TITRE III
DISPOSITIONS
RELATIVES À LA JUSTICE COMMERCIALE ET AUX JUGES NON PROFESSIONNELS
CHAPITRE 1ER
DIVERSES
DISPOSITIONS PORTANT EXPÉRIMENTATION D'UN TRIBUNAL DES ACTIVITÉS
ÉCONOMIQUES
Article 6
Expérimentation d'un tribunal des affaires
économiques aux compétences élargies
L'article 6 prévoit la création, de manière expérimentale et pour une durée de quatre ans, d'un tribunal des affaires économiques (TAE) en remplacement du tribunal de commerce, dans 9 à 12 juridictions. Les formations de jugement du TAE pourront comporter un magistrat du siège en qualité d'assesseur, désigné annuellement par le président du tribunal judiciaire après avis du président du TAE sur leur affectation. Le TAE deviendrait compétent de manière exclusive pour toutes les procédures amiables et collectives relatives à l'ensemble des acteurs économiques, à l'exception des avocats et des officiers ministériels.
Favorable au principe de l'expérimentation du tribunal des affaires économiques, la commission a adopté cet article, après avoir, sur proposition des rapporteurs, apporté plusieurs modifications en cohérence avec les multiples travaux qu'elle a menés au cours de dernières années :
- l'exclusion de la présence d'un magistrat professionnel au sein des chambres de jugement du TAE, en l'absence de consensus des acteurs concernés et de pertinence du dispositif proposé par le Gouvernement ;
- le transfert au TAE des procédures amiables et collectives applicables aux professions réglementées ainsi que du contentieux des baux commerciaux qui concernent les parties ordinaires du tribunal de commerce (artisans et commerçants) ;
- la présence au sein du TAE de juges consulaires assurant la représentation des agriculteurs et des professions réglementées.
1. La justice commerciale : des juges bénévoles au service des commerçants et les artisans
1.1. Les juridictions commerciales : entre diversités et spécificités
a) L'organisation diverse des juridictions commerciales
Le tribunal de commerce, juridiction la plus ancienne de France, trouve son origine au Moyen-Âge, à l'initiative des Républiques marchandes de Gênes et de Venise qui avaient besoin de trancher rapidement les différends entre commerçants. Les juges sont élus par leurs pairs commerçants. En 1563, le roi Charles IX décide d'instaurer de manière pérenne les tribunaux de commerce dans les grandes villes commerçantes. Le code de commerce de 1807 donne compétence aux tribunaux de commerce pour connaître des litiges entre commerçants et, partiellement, en matière de faillite.
Actuellement, la justice commerciale de première instance est rendue par deux types de juridictions.
D'une part, il existe 134 tribunaux de commerce composés de juges consulaires uniquement.
D'autre part, dans certains territoires, il existe des juridictions échevines composées d'un magistrat professionnel et de juges consulaires. À cet égard, les départements d'Alsace-Moselle126(*) comptent sept tribunaux judiciaires dotés d'une chambre commerciale composée d'un magistrat professionnel et de deux juges consulaires. En outre-mer, il existe neuf tribunaux mixtes de commerce127(*) et deux tribunaux de première instance statuant en matière commerciale128(*), composés d'un magistrat professionnel et de juges consulaires.
tribunaux de commerce dans l'hexagone |
tribunaux judiciaires dotés d'une chambre commerciale en Alsace-Moselle |
tribunaux mixtes de commerce |
Cependant, cette organisation fait l'objet de deux exceptions. En effet, dans les ressorts où aucun tribunal de commerce n'a été créé, le tribunal judiciaire est compétent pour le règlement des litiges commerciaux129(*). Ce tribunal peut également statuer à la place du tribunal de commerce lorsque celui-ci est dans l'impossibilité de se constituer ou de statuer130(*).
En outre, si en première instance, la justice commerciale est essentiellement rendue par des juges élus, en appel, les décisions sont rendues par les cours d'appel compétentes composées exclusivement de magistrats professionnels.
b) Les juges consulaires : des bénévoles élus
Il s'agit de la caractéristique essentielle de la justice commerciale : elle est une justice rendue par les pairs élus. Actuellement, les juges consulaires sont élus, depuis la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, directement par les membres des chambres de commerce et d'industrie et les chambres de métiers et de l'artisanat. Leur mandat initial est de deux ans, puis ils peuvent ensuite exercer quatre mandats supplémentaires de quatre ans maximum au sein du même tribunal. Au-delà de cinq mandats, ils ne peuvent plus être élus dans le même tribunal et ils ne peuvent plus siéger au-delà de 75 ans131(*).
La deuxième particularité de la justice commerciale réside dans le fait que les juges consulaires sont bénévoles132(*). À l'inverse des autres juges non professionnels qui siègent au sein des conseils de prud'hommes, des tribunaux paritaires des baux ruraux ou des pôles sociaux des tribunaux judiciaires, ils ne bénéficient d'aucune indemnité.
Alors que, dans le budget de la justice, les juridictions commerciales bénéficient d'un budget d'un montant de 3,5 millions d'euros (en crédits de paiement pour l'année 2022), les juges consulaires, via leurs représentants à la conférence générale des juges consulaires, mettent en avant l'absence de moyens pour exercer leurs missions, étant précisé qu'ils ne demandent pas à être indemnisés puisqu'ils se disent très attachés au caractère bénévole de leur mandat.
Ils soulignent notamment qu'ils engagent des frais non pris en charge, à l'instar de leur robe d'audience (les juridictions commerciales disposent d'une dotation collective uniquement), de la téléphonie, du matériel informatique, des frais de restauration et de déplacement133(*). De manière quelque peu étonnante, ils ne disposent pas non plus d'une adresse électronique rattachée au ministère de la justice. La direction des services judiciaires a indiqué aux rapporteurs qu'une réflexion était en cours sur ce point.
Nombre de juges consulaires et répartition selon leur sexe
Source : étude d'impact du projet de loi
d'orientation
et de programmation du ministère de la justice
2023-2027
c) Les atouts de la justice commerciale
Les atouts des tribunaux de commerce sont multiples. En premier lieu, les affaires sont traitées dans des délais plus rapides que dans les tribunaux judiciaires. À titre d'exemple général, en 2021, le délai moyen de traitement des procédures civiles étaient de 10 mois devant les tribunaux de commerce alors qu'il était de 13,7 mois devant les tribunaux judiciaires134(*). Autre exemple plus spécifique, en 2021, une procédure de liquidation durait en moyenne 31 mois devant un tribunal de commerce contre 41,1 mois devant un tribunal judiciaire135(*). Lors de l'audition des acteurs de la justice commerciale, il a été indiqué que certains tribunaux de commerce sont également en mesure de prévoir des audiences dans des délais extrêmement courts (quelques jours à une semaine), afin de s'adapter au plus près aux situations particulières des entreprises.
