TITRE IER
ASSURER UNE MEILLEURE INTÉGRATION
DES
ÉTRANGERS PAR LE TRAVAIL ET LA LANGUE
CHAPITRE
IER
MIEUX INTÉGRER PAR LA LANGUE
Article 1er
Conditionnalité de la délivrance
d'une carte de séjour pluriannuelle
à la connaissance d'un
niveau minimal de français
L'article 1 er tend à prévoir que la délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle est conditionnée à la connaissance d'un niveau minimal de langue française . Ce faisant, il ajoute à l'obligation de moyens existant en matière d'apprentissage de la langue française dans le cadre du contrat d'intégration républicaine (CIR), une obligation de résultat.
Partageant pleinement cet objectif, la commission a adopté cet article et en a complété le dispositif en prévoyant dans la loi le niveau de langue demandé, qu'elle a fixé au niveau A2 du cadre européen commun de référence pour les langues et prévu les harmonisations nécessaires pour la suite du parcours d'intégration des étrangers. Elle a également enrichi le dispositif en liant également la délivrance d'une CSP ou d'une carte de résident à la démonstration d'un niveau de connaissances en matière civique à l'issue de la formation délivrée dans le cadre du CIR en la matière, dont le contenu serait étoffé pour inclure l'histoire et la culture françaises.
1. Le dispositif proposé : d'une obligation de moyens dans l'apprentissage de la langue à une obligation de résultat dans sa maîtrise
1.1. Le parcours d'intégration d'un étranger en France prévoit une obligation de moyens dans l'apprentissage de la langue française
Lors de son arrivée en France, l'étranger admis pour la première fois au séjour ou qui entre régulièrement en France entre l'âge de 16 et 18 ans et souhaite s'y installer durablement s'engage dans un « parcours personnalisé d'intégration républicaine », qui prend généralement la forme d'un contrat d'intégration républicaine (CIR). Certaines personnes en sont néanmoins exemptées.
Les cas d'exemption de la signature du CIR
Plusieurs catégories d'étrangers primo-arrivants sont dispensées de la signature d'un CIR, généralement à raison de leur pays d'origine, de leur éventuelle éligibilité à la protection internationale ou de la pertinence d'un tel parcours d'intégration au regard de leur situation personnelle :
- les ressortissants d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse ;
- les personnes dont le statut est régi par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- les personnes réfugiées, apatrides ou bénéficiaires de la protection subsidiaire. Pour autant, ce parcours leur est ouvert ;
- les personnes n'ayant pas vocation à s'installer durablement en France, à l'exemple des étudiants, des stagiaires, des travailleurs saisonniers, des travailleurs détachés « ICT », des visiteurs 36 ( * ) ;
- les personnes présentant des garanties d'intégration suffisantes, telles que les titulaires d'une carte de résident ou d'une CSP dite « passeport talent », ou encore les personnes ayant effectué leur scolarité dans un établissement d'enseignement secondaire français pendant au moins trois années scolaires ou ayant suivi des études supérieures en France d'une durée au moins égale à une année universitaire 37 ( * ) .
La signature du CIR ouvre droit au bénéfice de trois dispositifs 38 ( * ) :
- une formation civique , obligatoire, « relative aux valeurs, aux principes, et aux institutions de la République, à l'exercice des droits et devoirs liés à la vie en France ainsi qu'à l'organisation de la société française », se déroulant sur quatre journées 39 ( * ) ;
- un « conseil en orientation professionnelle et un accompagnement destiné à favoriser son insertion professionnelle », délivré « en association avec les structures du service public de l'emploi » ;
- une formation linguistique, prescrite à l'issue d'un test de niveau en début de cycle . Dans le cas où la personne atteint le niveau A1 dans le cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL), il ne lui est prescrit aucune formation, bien qu'elle puisse éventuellement en bénéficier si elle le souhaite 40 ( * ) . À l'inverse, dans le cas où la personne ne dispose pas d'un niveau A1, elle se voit prescrire un quantum d'heures de formation oscillant entre 100 et 600 heures 41 ( * ) visant à l'acquisition de ce niveau. L'ensemble de ces options sont récapitulées dans le document signé par l'étranger concerné, dont un modèle est consultable ci-après.
Il n'existe pas de sanction immédiate au non-respect des obligations éventuelles dans le cadre du CIR. En revanche, l'étranger signataire d'un CIR est tenu d'avoir suivi avec sérieux et assiduité les formations qui lui ont été prescrites s'il souhaite se voir délivrer, au terme d'une année de séjour régulier, une carte de séjour pluriannuelle (CSP) 42 ( * ) .
