EXAMEN DES ARTICLES
TITRE IER A
MAÎTRISER LES VOIES
D'ACCÈS AU SÉJOUR ET LUTTER CONTRE L'IMMIGRATION
IRRÉGULIÈRE
(Nouveau)
Article 1er A (nouveau)
Débat annuel au Parlement
et
détermination d'un nombre d'étrangers admis au séjour
L'article 1 er A, introduit par la commission à l'initiative des rapporteurs et de Bruno Retailleau, tend à prévoir la tenue au Parlement d'un débat annuel, informé par un rapport existant mais dont le contenu est complété, à l'occasion duquel seraient déterminés pour trois ans le nombre de personnes admises à séjourner sur le territoire par catégorie de titres, à l'exclusion de l'asile, et, s'agissant de l'immigration familiale, un objectif en la matière.
1. La nécessité d'une stratégie migratoire d'ensemble
Malgré les appels répétés du Sénat en ce sens, la France ne semble toujours pas s'être dotée d'une stratégie migratoire d'ensemble, comme le déplorait le président François-Noël Buffet lors du débat portant sur la politique de l'immigration qui s'est tenu au Sénat le 13 décembre 2022 :
« Ce qui nous fait aujourd'hui cruellement défaut, c'est une réelle stratégie. Faute d'anticipation et faute de volonté clairement exprimée , nous ne faisons que subir les soubresauts des flux migratoires . Nous avons été dépassés par l'intensité des flux migratoires en 2015, nous le sommes encore aujourd'hui avec la reprise qui succède à l'épidémie de covid. Et nous venons de vivre un épisode particulier avec l'Ocean Viking, notamment de par la complexité des procédures suivies.
« Ce n'est pourtant pas un gros mot que de dire que, comme pour tout État souverain, c'est à nous qu'il revient de décider qui nous accueillons sur notre territoire et qui n'y a pas sa place.
« Pour nous, il y a trois principes à suivre. Tout d'abord, nous voulons une immigration régulière choisie , prioritairement économique et qui trouvera d'autant plus sa place dans notre société qu'elle y contribuera pleinement. Puis, il faut de l'intransigeance dans la lutte contre l'immigration irrégulière . Enfin, l'efficacité de la procédure d'asile doit être accrue. Tels sont les trois piliers sur lesquels doit reposer notre stratégie migratoire. »
Force est de constater que les données relatives à la délivrance de titres de séjour témoignent au contraire d'un défaut de stratégie.
Évolution des primo-délivrances
par
catégorie de titres depuis 2007, en France
métropolitaine
Source : ministère de l'intérieur 8 ( * )
Comme le montre le graphique ci-dessus, l'essentiel des titres de séjour délivrés pour la première fois le sont pour des motifs familiaux ou pour des étudiants . Bien que connaissant un rebond depuis 2020, les titres délivrés pour motif économique représentent toujours une part relativement faible, de l'ordre de 16,4 % du total des titres délivrés en 2022. L'immigration en France demeure une immigration largement familiale . Au surplus, l'immigration économique demeure insuffisamment qualifiée , malgré les efforts entrepris en la matière : les titres dits « passeport talent » n'auraient représenté en 2022 que 22,7 % du total des titres délivrés pour des motifs économiques 9 ( * ) .
Face à une telle situation, l'instauration de « quotas » semble à nouveau constituer un élément de réponse insuffisamment exploré par les pouvoirs publics.
2. La position de la commission : pour une stratégie migratoire actée annuellement par la représentation nationale
Déplorant le défaut de vision d'ensemble de la stratégie migratoire de la France, la commission a souhaité, conformément à une position constante du Sénat 10 ( * ) , permettre au Parlement de déterminer, dans le cadre d'un débat annuel et pour chacune des catégories de séjour à l'exception de l'asile, le nombre d'étrangers admis à s'installer durablement en France. Par l'adoption des amendements identiques COM-202 des rapporteurs et COM-152 de Bruno Retailleau, la commission a donc inséré l'article 1 er A, qui prévoit un triple dispositif.
En premier lieu, le rapport annuel au Parlement sur les orientations pluriannuelles de la politique d'asile, d'immigration et d'intégration, déjà prévu à l'article L. 123-1 du Ceseda 11 ( * ) , serait enrichi en prévoyant qu'il doit inclure, pour les dix années précédentes - et non la seule année civile précédente, comme actuellement prévu - : le nombre des différents visas accordés et celui des demandes rejetées, le nombre d'étrangers admis au titre d'autres formes de rapprochement familial que le seul regroupement familial, le nombre d'étrangers admis aux fins d'immigration de travail, le nombre de mineurs non accompagnés pris en charge par l'aide sociale à l'enfance et les conditions de leur prise en charge, ainsi que le nombre d'acquisitions de la nationalité française pour chacune des procédures.
En deuxième lieu, le dispositif prévoit la tenue d'un débat annuel au Parlement sur les orientations pluriannuelles dessinées par ce rapport, à l'occasion duquel seraient déterminés, compte tenu de l'intérêt national, le nombre des étrangers admis à s'installer durablement en France, pour chacune des catégories de séjour à l'exception de l'asile.
E n matière d'immigration familiale , afin de ne pas encourir le risque d'inconventionalité, au regard des exigences liées au droit à la vie privée et familiale, que poserait un plafond, un tel nombre ne constituerait qu'un objectif .
En dernier lieu et à titre plus subsidiaire, la commission a prévu, conformément à une position constante du Sénat, que ce dernier serait consulté dans le cadre du débat annuel sur les actions conduites par les collectivités territoriales compte tenu de la politique nationale d'immigration et d'intégration.
La commission a adopté l'article 1 er A ainsi rédigé .
Articles 1er B et 1er C
(nouveaux)
Resserrement des conditions ouvrant
le bénéfice
du regroupement familial
Face au flux migratoire que représente l'immigration au titre du regroupement familial, les conditions ouvrant au bénéfice de ce titre peuvent paraître excessivement lâches.