En deuxième lieu, c'est une justice dont le coût de fonctionnement est relativement faible, les juges consulaires étant bénévoles.
En troisième lieu, les juges consulaires possèdent une expertise du monde économique compte tenu de leur expérience de commerçants ou d'artisans, ce qui leur permet de rendre des décisions au plus près de la réalité de leurs justiciables.
Enfin, les juridictions commerciales sont particulièrement réactives et adaptables, davantage que les tribunaux judiciaires, comme l'ont démontré leur capacité à assurer la tenue des audiences pendant la période de la crise sanitaire liée au Covid-19136(*).
1.2. Des compétences juridictionnelles limitées qui ne reflètent pas la réalité de la vie économique
Les tribunaux de commerce sont compétents pour les litiges entre commerçants, artisans (depuis le 1er janvier 2022), établissements de crédit, sociétés de financement et sociétés commerciales. Les contestations relatives aux actes de commerce entre toutes personnes font également partie de leur compétence ordinaire137(*). Les tribunaux de commerce connaissent également des procédures collectives si le débiteur exerce une activité commerciale ou artisanale138(*). Les compétences du tribunal de commerce apparaissent ainsi limitées en ce qu'elles ne couvrent pas l'ensemble des acteurs économiques et de leurs contentieux alors que d'autres opérateurs ont des activités économiques et des litiges similaires qui relèvent alors du tribunal judiciaire.
Le tribunal judiciaire est compétent pour les litiges concernant les agriculteurs, les professions libérales et réglementées et les personnes morales de droit privé non commerçantes (à l'instar des associations ayant une activité économique). En cas d'ouverture d'une procédure amiable ou collective à l'encontre de ces trois catégories d'acteurs, c'est également le tribunal judiciaire qui est compétent.
La répartition du contentieux en matière de procédures collectives entre le tribunal de commerce et le tribunal judiciaire est source de critiques dans la mesure où il s'agit de règles identiques qui s'appliquent à tous les débiteurs quel que soit leur statut juridique, à savoir les dispositions du livre VI du code de commerce. Il existe toutefois des spécificités pour les agriculteurs (qui bénéficient du règlement amiable agricole139(*)) et pour les professions réglementées dont les instances professionnelles ou ordinales doivent être associées à la procédure.
En termes volumétriques, le nombre de décisions rendues au cours des cinq dernières années en matière de procédures collectives et amiables illustre le rôle résiduel du tribunal judiciaire. En moyenne, entre 2017 et 2021, les tribunaux judiciaires ont rendu 4 578 décisions annuelles contre 38 223 décisions par les tribunaux de commerce140(*). Ainsi, les tribunaux judiciaires interviennent dans seulement 11 % des procédures amiables et collectives, étant précisé que les années 2020 et 2021 sont marquées par une diminution du nombre de nouvelles affaires compte tenu des dispositifs de soutien aux entreprises mis en oeuvre pendant la crise sanitaire.
Par ailleurs, le juge civil est également seul compétent pour connaître du contentieux des baux commerciaux141(*). Cette compétence du tribunal judiciaire peut toutefois se comprendre dans la mesure où le bailleur peut être un particulier ou une personne morale non commerçante. Certains tribunaux judiciaires (dont celui de Paris) ont également été spécialisés en matière de propriété intellectuelle ou de devoir de vigilance des entreprises. Pour autant, les contentieux relatifs aux baux commerciaux et à la propriété intellectuelle relèvent aussi de la vie des affaires à laquelle sont habitués les tribunaux de commerce.
2. Le Sénat propose de réformer la justice commerciale depuis plusieurs années afin de la simplifier et l'adapter au monde économique d'aujourd'hui
2.1. Une réforme de la juridiction commerciale impulsée par les travaux de la commission des lois du Sénat
Au cours des années récentes, les différents travaux (législatifs et d'évaluation) du Sénat sur la justice commerciale mettent en avant, de manière constante, la nécessité de la réformer compte tenu, notamment, du caractère illisible de la répartition des litiges des acteurs économiques entre les tribunaux judiciaires et les tribunaux de commerce.
Dès 2017, le rapport de Philippe Bas sur le redressement de la justice pointait déjà « la relative incohérence de la compétence ratione materiae du tribunal de commerce »142(*) dans la mesure où tous les acteurs économiques se voient appliquer des règles identiques lorsqu'ils rencontrent des difficultés mais par un juge différent selon leur statut juridique. Se dégage alors la nécessité de construire « un bloc de compétence », au profit d'un tribunal des affaires économiques, pour un traitement plus unifié et homogène des contentieux des opérateurs économiques.
Néanmoins la modification de la composition des tribunaux de commerce n'est pas apparue, dans les travaux législatifs et d'information, comme une réforme pertinente compte tenu, en particulier, de l'absence de volonté des juges consulaires de voir les tribunaux de commerce devenir des juridictions échevines et d'arguments suffisamment convaincants en faveur de l'instauration d'un échevinage généralisé143(*).
Afin d'écarter une fusion des tribunaux de commerce et des tribunaux de grande instance (actuellement les tribunaux judiciaires), le rapport de Philippe Bas sur le redressement de la justice mettait également en avant la « forte identité juridictionnelle » du tribunal de commerce et la connaissance par les justiciables concernés de cette juridiction et de ses compétences particulières144(*). Dès lors, il n'apparaissait pas plus lisible d'apporter une modification de l'organisation des tribunaux de commerce.