Modèle du CIR tel qu'actualisé depuis 2021 43 ( * )
1.2. Ajouter à l'obligation de moyens existante une obligation de résultat
Le dispositif de l'article 1 er tend à ajouter à cette obligation de moyens existante une obligation de résultat . En sus de l'obligation de suivi sérieux et assidu des formations prescrites dans le cadre du CIR 44 ( * ) - qui serait maintenue - il prévoit que l'étranger souhaitant se voir délivrer une CSP serait désormais également tenu de justifier « d'une connaissance de la langue française au moins égale à un niveau déterminé par décret en Conseil d'État ». Il en dispense par ailleurs les personnes non signataires du CIR et procède aux coordinations nécessaires au sein du Ceseda.
D'après l'étude d'impact, une telle disposition poursuit deux objectifs :
- réserver la délivrance de titres pluriannuels, témoignant d'une volonté d'installation durable, « aux étrangers qui ont démontré une volonté et une capacité à s'intégrer en France » ;
- « rendre le système plus incitatif en conduisant les étrangers soumis au CIR à se mobiliser davantage dans leur apprentissage du français » 45 ( * ) .
Le niveau à atteindre serait renvoyé au niveau réglementaire. L'impact concret de la mesure sur les délivrances de CSP varierait donc largement en fonction du niveau fixé . Comme le rappelle l'étude d'impact :
- 3 000 à 5 000 étrangers (hors bénéficiaires de la protection internationale et Algériens) se voient prescrire une formation obligatoire dans le cadre du CIR et n'atteignent pas le niveau A1 à l'issue de celle-ci. Ils se verraient donc refuser le bénéfice d'une CSP avec la nouvelle obligation de résultat ;
- 15 000 à 20 000 personnes se verraient refuser le bénéfice d'une CSP si le seuil exigé était le niveau A2 ;
- 40 000 personnes environ se verraient refuser la délivrance d'une CSP si le seuil exigé était le niveau B1 .
Les personnes devenues inéligibles à la délivrance d'une CSP ne seraient pas pour autant privés de toute voie d'accès au séjour régulier . Elles pourraient demeurer sur le territoire en bénéficiant du renouvellement de leur carte de séjour temporaire (CST).
L'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), qui a récemment amélioré certaines de ses mallettes pédagogiques à destination des publics non-lecteurs non-scripteurs et a doublé en 2019 ses forfaits horaires, pourrait au demeurant mettre en oeuvre des mesures tendant à accompagner les publics susceptibles d'échouer à un tel test de langue, à l'exemple du « bonus d'heures » de 10 % qui peut être accordé aux personnes proches d'atteindre le niveau A1 au terme de leur parcours.
2. La position de la commission : compléter et enrichir un dispositif bienvenu
2.1. Préciser et compléter le dispositif sur le niveau linguistique demandé
Partageant l'objectif poursuivi par l'article 1 er , les rapporteurs relèvent néanmoins que rien n'impose que le niveau de langue requis soit fixé par le seul pouvoir réglementaire . Si l'article 34 de la Constitution est particulièrement silencieux sur le droit des étrangers, il n'en demeure pas moins que la fixation des critères d'intégration des étrangers à la société française semble relever, dans l'importance qu'elle revêt pour les droits et devoirs des personnes concernées comme pour le choix politique qu'elle emporte, du niveau législatif. Ainsi, lorsqu'elles y font référence dans les mesures d'intégration qu'elles prévoient, les législations d'autres États membres de l'Union européenne qualifient généralement le niveau de langue souhaité, même sommairement 46 ( * ) .
Par ailleurs, un renvoi systématique au pouvoir réglementaire pose la question d'une incompétence négative du législateur , ce dernier ne définissant pas a priori de hiérarchie en les différents niveaux de langue demandés tout au long du parcours d'intégration : qu'il s'agisse de la délivrance d'une CSP, d'une carte de résident ou de l'acquisition de la nationalité française, ces dispositions, dans la rédaction retenue par le Gouvernement, renverraient toujours à « la connaissance d'un niveau de langue déterminé par décret en Conseil d'État », sans même qu'il soit explicitement prévu que ce niveau varie en fonction de l'intensité de l'intégration de la personne à la société française. Le pouvoir réglementaire pourrait ainsi fixer un niveau identique pour l'ensemble des étapes du parcours d'intégration . Il a donc semblé nécessaire à la commission que le législateur procède lui-même au choix du niveau demandé.