La commission a donc adopté, à l'initiative des rapporteurs, deux amendements portant articles additionnels 1 er B et 1 er C tendant à resserrer ces conditions.
1. Le regroupement familial constitue une part non négligeable de l'immigration familiale
Le regroupement familial constitue un régime particulier d'immigration familiale , encadré au niveau européen par la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, et au niveau national par les articles L. 434-1 à L. 434-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda).
Son bénéfice est subordonné au cumul de plusieurs conditions , portant essentiellement sur le « regroupant », c'est-à-dire la personne séjournant en France qui souhaite être rejointe par son conjoint ou ses enfants :
- une condition de séjour régulier : le regroupant doit séjourner régulièrement en France depuis au moins 18 mois 12 ( * ) ;
- des conditions liées à l'accueil des personnes rejoignant le regroupant : ce dernier doit justifier de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille 13 ( * ) et disposer d'un logement « considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique » ;
- une condition d'intégration : il doit se conformer « aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France » 14 ( * ) .
Un nombre non négligeable d'étrangers est en mesure de réunir ces conditions chaque année.
Évolution de l'immigration familiale depuis 2018
2018 |
2019 |
2020 |
2021
|
|
TOTAL (hors Britanniques) |
91 016 |
90 534 |
76 017 |
86 394 |
1. Famille de Français |
48 747 |
46 957 |
38 472 |
41 801 |
a. Conjoints de Français |
38 314 |
36 906 |
29 423 |
31 396 |
b. Ascendants étrangers et enfants étrangers de Français |
1 358 |
1 561 |
1 185 |
1 102 |
c. Parents de Français |
9 075 |
8 490 |
7 864 |
9 303 |
2. Membres de famille |
26 542 |
28 711 |
23 597 |
29 331 |
a. Regroupement familial |
12 149 |
12 115 |
10 041 |
14 314 |
b. Membre de famille d'un ressortissant de l'UE |
7 173 |
8 294 |
6 800 |
6 170 |
c. Membre de famille de titulaires de titres Compétence et talents, carte bleue européenne, salarié en mission, scientifique chercheur |
2 531 |
3 631 |
2 723 |
4 886 |
d. Conjoint d'étranger en situation régulière |
1 750 |
1 696 |
1 537 |
1 507 |
e. Parents d'enfants scolarisés |
2 939 |
2 975 |
2 496 |
2 454 |
3. Liens personnels et familiaux |
15 727 |
14 866 |
13 948 |
15 262 |
a. Motifs humanitaires |
3 280 |
3 212 |
3 093 |
2 951 |
b. Mineur devenu majeur |
697 |
657 |
645 |
670 |
c. Résidant en France depuis 10 ans ou 15 ans pour les étudiants |
631 |
565 |
444 |
411 |
d. Talent exceptionnel/service rendu
|
7 |
4 |
7 |
24 |
e. Vie privée et familiale |
11 112 |
10 428 |
9 759 |
11 206 |
Source : ministère de l'intérieur, chiffrés clés de l'immigration, 26 janvier 2023
Le nombre de titres délivrés au titre du regroupement familial a donc connu une hausse de 17,8 % entre 2018 et 2021 , bien que ce chiffre puisse partiellement résulter d'un effet de « rattrapage » des arrivées prévues en 2020 n'ayant pu avoir lieu en raison de la crise liée à l'épidémie de covid-19.
2. Resserrer les conditions d'accès à ce titre
La commission a donc souhaité resserrer les conditions d'accès à ce titre, en adoptant deux amendements.
Par l' amendement COM-200, adopté à l'initiative des rapporteurs, la commission s'est attachée en premier lieu à restreindre le bénéfice de ce dispositif, dans les limites du droit européen . Elle a ainsi prévu de porter de 18 à 24 mois la condition de séjour exigée pour qu'un étranger résidant en France puisse formuler une demande de regroupement familial pour l'un de ses proches, conformément à l'article 8 de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial 15 ( * ) .
En deuxième lieu, la commission a souhaité imposer au demandeur de disposer d'une assurance maladie pour lui et sa famille , conformément aux dispositions du b) du 1. de l'article 7 de la directive précitée.
En dernier lieu, faisant usage de l'intégralité des possibilités ouvertes par le droit européen, la commission a entendu ajouter une condition de « régularité » des ressources financières pour pouvoir formuler une demande, les ressources devant pour l'heure uniquement être « stables et suffisantes ».
La commission a également adopté un amendement COM-199 des rapporteurs tendant à prévoir que, dans le cadre du regroupement familial, les personnes bénéficiaires justifient d'un niveau minimal de langue française - une condition étendue par l'article 1 er du projet de loi à l'ensemble des titulaires de cartes de séjour pluriannuelle - dans leur pays d'origine. Ce faisant, la commission a notamment souhaité répondre aux difficultés, notamment évoquées par Didier Leschi, directeur général de l'OFII, lors d'une audition à l'Assemblée nationale le 9 juin 2021 : « je regrette que dans le cadre de l'évolution du contrat d'accueil d'intégration en contrat d'intégration républicaine, on ait supprimé la possibilité de commencer les cours de français dans les pays d'origine. Cette décision a fragilisé un public de femmes qui arrivant en France dans le cadre du regroupement familial sont aspirées par les contraintes domestiques , genrées, et ont moins de temps et d'effort à consacrer à l'apprentissage de la langue 16 ( * ) . »
La maîtrise de la langue française tendant à constituer l'une des mesures d'intégration conditionnant l'octroi d'une carte de séjour pluriannuelle (CSP), à laquelle les bénéficiaires du regroupement familial devront en tout état de cause se conformer au terme de leur première année de séjour en France lorsqu'ils sollicitent celle-ci, la commission a prévu que ces personnes devraient justifier d'un niveau de langue minimal dès avant leur arrivée sur le territoire national .
