %) puis en cours d'année (+ 4 % avec l'entrée en vigueur de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat).


* 22 Hors mission « Remboursements et dégrèvements ».

* 23 Le déficit budgétaire a été de 92,7 milliards d'euros en 2019, contre 34,7 milliards d'euros en 2007.

* 24 Action 01 « Dette » du programme 117 « Charge de la dette et trésorerie de l'État » de la mission « Engagements financiers de l'État ».

* 25 Cour des comptes, rapport sur le budget de l'État, p. 128.

* 26 Compte général de l'État 2022, Note 3 : Informations sectorielles.