II. UNE CONTRACTION DES CRÉDITS D'IMPÔTS AUX ENTREPRISES MARQUÉE PAR L'EXTINCTION DU CICE TRANSFORMÉ EN BAISSE DE COTISATIONS PÉRENNES

Les crédits de l'action 2 « remboursements et dégrèvements liés à des politiques publiques» enregistrent une baisse de 21,2 % entre la LFI 2022 et le PLF 2023 soit 5 milliards d'euros en raison de la baisse des remboursements et dégrèvements d'impôt sur les sociétés (sous action 12-03).

Les autres sous actions sont relativement stables à l'exception :

- de la contribution à l'audiovisuel public qui disparait ;

- du crédit d'impôt contemporain qui enregistre une hausse de 126,6 % passant de 1,1 milliard à 2,5 milliards d'euros.

A. UNE BAISSE NOTABLE EN RAISON DE LA SUPPRESSION DU CICE MAIS LA POURSUITE DE LA HAUSSE DU CIR

La baisse de 47 % des remboursements d'impôt sur les sociétés (sous action 12-03), qui passent de 12,4 milliards d'euros en LFI 2022 à 6,6 milliards d'euros en PLF 2023, est principalement due à la suppression du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et à l'extinction des créances relatives à ce crédit d'impôt.

1. La suppression du CICE en 2019 se caractérise par l'extinction des remboursements et dégrèvements à ce titre en 2023

En effet, le CICE a été abrogé par la loi de finances pour 2018 13 ( * ) avec effet au 1 er janvier 2019. Mis en place en 2013 14 ( * ) , il permettait à une entreprise d'obtenir un crédit d'IS équivalent à un pourcentage de sa masse salariale, hors rémunérations supérieures à 2,5 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC).

Ce pourcentage fixé à 4 % en 2013 est ensuite passé à 6 % de 2014 à 2016, à 7 % en 2017 et, à nouveau, à 6 % en 2018.

Depuis le 1 er janvier 2019, il a été transformé en un allègement pérenne de cotisations sociales, excepté à Mayotte où il est toujours en vigueur. Cependant, les entreprises qui détiennent une créance au titre du CICE peuvent continuer à s'en servir pour le paiement de leur IS pendant quatre ans.

En conséquence, l'année 2022 était la dernière année au cours de laquelle des restitutions d'IS en lien avec le CICE, au titre de l'année 2018, étaient susceptibles d'être inscrites sur les crédits du programme 200 (sauf pour les entreprises domiciliées à Mayotte).

2. Une tendance à la hausse du CIR qui se poursuit malgré la suppression de la règle du doublement des dépenses sous-traitées à des organismes publics

Le coût du crédit d'impôt recherche (CIR), en dépit de variations conjoncturelles, est en forte hausse depuis la réforme de 2008. Alors qu'en 2009, il s'établissait à 4,5 milliards d'euros pour un peu plus de 14 000 dossiers, il devrait représenter, en 2022, 7 milliards d'euros 15 ( * ) pour plus de 21 000 entreprises et 7,1 milliards en 2023.

En 2021, l'exécution s'est établie à 6,4 milliards d'euros.

Comme l'illustre le graphique ci-dessous, l'augmentation du coût du dispositif (crédits prévue en LFI) est de 21,7 % entre 2014 et 2023.

Évolution du coût du crédit d'impôt pour la recherche depuis 2014

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Les remboursements au titre du crédit d'impôt recherche

En application de l'article 199 ter B du code général des impôts, les entreprises imputent leurs créances de CIR sur leur impôt sur les sociétés de l'année N+1 .

Si, après prise en compte de cette créance, elles sont toujours déficitaires, elles pourront mobiliser à nouveau cette créance pour payer leur impôt en année N+2 et N+3 , sans donner lieu à une restitution de la part de l'administration fiscale. Le reliquat de créance qui n'aura pas été utilisé en N+4 pourra ainsi donner lieu à une restitution.

Plusieurs types d'entreprises peuvent demander le remboursement immédiat des dépenses éligibles au CIR :

- les petites et moyennes entreprises au sens du droit européen 16 ( * ) ;

- les entreprises nouvelles durant les cinq années suivant leur création ;

- les entreprises ayant fait l'objet d'une procédure de conciliation ou de sauvegarde, d'un redressement ou d'une liquidation judiciaires ;

- les jeunes entreprises innovantes.

Source : article 199 ter B du code général des impôts

Cette tendance haussière continue malgré la suppression par la loi de finances pour 2021 du doublement des dépenses sous-traitées à des organismes publics 17 ( * ) en matière de CIR à compter du 1 er janvier 2022.