Comme le prévoit le 2 de l'article 7 de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, les « États membres peuvent exiger des ressortissants de pays tiers qu'ils se conforment aux mesures d'intégration, dans le respect du droit national . » Dans ce cadre, l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Autriche ou encore le Danemark exigent des personnes bénéficiant du regroupement familial qu'elles justifient d'un niveau de langue minimal dès avant leur entrée sur le territoire national .
La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a néanmoins eu une interprétation neutralisante de tels dispositifs. Tout en jugeant que « l'obligation de réussir un examen (...) permet d'assurer l'acquisition par les ressortissants de pays tiers concernés de connaissances qui s'avèrent incontestablement utiles pour établir des liens avec l'État membre d'accueil » et que celle-ci « ne met pas, en elle-même, en péril la réalisation des objectifs poursuivis » par la directive « regroupement familial », elle a ainsi jugé que « les modalités de mise en oeuvre de cette obligation ne doivent pas non plus être de nature à mettre en péril ces objectifs, compte tenu en particulier du niveau des connaissances exigible pour réussir l'examen d'intégration civique, de l'accessibilité aux cours et au matériel nécessaire pour préparer cet examen, du montant des droits applicables aux ressortissants de pays tiers en tant que frais d'inscription pour passer ledit examen ou de la prise en considération de circonstances individuelles particulières, telles que l'âge, l'analphabétisme ou le niveau d'éducation 17 ( * ) . »
Cette position a été complétée par une décision récente de la CJUE relative au droit danois 18 ( * ) , lors de laquelle elle a jugé qu'il « convient de relever, d'une part, que, alors même que l'objectif poursuivi par une législation nationale telle que celle en cause au principal est celui de l'intégration réussie du membre de la famille sollicitant le bénéfice du regroupement familial, une telle législation ne permet aucunement la prise en compte des capacités d'intégration qui lui sont propres, mais repose exclusivement sur la prémisse selon laquelle l'intégration réussie de ce dernier n'est pas suffisamment garantie si le travailleur turc concerné par cette demande de regroupement familial ne remplit pas la condition de réussite portant sur la connaissance de la langue officielle de l'État membre concerné . »
Le présent amendement tend à transposer le dispositif prévu dans ces États au contexte français, tout en en garantissant la conventionalité. Il prévoit ainsi que l'autorisation de séjourner en France au titre du regroupement familial serait délivrée à l'étranger sous réserve qu'il justifie au préalable - donc dans son pays d'origine - d'un niveau de langue, qu'il est proposé de fixer au niveau A1, soit le plus faible du cadre européen commun de référence pour les langues.
Cette justification pourrait être opérée « par tout moyen », ce qui inclurait la réussite d'un examen de langue sans pour autant s'y limiter : un entretien, permettant à l'étranger concerné de faire valoir ses efforts d'apprentissage de la langue française et les capacités d'apprentissage qui lui sont propres, pourrait ainsi satisfaire cette condition. Il appartiendrait au pouvoir réglementaire d'en prévoir les modalités concrètes. Enfin, contrainte par les règles enserrant l'initiative parlementaire, la commission n'a pu adopter un amendement tendant à restaurer le pré-contrat d'accueil et d'intégration (pré-CAI), qui existait jusqu'en 2016, et qui prévoyait la mise à disposition des personnes concernées d'une formation ; une telle disposition créant une charge publique, n'aurait pas été conforme à l'article 40 de la Constitution.
La commission a adopté les articles 1
er
B et
1
er
C
ainsi rédigés
.
Article 1er D
(nouveau)
Contrôle par les communes du respect des conditions de
résidence
et de ressources dans le cadre du regroupement
familial
Afin d'inciter les communes à contrôler plus strictement le respect des conditions de ressources et de logement applicables aux demandes de regroupement familial, la commission a prévu, à l'initiative des rapporteurs, d'une part, que l'avis de la commune soit réputé défavorable lorsqu'elle s'est affranchie de ce contrôle et, d'autre part, que l'Office français de l'immigration et de l'intégration puisse lui demander d'effectuer une visite sur place en cas de soupçon de fraude ou de fausses déclarations.
La commission a adopté l'article 1 er D ainsi rédigé.
La commission des lois a entendu renforcer le contrôle du respect des conditions de ressources et de logement par les étrangers souhaitant bénéficier de la procédure de regroupement familial . Pour rappel, les conditions à remplir sont les suivantes :
- en matière de ressources (article R. 434-4 du Ceseda) : les ressources du demandeur et de son conjoint sont considérées suffisantes lorsqu'elles atteignent un montant équivalent à la moyenne mensuelle du SMIC sur l'année écoulée pour une famille de deux ou trois personnes 19 ( * ) ;
- en matière de logement (article R. 434-5 du Ceseda) : la surface minimale de logement considérée comme normale dépend à la fois de la zone d'habitat et de la taille de la famille. À titre d'exemple, elle est en zones A bis et A de « 22 m² pour un ménage sans enfant ou deux personnes, augmentée de 10 m² par personne jusqu'à huit personnes et de 5 m² par personne supplémentaire au-delà de huit personnes ».
Aux termes de l'article L. 434-10 du Ceseda, la réalisation de ce contrôle échoit au maire de la commune de résidence de l'étranger ou au maire de la commune où il envisage de s'établir. Matériellement, celui-ci procède à un contrôle des pièces justificatives fournies par le demandeur et peut, sous réserve de son accord 20 ( * ) , effectuer une visite sur place de son appartement. En l'absence de transmission d'un avis motivé par le maire à l'OFII dans un délai de deux mois, cet avis est aujourd'hui réputé favorable .
Force est de constater que les communes s'investissent inégalement dans cette mission. Afin de les inciter à s'en emparer pleinement, la commission a adopté un amendement COM-204 des rapporteurs mobilisant deux leviers :
- l'inversion de la règle de présomption actuelle : en prévoyant qu'en l'absence de réponse de la part de la commune dans un délai de deux mois, l'avis soit réputé défavorable ;
- l'octroi à l'OFII de la possibilité de demander une visite sur place en cas de soupçon de fraude ou de fausses déclarations.