Tableau récapitulatif des travaux
menés par le Sénat depuis 2017
sur le transfert de
compétences au tribunal de commerce
ou à un tribunal des
affaires économiques
Procédures amiables et collectives |
Autres contentieux |
|
Proposition n° 60 du rapport d'information sur le redressement de la justice.145(*) |
Extension de la compétence du tribunal de commerce à l'ensemble des entreprises. |
Confier le contentieux des baux commerciaux au tribunal de commerce. |
Article 15 de la proposition de loi organique pour le redressement de la justice.146(*) |
Le texte initial visait à étendre la compétence du tribunal de commerce aux agriculteurs, professionnels indépendants dont les professions réglementées et les personnes morales non commerçantes. Cependant la commission des lois a prévu une compétence exclusive pour les procédures du livre VI du code de commerce, peu importe le statut du débiteur. |
La commission des lois a confié au tribunal de commerce la compétence relative au bail commercial si le débiteur est en procédures collectives. |
Articles 19 ter et 19 quater du projet de loi de programmation 2018-2022 de réforme pour la justice et sur le projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions.147(*) |
Le Sénat confie cette compétence à un tribunal des affaires économique pour les agriculteurs, professionnels indépendants dont les professions réglementées et les personnes morales non commerçantes. |
Les litiges relatifs aux baux commerciaux, aux baux professionnels, aux conventions d'occupation précaire si les parties relèvent habituellement du tribunal de commerce ou si le litige porte sur un bail d'un débiteur en procédures collectives. |
Recommandations n° 38, 39, 40, 42 et 43 du
rapport d'information |
Attribution de cette compétence de manière exclusive au tribunal des affaires économiques, peu importe le statut et le domaine d'activité du débiteur, tout en maintenant les règles spécifiques aux professions réglementaires et aux agriculteurs. |
Attribution de la compétence relative aux baux commerciaux, aux baux professionnels, aux conventions d'occupation précaire si toutes les parties sont de la compétence ordinaire du tribunal des affaires économiques (TAE) (commerçants et artisans) ainsi que les baux faisant l'objet d'un litige dont le débiteur est en procédures collectives. |
Article 9 de la proposition de loi ratifiant, modifiant et complétant l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce149(*) |
L'article attribue cette compétence de manière exclusive au tribunal de commerce, peu important le statut et le domaine d'activité du débiteur. |
L'article confie au tribunal de commerce les baux commerciaux, les baux professionnels, les conventions d'occupation précaire si toutes les parties sont de la compétence ordinaire (commerçants et artisans) ainsi que les baux faisant l'objet d'un litige dont le débiteur ou le preneur sont en procédures collectives. |
Proposition n° 10 de l'agora de la justice du Sénat150(*) |
Attribution de cette compétence de manière exclusive au tribunal de commerce, peu importe le statut du débiteur. |
/ |
2.2. Les États généraux de la justice s'inspirent des propositions de réforme sénatoriales
Signe de la qualité et de la pertinence des travaux menés par le Sénat, les recommandations formulées dans le rapport des sénateurs François Bonhomme et Thani Mohamed Soilihi, formalisées dans leur proposition de loi déposée quelques mois plus tard, ont été le socle des réflexions du groupe de travail sur la justice économique et sociale des États généraux de la justice (EGJ).
En effet, le rapport du comité des EGJ151(*) souscrit à l'expérimentation d'un TAE, non écheviné152(*) mais aux compétences élargies, afin notamment d'assurer une plus grande lisibilité pour les justiciables et les différents acteurs. Ce TAE se verrait confier toutes les procédures amiables et collectives, quels que soient le statut et le domaine des opérateurs économiques concernés, sans toutefois modifier les règles spécifiques applicables aux agriculteurs et aux professions réglementées.
Cependant, le comité des EGJ ne s'est pas montré favorable au transfert au TAE des contentieux relatifs aux baux commerciaux (sauf si la contestation est liée à une procédure collective en cours) et à la propriété intellectuelle, compte tenu de la « technicité de ces matières » et de la spécialisation153(*), déjà ancienne, des tribunaux judiciaires dans ces deux domaines.
3. Le projet de loi s'inspire directement des travaux du Sénat et des États généraux de justice sans toutefois en assurer une pleine mise en oeuvre
3.1. Le Gouvernement entend expérimenter une nouvelle justice commerciale avant une éventuelle généralisation
Le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 propose d'expérimenter le tribunal des affaires économiques conformément à la possibilité offerte par l'article 37-1 de la Constitution qui prévoit que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ». En l'espèce, l'article 6 du projet de loi prévoit une expérimentation d'une durée de quatre ans pour 9 à 12 tribunaux de commerce et tribunaux judiciaires volontaires.
D'autres expériences en matière d'organisation judiciaire ont déjà été mises en oeuvre, à l'instar des cours criminelles départementales créées en 2019 pour une durée de trois ans dans 15 départements154(*). Sans attendre la fin de l'expérimentation en 2022, l'expérience a été généralisée à l'ensemble du territoire à compter du 1er janvier 2023155(*).
À l'aune de ce précédent sur la généralisation prématurée de cette expérimentation avant sa fin initiale156(*), les rapporteurs entendent sensibiliser le Gouvernement sur l'impérieuse nécessité de permettre à l'expérimentation de se dérouler sur l'intégralité de la période prévue, de procéder à une évaluation complète de ce dispositif comme le projet de loi l'impose et d'en rendre compte au Parlement lors de la remise d'un rapport, avant d'envisager son éventuelle généralisation.
3.2. Le tribunal des affaires économiques remplace le tribunal de commerce et fait siéger les magistrats professionnels aux côtés des juges consulaires
Dans le cadre de l'expérimentation visée à l'article 6 du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, il est prévu de renommer le tribunal de commerce en tribunal des affaires économiques. Cette appellation, proposée également par le Sénat et les États généraux de la justice, vise à mieux refléter l'extension de compétences du tribunal de commerce.
La réforme plus substantielle sur l'organisation du tribunal des affaires économiques que comprend l'article 6 du projet de loi vise à créer la possibilité157(*) de faire siéger, en qualité d'assesseur, un magistrat professionnel du tribunal judiciaire au sein de la formation de jugement du tribunal des affaires économiques dont les autres membres seraient des juges consulaires. Le président du tribunal judiciaire désignerait annuellement les magistrats concernés après avoir sollicité l'avis du président du tribunal des affaires économiques sur l'affectation des magistrats concernés.
Par ailleurs, compte tenu du caractère expérimental et temporaire de la création du tribunal des affaires économiques et de la durée du mandat des juges consulaires (quatre ans, sauf pour leur premier mandat), le Gouvernement propose de ne pas modifier, à ce stade, les règles relatives au collège électoral des juges consulaires et aux conditions d'éligibilité à cette fonction.
3.3. Une unification a minima des contentieux des affaires économiques
Alors que le Sénat plaide depuis plusieurs années pour une véritable unification des contentieux des affaires économiques au sein d'une même juridiction, afin d'assurer une rationalisation de la répartition des compétences entre les tribunaux de commerce et les tribunaux judiciaires, le projet de loi se borne à confier au TAE les procédures amiables et collectives des agriculteurs, des personnes morales de droit privé et des professions libérales, à l'exception des professions juridiques réglementées158(*).
Le texte proposé par le Gouvernement maintient le contentieux relatif aux baux commerciaux entre les mains du tribunal judiciaire, à l'exception des « actions ou contestations relatives aux baux commerciaux nées de la procédure et qui présentent avec celles-ci des liens de connexité suffisants »159(*).
Pour autant, au stade de l'étude d'impact, le Gouvernement soutient que le texte ainsi proposé vise à accroitre la lisibilité pour les justiciables et les différents acteurs et assurer une bonne administration de la justice.