Par l'adoption de l'amendement COM-206 des rapporteurs , la commission a donc précisé explicitement que le niveau requis pour la délivrance d'une CSP serait le niveau A2 du CECRL . Elle a en conséquence rehaussé le niveau nécessaire pour l'octroi d'une carte de résident - qui serait désormais le niveau B1 - et celui pour acquérir la nationalité française - qui serait désormais le niveau B2.
Une telle mesure ne poserait aucun problème de conventionalité , notamment au regard de la directive 2003/109/CE relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée : d'une part, le niveau de langue demandé serait limité ; d'autre part, s'agissant de la délivrance de la CSP, les pouvoirs publics mettent à disposition des formations permettant d'atteindre le niveau exigé et le coût de la certification linguistique serait soit supporté par l'OFII - dans le cadre des évaluations qu'il organise déjà pour le CIR -, soit à la charge du demandeur mais représenterait un coût modéré (de 90 à 150 euros selon l'étude d'impact).
Enfin, il n'a pas paru utile de prévoir des conditions d'aménagement ou de dispense d'une telle justification de français pour les personnes incapables de la fournir . En effet, s'agissant de l'appréciation de la condition d'intégration pour la délivrance de la carte de résident, aucune condition n'est prévue dans la loi. En revanche, l'article R. 413-15 du Ceseda prévoit que les « personnes qui présentent un handicap ou un état de santé déficient chronique peuvent (...) bénéficier d'aménagements d'épreuves pour le passage d'un test linguistique si leur état le justifie ou, en cas d'impossibilité de passer un tel test, être dispensées de la production des diplômes ou certifications » justifiant de leur niveau de français. Il appartiendra dès lors au pouvoir réglementaire de prévoir les mêmes aménagements et dispenses dans le cadre du présent dispositif .
2.2. Enrichir le dispositif sur le volet civique de l'intégration et le respect du CIR
Considérant qu'une intégration réussie dans la société française ne saurait être réalisée par la seule maîtrise du française, la commission a également souhaité enrichir le dispositif proposé s'agissant du volet civique de l'intégration . Elle a ainsi, par l'adoption de l'amendement COM-206 des rapporteurs :
- élargi le contenu , déjà prévu par la loi, de la formation civique du CIR, en disposant que celle-ci s'étend à l'histoire et à la culture françaises 47 ( * ) ;
- prévu que cette formation ferait l'objet d'un examen ;
- conditionné la délivrance d'une CSP et d'une carte de résident à la réussite de cet examen , qui pourrait être identique pour les deux catégories de titres ;
- prévu plus généralement que la délivrance de la carte de résident tienne compte du respect par l'étranger de son CIR .
La commission a adopté l'article 1 er ainsi modifié .
Article 2
(supprimé)
Formation professionnelle au français
pour les
salariés allophones
L'article 2 tend à étoffer les possibilités de formation en français langue étrangère (FLE) ouvertes, au titre de la formation professionnelle, aux salariés allophones en emploi. Il crée une faculté générale, pour les employeurs, de proposer des formations en FLE à leurs salariés allophones et leur impose, pour ceux de ces salariés signataires d'un contrat d'intégration républicaine (CIR), de considérer ce temps de formation comme un temps de travail effectif donnant lieu au maintien de la rémunération ou, lorsque le salarié mobilise son compte personnel de formation (CPF), d'accorder de droit une autorisation d'absence.
Jugeant les possibilités actuelles de formation suffisantes et ne souhaitant pas imposer aux employeurs des obligations qui relèvent davantage des pouvoirs publics , la commission a supprimé l'article 2 .
1. L'état du droit : des possibilités de formation au français langue étrangère déjà existantes
La formation professionnelle au français langue étrangère (FLE) pour les salariés allophones constitue aujourd'hui, pour l'essentiel, une faculté à la main des employeurs et salariés . Une action de formation professionnelle en la matière peut ainsi être effectuée soit à l'initiative du salarié soit à celle de l'employeur.
En premier lieu, les salariés ont la faculté de mobiliser leur compte personnel de formation 48 ( * ) (CPF) pour bénéficier d'une formation à la langue française. Comme le rappelle l'étude d'impact du projet de loi, les formations en FLE « enregistrées au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) ou au répertoire spécifique (RS) sont éligibles au financement par le CPF » 49 ( * ) .
Des formations au FLE sont ainsi proposées sur la plateforme « Mon compte formation », qu'elles soient orientées vers l'insertion professionnelle ou visent à l'acquisition d'une compétence linguistique plus générale . Selon les données fournies par le Gouvernement 8 516 formations ont été dispensées de janvier à octobre 2022 à ce titre, pour un coût pédagogique moyen de 1 306 euros.