La commission a adopté l'article 1 er D ainsi rédigé .
Articles 1er E et
1er F (nouveaux)
Renforcement des conditions d'accès
au titre
dit « étranger malade »
Considérant trop larges les conditions d'éligibilité à l'accès au séjour par le titre dit « étranger malade », la commission a souhaité en resserrer et en clarifier la portée. Elle a adopté à cette fin deux articles additionnels, à l'initiative des rapporteurs et de Stéphane Le Rudulier, tendant à renforcer les critères d'accès et clarifier les conditions d'accès à ce titre.
1. Le titre « étranger malade », une modalité d'accès au séjour spécifique à la France, en voie de resserrement
La procédure d'admission au séjour pour soins est prévue à l'article L. 425-9 et L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda). Elle est ouverte à l'étranger résidant habituellement en France, sous deux conditions cumulatives :
- l'une liée à l'état de santé de l'étranger , qui doit « [nécessiter] une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité » ;
- l'autre liée à l'offre de soins à laquelle l'étranger a accès : en l'état du droit, ce critère est celui de « l'accès effectif aux soins », entendu comme l'incapacité pour l'étranger, « eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire », d'y « bénéficier effectivement d'un traitement approprié ».
Lorsque ces conditions sont remplies, l'étranger concerné se voit délivrer, après avis d'un collège de médecins du service médical de l'OFII 21 ( * ) , une carte de séjour temporaire (CST) « vie privée et familiale ».
La France est l'un des rares pays européens , avec la Belgique 22 ( * ) , à prévoir une telle procédure. Elle tend néanmoins à être resserrée depuis 2007, comme le montre le graphique ci-dessous.
Nombre de titres « étranger
malade » et de titres pour motif
humanitaire
délivrés annuellement depuis 2007
Source : ministère de l'intérieur 23 ( * ) , commission des lois du Sénat
La part des titres « étranger malade » dans le total des titres délivrés pour motif humanitaire est donc passée de 36,7 % en 2007 à 7,5 % en 2021. Une telle évolution s'explique avant tout par la hausse du nombre de titres humanitaires délivrés pour d'autres motifs que les étrangers nécessitant une prise en charge médicale, à l'exemple des réfugiés et apatrides, dont le nombre a particulièrement augmenté à partir de 2015 24 ( * ) . Elle est également due à la réforme de la procédure « étranger malade » à laquelle il a été procédé à partir de 2016 . Gérée par les agences régionales de santé jusqu'à cette date, cette procédure est désormais confiée aux médecins de l'OFII en application de l'article 13 de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.
Cette réforme a permis d'harmoniser à l'échelle nationale les taux d'avis favorable et de diminuer le nombre général de titres délivrés, comme l'avait relevé la Cour des comptes dans son rapport de 2020 sur l'entrée, le séjour et le premier accueil des étrangers en France.
Extraits du rapport public thématique de la Cour
des comptes
relatif à l'entrée, au séjour et au premier
accueil des personnes étrangères, 2020
« Auparavant gérée par les agences régionales de santé, cette procédure est placée sous la responsabilité de l'OFII depuis l'entrée en vigueur de la réforme prévue par la loi du 7 mars 2016, qui visait notamment à en harmoniser le régime au vu de disparités territoriales marquées et à mieux lutter contre les cas de fraudes, que la procédure antérieure n'était pas conçue pour détecter. Le dossier médical du demandeur est désormais examiné collégialement par une équipe de trois médecins, sous la supervision du médecin chef de l'OFII. Ce collège est chargé d'émettre un avis au regard des critères médicaux prévus par le Ceseda. Le préfet conserve la responsabilité d'accorder ou non le titre de séjour au vu de cet avis, mais si ce dernier est favorable, “ il ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée (...) ”.
La baisse importante constatée en 2017, parallèle à la croissance du nombre de refus de premiers titres comme de renouvellements, s'explique par la mise en oeuvre de la réforme, dont une plus grande rigueur faisait partie des objectifs. »
2. Renforcer et clarifier les conditions d'accès au titre dit « étranger malade »
Constatant le caractère exceptionnel de la procédure à l'échelle européenne et souhaitant prolonger le resserrement entamé de la délivrance des titres « étranger malade », la commission a adopté l' amendement COM-201 des rapporteurs portant création de l'article 1 er E du projet de loi, tendant à renforcer les conditions d'admission au séjour en vertu d'un tel titre.
En premier lieu, cet article tend à revenir sur le principal critère ouvrant le bénéfice de ce titre - le défaut d'accès effectif aux soins dans le pays d'origine - pour lui substituer le critère, plus restrictif, ayant prévalu jusqu'en 2016 - l'absence de traitement dans le pays d'origine . Cette dernière condition résulte de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité 25 ( * ) . Le législateur avait alors souhaité revenir sur une jurisprudence de 2010 du Conseil d'État qui imposait à l'autorité administrative « d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine » 26 ( * ) . Jugeant le critère du défaut d'accès effectif aux soins excessivement large, la commission a donc souhaité restaurer le critère de l'absence de traitement dans le pays d'origine 27 ( * ) .
En deuxième lieu, la commission a entendu revenir dans cet article sur le principe même d'une contribution de la solidarité nationale aux soins proposés aux personnes étrangères bénéficiant de ce titre . En effet, il apparait préférable que les systèmes assurantiels, publics ou privés, du pays d'origine prennent en charge le coût de ce soin, qu'il ne revient pas à la solidarité nationale de couvrir. Elle a dès lors prévu que le traitement offert au patient concerné serait opéré à l'exclusion de toute prise en charge par l'assurance maladie . Il reviendrait donc au Gouvernement, par des conventions bilatérales, de déterminer les conditions dans lesquelles les systèmes assurantiels étrangers, publics ou privés, peuvent financer cette prise en charge 28 ( * ) . Le décret en Conseil d'État prévu au deuxième alinéa de l'article L. 425-9 devrait déterminer la procédure par laquelle le coût de la prise en charge médicale est estimé et supporté par toute autre personne que l'assurance maladie.