Tableau récapitulatif du droit en vigueur
et du projet de loi
sur l'organisation des juridictions commerciales et
la répartition
des compétences entre le tribunal judiciaire et
le tribunal de commerce
Droit en vigueur |
Projet de loi |
|||
Dénomination de la juridiction |
Tribunal de commerce (TC) et tribunal judiciaire (TJ) |
Tribunal des affaires économiques (TAE) |
||
Composition de la juridiction |
Juges consulaires exclusivement (sauf Alsace-Moselle et outre-mer) |
Juges consulaires avec assessorat possible d'un magistrat professionnel |
||
Compétences |
Procédures amiables et collectives |
Le TC est compétent pour les commerçants et les artisans. |
Le TJ est compétent pour les agriculteurs, les personnes morales de droit privé et les professions libérales et réglementées. |
Le TAE est compétent pour les commerçants, les artisans, les agriculteurs, les personnes morales non commerçantes, les professions libérales à l'exception des professions réglementées. |
Baux commerciaux |
Tribunal judiciaire |
TAE si le litige, relatif aux baux commerciaux, est né de la procédure et qu'il présente des liens de connexité suffisants. |
||
Propriété intellectuelle |
Tribunal judiciaire |
Tribunal judiciaire |
||
Engagements entre commerçants, artisans établissements de crédit, sociétés de financement, sociétés commerciales et actes de commerce entre toutes personnes |
Tribunal de commerce |
Tribunal des affaires économiques |
4. Cohérente avec ses précédentes propositions, la commission des lois a souhaité rendre l'expérimentation du tribunal des affaires économiques plus cohérente et lui donner une véritable envergure
4.1. La possibilité de faire siéger un magistrat professionnel au sein des chambres de jugement du TAE n'apparait ni utile, ni pertinente
La commission constate que le dispositif proposé par le projet de loi sur la présence des magistrats professionnels au sein des compositions de jugement apparait comme une forme d'échevinage édulcoré dont il semble difficile de trouver le sens et la pertinence.
a) Les juges consulaires et les magistrats professionnels ne sont pas favorables au dispositif proposé
Position constante de la Conférence générale des juges consulaires de France, leurs membres ne souhaitent pas que les tribunaux de commerce deviennent des juridictions échevines160(*). Lors de leur audition par les rapporteurs, ses représentants ont rappelé que le fondement de leur engagement tenait au caractère spécifiquement et exclusivement consulaire de la juridiction commerciale.
De l'autre côté, les auditions et informations recueillies par les rapporteurs ont également pu mettre en avant que le dispositif proposé suscitait des interrogations des magistrats professionnels, partagées par les rapporteurs.
En premier lieu, le texte prévoit la présence des magistrats au sein du TAE comme une simple « possibilité ». Comment cette mesure sera-t-elle rendue effective, notamment en cas d'opposition du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce ou des magistrats appelés à siéger au TAE ? Cette simple possibilité semble vider de son intérêt le dispositif proposé.
En second lieu, le texte prévoit que le magistrat professionnel sera nécessairement assesseur au sein de la composition de jugement du TAE. Or cette configuration ne correspond pas à la tradition des actuelles juridictions échevines161(*) où le magistrat professionnel est systématiquement président de la formation de jugement.
En troisième lieu, la réforme proposée impliquerait que le président du tribunal de commerce, un juge consulaire, se prononce sur l'affectation d'un magistrat professionnel au sein d'une juridiction.
b) Le dispositif proposé vise à répondre à des objectifs déjà satisfaits par d'autres moyens
Les auditions menées par les rapporteurs ont mis en exergue le besoin de rapprocher les magistrats professionnels des activités économiques, de mieux les former à ces questions et de permettre de créer une filière de magistrats spécialisés en droit des affaires. Leur présence en qualité d'assesseurs a été présentée comme une des solutions pour atteindre ces objectifs.
Or la commission relève que dans un contexte où les tribunaux judiciaires manquent structurellement de magistrats pour assurer leurs missions civiles et pénales, il semble inadapté de transférer des effectifs aux TAE, ne serait-ce que de manière expérimentale et temporaire.
Par ailleurs, les formations initiale et continue des magistrats dispensées par l'École nationale de la magistrature permettent déjà à ces derniers de suivre des formations en lien avec la vie économique (stages courts ou longs en entreprises, formations spécialisées, etc.).
Au surplus, les magistrats professionnels en charge des contentieux civils des tribunaux judiciaires connaissent également, de manière habituelle, des questions relatives à la vie des entreprises via les contentieux des baux commerciaux, de la propriété intellectuelle et du droit des contrats de manière plus générale.
Enfin, l'argument selon lequel les juges consulaires auraient besoin de bénéficier de la présence d'un magistrat professionnel à leurs côtés mériterait d'être relativisé dans la mesure où il est possible de déduire du taux d'appel des décisions rendues par les tribunaux de commerce, que les décisions ne posent pas de difficultés juridiques majeures et qu'elles sont acceptées par les justiciables. Le taux d'appel en premier ressort sur les jugements au fond prononcés en 2020 était de 14,2 % pour les tribunaux de commerce contre 16,1 % pour les tribunaux judiciaires alors qu'il était de 63 % pour les jugements rendus par les conseils de prud'hommes162(*).
Au surplus, les taux d'infirmation des décisions des juridictions commerciales sur les cinq dernières années ne démontrent pas de manière évidente que les juridictions qui comprennent un magistrat professionnel connaissent un taux d'infirmation moins important. Au contraire, entre 2020 et 2022, les taux d'infirmation sont plus importants, de quelques points, pour les chambres commerciales des tribunaux judiciaires d'Alsace-Moselle que ceux des tribunaux de commerce du reste de l'hexagone.
Taux d'infirmation des
décisions163(*) des juridictions commerciales
frappées
d'appel entre 2018 et 2022
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
|
Tribunaux de commerce |
56,9 % |
57 % |
56,2 % |
56 % |
56,9 % |
Chambres commerciales d'Alsace-Moselle |
52,3 % |
55,8 % |
59,5 % |
65,2 % |
64,6 % |
Tribunaux mixtes d'outre-mer |
50,6 % |
22,5 % |
57,6 % |
52,4 % |
47,9 % |
Source : direction des services judiciaires du ministère de la justice
La commission, par l'adoption d'un amendement COM-115 des rapporteurs, a supprimé les dispositions permettant aux magistrats professionnels de siéger au sein du tribunal des affaires économiques.
4.2 Assurer une réelle unicité du contentieux des procédures amiables et collectives pour l'ensemble des acteurs économiques
La commission rappelle que depuis plusieurs années le Sénat propose de confier l'intégralité des procédures amiables et collectives à un tribunal des affaires économiques. C'est également la solution retenue par le comité des États généraux de la justice. Le choix d'écarter les professions réglementées de l'expérimentation, à l'aune de ces travaux concordants, n'est pas compréhensible.