En second lieu, la poursuite d'actions de formation au FLE peut résulter de l'initiative des employeurs . Dans cette hypothèse, l'article L. 6321-1 du code du travail prévoit que les obligations de l'employeur varient selon la transférabilité des compétences concernées, qui ne se limitent d'ailleurs pas à la seule maitrise d'un niveau de langue française :
- lorsque la formation professionnelle répond à la nécessaire adaptation du salarié à son poste de travail , l'employeur est tenu d'y pourvoir 50 ( * ) ;
- lorsqu'elle vise à maintenir la capacité du salarié à occuper un emploi , l'employeur est uniquement tenu d'y veiller ;
- enfin, s'agissant plus généralement du développement des compétences du salarié, l'employeur n'a qu'une simple faculté de proposition de formations professionnelles.
Il découle de ce qui précède qu'il n'existe pas pour l'heure d'obligation de portée générale, incombant aux employeurs, de formation au FLE des salariés allophones mais que, comme pour l'ensemble des compétences, l'intensité des obligations de l'employeur en matière de formation au FLE s'apprécie en fonction du salarié et du poste concerné .
L'employeur peut ainsi se voir
imposer une obligation
de formation
dans le cas où la maîtrise d'un certain
niveau de français pourrait
constituer un
prérequis pour l'adaptation du salarié à son
poste
51
(
*
)
ou dans le cas
où l'absence de formation au FLE ferait obstacle au maintien de la
capacité du salarié à occuper un emploi. Dans l'ensemble
des autres cas, la formation professionnelle au FLE
ne constitue donc
qu'une simple faculté à la discrétion de
l'employeur
. En tout état de cause, les obligations de
l'employeur s'apprécient au regard de l'usage par le salarié dans
son poste ou son emploi de la compétence professionnelle que peut
constituer la maîtrise du français.
Sollicités par les rapporteurs, les services de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) ont indiqué n'être pas en mesure de fournir le nombre de formations au FLE proposées à l'initiative de l'employeur.
2. Le dispositif : un renforcement des obligations des employeurs en matière de formation au français langue étrangère
Le dispositif proposé par le Gouvernement à l'article 2 s'articule autour de trois dispositions.
En premier lieu, il tend à ouvrir aux employeurs la faculté de proposer des formations FLE à tous leurs salariés allophones (1° de l'article). Il ajoute ainsi au nombre des formations que l'employeur a la faculté de proposer dans le cadre du développement des compétences de ses salariés celles « visant à atteindre une connaissance de la langue française au moins égale à un niveau par décret ». Ces formations s'ajouteraient ainsi à celles participant au « développement des compétences, y compris numériques, ainsi qu'à la lutte contre l'illettrisme, notamment des actions d'évaluation et de formation permettant l'accès au socle de connaissances et de compétences ».
En second lieu, il vise à imposer aux employeurs, pour les seuls salariés allophones signataires d'un contrat d'intégration républicaine (CIR) et engagés dans un parcours de formation linguistique, le décompte du temps de formation FLE comme du temps de travail effectif , donnant lieu au maintien de la rémunération pendant leur réalisation (2° de l'article).
En dernier lieu, il prévoit que, lorsque des salariés allophones signataires d'un CIR suivent des formations au FLE correspondant à un niveau déterminé par décret, choisies par leurs soins dans le cadre de la mobilisation de leur compte personnel de formation (CPF) et effectuées en tout ou partie durant le temps de travail, leurs employeurs seraient tenus de leur délivrer une autorisation d'absence . Une telle disposition constituerait la seule dérogation prévue au principe selon lequel, pour les formations financées dans le cadre du CPF réalisées sur le temps de travail, l'employeur est libre d'opposer un refus à cette demande d'autorisation d'absence.
Le bénéfice des deux derniers dispositifs serait néanmoins plafonné dans sa durée : ils ne pourraient s'appliquer à des actions de formation que dans la limite d'un plafond horaire fixé par décret en Conseil d'État.
3. La position de la commission : supprimer un dispositif inutile qui pourrait être excessivement coûteux pour les employeurs
3.1. Un dispositif partiellement redondant avec le droit existant
En premier lieu, la faculté ouverte aux employeurs de proposer des formations au FLE semble dépourvue de réelle portée . D'une part, les employeurs disposent déjà d'une faculté générale de proposer des formations en FLE - comme c'est le cas pour toute compétence professionnelle - à leurs salariés allophones : la création d'une telle faculté apparaît donc superflue.
