II. UNE CONDAMNATION UNANIME (OU PRESQUE) DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE
L'Iran figure parmi les pays les plus sanctionnés au monde depuis 40 ans et l'embargo des États-Unis en 1980, à la suite de la prise d'otages à l'ambassade américaine de Téhéran.
Depuis lors, le pays a en effet fait l'objet de plusieurs trains de sanctions internationales, dont le dernier - pour violation des droits de l'Homme - lié à la répression des autorités iraniennes après la mort de Mahsa Amini . Dans le concert unanime de condamnations face à cette répression, la Chine et la Russie font toutefois exception, préférant - pour des raisons politiques et économiques - ne pas s'immiscer dans les affaires iraniennes.
A. DE NOMBREUSES SANCTIONS PRISES PAR LES PAYS OCCIDENTAUX
1. Quatre trains de sanctions adoptés par l'Union européenne en matière de violation des droits de l'Homme ...
L'Union européenne a adopté, depuis le début de la répression, quatre paquets de sanctions 2 ( * ) visant des personnes et entités, en raison de leur rôle joué dans cette répression . Ainsi, depuis le 17 octobre 2022 - date du premier paquet de sanctions -, 78 personnes et 27 entités ont été ajoutées à la liste des personnes et entités faisant l'objet de mesures restrictives dans le cadre du régime existant de sanctions en matière de droits de l'Homme à l'encontre de l'Iran 3 ( * ) . Ainsi depuis 2011, 164 personnes et 31 entités au total ont été inscrites sur cette liste .
Il semblerait d'ailleurs que le prochain Conseil Affaires étrangères du 20 février prévoie d'élargir cette liste des personnes et entités faisant l'objet de mesures restrictives.
Ces mesures consistent en un gel des avoirs , une interdiction de pénétrer sur le territoire de l'Union européenne et une interdiction de mettre des fonds ou des ressources économiques à la disposition des personnes et entités inscrites sur la liste. Une interdiction des exportations vers l'Iran d' équipements susceptibles d'être utilisés à des fins de répression interne ainsi que d'équipements de surveillance des télécommunications s'applique également.
Exemples de personnes et entités visées par les mesures restrictives adoptées par l'Union européenne (UE)
Parmi les 78 personnes et 27 entités désignées depuis la répression figurent notamment les responsables du décès de Mahsa Amini: la police des moeurs iranienne , des membres des forces de l'ordre iraniennes et des membres de haut rang du Corps des gardiens de la révolution islamique (IRGC), ainsi que des membres de l'armée iranienne , pour le rôle qu'ils ont joué dans la répression brutale des récentes manifestations. L'UE a en outre inscrit sur la liste le chef de la police iranienne chargée de la cybercriminalité , pour sa responsabilité dans l'arrestation arbitraire de personnes ayant exprimé en ligne des critiques à l'égard du régime iranien. L'UE a également désigné le ministre iranien de l'intérieur , qui est responsable des forces de l'ordre iraniennes, lesquelles ont commis de graves violations des droits de l'homme. L'UE a aussi sanctionné le ministre iranien des sports et de la jeunesse pour les pressions exercées sur les athlètes.
De surcroît, l'UE a inscrit sur la liste le ministre iranien des technologies de l'information et de la communication , en raison de sa responsabilité dans la fermeture de l'internet. L'UE a désigné, par ailleurs, la société publique de télévision iranienne Press TV / Radio-télévision de la République islamique d'Iran (IRIB), responsable de la production et de la diffusion d'aveux forcés des otages français Cécile Kohler et Jacques Paris.
À ces sanctions se sont ajoutées de nombreuses condamnations de la France et des institutions européennes appelant à la cessation de la répression.
Le Conseil Affaires étrangères de l'Union européenne a adopté le 12 décembre 2022 des conclusions substantielles sur l'Iran établissant un cadre d'action commun . Dans ses conclusions, l'Union européenne s'est opposée à la répression violente des manifestations, à la poursuite du programme nucléaire et balistique iranien en violation de l'accord sur le nucléaire et de la résolution 2231 du Conseil de sécurité des Nations unies 4 ( * ) , aux actions de déstabilisation régionale et internationale y compris les transferts de drones à la Russie, ainsi qu'à la multiplication des actes hostiles des autorités iraniennes à l'égard des pays européens ces dernières semaines.