La commission s'étonne également du choix opéré par le Gouvernement dans la mesure où il semble également favorable à confier l'intégralité du contentieux des procédures amiables et collectives au TAE. En effet, dans l'étude d'impact du projet de loi, il est par exemple précisé que « Les juges des tribunaux de commerce, disposant d'une expertise en matière de procédures collectives et de prévention, seront en capacité de juger l'intégralité des futurs litiges du tribunal des activités économiques [...] »164(*) et que « la compétence du TAE sera étendue à l'ensemble des procédures amiables et collectives, quel que soit le statut du débiteur.165(*) »
Le Gouvernement fait pourtant valoir que les professions réglementées visées à l'article L. 722-6-1 du code de commerce doivent être écartées de l'expérimentation du TAE dans la mesure où ils ne pourront pas, en cas de généralisation du dispositif, être éligibles aux fonctions de juges consulaires en vertu de l'incompatibilité prévue par le législateur avec leurs fonctions et un mandat de juge consulaire.
La commission considère que cette disposition pourrait être, le cas échéant, modifiée en permettant à ces professionnels de siéger, par exemple, au sein d'une juridiction commerciale du ressort d'une cour d'appel différente de celle de leur lieu d'exercice. En outre, et en toute hypothèse, le Conseil d'État, dans son avis sur le projet de loi présenté par le Gouvernement, indique qu'il n'existe « aucune exigence constitutionnelle n'imposant que les justiciables aient un droit à l'élection des juges ou que les juges soient choisis parmi leur pairs »166(*).
Enfin, la commission constate que les tribunaux judiciaires ont une faible expertise en matière de procédures collectives puisque sur 51 000 procédures collectives ouvertes chaque année, ils n'en traitent que 6 000, soit seulement 12 %167(*). Ce chiffre modeste ne semble pas permettre une réelle spécialisation des magistrats des tribunaux judiciaires en la matière. Le maintien des seules procédures collectives des professions réglementées au sein des tribunaux judiciaires en ferait alors un contentieux extrêmement résiduel168(*). Cette dichotomie dans la répartition des compétences ne répond donc pas à l'objectif d'une justice économique simplifiée, unifiée et de plus grande qualité.
Sur proposition des rapporteurs, la commission a donc adopté un amendement COM-118 visant à confier l'intégralité du contentieux des procédures amiables et collectives au tribunal des affaires économiques.
Par ailleurs, la commission entend alerter le Gouvernement sur la nécessité de réfléchir à une éventuelle réforme du registre du commerce et des sociétés au cours de l'expérimentation. En effet, dans l'hypothèse où celle-ci venait à être généralisée, en particulier le transfert des compétences relatives aux associations ayant une activité économique, la juridiction commerciale aura besoin de disposer d'informations fiables et certifiées de ces nouveaux justiciables, notamment dans le but d'assurer une mission de prévention des difficultés.
4.3. Permettre aux nouveaux justiciables des TAE d'être jugés par leurs pairs
À l'aune des travaux menés par les rapporteurs, la commission a estimé qu'il était nécessaire, même dans le temps de l'expérimentation, de maintenir le principe pluriséculaire de la juridiction économique selon lequel les justiciables sont jugés par leurs pairs. C'est en effet une des particularités essentielles de cette justice.
Il est également apparu important de permettre aux exploitants agricoles et aux professions réglementées, compte tenu des spécificités de leur activité économique, de prévoir la présence de juges consulaires disposant d'une expérience propre à ces acteurs.
Sur proposition des rapporteurs, la commission a en conséquence adopté, l'amendement COM-114 prévoyant une nomination des juges par le garde des sceaux, parmi les membres élus et sur la proposition des chambres départementales de l'agriculture et des instances professionnelles représentatives, départementales ou défaut nationales, des professions réglementées.
Toutefois, compte tenu de la spécificité de leurs fonctions et pour limiter les conflits d'intérêts, les juges consulaires issus des professions réglementées ne pourront siéger que dans un tribunal des affaires économiques situé dans le ressort d'une cour d'appel différent de celui de leur lieu d'exercice.
4.4. Rendre l'expérimentation du TAE ambitieuse en confiant à cette juridiction le contentieux des baux commerciaux des justiciables habituelles du tribunal de commerce
Sensible aux arguments du Gouvernement qui entendent assurer une plus grande lisibilité de la justice économique et consciente également du caractère expérimental du TAE, la commission, sur proposition d'un amendement COM-119 des rapporteurs, a souhaité confier le contentieux des baux commerciaux à cette juridiction dès lors que l'ensemble des parties relèvent de sa compétence ordinaire (artisans et commerçants).
Cette solution, conforme aux propositions faites par le Sénat au cours des dernières années, a le mérite d'assurer davantage de cohérence dans la répartition des compétences entre le tribunal judiciaire et le tribunal des affaires économiques. Au surplus, les baux commerciaux, sont par essence, un domaine exclusif de la vie des affaires qu'il apparait donc naturel de confier à la juridiction spécialisée en la matière.
La commission a adopté l'article 6 ainsi modifié.
Article 7
Expérimentation d'une contribution financière
en cas de saisine du tribunal des affaires économiques
L'article 7 vise à instaurer, de manière expérimentale, une contribution, à la charge du demandeur, pour toutes les instances introduites devant le tribunal des affaires économiques. Plusieurs exemptions sont toutefois prévues, en particulier pour la partie bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, le demandeur à l'ouverture d'une procédure amiable ou collective ou une personne morale de droit public. Son montant serait fixé selon un barème comportant plusieurs critères et plafonné à 5 % de la valeur économique du litige sans toutefois excéder 100 000 euros.
En proposant la création de cette contribution, inspirée des travaux des États généraux de la justice, le Gouvernement souhaite responsabiliser les justiciables, encourager un règlement amiable de leur litige et s'aligner sur les modes de financement de la justice des autres pays européens.
La commission, favorable au projet d'expérimentation rendant onéreux l'accès au tribunal des affaires économiques, entend toutefois alerter le Gouvernement sur la nécessité de prévoir des montants de contribution qui ne privent pas, dans les faits, les petites et moyennes entreprises d'un accès au juge, et d'étendre l'octroi de l'aide juridictionnelle aux sociétés les plus fragiles financièrement.
La commission a adopté cet article en apportant des modifications destinées à renforcer son opérationnalité et préciser les critères du barème de la contribution économique.
1. L'accès gratuit au service public de la justice169(*) : un principe relatif
L'accès au service public de la justice n'est actuellement pas totalement gratuit puisqu'en en cas d'appel un droit de timbre de 225 euros170(*) est demandé au justiciable lorsque l'assistance d'un avocat est obligatoire171(*). Cette contribution a été instaurée à compter du 1er janvier 2011172(*) afin d'abonder un fonds d'indemnisation, créé en raison de la suppression de la profession d'avoués près les cours d'appel, jusqu'au 31 décembre 2026.