Enfin, la commission a souhaité autoriser les médecins de l'OFII à demander les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de leur mission aux professionnels de santé qui en disposent sans l'accord de l'étranger . Ce faisant, elle a entendu faciliter l'exercice des missions de ces professionnels, qui exercent déjà dans un cadre collégial, respectueux des conditions déontologiques auxquelles sont soumis les médecins .
Par ailleurs, par l'adoption de l' amendement COM-83 de Stéphane Le Rudulier, la commission a introduit l'article 1 er F afin d'inscrire dans la loi les conditions d'appréciation des c onséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé d'un étranger d'un défaut de prise en charge médicale, l'un des critères pour l'admission au séjour au titre de la procédure « étranger malade ». Ces conséquences sur l'état de santé de l'étranger s'apprécieraient dès lors « compte tenu du risque que le défaut de prise en charge médicale fait peser sur le pronostic vital de l'étranger ou l'altération significative de l'une de ses fonctions importantes, mais également de la probabilité et du délai présumé de survenance de ces conséquences . » Ce faisant, la commission a rehaussé au niveau législatif des dispositions actuellement prévues par arrêté 29 ( * ) .
Il paraît effectivement nécessaire que ces
critères d'appréciation, qui ont un effet sur les conditions
d'accès au séjour de ces personnes,
soient expressément mentionnés dans la loi, sans que cet
ajout
vienne ni
durcir, ni assouplir, mais simplement
préciser les conditions
actuellement prévues.
La commission a adopté les
articles 1
er
E et 1
er
F
ainsi
rédigés
.
Article 1er G
(nouveau)
Contrôle du caractère réel et sérieux
des études
Face à la hausse continue du nombre de titres de séjour délivrés pour des motifs étudiants et compte tenu du risque de détournement de cette voie d'accès au séjour, la commission a renforcé les contrôles applicables en la matière. À l'initiative des rapporteurs, elle a imposé aux bénéficiaires d'une carte de séjour pluriannuelle « étudiants » de confirmer annuellement la validité de leur titre en transmettant à l'administration des documents attestant du caractère réel et sérieux de leurs études.
La commission a adopté l'article 1 er G ainsi rédigé.
Avec plus de 88 000 titres délivrés en 2021 et plus de 108 000 en 2022, l'immigration étudiante est récemment devenue le premier motif d'admission au séjour en France . Il est dès lors impératif de garantir que les titres de séjour « étudiant » ne soient, d'une part, pas détournés de leur finalité par des individus souhaitant séjourner sur le territoire à d'autres fins que le suivi d'un cursus étudiant et, d'autre part, ne viennent alimenter une filière d'immigration clandestine par le maintien sur le territoire des intéressés au-delà de leur expiration . De manière générale, la commission ne peut que regretter l'absence totale de données sur la part des étrangers en situation irrégulière sur le territoire national qui y sont arrivés de manière régulière.
Primo-délivrances de titres de
séjour
pour motifs « étudiants »
(2009-2022)
Source : Commission des lois, à partir des données du ministère de l'intérieur
La commission a considéré que la création d'une carte de séjour pluriannuelle pour des motifs étudiants par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France ne s'était pas accompagnée d'un contrôle suffisant de la réalité et du sérieux des études poursuivies par ses bénéficiaires. En l'état du droit, un étranger titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » doit, certes, attester du « caractère réel et sérieux de ses études » pour obtenir une carte pluriannuelle portant la même mention, mais cet élément ne fait par la suite plus l'objet d'aucun contrôle pendant la période de validité de la carte.
La commission a estimé que cet angle mort pouvait constituer une incitation au maintien irrégulier sur le territoire national . À l'issue de leur première année d'études en France, les intéressés peuvent ainsi se détourner totalement de leur parcours universitaire sans qu'aucune conséquence n'en soit tirée quant à leur droit au séjour. Cette situation confère une forme d'attractivité aux titres de séjour étudiants qui n'a, malheureusement, que peu à voir avec le rayonnement universitaire de la France . S'il est établi que d'autres facteurs rentrent en ligne de compte dans l'augmentation tendancielle du nombre de titres étudiants délivrés ces dernières années, les risques de détournements de cette voie d'accès au séjour invitent néanmoins à la plus grande vigilance .
Afin de garantir que les personnes bénéficiant d'une carte de séjour pluriannuelle « étudiant » ne séjournent pas en France pour d'autres motifs, la commission a donc adopté un amendement COM-205 des rapporteurs modifiant le régime de ce titre de deux manières :
- par la création d'une nouvelle obligation faite aux détenteurs de cette carte de transmettre annuellement à l'administration des éléments attestant du caractère réel et sérieux de leurs études (attestation d'inscription, relevés de notes, etc.), permettant ainsi de confirmer la validité du titre . Afin de ne pas imposer une surcharge de travail aux services des étrangers dans les préfectures, cette transmission pourrait être dématérialisée et le silence de l'administration vaudrait accord. De cette manière, les services des étrangers pourraient s'investir dans ce contrôle en fonction de leurs moyens et concentrer leurs efforts sur les dossiers les plus susceptibles de recouvrir de la fraude ;
- par la création d'un
nouveau motif de
retrait de la carte de séjour pluriannuelle
« étudiant »
à l'encontre des
étrangers ne s'étant pas conformés à l'obligation
décrite ci-dessus. Du reste, le a) du 1 de l'article 21
de la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du
11 mai 2016 autorise les États membres à refuser de
renouveler un titre de
séjour
«
étudiant » lorsque « le
ressortissant du pays tiers séjourne sur le territoire à d'autres
fins que celles pour lesquelles son séjour a été
autorisé
».
La commission a adopté l'article 1 er G ainsi rédigé .