Le 15 décembre 2022, face à l'escalade de la violence et à la situation des droits de l'Homme en Iran, le Conseil européen a également condamné les condamnations à mort prononcées et a demandé aux autorités iraniennes de mettre immédiatement fin à cette pratique.
Sanctions de l'UE à l'encontre de l'Iran au titre de la livraison d'armes en Ukraine et des activités de prolifération nucléaire
Outre ces sanctions prises au titre de graves violations des droits de l'Homme, le Conseil de l'Union européenne a également adopté deux paquets de sanctions, les 20 octobre et 12 décembre 2022, au titre du rôle de l'Iran dans la mise au point et la livraison de drones utilisés par la Russie dans sa guerre contre l'Ukraine. Il a ainsi ajouté 7 personnes et 5 entités à la liste des individus et entités faisant l'objet de mesures restrictives au motif qu'elles compromettent ou menacent l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine.
Ces personnes et entités désignées font également l'objet d'un gel des avoirs et il est interdit aux citoyens et aux entreprises de l'UE de mettre des fonds à leur disposition. Les personnes physiques sont en outre frappées d'une interdiction de voyager qui les empêche d'entrer sur le territoire de l'UE ou de transiter par celui-ci.
S'agissant des sanctions visant les activités iraniennes de prolifération nucléaire , l'accord sur le nucléaire (JCPOA) - conclu le 14 juillet 2015 5 ( * ) et destiné à garantir la nature exclusivement pacifique du programme nucléaire iranien - prévoyait une levée générale de toutes les sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies, de l'UE et des États-Unis liées au programme nucléaire de l'Iran après la mise en oeuvre d'une série de mesures arrêtées en commun.
Le 16 janvier 2016 , après que l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a confirmé que l'Iran avait mis en oeuvre les mesures relatives au nucléaire , la plupart des sanctions de l'UE et des Nations unies ont été levées . L'UE a levé toutes les sanctions économiques et financières liées au nucléaire. Toutefois, certaines restrictions sont restées en vigueur, y compris des restrictions au transfert de biens posant un risque de prolifération, les embargos sur les armes et les missiles balistiques et les mesures restrictives à l'encontre de certaines des personnes et entités inscrites sur la liste.
Il était prévu que 8 ans après la date d'adoption, ou à la date de présentation par l'AIEA d'un rapport concluant que toutes les matières nucléaires se trouvant en Iran sont utilisées à des fins pacifiques, l'UE lèverait les sanctions liées à la prolifération .
Or, le retrait unilatéral de l'accord des États-Unis en 2018 a bouleversé la mise en oeuvre de l'accord , puisque l'administration américaine a décidé de réimposer toutes les sanctions qui avaient été levées dans le cadre du JCPOA. L'extraterritorialité des sanctions américaines a conduit de nombreuses entreprises européennes à se retirer du marché iranien 6 ( * ) . La France, l'Allemagne et le Royaume-Uni ont ainsi mis en place, début 2019, un système censé leur permettre de continuer de commercer avec l'Iran, via la société INSTEX 7 ( * ) , basée à Paris. Cet outil - devant d'abord être utilisé dans les secteurs pharmaceutique et alimentaire - a mis du temps à se mettre en place : il a été utilisé pour la première fois, en mars 2020, pour du matériel médical. S'agissant des sanctions, l'Union européenne a continué de respecter l'accord et n'a pas ré-imposé les sanctions qui avaient été levées. Mais certaines restrictions, comme indiqué supra , sont restées en vigueur.
La France a également condamné publiquement la situation en Iran , avec une quinzaine de déclarations publiques du ministère des affaires étrangères, et la convocation à plusieurs reprises du chargé d'affaires iranien par la ministre des affaires étrangères.