En remplacement de cette règle, la loi de finances pour 2022 crée un nouveau crédit d'impôt en faveur de la recherche collaborative, codifié à l'article 244 quater B bis du CGI. Ce crédit d'impôt s'applique aux dépenses facturées par des organismes de recherche et de diffusion des connaissances (ORDC) dans le cadre d'un contrat de collaboration conclu entre le 1 er janvier 2022 et le 31 décembre 2025. Ces dépenses sont retenues dans la limite globale de 6 millions d'euros par an et le taux du crédit d'impôt est de 40 % (ou 50 % pour les PME). En 2023, ce crédit d'impôt est estimé à 150 millions d'euros (le même coût que celui représenté préalablement par la règle du doublement).

A cet égard, il est important de souligner que les entreprises ne peuvent pas, au titre des mêmes dépenses, bénéficier à la fois du crédit d'impôt en faveur de la recherche collaborative et du CIR.

3. Le dispositif le plus généreux au monde
a) La réforme de 2008 a considérablement renforcé le CIR

Créé en 1983, le CIR avait initialement pour objet d'apporter un soutien proportionnel à la croissance de la recherche et développement des entreprises. Depuis la réforme de 2004, le montant du CIR est calculé proportionnellement au montant de l'ensemble des dépenses de recherche et développement éligibles engagées et non plus sur la base des dépenses nouvelles réalisées par les entreprises .

La principale réforme du CIR a été portée par la loi de finances initiale pour 2008 et a consisté à porter le crédit d'impôt à 30 % des dépenses de recherche et développement en deçà de 100 millions d'euros et à 5 % au-delà. Entre 2007 et 2008, l'effort financier en faveur de la recherche privée est ainsi passé de 1,7 milliard d'euros à 4,1 milliards d'euros. Le taux était, de surcroit, doublé lorsque la recherche était confiée par l'entreprise à un organisme public de recherche ou qu'elle correspondait à l'embauche d'un jeune docteur 18 ( * ) . Comme le souligne l'OCDE dans son rapport examinant les politiques d'innovation de la France en 2014 : « suite à la réforme de 2008, le coût pour le budget de l'État a explosé » 19 ( * ) .

b) La France au premier rang des pays de l'OCDE en matière d'aides publiques à la recherche privée

Aides gouvernementales et fiscales à la recherche et développement
des entreprises dans les pays de l'OCDE

(en points de PIB)

Source : avis de la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation (CnepiI) sur le crédit impôt recherche, juin 2021

Le coût du CIR est aujourd'hui proche de 7 milliards d'euros, ce qui place la France au premier rang des pays de l'OCDE en matière de dépenses fiscales de soutien à la recherche privée . Dans le graphique réalisé par la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation (Cnepi) en juin 2021, la générosité du dispositif français au regard des autres États apparait ainsi très nettement.

4. Alors que les effets du CIR ne sont pas démontrés pour les grandes entreprises, une réforme du dispositif doit pouvoir être envisagée
a) Le CIR bénéficie en premier lieu aux grandes entreprises

Le bénéfice du CIR est aujourd'hui particulièrement concentré sur les grandes entreprises. En particulier, les cinquante premières entreprises bénéficiaires du CIR concentrent à elles seules près de 45 % du bénéfice du dispositif, tandis que les 200 premières entreprises représentent près des deux tiers du coût total. La concentration des montants du CIR s'explique par le volume de dépense de R&D engagé par certaines entreprises. Aussi, 28 groupes déclarent le tiers des dépenses de R&D et bénéficient de 27 % de créances de CIR.

Répartition du coût total du CIR en fonction du classement
des entreprises dans le bénéfice du dispositif

(en points de pourcentage)

Source : avis de la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation (CnepiI) sur le crédit impôt recherche, juin 2021

Les petites et moyennes entreprises (PME), représentent 80 % des bénéficiaires mais seulement 27 % des montants de CIR.

b) Si les effets du CIR peuvent être mesurés pour les PME, ses conséquences sur les grandes entreprises ne sont pas documentées

D'après les différentes études passées en revue par la Cnepi, l'effet d'additionnalité du CIR sur les PME se situerait entre 0,90 et 1,5 euro de dépenses de recherche et développement par euro de CIR dépensé, soit une dépense de R&D des entreprises qui n'augmenterait qu'à due concurrence du bénéfice que celles-ci tirent du dispositif. La question de l'efficience de l'argent public est ici clairement posée.

Dans leur étude 20 ( * ) , Antoine Bozio, Sophie Cottet et Loriane Py considèrent également que le levier pourrait atteindre 1,5 euros de R&D pour 1 euro de CIR dépensé, les auteurs précisant néanmoins que cette estimation comprend « un intervalle de confiance qui n'exclut pas que l'effet soit inférieur à 1 . » La plupart des recherches publiées à ce jour estiment en tout état de cause que le multiplicateur serait proche de 1.