D'autre part, l'inscription de cette faculté parmi les compétences pour lesquelles les employeurs sont particulièrement susceptibles de proposer des formations apparaît d'autant plus redondante que la maîtrise du français figure déjà parmi celles-ci, au sein du « socle de connaissances et compétences professionnelles » , également susceptibles d'être intégrées au sein du plan de développement des compétences. En effet, le 1° de l'article D. 6113-30 du code du travail intègre déjà la communication en français au sein de ce socle.
3.2. Un dispositif imprécis, potentiellement coûteux pour les employeurs
Outre sa portée faiblement prescriptive, le dispositif a paru problématique à la commission, à plusieurs titres.
En premier lieu, il apparaît imprécis en l'état de sa rédaction. Le niveau de langue poursuivi par ces formations ouvrant droit, pour les salariés, n'est pas fixé dans la loi, une telle disposition relevant potentiellement du niveau réglementaire. Il paraît néanmoins problématique qu'il ne soit nullement spécifié, ou qu'il ne soit prévu aucune procédure pour le déterminer, en particulier dans le cadre d'une consultation des partenaires sociaux 52 ( * ) .
En deuxième lieu et plus fondamentalement, la commission a relevé le changement de philosophie qu'apporterait une telle disposition : les employeurs se verraient ainsi imposer des obligations de formation quant à la maîtrise d'une compétence sans lien direct avec la pratique professionnelle de leurs salariés . Serait ajoutée à la charge des employeurs une contrainte, dont le coût n'est pas chiffré par l'étude d'impact 53 ( * ) , et qui ne semble pas devoir leur incomber. Tout en reconnaissant l'importance de la maîtrise d'un niveau minimal de français dans un contexte professionnel, plusieurs organisations représentatives d'employeurs auditionnées par les rapporteurs ont souligné la nécessité de maintenir le caractère largement facultatif de la formation au FLE et de ne pas faire supporter aux employeurs une obligation de formation relevant davantage des pouvoirs publics :
- la confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) a ainsi estimé que « s'il est nécessaire qu'un travailleur étranger dispose d'un niveau de langue française suffisant pour s'intégrer dans le corps social, il ne devrait pas revenir à l'employeur de financer, de manière obligatoire, cette formation qui relève davantage d'un sujet de société », ajoutant que « la responsabilité de la formation en français revient avant tout aux pouvoirs publics » ;
- l'union des entreprises de proximité (U2P) a également jugé qu'il « appartient aux pouvoirs publics d'assumer la charge de l'intégration sociale, notamment par la maîtrise de la langue française, des personnes allophones . »
En dernier lieu, le dispositif pourrait poser des difficultés concrètes aux employeurs . Le défaut d'opérationnalité de ces dispositions dans les entreprises de petite taille a d'ailleurs été reconnu par certaines organisations syndicales auditionnées par les rapporteurs pourtant favorables à son principe 54 ( * ) . D'une part, l'obligation faite aux employeurs de considérer les formations en FLE suivies par leurs salariés allophones signataires d'un CIR comme du temps de travail effectif, donnant lieu au maintien de la rémunération, semble de nature à pénaliser des entreprises de petite taille et, in fine, nuire à l'employabilité des étrangers concernés . En effet, un employeur risque, particulièrement dans une petite structure, de considérer préférable d'employer un étranger présentant un niveau de français supérieur dès son embauche, ou un étranger non signataire d'un CIR - soit qu'il en soit dispensé, soit qu'il n'y soit plus soumis en raison d'une résidence prolongée sur le territoire -, ne présentant pas les mêmes contraintes sur le plan de l'organisation du travail. D'autre part, lorsque la formation est à l'initiative du salarié, l'octroi de droit d'une autorisation d'absence constituerait la seule dérogation admise au principe actuellement posé par l'article L. 6323-17 du code du travail selon lequel l'autorisation d'absence est accordée par l'employeur. Or, une telle disposition pourrait être de nature à désorganiser l'organisation du travail , pour des formations qui ne sont pas à l'initiative de l'employeur mais du seul salarié, dans le cadre de la mobilisation de son compte personnel de formation (CPF). Les principales organisations représentatives des employeurs sollicitées par les rapporteurs s'y sont unanimement déclarées défavorables 55 ( * ) .
Dans ces conditions, le dispositif proposé par le Gouvernement semble, pour une part, de faible portée, et d'autre part excéder dans les contraintes qu'il pose un niveau raisonnable pour les employeurs concernés et, ce faisant, constituer une nuisance potentielle à l'insertion sur le marché du travail des étrangers concernés. La commission a donc, par l'adoption de l'amendement COM-39 rectifié ter d'André Reichardt, procédé à la suppression de cet article .