Article 1er H
(nouveau)
Expérimentation de l'instruction « à
360° »
des demandes de titres de séjour
Conformément aux recommandations du rapport de mars 2020 du Conseil d'État relatif à la simplification du contentieux des étrangers et de son rapport d'information de mai 2022 intitulé « Services de l'État et immigration : retrouver sens et efficacité », la commission, à l'initiative des rapporteurs, a souhaité mettre en place une expérimentation, sur le fondement de l'article 37-1 de la Constitution, de l'instruction dite « à 360° » des demandes de titres de séjour. Dans les départements concernés, l'autorité administrative examinera dès la première demande l'ensemble des motifs susceptibles de fonder la délivrance d'un titre de séjour. En contrepartie, la recevabilité de toute nouvelle demande serait subordonnée à la présentation de faits ou d'éléments nouveaux.
Elle a adopté l'article 1 er H ainsi rédigé.
1. L'état du droit : des pratiques d'instruction des demandes de titres de séjour insatisfaisantes
Les pratiques actuelles d'instruction des demandes de titres de séjour sont unanimement décrites comme insatisfaisantes . Dans son rapport de mars 2020 intitulé « 20 propositions pour simplifier le contentieux des étrangers dans l'intérêt de tous », le Conseil d'État insistait ainsi sur le fait que l'autorité administrative n'est tenue d'examiner une demande de titre de séjour qu'au regard des motifs présentés par le demandeur 30 ( * ) et que, en conséquence, celui-ci peut déposer plusieurs demandes successives sur des fondements différents. À titre d'illustration, le Conseil d'État mentionnait notamment le fait qu'« il n'est pas rare qu'un étranger demande d'abord l'asile, puis le réexamen de sa demande si elle est rejetée par l'OFPRA et la CNDA, avant de solliciter un titre de séjour en raison de son état de santé, puis de le faire à nouveau en se prévalant de sa vie privée et familiale, avant de demander son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement des articles L. 313-14 et suivants du Ceseda, ou du pouvoir de régularisation de l'administration ».
Cette instruction par itérations successives n'est satisfaisante pour personne en ce qu'elle rallonge les délais de délivrance de titre pour les demandeurs, alourdit la charge de l'administration et contribue à faire « gonfler » le contentieux des étrangers. La commission des lois avait par la suite renouvelé ce constat dans son rapport de mai 2022 intitulé « Services de l'État et immigration : retrouver sens et efficacité ».
2. Une instruction « à 360° » des demandes de titre de séjour déjà pratiquée de manière informelle et qui a fait l'objet d'une expérimentation a minima
Dans le prolongement des recommandations du Conseil d'État, la commission avait plaidé dans son rapport précité pour une refonte des pratiques d'instruction, à travers la mise en place d'une expérimentation de l'examen dit « à 360° » des demandes de titres de séjour . Au coeur de cette proposition, se trouve l'idée d'examiner le droit au séjour d'un étranger plutôt que son droit à un titre de séjour en particulier . Concrètement, il s'agit d'examiner dès la première demande l'ensemble des motifs susceptibles de fonder la délivrance d'un titre de séjour. En contrepartie, la recevabilité de toute nouvelle demande serait subordonnée à la présentation de faits ou d'éléments nouveaux.
L'ensemble des acteurs ont potentiellement à gagner à ce changement de paradigme dans l'examen des demandes de titre de séjour . Les demandeurs seraient fixés plus rapidement sur leur droit au séjour, tandis que l'administration comme le juge n'auraient plus à multiplier les décisions sur l'accès au séjour d'un même étranger.
Du reste, l'instruction « à 360° » est déjà pratiquée par certaines préfectures . Néanmoins, cette pratique demeure informelle et sa portée limitée : elle repose sur le volontarisme d'agents et n'a d'autres conséquences que de diriger le demandeur vers le dépôt d'une nouvelle demande fondé sur un autre motif a priori plus adéquat. En outre, l'instruction « à 360° » a déjà fait l'objet d'une expérimentation dans le département du Maine-et-Loire , où une délégation de la commission des lois s'était rendue. En l'absence de base légale ad hoc , la portée de cette expérimentation était toutefois structurellement limitée puisqu'elle n'empêchait en rien le dépôt d'une nouvelle demande sur un autre motif en cas de refus. Elle ne portait par ailleurs que sur certaines catégories de titres de séjour.
3. La position de la commission : s'engager pleinement dans l'expérimentation
Par l'adoption de deux amendements identiques des rapporteurs ( COM-203 ) et d'André Reichardt ( COM-38 ), la commission a adopté la mise en place d'une expérimentation, sur le fondement de l'article 37-1 de la Constitution, de l'instruction dite « à 360° » des demandes de titres de séjour.
Celle-ci se tiendrait dans cinq à dix départements pour une durée maximale de trois ans. Pour permettre l'instruction transversale de son dossier, le demandeur aurait l'obligation de fournir à l'administration l'ensemble des documents nécessaires à la prise d'une décision sur son droit au séjour 31 ( * ) . À l'issue de l'examen de sa demande, il pourrait se voir délivrer, sous réserve de son accord, un autre titre de séjour que celui qui faisait l'objet de sa demande initiale.
En contrepartie, la recevabilité de toute nouvelle demande serait subordonnée à la présentation d'éléments et de fait nouveaux ou dont il est établi qu'il ne pouvait en avoir connaissance au moment de sa demande. Par ailleurs, la commission a explicitement précisé que ces éléments nouveaux ne sauraient procéder du seul écoulement du temps . C'est pourquoi le dispositif prévoit que « l'administration examine toute nouvelle demande en prenant en compte la durée de résidence sur le territoire national et l'ancienneté professionnelle de l'étranger à la date de l'introduction de la première demande ».
Afin que cette expérimentation ne se traduise pas par une surcharge de travail pour les services des étrangers et conformément aux préconisations du rapport d'information précité, l'instruction « à 360° » ne serait néanmoins activée que dans les cas où l'administration s'oriente vers une décision de rejet de la demande de titre.