Autrement dit, l'effet du CIR sur l'effort supplémentaire de recherche fourni par les entreprises se limite à un réinvestissement égal au bénéfice du dispositif . L'indicateur 2.2 du programme 172 « Recherche scientifique et technologies pluridisciplinaires » arrive d'ailleurs à la même conclusion puisque la réalisation 2021 (égale à la cible) atteint le ratio de 1 concernant les dépenses de recherche et développement privées supplémentaires par euro de CIR. La cible pour 2023 reste inchangée.

Cependant, les travaux économiques ne permettent pas d'établir ce type de relation pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et pour les grandes entreprises . Comme le souligne le rapport précité de la Cnepi, « les estimations effectuées sur l'échantillon des grandes entreprises et les ETI indiquent qu'il n'existe pas d'effets significatifs de la réforme du CIR sur l'intensité en emploi d'ingénieurs ou sur la probabilité de déposer un brevet, puisque le coefficient estimé pour ces variables dépendantes est négatif et non significatif . »

Concernant les taux d'investissements incorporels, le chiffre d'affaires ou encore les exportations, le même rapport relève que « aucun impact significatif n'a été détecté sur les grandes entreprises et les ETI ». La réforme de 2008 les aurait surtout aidées à traverser la crise en desserrant la contrainte financière qui pesait sur elles.

De plus, comme cela a été montré par Stéphane Lhuillery 21 ( * ) , le nombre de groupes français parmi les leaders mondiaux en termes de recherche et développement a diminué d'un tiers, passant de 18 en 2005 à 12 en 2019. De même, en proportion de la recherche mondiale, la recherche et développement des leaders français ne pèse plus que 3,1 % en 2019 contre 5,5 % en 2005.

Enfin, d'après les auditions menées par le rapporteur spécial, le CIR est un crédit d'impôt particulièrement difficile à contrôler qui nécessite une coordination entre les services de la DGFIP et ceux du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il est, par ailleurs, générateur de nombreux contentieux relatifs au caractère éligible ou non des dépenses d'innovation.

c) Les moyens publics dédiés au CIR pour les ETI et les grandes entreprises pourraient être mieux employés

Le rapporteur spécial estime qu'en l'absence d'effets documentés du CIR sur les grandes entreprises, le bénéfice du dispositif pour ces dernières mérite d'être interrogé.

Le passage d'un seuil de 100 à 10 millions d'euros pour la prise en charge de 30 % des dépenses n'affecterait que 200 entreprises et pourrait représenter une économie de près de quatre milliards d'euros .

Par ailleurs, les grandes entreprises bénéficiaires du CIR bénéficient également de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés décidée par le Gouvernement et votée en 2019 par le Parlement. Le taux normal d'imposition est ainsi passé de 33,3 % en 2018 à 25 % en 2022.

Cette baisse de l'impôt sur les sociétés a, par ailleurs, été accompagnée par une baisse des impôts de production, mouvement qui devrait encore s'accentuer du fait de la suppression totale, entre 2023 et 2024, de la CVAE.

Alors que l'une des justifications du CIR pour les grandes entreprises a souvent été le taux nominal particulièrement élevé de l'impôt sur les sociétés, la diminution de celui-ci doit s'accompagner d'une réforme des dispositifs qui grèvent les recettes de l'impôt sur les sociétés .

Les moyens dégagés pourront ainsi abonder le budget de la recherche, alors que la France est encore très en-deçà de l'objectif de Lisbonne 22 ( * ) de 3 % du PIB pour les dépenses de recherche. En effet, en 2017, la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) de notre pays s'est élevée à 49,5 milliards d'euros, soit 2,21 % du produit intérieur brut (PIB). À titre de comparaison, la DIRD atteignait alors 3,21 % du PIB au Japon, 4,55 % en Corée du Sud, 2,79 % aux États-Unis et 3,04 % en Allemagne.


* 13 Article 86 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

* 14 Article 66 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.

* 15 Montant révisé.

* 16 Entrant dans la définition des micro, petites et moyennes entreprises donnée à l'annexe I au règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité.

* 17 La règle dite du « doublement de l'assiette » du Crédit d'impôt recherche (CIR) qui permet à un donneur d'ordre privé, externalisant une activité de R&D à une entité publique de recherche, de déclarer à l'administration fiscale le double des dépenses facturées par l'entité.

* 18 Règle remplacée en 2022 par la création d'un crédit d'impôt en faveur de la recherche collaborative.

* 19 Examens de l'OCDE des politiques d'innovation : France 2014, Les politiques de soutien à la recherche et à l'innovation en France.

* 20 Antoine Bozio, Sophie Cottet et Loriane Py, Évaluation d'impact de la réforme 2008 du crédit impôt recherche, Institut des politiques publiques, mars 2019.

* 21 La R&D des groupes français et le CIR, Stéphane Lhuillery, Neoma Business School, juin 2021.

* 22 Mars 2000.

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