En outre, l'idée de gratuité du service public de la justice est également battue en brèche par l'existence de frais d'avocats que doivent exposer les parties (non éligibles à l'aide juridictionnelle), en particulier lorsque son assistance est obligatoire.
Par ailleurs, entre le 1er octobre 2011173(*) et le 1er janvier 2014174(*), en première instance, une contribution pour l'aide juridique de 35 euros était due lors de l'introduction d'une instance. Cette contribution visait à financer l'aide juridique, notamment en raison de l'augmentation des dépenses liées à la présence de l'avocat devenue obligatoire lors d'une garde à vue175(*), outre un besoin chronique de financement. Chaque instance introduite en matière civile, commerciale, prud'homale, sociale ou rurale devant une juridiction judiciaire ou devant une juridiction administrative devait donner lieu au paiement par le justiciable de cette contribution, sous peine d'irrecevabilité de la saisine176(*), sauf s'il était éligible à l'aide juridictionnelle.
Saisi de deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives aux contributions précitées, le Conseil constitutionnel a estimé dans son considérant n° 9 que « le législateur a poursuivi des buts d'intérêt général ; que, eu égard à leur montant et aux conditions dans lesquelles ils sont dus, la contribution pour l'aide juridique et le droit de 150 euros dû par les parties en instance d'appel n'ont pas porté une atteinte disproportionnée au droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction ou aux droits de la défense »177(*). Ainsi, cette décision rappelle qu'il n'existe pas de principe constitutionnel garantissant un accès gratuit au service public de la justice.
2. Les États généraux de la justice proposent de rendre l'accès à la justice économique payante
Le rapport du comité des États généraux de la justice (EGJ) estime qu'il est nécessaire de rendre payant l'accès à la justice économique178(*) pour plusieurs raisons.
Le groupe de travail des EGJ179(*) sur la justice économique note que l'accès gratuit à la justice économique ne permet pas d'écarter des litiges sans mérite qui engendre pourtant des coûts pour les autres parties et le système judiciaire dans son ensemble, alors que ses ressources sont contraintes.
Cet accès facilité ne permet pas non plus de responsabiliser les justiciables qui vont chercher à épuiser les voies de recours.
Enfin, l'absence de frais à l'introduction d'une instance dans un litige économique n'encourage pas au règlement extra-judiciaire sous la forme d'une médiation ou d'un arbitrage. Ces procédures alternatives ont en effet un coût, parfois élevé, qui tend à orienter les justiciables vers une solution contentieuse, moins onéreuse, plutôt qu'amiable.
Le rapport du groupe de travail des EGJ souligne également que la France, qui fait le choix de faire porter le coût de fonctionnement de la justice sur les contribuables et non les justiciables, est l'un des rares pays européens à assurer un accès gratuit à ses juridictions. Cela peut surprendre, en particulier, en matière de contentieux liés à la vie économique dans la mesure où il s'agit de « contentieux portant sur des droits patrimoniaux et donc in fine un partage de valeur entre parties privées180(*) ».
Par ailleurs, les représentants des mandataires et administrateurs judiciaires ont indiqué lors de leur audition par les rapporteurs que le fait de rendre l'accès à la justice payante pour les opérateurs économiques relevait d'une forme d'évidence pour ces derniers et ce d'autant plus à l'aune de la qualité de la justice rendue.
Le groupe de travail des EGJ proposait, concrètement, deux mécanismes pour rendre la justice payante : l'instauration, d'une part, « d'un droit de timbre modulable proportionnel à l'enjeu financier du litige et suivant un barème adapté » et, d'autre part, « une clef financière dans un contrat de procédure entre les parties donnant la possibilité au juge de faire varier un droit de greffe à l'issue de la procédure en tenant compte du comportement des parties durant la procédure181(*) ».
Ces propositions s'inspirent de deux exemples de droit comparé. En premier lieu, le dispositif allemand s'appuie sur un droit de timbre barémisé et modulable. Le montant de ce droit dépend de celui du litige après application d'un coefficient multiplicateur prenant en compte différents critères (type et degré de juridiction saisie, voie procédurale, nature du contentieux, conclusion du litige).
En second lieu, le groupe de travail s'est intéressé au système britannique dans lequel le coût d'accès à la justice dépend du montant de la réclamation, forfaitaires pour les faibles demandes puis proportionnels lorsque les sommes sont plus importantes, avec l'existence d'un plafond.
Tableau du coût d'accès à la justice britannique
Quantum de la demande |
Frais de justice |
Jusqu'à 353,95 € |
41,29 € |
De 353,96 € à 589,92 € |
58,99 € |
De 589,93 € à 1 179,84 € |
82,59 € |
De 1 179,85 € à 1 769,76 € |
94,39 € |
De 1 769,77 € à 3 539,52 € |
135,68 € |
De 3 539,53 € à 5 899,21 € |
241,87 € |
De 5 899,22 € à 11 798,42 € |
536,83 € |
De 11 798,43 € à 235 968,32 € |
5 % de la valeur de l'objet du litige |
Plus de 235 968,32 € |
11 798,42 € |
Source : groupe de travail des EGJ sur la justice économique et sociale182(*)
Enfin, la création d'une taxe introductive d'instance devant la juridiction commerciale ne devrait pas pénaliser les personnes morales aux ressources financières très limitées.
Pour autant, l'article 2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique limite actuellement le bénéfice de l'aide juridictionnelle aux personnes physiques, et aux seules personnes morales à but non lucratif ne disposant pas de ressources, et ce de manière exceptionnelle.
Le comité des États généraux de la justice se montre donc favorable à l'extension de l'accès à l'aide juridictionnelle aux personnes morales tout en alertant sur la nécessité d'éviter les éventuels effets de bord d'une telle modification et de maintenir le contrôle du caractère subsidiaire de l'aide juridictionnelle par rapport à l'assurance de protection juridique des demandeurs183(*).
3. Le projet de loi tend à instaurer une contribution financière en cas de saisine du tribunal des affaires économiques ainsi qu'une amende civile en cas de comportement procédural abusif ou dilatoire
À titre liminaire, il convient de souligner que l'instauration d'une contribution pour la justice économique est limitée au champ de l'expérimentation du tribunal des affaires économiques prévue à l'article 6 du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.
Toute instance introduite devant cette juridiction expérimentale nécessite le versement d'une contribution par la partie demanderesse, sous peine d'irrecevabilité.
Toutefois, trois exemptions au paiement de cette contribution sont prévues : la partie demanderesse est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, la saisine porte sur l'ouverture d'une procédure amiable ou collective prévue au livre VI du code de commerce et aux articles L. 351-1 à L. 351-7-1 du code rural et de la pêche maritime et la demanderesse est une personne morale de droit public.