La commission a supprimé l'article 2.
Articles 2 bis et 2 ter
(nouveaux)
Resserrement des conditions d'acquisition
de la
nationalité au titre du « droit du sol »
Les conditions d'acquisition de la nationalité française peuvent constituer un facteur d'attractivité pour les étrangers et contribuer à l'augmentation des flux migratoires.
Afin de pallier cette difficulté, la commission a adopté, à l'initiative de Valérie Boyer, deux amendements portant articles additionnels tendant à resserrer les conditions d'acquisitions de la nationalité pour les mineurs étrangers nés en France de parents étrangers.
1. L'acquisition de la nationalité : facteur potentiel d'attractivité du territoire français
La nationalité française peut être octroyée à une personne de deux façons. Elle peut lui être attribuée à la naissance, automatiquement, du fait soit de la filiation 56 ( * ) - est Français l'enfant dont l'un des parents au moins est Français - soit de la naissance en France 57 ( * ) - est Français l'enfant né en France lorsque l'un de ses parents au moins y est lui-même né.
Elle peut également être acquise , après la naissance, de trois manières :
- soit par décision de l'autorité publique , par décret de naturalisation par exemple ;
- soit par déclaration : par exemple dans le cas du mariage, quatre ans après celui-ci 58 ( * ) , ou pour un mineur étranger né en France de parents étrangers par anticipation à compter de l'âge de 13 ans s'il réside en France depuis l'âge de 8 ans ;
- soit de plein droit , pour les mineurs étrangers nés en France, à leur majorité s'ils ont résidé en France cinq ans depuis l'âge de 11 ans 59 ( * ) .
Les acquisitions de nationalité ont augmenté entre 2017 et 2021 de 53,6 %, s'élevant à 130 385 à cette date, comme le montre le tableau ci-dessous.
Acquisitions de la nationalité
française
selon les modalités d'acquisition de 2017 à
2021
Source : ministère de l'intérieur, ministère de la justice 60 ( * )
Parmi elles, les acquisitions de nationalité par déclaration anticipée et sans formalité, qui concernent des mineurs étrangers nés en France de parents étrangers, représentaient en 2021 26,9 % du total .
Ces conditions d'accès à la nationalité pour des mineurs, relativement favorables, peuvent potentiellement renforcer l'attractivité du territoire français.
2. Un nécessaire resserrement des conditions d'acquisition de la nationalité pour les mineurs étrangers nés en France de parents étrangers
Face à ce constat, la commission, après avoir constaté la recevabilité des amendements en cette matière malgré l'avis contraire des rapporteurs, a souhaité resserrer les conditions d'acquisition de la nationalité française pour les mineurs étrangers nés en France de parents étrangers.
À l'initiative de Valérie Boyer, la commission a ainsi adopté l'amendement COM-57 tendant à subordonner l'acquisition par ces personnes de la nationalité à une manifestation de volonté . Modifiant l'article 27-1 du code civil, il prévoit que l'enfant né en France de parents étrangers pourra, à partir de l'âge de seize ans et jusqu'à l'âge de dix-huit ans, acquérir la nationalité française à condition qu'il en manifeste la volonté, qu'il réside en France à la date de sa manifestation de volonté et qu'il justifie d'une résidence habituelle en France pendant les cinq années qui la précèdent.
Une telle disposition reprenant la rédaction de l'ancien article 44 du code de la nationalité , en vigueur entre 1993 et 1998, et ayant déjà émis un avis favorable à un amendement similaire lors de l'examen du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie en 2018 61 ( * ) , la commission l'a adoptée sans modification.
La manifestation de la volonté : une disposition brièvement en vigueur
Installée par le Premier ministre Jacques Chirac en juin 1987, la commission de la nationalité présidée par Marceau Long avait souhaité entre autres propositions relatives à l'évolution du droit de la nationalité, que l'acquisition de la nationalité pour les mineurs étrangers nés en France de parents étrangers soit conditionnée à la manifestation d'une volonté :
« La Commission affirme solennellement qu'il n'est pas souhaitable de remettre aujourd'hui en cause le droit à la nationalité française que détient tout jeune né en France et y ayant vécu pendant une période correspondant, le plus souvent, à sa scolarisation, ce qui garantit son assimilation.