La commission s'est par ailleurs réjouie du consensus autour de l'idée d'une instruction « à 360° » des demandes de titre de séjour, puisque le ministre de l'intérieur et des outre-mer s'est dit favorable à l'introduction du dispositif dans le projet de loi lors de son audition par la commission des lois le 28 février 2023 32 ( * ) .
La commission a adopté l'article 1 er H ainsi rédigé .
Article 1er I
(nouveau)
Transformation de l'aide médicale d'État
en aide
médicale d'urgence
Reprenant une position constante du Sénat, la commission a souhaité opérer une réforme structurelle de l'aide médicale d'État. Elle lui a substitué, à l'initiative de Françoise Dumont, une « aide médicale d'urgence » recentrée sur la prise en charge de quatre catégories de soins déterminées.
La commission des lois a adopté l'article 1 er I ainsi rédigé .
L'aide médicale d'État (AME) est un dispositif visant à garantir un accès aux soins aux étrangers en situation irrégulière . Son régime est principalement fixé par chapitres I à III du titre V du livre II du code de l'action sociale et des familles qui autorisent son attribution dès lors que deux conditions de ressources et de résidence sont remplies. Cette deuxième condition est satisfaite lorsque l'étranger réside en France de manière irrégulière et ininterrompue depuis au moins trois mois. Le titulaire de l'AME bénéficie, pour une durée d'un an renouvelable, d'une prise en charge à 100 % de ses frais médicaux et hospitaliers, dans la limite des tarifs de la sécurité sociale.
Le nombre de bénéficiaires de l'AME tend à augmenter sur la période récente, de même que le budget qui lui est consacré . Plus de 380 000 personnes bénéficiaient ainsi de cette prise en charge en fin d'année 2021, contre 318 000 trois ans plus tôt. De la même manière, la dotation de l'AME s'élève à plus de 1,2 milliard d'euros au PLF pour 2023 -en augmentation de 12,4 %-, alors que le montant qui lui était consacré était encore légèrement supérieur à 500 millions d'euros en 2009 ( voir tableau ci-après ).
Source : commission des finances (données de la CNAM et calculs de la DSS).
Afin d'éviter des détournements et de renforcer la lutte contre la fraude, les conditions d'éligibilité à l'AME ont été légèrement durcies par l'article 264 de la loi de finances pour 2020 .
Premièrement, l'ouverture des droits à l'AME a été conditionnée à une résidence irrégulière pendant l'ensemble des trois mois précédant la demande et non plus simplement au jour de son introduction. Deuxièmement, la demande doit désormais être déposée physiquement auprès de la caisse primaire d'assurance maladie compétente ou, par exception, par l'intermédiaire d'un établissement de santé dans lequel le demandeur ou un membre du foyer est pris en charge. Troisièmement, un délai de carence de neuf mois a été introduit pour la prise en charge de certaines prestations programmées et ne revêtant pas un caractère d'urgence.
À l'évidence, ces dispositions paramétriques n'ont pas rencontré le succès escompté et n'ont permis ni de lutter plus efficacement contre la fraude ni de freiner l'augmentation tendancielle des dépenses d'AME . Le rapport spécial de la commission des finances du Sénat sur les crédits de la mission « Santé » inscrite au projet de loi de finances pour 2023 n'arrive pas à une conclusion différente. Le rapporteur Christian Klinger y relève que « l'effet de ces différentes mesures, dont l'entrée en vigueur a été en partie perturbée par la crise sanitaire, n'a pas véritablement été mesuré, les années 2020 et 2021 présentant en outre un caractère atypique. Il apparaît néanmoins très limité au regard de la tendance à la progression continue des dépenses d'AME ». Du reste, le champ des soins pris en charge est significativement plus étendu que chez la plupart de nos voisins européens . En règle générale, seuls les soins urgents, liés à la maternité et aux mineurs ainsi que les dispositifs de soins préventifs sont concernés.
Dans ce contexte, le Sénat défend de longue date la mise en place d'une réforme structurelle de l'AME . C'est l'objet de l' amendement COM-3 de Françoise Dumont adopté par la commission. Ce dernier substitue à l'AME une nouvelle « aide médicale d'urgence » recentrée sur la prise en charge de la prophylaxie et du traitement des maladies graves et des douleurs aiguës, des soins liés à la grossesse, des vaccinations réglementaires et des examens de médecine préventive.
Un dispositif similaire a été adopté à plusieurs reprises par le Sénat, à l'initiative de Roger Karoutchi lors de l'examen en 2018 de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie ou, plus récemment 33 ( * ) , de Christian Klinger lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023 34 ( * ) .
La commission a adopté l'article 1 er I ainsi rédigé .
Article 1er J
(nouveau)
Exclusion des étrangers en situation
irrégulière des réductions tarifaires
accordées
par les autorités de transport
L'article 1 er J issu d'un amendement de Philippe Tabarot tend à prévoir une condition de régularité pour bénéficier des tarifs de solidarité dans les transports.
La commission a adopté l'article 1 er J ainsi rédigé.
L'article L. 1113-1 du code des transports prévoit l'obligation pour les autorités organisatrices de transport de prévoir une réduction tarifaire d'au moins 50 % sur leurs titres de transport ou une aide équivalente pour les personnes dont les ressources sont égales ou inférieures au plafond de ressources permettant l'accès à la complémentaire santé universelle (soit 767 euros de revenus par mois pour une personne seule depuis avril 2022).
Les étrangers en situation irrégulière, bénéficiaires de l'aide médicale d'État remplissent cette condition de revenus et sont donc éligibles à cette tarification.