Son montant serait fixé selon un barème à plusieurs critères et plafonné à 5 % de la valeur économique du litige sans toutefois excéder 100 000 euros. Le barème, défini par décret en Conseil d'État, prendrait en compte le montant de la demande, la nature du litige, la capacité contributive de la partie demanderesse en fonction de son chiffre d'affaires ou revenu fiscal de référence et de sa qualité de personne physique ou morale.
La contribution, recouvrée gratuitement par les greffiers des tribunaux de commerce, est remboursée à la partie demanderesse en cas de désistement ou de recours à un mode amiable de règlement du différend emportant extinction de l'instance et de l'action.
Cette expérimentation, inspirée des travaux des États généraux de la justice, vise à permettre le financement du service public de la justice. L'étude d'impact du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 évoque une estimation de recette annuelle d'un montant de 5,3 millions d'euros184(*). Le Gouvernement entend également, par ce mécanisme, responsabiliser davantage les acteurs économiques, encourager un règlement amiable de leur litige et s'aligner sur les modes de financement de la justice des autres pays européens.
Par ailleurs, l'article 7 du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 offre également une possibilité au tribunal des affaires économiques de sanctionner un comportement dilatoire ou abusif, d'une partie à la procédure, via une amende civile d'un montant de 10 000 euros.
4. Favorable à l'expérimentation d'une contribution pour la justice économique, la commission a amélioré le dispositif proposé et formulé des points de vigilance quant à sa mise oeuvre par le Gouvernement
Dans le rapport d'information Cinq ans pour sauver la justice, fait au nom de la commission des lois du Sénat par Philippe Bas, le rétablissement d'une contribution à l'aide juridictionnelle pour tous les justiciables était proposée185(*). S'inscrivant en cohérence avec cette recommandation formulée, la commission des lois estime que l'instauration d'une contribution, de manière expérimentale, pour la justice économique est judicieuse, étant précisé que sa pertinence a été réactualisée par les travaux des États généraux de la justice.
Pour autant, la commission a adopté un amendement COM-120, sur proposition des rapporteurs, afin d'améliorer le dispositif sur deux points.
En premier lieu, dans la mesure où la contribution pécuniaire doit être versée sous peine d'irrecevabilité, il est nécessaire de figer la valeur du litige au stade de la saisine de la juridiction afin d'éviter d'éventuels débats en cas de demandes nouvelles formulées par la partie demanderesse au cours de l'instance. À l'alinéa 2 de l'article 7 du projet de loi, la commission a préféré viser les demandes cumulées au stade de l'acte introductif d'instance que le montant du litige.
En second lieu, afin d'affiner le montant de la contribution économique, d'autres critères économiques méritent d'être pris en compte pour s'adapter au mieux à la situation financière de la partie demanderesse, à l'instar du chiffre d'affaires annuel moyen sur les trois dernières années et de ses bénéfices.
En outre, lors des auditions des directions du ministère de la justice menées par les rapporteurs, il a été indiqué que le public cible de la contribution pour la justice économique était principalement des entreprises disposant de capacités financières conséquentes. Cet objectif est corroboré par l'étude d'impact du projet de loi : « il est envisagé dans le barème de fixer par voie réglementaire de ne pas taxer les litiges les plus faibles, avec fixation d'un seuil permettant de ne couvrir que les contentieux les plus élevés »186(*). Dès lors, la commission, qui a pris note de cet engagement réitéré et de l'esprit gouvernant la création de la contribution pour la justice économique, insiste sur la nécessité d'élaborer un barème qui ne privera pas d'un accès au juge les petites et moyennes entreprises, les plus fragiles financièrement.
Enfin, la commission insiste sur le fait que l'attention portée sur la conception du barème précité devrait se cumuler avec une réforme partielle de l'accès à l'aide juridictionnelle, plus spécifiquement pour en étendre le bénéfice aux personnes morales de droit privé disposant de ressources insuffisantes pour ester en justice.
S'agissant d'une modification législative pouvant engendrer une dépense nouvelle, les rapporteurs n'ont toutefois pas été en mesure de proposer une réforme en ce sens, conformément à l'article 40 de la Constitution. Néanmoins, il appartient au Gouvernement de se saisir de cette problématique d'accès au juge pour les entreprises les plus fragiles, étant précisé qu'il s'agit d'une proposition formulée par le comité des États généraux de la justice d'une part, et que cette dépense nouvelle pourrait être compensée par la mise en oeuvre de la contribution pour la justice économique, d'autre part.
La commission a adopté l'article 7 ainsi modifié.
* 126 Article L. 731-2 du code de commerce. Cela concerne les tribunaux judiciaires de Colmar, Mulhouse, Strasbourg, Sarreguemines, Metz, Thionville et Saverne.
* 127 Article L. 732-1 du code de commerce. Cela concerne la Guadeloupe, la Guyane, La Réunion, la Martinique, Mayotte, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie.
* 128 Cela concerne Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna.
* 129 Article L. 721-2 du code de commerce.
* 130 Article L. 722-1 du code de commerce.
* 131 Article L. 723-7 du code de commerce.
* 132 Article L. 722-16 : « Le mandat des juges élus des tribunaux de commerce est gratuit ».
* 133 La conférence générale des juges consulaires de France estime qu'un budget annuel de 4,46 millions d'euros, soit 1 300 euros annuels par juge consulaire, seraient nécessaire pour couvrir les frais relatifs à l'exercice de leurs fonctions.
* 134 Annexe au projet de loi de finances pour 2023, Justice judiciaire, dit « bleu budgétaire », p. 12.
* 135 Étude d'impact du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, p. 172.
* 136 Rapport d'information n° 608 (2019-2020), Covid-19 : deuxième rapport d'étape sur la mise en oeuvre de l'état d'urgence sanitaire fait, au nom de la commission des lois, par Philippe Bas, François-Noël Buffet, Pierre-Yves Collombat, Nathalie Delattre, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Loïc Hervé, Patrick Kanner, Alain Richard, Jean-Pierre Sueur et Dany Wattebled, 29 avril 2020, p. 51-52.
* 137 Article L. 721-3 du code de commerce.
* 138 Article L. 621-2 du code de commerce.
* 139 Articles L. 351-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime.
* 140 Source : étude d'impact du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, p. 173.
* 141 Article R. 145-23 du code de commerce.
* 142 Cinq ans pour sauver la justice ! Rapport d'information n° 495 (2016-2017) de Philippe Bas, président-rapporteur, Esther Benbassa, Jacques Bigot, François-Noël Buffet, Cécile Cukierman, Jacques Mézard et François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 4 avril 2017, p. 165.