« Elle estime cependant que la volonté individuelle de ces jeunes ne saurait, sans artifice, demeurer inexprimée si l'on souhaite que ce droit du sol « simple » soit pleinement le puissant instrument d'intégration recherché pour les années à venir.
(...)
« La Commission estime que la volonté de jouir d'une nationalité à laquelle ils ont droit doit pouvoir être exprimée individuellement par les jeunes concernés dans des formes très simples . »
La loi n° 93-933 du 22 juillet 1993 réformant le droit de la nationalité a donc constitué la traduction juridique de certains résultats des travaux de cette commission. L'article 44 du code de la nationalité a ainsi été modifié pour prévoir que « tout étranger né en France de parents étrangers peut, à partir de l'âge de seize ans et jusqu'à l'âge de vingt et un ans, acquérir la nationalité française à condition qu'il en manifeste la volonté, qu'il réside en France à la date de sa manifestation de volonté et qu'il justifie d'une résidence habituelle en France pendant les cinq années qui la précèdent . »
L'article 2 de la loi n° 98-170 du 16 mars 1998 relative à la nationalité a restauré le principe de l'acquisition automatique, à la majorité, de la nationalité française pour les mineurs étrangers nés en France de parents étrangers. Sur le rapport de Christian Bonnet 62 ( * ) , la commission des lois du Sénat s'était opposée à une telle évolution, position confirmée par le Sénat en séance publique.
La commission a également adopté l'amendement COM-60 de Valérie Boyer, tendant à étendre aux mineurs pouvant prétendre à l'acquisition de la nationalité à raison de la naissance et de la résidence l'empêchement lié au prononcé de condamnations pénales à l'endroit de la personne concernée .
Un tel empêchement existe déjà pour les majeurs, qui ne peuvent acquérir la nationalité dès lors qu'ils ont été « l'objet soit d'une condamnation pour crimes ou délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme, soit, quelle que soit l'infraction considérée, [s'ils ont] été condamné[s] à une peine égale ou supérieure à six mois d'emprisonnement, non assortie d'une mesure de sursis 63 ( * ) . »
Dans la mesure où les cas pour lesquels un mineur est l'objet d'une peine d'emprisonnement de plus de six mois non assortie d'une mesure de sursis recouvrent la commission d'infractions d'une certaine gravité, l'extension aux mineurs d'une telle disposition dans le cadre du droit du sol n'a pas semblé disproportionnée à la commission.
Au surplus, l'octroi de la nationalité à un mineur étranger s'étant rendu coupable d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou d'un acte de terrorisme sur la seule circonstance qu'il est né en France et y a résidé suffisamment longtemps paraît contradictoire. Dans une telle circonstance, on ne peut en effet que constater que l'assimilation de cette personne à la communauté nationale, par la scolarisation et la résidence, n'est acquise ; elle ne saurait donc être récompensée, en quelque sorte, par l'octroi de la nationalité française .
La commission a adopté les articles 2 bis et 2 ter ainsi rédigés .
* 36 Voir les 1° à 6° et 11° à 15° de l'article L. 413-5 du Ceseda.
* 37 Voir les 7° à 10°, 16° et dernier alinéas du même article L. 413-5 du Ceseda.
* 38 Article L. 413-3 du Ceseda.
* 39 Cette formation civique s'articule autour de cinq thématiques : le « portrait de la France », la santé, l'emploi, la parentalité et le logement (source : site Internet du ministère de l'intérieur ).
* 40 Selon l'OFII, une telle situation représentait 53,5 % des cas en 2022.
* 41 Pour 2022, d'après l'OFII, dans 19,4 % des cas, la formation prescrite était de 100 heures ; dans 28,3 % des cas, de 200 heures ; dans 32,3 % des cas, de 400 heures ; dans 20 % des cas, de 600 heures.
* 42 Voir le 1° de l'article L. 433-4 du CESEDA.
* 43 Voir l'arrêté du 30 décembre 2021 relatif au modèle type de contrat d'intégration républicaine.
* 44 Prévue à l'article L. 433-4 du CESEDA
* 45 Étude d'impact, p. 42.
* 46 Ainsi la « Zuwanderungsgesetz » allemande d'août 2004 prévoit-elle que les étranges disposent, selon le cas d'une connaissance de la langue « ausreichende » (suffisante), ou d'une capacité à communique à l'oral de manière simple.
* 47 Une telle formation devrait s'intégrer sans difficulté au sein du « portrait de la France » déjà existant.