2. ...en coordination avec les sanctions prises notamment par les États-Unis et le Royaume-Uni
Ces paquets de sanctions ont été adoptés par l'Union européenne en coordination avec les autres pays occidentaux, au premier rang desquels les États-Unis et le Royaume-Uni , qui ont aussi décidé, dès le 22 septembre 2022 pour l'un, et le 10 octobre 2022 pour le second, un certain nombre de mesures restrictives à l'égard des responsables iraniens.
Le Royaume-Uni a notamment renforcé son train de sanctions à la suite de l'exécution, le 14 janvier dernier, de son ressortissant irano-britannique Alireza Akbari, ancien haut responsable au ministère de la Défense iranien, accusé d'espionnage au profit du Royaume-Uni. Le 23 janvier dernier - date également d'adoption par l'UE du dernier paquet de sanctions, le Royaume-Uni a ciblé des responsables des services de sécurité et le procureur général adjoint , portant à cinquante le nombre d'Iraniens sous mesures restrictives. De même, les États-Unis ont imposé de nouvelles sanctions, le même jour , à 10 responsables iraniens, liés à la répression en cours.
3. ... et avec l'action des Nations-Unis, qui a exclu l'Iran de la commission sur le statut de la femme
La France et les pays occidentaux poursuivent également la pression sur les autorités iraniennes dans les enceintes internationales . Après la mise en place fin novembre 2022 par le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies d'une mission d'établissement des faits - dont le rapport est attendu pour juin-, l'Iran a été exclu de la commission sur le statut de la femme à New-York par un vote à une large majorité, le 14 décembre dernier.
La Chine et la Russie : des voix dissonantes dans le concert unanime de condamnations
La répression des autorités iraniennes a ainsi fait l'objet d'une condamnation unanime, ou presque puisque la Chine et la Russie ont décidé de ne pas prendre de sanctions envers les autorités iraniennes , adoptant ainsi une attitude de non-ingérence dans les affaires du pays.
Cette absence de réaction s'explique par des raisons politiques, économiques et stratégiques assez claires . La Chine est, en effet, le premier partenaire commercial de l'Iran, et un des plus gros importateurs du pétrole iranien. Les deux pays ont signé en 2021 un accord de coopération sur 25 ans. Quant à Moscou et Téhéran, leur rapprochement se manifeste notamment par un soutien en armement iranien à la Russie.
En réaction à ces sanctions internationales, les autorités iraniennes ont annoncé des mesures de représailles , visant un certain nombre de personnes et d'entités, parmi lesquelles Charlie Hebdo, des parlementaires européens, ou des personnalités françaises comme Bernard Kouchner, Anne Hidalgo et Bernard-Henri Levy. Elles ont également annoncé la fermeture de l'Institut de Recherche en Iran (IRI) de Téhéran . L'ambassadeur de France à Téhéran a également été convoqué à cinq reprises par les autorités iraniennes.
* 2 Ces paquets de sanctions ont été adoptés par le Conseil Affaires étrangères les 17 octobre 2022, 14 novembre 2022, 12 décembre 2022 et 23 janvier 2023.
* 3 Règlement (UE) n° 359/2011 du Conseil concernant des mesures restrictives à l'encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de la situation en Iran et décision 2011/235/PESC du Conseil du 12 avril 2011 concernant des mesures restrictives à l'encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Iran.
* 4 Résolution 2231 (2015) du 20 juillet 2015 du Conseil de sécurité des Nations unies sur le programme nucléaire iranien.
* 5 L'accord nucléaire ( Joint Comprehensive Plan of Action ou Plan d'action global commun)) a été conclu le 14 juillet 2015 entre trois États membres de l'Union européenne (E3/UE) - Royaume-Uni, Allemagne, France -, plus la Chine, la Russie, les États-Unis, d'une part, et l'Iran, d'autre part, avec l'aide du Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Il a été approuvé à l'unanimité par la résolution 2231 du Conseil de sécurité le 20 juillet 2015.
* 6 Cf. Résolution du Sénat n° 22 sur l'extraterritorialité des sanctions américaines du 12 novembre 2018.
* 7 Instrument in support of trade exchanges.