Comme l'indique l'exposé des motifs de l'amendement de Philippe Tabarot, une délibération contraire du Syndicat des transports d'Île-de-France (Stif, établissement public local aujourd'hui devenu Île-de-France Mobilités) du 17 février 2016, a été annulée par la juridiction administrative. Dans son jugement du 25 janvier 2018 35 ( * ) , le Tribunal administratif de Paris a considéré que : « les dispositions de l'article L. 1113-1 du code des transports ne subordonnent le bénéfice de la réduction tarifaire dans les transports qu'à la seule condition de disposer de ressources égales ou inférieures au plafond prévu par l'article L. 861-1 du code de la sécurité sociale ; qu'elles ne posent pas de conditions supplémentaires selon lesquelles le bénéfice de cette réduction tarifaire serait, en ce qui concerne les ressortissants étrangers, réservé aux personnes en situation régulière bénéficiant de la couverture maladie universelle complémentaire » et « qu'ainsi, en excluant de la réduction tarifaire les étrangers en situation irrégulière bénéficiant de l'aide médicale d'Etat, le STIF a commis une erreur de droit ».
Le présent article tend donc à compléter l'article L. 1113-1 en prévoyant une condition de régularité pour accéder au tarif de solidarité.
Considérant que le bénéfice des dispositifs de solidarité doit d'abord bénéficier à ceux dont le séjour en France est régulier, la commission a adopté l'amendement COM-141.
La commission a adopté l'article 1 er J ainsi rédigé .
* 8 Chiffres clés de l'immigration, 26 janvier 2023. Données hors Britanniques.
* 9 Donnée obtenue en rapportant les 11 946 titres « passeport talent » (à l'exclusion des familiaux) délivrés aux 52 570 titres primo-délivrés hors Britanniques en 2022 pour des motifs économiques, selon une estimation du ministère de l'intérieur.
* 10 Les amendements adoptés et décrits ci-dessous l'avaient déjà été lors de l'examen du projet de loi relatif au droit des étrangers en France en 2016 (amendement de séance n° 1 rectifié quater de Roger Karoutchi) et lors de l'examen du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie en 2018 (amendement COM-216 rectifié de Roger Karoutchi, devenu l'article 1 er A du texte de commission).
* 11 La commission a relevé qu'il est d'ailleurs particulièrement problématique qu'un tel rapport n'ait pas été remis au Parlement l'année dernière avant le 1er octobre, comme il est pourtant prévu par la loi.
* 12 Article L. 434-2 du Ceseda.
* 13 L'article R. 434-4 du Ceseda prévoit que cette condition de ressource est satisfaite lorsque la personne perçoit sur les douze derniers mois : la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance (SMIC) pour une famille de deux ou trois personnes ; cette moyenne majorée d'un dixième pour une famille de quatre ou cinq personnes ; cette moyenne majorée d'un cinquième pour une famille de six personnes ou plus.
* 14 Article L. 434-7 du Ceseda.
* 15 Le délai de traitement du dossier de la personne concernée ne saurait allonger par trop un tel délai.
* 16 Compte rendu n° 7 du mercredi 9 juin 2021, séance de 15 heures, audition de Didier Leschi devant la commission d'enquête sur les sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France.
* 17 CJUE, 4 juin 2015, P et S contre Commissie Sociale Zekerheid Breda et College van Burgemeester en Wethouders van de gemeente Amstelveen, C-579/13.
* 18 CJUE, Udlændingenævnet, C-279/21, 22 décembre 2022.
* 19 Ladite moyenne est majorée d'un dixième pour une famille de quatre ou cinq personnes et d'un cinquième pour une famille de six personnes ou plus.
* 20 En cas de refus, les conditions de logement sont réputées non remplies (article R. 434-19 du Ceseda).
* 21 Cet avis lie partiellement la compétence de l'autorité administrative, en ce qu'il contraint cette dernière, s'il est positif, à motiver son refus. Le quatrième alinéa de l'article L. 425-9 du Ceseda prévoit en effet que si « le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée ».
* 22 Comme le rappelle la Cour des comptes dans son rapport de 2020 ; voir Cour des comptes, « L'entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères », rapport public thématique, p. 111, consultable à l'adresse suivante : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lentree-le-sejour-et-le-premier-accueil-des-personnes-etrangeres .
* 23 « La délivrance de premiers titres de séjour (métropole ) », chiffres clés de l'immigration, 26 janvier 2023, consultable à l'adresse suivante : https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Les-chiffres-2022-publication-annuelle-parue-le-26-janvier-2023 .
* 24 Le nombre annuel de primo-délivrances de titres pour des réfugiés est ainsi passée d'environ 10 000 jusqu'en 2014, avant de passer à 13 656 en 2015 puis connaître un premier plafond en 2017 à 21 429 en 2017, une évolution notamment due au contexte géopolitique de l'époque.
* 25 Article 40 de ladite loi.
* 26 Conseil d'État, 7 avril 2010, Ministre de l'immigration c/ Mme Diallo, n° 316625.
* 27 Une telle évolution ne paraîtrait pas poser de difficulté au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) en la matière, en particulier les arrêts de grande chambre Paposhvili c. Belgique de 2016 et Savran c. Danemark de 2021, le refus d'un titre « étranger malade » n'impliquant pas, à lui seul, l'irrégularité du séjour et la prise à l'endroit de l'intéressé d'une décision d'éloignement.
* 28 La France est déjà liée par de telles conventions à une quarantaine d'États, comme le rappelle le centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS) : https://www.cleiss.fr/docs/textes/index.html .
* 29 Article 4 de l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de leurs missions, prévues à l'article L. 313-11 (11°) du Ceseda.
* 30 Conseil d'État, avis, 28 novembre 2007, Mme A., n° 307036.
* 31 L'admission au séjour au titre de l'asile et de la procédure dite « étranger malade » est néanmoins exclue de l'expérimentation du fait des spécifiques propres à chacune de ces procédures.
*
32
Le compte rendu de l'audition est disponible à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230227/lois.html#toc2
* 33 Amendement COM-218.
* 34 Amendement n° II 25.
* 35 TA Paris, 25 janvier 2018, n° 1605926-1605956