* 48 Pour une présentation de l'historique du compte personnel de formation, voir le rapport de l'inspection générale des affaires sociales établi par S. Fourcade, E. Robert et V. Wallon, « Bilan d'étape du déploiement du compte personnel de formation (CPF) », juillet 2017, pp. 11-16, consultable à l'adresse suivante : https://www.igas.gouv.fr/spip.php?article623 . Pour une présentation synthétique, bien que datée, du compte personnel de formation, voir l'annexe n° 2 au rapport « La formation des demandeurs d'emploi » établi par la Cour des comptes pour la commission des finances de l'Assemblée nationale, mai 2018, pp. 166-167, consultable à l'adresse suivante : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-formation-des-demandeurs-demploi . Pour une présentation des modifications apportées au compte personnel de formation au titre de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, voir le rapport n° 609 (2017-2018) sur le projet de loi afférent de Michel Forissier, Catherine Fournier, Philippe Mouiller et Frédérique Puissat, fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, déposé le 27 juin 2018, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l17-609-1/l17-609-1.html .
* 49 Étude d'impact attachée au projet de loi, p. 59.
* 50 D'origine jurisprudentielle (voir l'arrêt Soc., 25 février 1992, Expovit , n° 89-41.634) cette obligation a été inscrite dans la loi par l'article 17 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail, dite « Aubry II ». Elle a connu un resserrement par l'article 7 de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, à la seule adaptation du salarié à son « poste de travail ».
* 51 Une telle obligation doit néanmoins être appréciée au cas par cas. La Cour de cassation a ainsi jugé qu'une salariée anglophone, nécessitant la maîtrise du français dans le cadre du passage d'un agrément de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et soulevant le moyen que son employeur « connaissait ses difficultés en français et la nécessité pour les agents de sécurité d'être titulaires de cet agrément (...) ne pouvait imputer à faute à son employeur sa défaillance dans la pratique de la langue française, comme étant d'origine anglophone, dans la mesure où elle avait su répondre à certaines des questions » dans le cadre de l'agrément. Voir à cet égard l'arrêt Soc., 16 septembre 2009, n° 08-42.554, consultable à l'adresse suivante : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000021058776 .
* 52 Auditionné par le rapporteur, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) a ainsi jugé utile de prévoir qu'une telle disposition soit inscrite dans la loi.
* 53 Par construction, la faculté créée au 1° ne peut qu'être difficilement évaluable, reposant sur la volonté des employeurs. L'étude d'impact se borne à relever, s'agissant des obligations créées aux 2° et 3°, qu'elle pourrait bénéficier à 7 700 nouveaux signataires de CIR par an, dans le cas où le niveau fixé serait au niveau A2.
* 54 Au sujet du 2° de l'article, la confédération française démocratique du travail (CFDT) a ainsi relevé, dans sa réponse au questionnaire transmis par les rapporteurs : « la CFDT est favorable au principe, mais s'interroge sur l'opérationnalité et donc l'effectivité de cette mesure dans des entreprises qui sont pour beaucoup des TPE ».
* 55 Le MEDEF a estimé qu'il « conviendrait de prévoir que le salarié demande une autorisation d'absence à l'employeur » ; la CPME a noté que « [alerté] sur cette dérogation qui pourrait désorganiser le service ou l'entreprise » ; l'U2P a jugé que cette « dérogation ne semble pas justifiée, car elle n'est prévue dans aucun autre cas de recours au CPF ».
* 56 Article 18 du code civil.
* 57 Article 19-3 du code civil.
* 58 Article 21-2 du code civil.
* 59 Article 21-7 du code civil.
* 60 Voir les chiffres clefs de l'immigration, publication du 20 juin 2022, consultable à l'adresse suivante : https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Les-chiffres-2022-publication-annuelle-parue-le-26-janvier-2023 . Les données pour 2022 seront disponibles en juin 2023.
* 61 Amendement n° 407 rectifié ter de M. Leroy.
* 62 Rapport n° 162 (1997-1998) de M. Christian Bonnet, déposé le 10 décembre 1997, au nom de la commission des lois. Dans celui-ci, Christian Bonnet estimait que « les raisons qui avaient conduit la Commission de la nationalité à préconiser l'exigence d'une manifestation de volonté pour l'acquisition de la nationalité française conservent aujourd'hui toute leur pertinence » et jugeait « frappant de constater que les critiques les plus fréquemment adressées à la loi du 22 juillet 1993 (insuffisance de l'information des jeunes, voire des administrations concernées, difficultés des intéressés à apporter la preuve de leur résidence en France...) tiennent plus aux conditions d'application de la loi qu'au principe même de la manifestation de volonté . »
* 63 Article 21-27 du code civil.