* 143 Recommandations n° 53 et 54 du rapport n° 615 (2020-2021) fait au nom de la commission des lois du Sénat, par François Bonhomme et Thani Mohamed Soilihi, enregistré le 19 mai 2021, pp. 123-124.
* 144 Rapport d'information n° 495 (2016-2017) de Philippe Bas, op. cit. p. 148.
* 145 Ibid. pp. 165-167.
* 146 Proposition de loi n° 641 (2016-2017) d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice, présentée par Philippe Bas le 18 juillet 2017, adoptée en séance le 24 octobre 2017 ; voir également le rapport n° 33 (2017-2018) fait au nom de la commission des lois du Sénat, par François-Noël Buffet et Jacques Bigot, sur la proposition de loi précitée, enregistré le 18 octobre 2017.
* 147 Ces articles ont systématiquement été maintenus par le Sénat, par la commission des lois et lors de l'examen du texte de commission en séance, étant précisé que l'Assemblée nationale n'a pas retenu ces dispositions. Pour plus de détails sur la teneur de ces articles, il est possible de se référer par exemple au rapport n° 11 (2018-2019) fait, au stade de la première lecture, au nom de la commission des lois par François-Noël Buffet et Yves Détraigne enregistré le 3 octobre 2018.
* 148 Rapport n° 615 (2020-2021) de François Bonhomme et Thani Mohamed Soilihi, pp. 111 à 114.
* 149 Proposition de loi n° 170 (2021-2022) déposée par les sénateurs François Bonhomme et Thani Mohamed Soilihi le 16 novembre 2021.
* 150 Essentiel de l'agora de la justice au Sénat, 16 propositions pour retrouver confiance dans la justice, fait au nom de la commission des lois, 27 septembre 2021.
* 151 Rapport du comité des États généraux de la justice (octobre 2021-avril 2022), Rendre la justice aux citoyens, pp. 183-184.
* 152 Le rapport du comité des EGJ précise à cet égard que « Le comité est attaché à la composition sans échevinage, c'est-à-dire sans juges professionnels, des tribunaux de commerce [...] », p. 25.
* 153 Pour la propriété intellectuelle : cf. la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon, la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, décret n° 2009-1205 du 9 octobre 2009 fixant le siège et le ressort des juridictions en matière de propriété intellectuelle et décret n° 2010-1369 du 13 novembre 2010 portant modification du tableau VI annexé à l'article D. 211-6-1 du code de l'organisation judiciaire.
* 154 Article 63 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
* 155 Loi organique n° 2021-1728 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.
* 156 Rapport d'information n° 834 (2020-2021) fait au nom de la commission des lois du Sénat par Agnès Canayer et Philippe Bonnecarrère, sur le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire et sur le projet de loi organique pour la confiance dans l'institution judiciaire, enregistré le 15 septembre 2021, pp. 64-70.
* 157 L'alinéa 2 de l'article 6 du projet de loi prévoit que « Les formations de jugement dudit tribunal peuvent comprendre un magistrat du siège en qualité d'assesseur ».
* 158 Professions listées au deuxième alinéa de l'article L. 722-6-1 du code de commerce : avocat, notaire, huissier de justice, commissaire-priseur judiciaire, greffier de tribunal de commerce, administrateur judiciaire et mandataire judiciaire.
* 159 Alinéa 9 de l'article 6 du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.
* 160 Exceptions faites des juridictions commerciales qui le sont déjà, dans les départements d'Alsace-Moselle et dans les outre-mer.
* 161 A l'instar du tribunal pour enfants, le tribunal paritaire des baux ruraux, la formation collégiale du pôle social du tribunal judiciaire ou le conseil de prud'hommes en cas de départage.
* 162 Les chiffres clés de la justice, édition 2022, p. 12.
* 163 Décisions relatives aux contentieux des procédures collectives et du contentieux général.
* 164 Étude d'impact du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, p. 169.
* 165 Ibid. p. 173.
* 166 Avis du Conseil d'État n° 406855 sur un projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, p. 10.
* 167 Rapport n° 615 (2020-2021) de François Bonhomme et Thani Mohamed Soilihi, p. 108.
* 168 En effet, selon la direction des services judiciaires du ministère de la justice, en matière de procédures collectives des professions réglementées, 117 décisions annuelles ont été rendues en moyenne sur les cinq dernières années (160 en 2018, 171 en 2019, 95 en 2020, 85 en 2021 et 75 en 2022).
* 169 L'article L. 111-2 du code de l'organisation judiciaire dispose que : « Le service public de la justice concourt à l'accès au droit et assure un égal accès à la justice. Sa gratuité est assurée selon les modalités fixées par la loi et le règlement. »
* 170 Le montant était initialement de 150 euros.
* 171 Article 1635 bis P du code général des impôts.
* 172 Article 54 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2010.
* 173 Article 54 de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011.
* 174 Abrogation prévue par l'article 128 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.
* 175 En raison de la réforme instaurée par la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue.
* 176 L'article 62 du code de procédure civile disposait que « A peine d'irrecevabilité, les demandes initiales sont assujetties au paiement de la contribution pour l'aide juridique prévue par l'article 1635 bis Q du code général des impôts ».
* 177 Conseil constitutionnel, décision n° 2012-231/234 QPC du 13 avril 2012, M. Stéphane C. et autres.
* 178 Rapport du comité des États généraux de la justice (octobre 2021-avril 2022), Rendre la justice aux citoyens, p. 25.
* 179 Rapport des États généraux de la justice, rapport du groupe de travail sur la justice économique et sociale, annexe 3, tome 15, avril 2022, pp. 29-30.
* 180 Rapport des États généraux de la justice, rapport du groupe de travail sur la justice économique et sociale, annexe 3, tome 15, avril 2022, pp. 29-30.
* 181 Ibid. p. 36.
* 182 Ibid. pp. 30-31.
* 183 Rapport du comité des États généraux de la justice (octobre 2021-avril 2022), Rendre la justice aux citoyens, p. 215.
* 184 Étude d'impact du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, pp. 188 à 190 : estimation s'appuyant sur la création de neuf tribunaux des affaires économiques qui connaitraient une moyenne annuelle de 462 nouvelles affaires étant précisé que la contribution serait due pour seulement 16 % des contentieux les plus importants (demande supérieure à 200 000 euros) avec une contribution fixée à 8 000 euros.
* 185 Proposition n° 103 du rapport d'information n° 495 (2016-2017), fait au nom de la commission des lois sur le redressement de la justice, par le président-rapporteur Philippe Bas et les sénateurs Esther Benbassa, Jacques Bigot, François-Noël Buffet, Cécile Cukierman, Jacques Mézard et François Zocchetto, pp. 256-259.
* 186 Étude d'impact du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, p. 189.